Le texte ci-dessous est la
retranscription d’une interview qui a eu lieu le 15 Mars à la télévision
tunisienne dans une émission appelée « La ba’s ». Le journaliste,
Nawfal al-Wartani, nous présente son invité comme un terroriste tunisien
revenu du djihad en Syrie et qui a accepté de témoigner de tout ce
qu’il a vu et vécu là-bas.
Cette émission a créé une
certaine réaction polémique en Tunisie, certains journalistes allant
jusqu’à accuser leur confrère d’avoir monté un faux témoignage. Les
autorités tunisiennes auraient retrouvé le témoin anonyme et l’auraient
arrêté pour mener une enquête.
Vrai ou faux témoin ?
TV Tunisienne / Émission « Labess » de Nawfal al-Wartani
Introduction de l’émission
Nous vous présentons le témoignage très
important d’un Tunisien qui est allé faire le « jihad » en Syrie et qui
en est revenu. Il a vécu une expérience difficile. Disons qu’il a vu la
mort de près et que son expérience peut nous aider à comprendre… Nous
le remercions d’avoir eu le courage de venir nous en parler, même s’il a
le visage couvert et que nous ne connaissons même pas son identité,
sinon qu’il s’appelle « Abou Qoussai »…
Questions / Réponses
Q : Vous êtes âgé de 30 ans. Nous
aimerions que vous racontiez les événements que vous avez vécus selon
leur séquence chronologique. Militiez-vous pour un mouvement islamiste ?
R : Non, j’étais loin de tout cela. Ce n’est qu’en 2008 que je me suis intéressé à ce domaine avec des proches.
Q : Que faisiez-vous précédemment ?
R : Du commerce avec la Libye, tout en occupant un poste dans la fonction publique…
Q : Et en 2011 vous êtes parti faire le jihad en Syrie ?
R : J’ai demandé un congé sans solde
deux mois avant de me rendre en Libye avec un groupe d’amis… Je
travaillais dans la menuiserie qu’un oncle m’avait enseignée quand
j’étais enfant. Nous nous sommes rassemblés à Benghazi avant de nous rendre en Syrie.
Q : Vous avez donc rencontrés des gens en Libye et ce sont eux qui vous ont proposé d’y aller ?
R : C’est cela… moyennant des « butins ».
Q : Autrement dit, vous alliez faire le Jihad contre quantités de butins et d’argent ?
R : Oui.
Q : Quel itinéraire avez-vous suivi ?
R : De Benghazi à l’aéroport d’Antakya puis à Idleb.
Q : Comment ?
R : En passant la frontière. À l’époque
Idleb avait échappé aux autorités de l’État (syrien)… à l’autorité de
Bachar… et l’ASL (l’Armée Syrienne Libre) contrôlait absolument tout ;
ce qui signifie qu’entrer et sortir étaient choses faciles.
Q : Avez-vous suivi un quelconque entrainement lors de votre transit par la Libye ?
R : Nous avons été entraînés au maniement des armes à Jabal al-Akhdar, en dessous de Benghazi et à mi-chemin de Brega.
Q : Avez-vous rencontré des Tunisiens en Libye ?
R : Ils étaient présents.
Q : Y’avait-il un bureau de recrutement ? Pourquoi avez-vous été choisis ?
R : Parce que nous étions pieux… mes amis et moi…
Q : Combien de temps êtes-vous restés en Libye ?
R : Un mois.
Q : Des armes légères ? De quel type ?
R : Mitrailleuse BKC, Kalachnikov, fusil mitrailleur JK.
Q : Donc, d’Antakya vous vous êtes
rendus à Idleb. Qui avez-vous rencontré là bas ? Comment avez-vous été
accueillis ? Combien étiez-vous dans votre groupe et de quelles
nationalités était-il composé ?
R : Une vingtaine par groupe, en
plusieurs groupes successifs, des Libyens et des Tunisiens… Nous avons
été accueillis par un intermédiaire qui nous a dirigé vers une région
d’Idleb devenue un émirat et où tous les habitants, des plus jeunes aux
plus vieux, étaient religieux. On se serait cru à Kandahar en
Afghanistan !
Q : Un émirat indépendant ?
R : Un émirat dépendant de l’ASL et sous le commandement de « Abou jihad al-Chami ».
Q : Avez-vous hésité devant ce spectacle ?
R : Non… J‘étais enthousiaste, pénétré
par la religiosité, et assoiffé de religion. Comment pouvais-je
reculer ? C’était normal !
Q : Vous avez donc suivi l’ASL avec le « Liwa’ al-Tawhid » ?
R : Oui. C’était la plus importante des
brigades… composée de déserteurs de l’Armée arabe syrienne, chacun
travaillant à sa guise. Personnellement, je me suis engagé dans la
brigade de « Liwa’ al-Ababile » commandée par un ex-pilote, le capitaine
« Omar al-Wawi ».
Q : Où êtes-vous allés ?
R : À « Jisr al-Chougour » où ils nous
ont dit vouloir établir un état, comme cela a été fait à Tripoli et à
Benghazi, pour transformer la place en « un nouveau ou un second
Benghazi »… Il s’en est suivi une bataille qui a duré 20 jours à Jisr
al-Chougour et Jabal al-Zawiya…
Q : Vous étiez donc au cœur de l’action. Mais quelle était votre mission ?
R : Entrainement aux armes et planifications.
Q : Vous ont-ils fourni des cartes d’identité ?
R : Des cartes d’ « engagés dans l’ASL »
où figuraient la photo et la nationalité mais pas le nom et le prénom.
Vous aviez un pseudo commençant par « Abou ».
Q : « Abou Qoussai » dans votre cas ! Quel entrainement avez-vous reçu par l’ASL ?
R : Ils nous entraînaient au maniement
des armes dans une ferme d’Idleb. Ils nous entraînaient au tir, à la
course, au camouflage, etc… Un jour nous avons vu arriver, de Libye, un
dénommé « Mahdi al-Harati » 3qui avait planifié l’opération « Arous
al-Bahr » (La mariée de la mer) ayant mené à la prise de Tripoli. Il
nous a entraînés aussi.
Q : Avez-vous eu l’impression que l’ASL disposait d’importants moyens financiers et autres ?
R : Il en avait… Oui, il en avait !
Quatre députés du Bahrein sont d’ailleurs venus nous soutenir et nous
financer. L’un s’appelait « Adel al-Mouawouda », l’autre s’appelait
« Abdul-Majid Mourad ». Je n’ai pas connu les autres. Ce sont des cheiks
appartenant au courant salafiste… Il y’a eu rencontre avec un certain
« Abou Issa », qui commandait la brigade de « Soukour al-Cham ». Ils ont
promis que tous les engagés dans cette dernière brigade recevraient
1000 dollars par mois et que le reste de l’argent pourrait servir à
acheter des armes ou quoi que ce soit dont ils auraient besoin.
Q : Cela signifie que tout ce que nous
avons lu dans les journaux concernant des pays du Golfe soutenant l’ASL
est du domaine de la réalité, et que vous en avez été témoin ?
R : Oui… du Bahrein ! Et j’ajouterai un
Koweitien du nom de « Walid al-Tabtabi » qui avait monté une
organisation islamiste au Koweït, et qui nous expédiait armes et argent.
Q : Comment se passait le transfert de cet argent ?
R : Le tout par l’intermédiaire de
banques turques basées à Antakya, Aintab et même au Hatay ; ces banques
disposant des listes de combattants…
Q : Dans ces conditions, que faisiez-vous de cet argent ?
R : Celui qui voulait l’expédier vers
son pays d’origine, pouvait le faire. Celui qui voulait le dépenser sur
place, le pouvait aussi.
Q : Mais comment cet argent arrivait-il en Syrie ?
R : Par la frontière syro-turque. Tu rentrais et tu sortais sans que le service turc des douanes ne te fouille !
Q : Quels sont les combats auxquels vous avez participé dans les rangs de l’ASL ?
R : Jisr al-Chougour, Jabal al-Zawiya, et la bataille de Baba Amr à Homs.
Le haut commandement de l’ASL, basé en Turquie, nous avait demandé de
nous rendre dans cette dernière province en nous informant que les armes
y arriveraient en provenance de la frontière libanaise. Nous avions
reçu l’ordre de faire en sorte que Baba Amr ne tombe pas aux mains de
Bachar al-Assad ! Maintenant, si vous regardez une carte de la Syrie
vous comprendrez qu’il s’agissait de contrôler un immense territoire
allant de la frontière irakienne jusqu’aux frontières libanaises. En
d’autres termes, au cas où l’ASL aurait réussi cette opération, il
devenait possible d’isoler le régime de Damas
en installant un gouvernement à Idleb, à Alep, à Raqqa, ou ailleurs.
D’ailleurs, Homs est en ruine. Comme disent les Syriens, c’est désormais
la « Stalingrad syrienne » !
Q : Combien de temps duraient ces batailles ?
R : Un jour entier… quelque fois plusieurs jours… C’était eux ou nous !
Q : Avez-vous vu beaucoup de morts ?
R : Oui j’ai vu. Des morts parmi les soldats de l’Armée arabe syrienne et des morts parmi nous.
Q : À Homs, par exemple, lequel des deux partis était le mieux équipé ?
R : L’Armée arabe syrienne disposait de
chars de blindés et d’armes russes, alors que nous n’avions que des
armes légères telles des mitrailleuses, des fusils sniper et d’autres
armes américaines venues de toutes les directions.
Q : Et malgré cela, des soldats syriens tombaient ?
R : Des soldats syriens tombaient et des combattants de l’ASL tombaient aussi !
Q : Dans des pièges ?
R : Oui, dans des pièges.
Q : Et vous, avez-vous combattu ?
R : Oui.
Q : Et vous avez tué des soldats de l’Armée arabe syrienne ?
R : « Hochements affirmatifs de la tête ».
Q : En tant que quoi avez-vous vous participé à ces trois combats ?
R : En tant que planificateur.
Q : Comme, par exemple, la bataille de Jisr al-Chougour sous la direction du colonel Harmouche ?
R : Oui, mais nous avons entendu parler
de son incompréhensible arrestation ainsi que de celle de ses cousins
par les Moukhabarates (les services de renseignement) ; alors que, suite
à l’attaque de son lieu de résidence dans le village d’Iblin, nous nous
étions préparés à nous rendre sur place pour le secourir…
Q : À Jisr al-Chougour vous avez attaqué un poste de police. Bilan : 120 policiers tués ?
R : Oui… des Tunisiens et des Libyens.
Q : Des Tunisiens et des Libyens ?
R : Nous avions des Syriens, mais ceux
qui avaient planifié l’attaque étaient libyens… 120 morts… C’est là qu’a
commencé la bataille de Jisr al-Chougour, cette place n’étant pas sous
contrôle.
Q : Et là, avez-vous tué des policiers ?
R : Non.
Q : Et comment avez-vous participé aux batailles de Jabal-al-Zawiya et de Baba Amr ?
R : Le Colonel « Abdul-Razak Tlass »
avait demandé des renforts. Nous avons emprunté
l’autoroute Alep-Hama-Homs pour aller l’aider. Nous avons traversé sans
craintes et sans encombres, l’autoroute étant sous contrôle de l’ASL, et
c’est ainsi que nous sommes arrivés à destination avec les renforts
nécessaires.
Q : On raconte que les Tunisiens sont le cerveau pensant des opérations ?
R : Nous sommes tout ! Nous sommes tout !
Q : Que voulez-vous dire par « nous sommes tout » ?
Q : Je veux dire que nous sommes les
planificateurs, nous sommes les féroces combattants, nous dirigeons les
tribunaux de la Charia…
Q : Quels tribunaux de la Charia ?
R : L’un siégeant dans le rif de Idleb ; l’autre, dans le rif d’Alep.
Q : Alors ce sont les Tunisiens qui dirigent ?
R : Oui.
Q : Qu’avez-vous, vous-même, planifié ?
R : Mes planifications concernaient la destruction des mosquées.
Q : Destruction ?
R : Oui, la destruction des mosquées.
Q : Mais pourquoi ?
R : Notre plan consistait à viser les
mosquées portant des noms de califes tel celui d’Abou Bakr, ou encore le
nom de Saïda Aïcha… Ainsi, nous poussions à la désertion les soldats
de l’Armée arabe syrienne qui est, dans sa grande majorité, composée de
sunnites… Vous avez pigé le plan ?
Q : Le plan ?
R : Oui, le plan. Des sunnites et des Alaouites dont Bachar !
Q : Ah bon ! Dois-je comprendre que vous cherchiez à démolir les relations au sein de l’armée de Bachar ?
R : Ainsi tous les sunnites de l’Armée syrienne devaient nous rejoindre ; laquelle, par conséquent, devait s’affaiblir.
Q : Et c’est pourquoi vous laissiez vos inscriptions sur les murs des mosquées que vous aviez détruites ?
R : Nous écrivions sur les murs d’une
mosquée détruite par nos soins : « Allah, w’ Souriya, w’Bachar, w’bass »
(Dieu, la Syrie, Bachar et c’est tout !), ou « Il n’y a de Dieu que la
patrie ! », ou encore « Il n’y a de prophète que le Baas ! ».
Q : Et vous brûliez de corans en vous comportant comme si vous étiez des ennemis de l’Islam ?
R : Moi, je n’ai pas brûlé de Corans.
Q : Nous avons vu une vidéo disant « Il
n’y a de Dieu que Bachar », pardon mon Dieu ! Bref, vous fabriquiez de
quoi remonter les gens contre Bachar ?
R : Oui.
Q : Autrement dit les divisions sectaires étaient ainsi fabriquées ?
R : Écoutez, je ne défends pas Bachar…
Q : Mais non, mais non… Vous décrivez
juste la réalité. Bachar est un dictateur et un tueur. Nous ne le
défendrons certainement pas.
R : Oui un tueur… l’ASL et nous tous tuons… il n’empêche que c’est lui le tyran.
Q : Justement. Vous avez raison M. Abou Qoussai.
R : Une fois, ils ont arrêté un type de
Homs qui refusait d’avoir à faire avec l’ASL, ils l’ont frappé et l’ont
atrocement torturé à la chignole…
Q : Alors même qu’il était innocent et n’était pas un soldat… ?
R : Oui… pour ensuite faire porter le
chapeau à Bachar. Ils utilisaient des méthodes de torture importées
d’Iran, telles celles décrites en Irak, et les répandaient ensuite dans
la presse.
Q : Juste pour en accuser Bachar ?
R : Oui.
Q : Pourquoi l’ASL et Jabhat al-Nosra sont-elles devenues ennemies ?
R : Les Tunisiens ont commencé à
raconter que l’ASL était laïque… et les dissensions ont commencé. Les
Tunisiens ont alors rejoint Jabhat al-Nosra pour des raisons religieuses… À savoir que les laïques étaient subventionnés par les Américains…
Q : Ils ne travaillent donc plus ensemble ?
R : Non, ils ne le font pas. Mais, que
reste t-il de l’ASL ? La plupart de ses chefs sont morts ! J’ai même
entendu que 30 d’entre eux ont été ciblés après que les Services de
renseignement les aient localisés dans une demeure où ils s’étaient
réunis. Ceux qui restent sont désormais des réfugiés politiques ou ont
rejoint d’autres formations.
Q : Et puis DAECH a surgi ?
R : À l’époque DAECH n’était pas encore
intervenu. Nous en entendions parler à partir de l’Irak en tant qu’EIIL
(État Islamique de l’Irak et du Levant).
Q : Mais alors que vous vous trouviez au
sein de tous ces combats, vous n’avez jamais pensé que vous n’étiez en
rien concerné par tout cela ? Vous étiez emporté par votre enthousiasme
pour la victoire de l’Islam et la chute du dictateur ?
R : Oui. Mais je me suis réveillé quand
ils ont tué le cheikh Al-Bouti. À l’époque, nous recevions nos ordres du
Ar’our, un cheikh d’origine syrienne qui parlait sur la Chaîne TV
Al-Wissal dépendant du cheikh koweitien Al-Ajami.
Q : Ils l’ont tué ?
R : Ils l’ont tué après avoir prétendu
qu’il était un Imam au service des Nusayris – c’est ainsi qu’ils
désignent las Alaouites – alors qu’il n’était que rectitude…
Q : Quel type de combats avez-vous mené avec Jabhat al-Nosra ?
R : Des combats pas trop importants. Des attaques de barrages et des trucs comme ça.
Q : Le jour, le Jihad… Et la nuit, que faisiez-vous ? Qui rencontriez-vous ?
R : On restait assis, l’un clamait des
poèmes, l’autre entonnait des chants du Jihad. Parfois on suivait des
entrainements. Ce genre de vie.
Q : Et personne de la direction ?
R : Il y avait « Abdul-Razak Tlass »… Il était tout le temps sur Skype…
Q : Qui ça ?
R : Abdul-Razak Tlass. Son grand père
était ministre de la Défense du temps de Hafez al-Assad : Mustapha
Tlass. Il était toujours en compagnie d’amies et leur parlait toute la
nuit.
Q : Est-il vrai qu’il y avait des filles parmi vous ? En avez-vous vues ?
R : Oui j’ai vu. Elles étaient au nombre de treize. Le jour, elles se battaient et étaient spécialisées en tant que snipers.
Q : Des Tunisiennes ?
R : Des Tunisiennes, des Irakiennes…
Q : Des snipers le jour, et des jihadistes du sexe la nuit ?
R : Oui.
Q : De toutes les nationalités ? Russie, Palestine, Europe de l’Est ?
R : Présentes !
Q : Aviez-vous, vous-même, une relation avec une jeune fille ?
R : J’avais.
Q : Ce qui signifie que tous les combattants y avaient droit ?
R : Ils y avaient droit, mais gare à toi
si tu t’approchais de celle programmée pour un autre combattant. À
chacun son temps selon une répartition donnée.
Q : Qui a entraîné les filles à tirer ?
R : C’est Abou’l Baraï qui les a entraînées à se battre et à tirer.
Q : Un Saoudien ?
R : Un Saoudien.
Q : Avec Jabhat al-Nosra vous avez participé à l’attaque de l’aéroport d’Alep et à la « libération » de Ma’bar al-Tal…
R : C’était au tout début de la chute de
Raqqa qui a donc échappé au « régime ». À cette époque nous avions reçu
de l’argent par un dénommé « Fayçal al-Houeidi » qui faisait partie des
notables de Raqqa et dont le frère était en relation avec les émirs
d’Arabie saoudite. Il en recevait de l’argent qu’il distribuait à la
ronde, dont des amis avocats et médecins qui sortaient dans les
manifestations, excitaient les gens du coin, et surtout planifiaient
pour que Raqqa tombe sans résistance.
Je ne suis pas resté longtemps en leur compagnie… Il y avait aussi un
officier nommé « Khaled al-Halabi ». C’est lui qui, moyennant finances, a
écarté les barrages de l’Armée… Et c’est en clin d’œil que Raqqa est
ainsi tombée !
Q : De quoi est composée Jabhat al-Nosra et qui la finance ?
R : Jabhat al-Nosra est issue
d’associations islamistes et elle est financée par le Qatar et même par
l’Arabie saoudite, tandis que l’ASL est financée par la Turquie et le
Qatar.
Q : Combien de Tunisiens estimez-vous avoir rencontrés là bas ?
R : Ils sont nombreux. Je ne peux donner de chiffres.
Q : Les Tunisiens sont donc des planificateurs et des combattants ?
R : Oui. Le chef de l’ASL, Riad
al-Asaad, ne travaillait pas avec des Syriens auxquels il ne faisait pas
confiance… Il se raconte qu’on les avait surpris entrain de déposer des
repères au moment des frappes de l’aviation syrienne. Il préférait
travailler avec des Saoudiens, des Tunisiens, des Libyens…
Q : Aïe, aïe, aïe ! Quelles étaient vos
relations avec les Syriens ? Ils vous témoignaient de l’animosité ? Ils
avaient peur de vous ?
R : Ils avaient peur de nous. Et
puisqu’ils étaient contre nous, ils étaient contre la révolution, parce
que c’est la révolution qui les frappait, qui les torturait…
Q : Vous leur imposiez les conditions difficiles de vos tribunaux de la Charia ?
R : J’ai vu ces mêmes comportements chez l’ASL et chez Jabhat al-Nosra. L’ASL aussi torturait, châtiait, et emprisonnait !
Q : Ce qui veut dire que l’Armée
torturait et les opposants aussi… Comment receviez-vous les ordres et
comment exécutiez-vous les assassinats ?
R : Les assassinats étaient réservés aux Syriens parce qu’ils connaissent le terrain.
Q : Receviez des messages chiffrés du
Cheikh Ar’our, celui qui s’adressait à vous par l’intermédiaire de la
chaîne TV al-Wissal appartenant au Cheikh Ajami ?
R : Pas de messages chiffrés, mais un
encouragement permanent… Il disait aux Syriens : « Regardez comment les
Libyens se sont débarrassés de leur tyran », et nous disait : « Nous
vous attendons à Homs pour faire de même avec Bachar ».
Q : Il voulait donc que vous répétiez le scénario de Misrata. A-t-il arrêté ?
R : Non, non, il est toujours là !
Q : Comment Mahdi al-Harati a-t-il exécuté l’attentat contre la « Cellule de sécurité nationale » à Damas ?
R : Il en a été le concepteur.
L’attentat s’est soldé par l’assassinat du ministre de la Défense, du
beau frère de Bachar, et de deux autres haut gradés.
Q : Il avait donc planifié l’élimination des cadres supérieurs de l’Armée arabe syrienne ?
R : Pour semer la zizanie au sein de l’Armée, mais Mahdi al-Harati a trouvé la mort à Damas !
Q : Aux ordres de qui était-il ?
R : Il était le bras droit du chef de
l’ASL, Riad al-Asaad. Il était toujours à ses côtés. C’est lui qui nous
entraînait. Et c’est lui qui a planifié notre entrée dans Alep aussi.
Q : Est-ce que l’ASL est présente à Misrata, et est-ce qu’elle envoie des jeunes se battre en Syrie ?
R : Les sources de financement et un bureau de soutien à l’ASL se trouvaient à Misrata. Ce bureau est désormais fermé.
Q : Quelle est la relation entre « Abdul Karim Belhaj » et l’ASL, ainsi qu’AL-Nosra ?
R : Comme il a éliminé Kadhafi il pouvait éliminer Bachar…
Q : Par un soutien financier ?
R : Il a demandé au chef du gouvernement libyen de fournir des armes et de l’argent à l’ASL.
Q : À quel moment avez-vous pris la décision de revenir en Tunisie et pourquoi ?
R : Au moment où ils ont tué le Cheikh Al-Bouti qui n’avait cessé de mettre en garde contre la fitna.
Q : Ils l’ont tué dans une explosion ?
R : Oui. Et puis il y a eu un deuxième cheikh assassiné à Alep dans le quartier de Cheikh Maksoud.
Q : Le cheikh Hassan Youssef ?
R : Le cheikh Hassan Youssef. Ils l’ont
attaqué en pleine mosquée. Un libyen l’a giflé en lui criant : « Tu n’es
qu’un chabiha de Bachar » ; alors que lui ne cessait de répéter : « Mes
enfants, je suis contre la fitna… ». Ils l’ont traîné dehors. Ils l’ont
frappé. Ils l’ont exécuté à l’épée et ont accroché sa tête sur le
minaret de la mosquée.
Q : Le minaret ?
R : Le minaret.
Q : Et quand avez-vous décidé de quitter cet enfer ?
R : Quand l’ASL a décrété qu’aucun
moujahid ne devait quitter et qu’elle s’est mise à ramener celui qui
voulait partir en le ramenant… même de l’aéroport. Nous étions venus
pour une mission, il nous fallait l’exécuter !
Q : Comment avez-vous fait pour quitter ?
R : Nous avions reçu un ordre de mission
consistant à « corriger » des personnes qui collaboraient avec l’Armée…
il fallait qu’elles meurent !
Q : Corriger veut dire tuer ?
R : Elles collaboraient avec le régime.
Q : Vous receviez des ordres que vous exécutiez sans la moindre preuve ?
R : Nous postions des Syriens… une sorte de police politique.
Q : Vous avez donc décidé d’aller corriger « la tribu » ?
R : Oui… Mais moi, j’avais réfléchi à un
plan. Mort pour mort… j’avais mon BKC… mes cartouches… j’étais
derrière tous les autres… je leur ai réglé leur compte.
Q : Vous les avez tués ?
R : Je les ai tués.
Q : Combien en avez-vous tués ?
R : Tous !
Q : Quinze ?
R : « Hochement discret de la tête ».
Q : Après cela, vous êtes parti au Liban en passant par Alep et Homs ?
R : Non. Non. D’Alep, je me suis dirigée
vers Tal Kalakh. J’ai pris des raccourcis. Je connaissais bien la
route et les points de passage des armes à travers la frontière, pour la
bonne raison que j’en avais réceptionnées.
Q : Pour arriver où ?
R : Chez les Alaouites du Liban.
Q : Ils ne vous ont pas suspecté ?
R : Si. Mais, c’est moi qui suis allé
les voir. Je me souviens qu’un homme en Mercedes blanche est venu me
ramasser… Ils m’ont enfermé, bastonné, torturé, tout nu, les pieds
ligotés…
Q : Autrement dit, vous avez vu la Mort ?
R : Oui.
Q : Comment se fait-il qu’ils vous aient laissé partir ?
R : Je leur ai proposé un marché : « la
stratégie du trafic des armes » ! Je connaissais tous les points de
passages tout le long de la frontière libanaise…
Q : Et ils vous ont relâché ?
R : Parce que je leur avais donné des renseignements
exacts. Deux jours après, ils m’ont dit que je pouvais partir. Mais
comme, je n’avais plus de papiers d’identité ni de passeport, ils m’ont
mis dans un bateau en partance pour la Libye.
Q : Ils vous ont balancé dans un bateau en partance pour la Libye ?
R : Oui… en direction de Benghazi.
Q : Et comment vous êtes-vous débrouillé en Libye ?
R : J’avais fait du commerce avec la Libye… je connaissais des gens.
Q : De Libye, vous êtes entré en Tunisie sans passeport ?
R : Je suis entré du côté d’Az Zantān.
Q : C’était quand ?
R : En Janvier 2013…
Q : Dans quel état étiez-vous ?
R : Psychologiquement démoli.
Q : Vous êtes revenu dans votre famille ?
R : Oui.
Q : Pendant votre absence, qu’est-ce qu’elle s’était imaginée ?
R : Elle pensait que j’étais en Libye, et je lui envoyais de l’argent.
Q : Des virements à partir de banques turques.
R : De la frontière turque.
Q : Vous traversiez la frontière et vous faisiez vos virements. Normalement ?
R : Oui.
Q : Avez-vous des séquelles physiques ?
R : Des orteils arrachés, des douleurs à
l’arrière du crâne dues à des coups reçus à Homs, des saignements du
nez que j’ai soignés, des migraines…
Q : Avaient-ils les moyens de vous prodiguer des soins médicaux ?
R : Ils avaient tous les moyens. Pour
les médicaments, nous nous servions dans les stocks de l’État. Pour le
reste, il y avait tout ce qu’il fallait comme médecins et chirurgiens de
toutes les nationalités. On se rendait à l’« Hôpital du terrain » !
Q : Comment avez-vous vécu depuis votre retour en 2013 jusqu’ici ?
R : J’ai réintégré mon poste dans la
fonction publique, puisque j’avais juste demandé un congé sans solde.
Ils ne sont pas au courant.
Q : Pensez-vous être parti défendre une cause, ou bien que vous avez été manipulé ?
R : Ils nous ont manipulés. Nous sommes partis pour défendre une cause, mais nous avons trouvé une manipulation !
Q : Abou Qoussai, votre témoignage est très important pour tous les jeunes. Quel conseil pouvez-vous leur donner ?
R : Toute cette affaire est un « jeu international » qui nous amène à détruire nos pays de nos propres mains.
Q : Avez-vous entendu des Tunisiens -rencontrés en Libye ou ailleurs- parler de plans prévus pour la Tunisie ?
R : Le « Système Pakistan ».
Q : C’est-à-dire ?
R : Écoles coraniques, Institutions
tenues par des islamistes… Celui qui ne marche pas avec eux mourra…
comme nous l’avons vu pour le « Système Algérie » !
Q : Avec des planifications d’assassinats ?
R : Ils aimeraient même tuer les officiers de l’Armée.
Q : Combien de Tunisiens sont morts ?
R : Il en mourrait tous les jours. Et
ceux qui ne sont pas morts, sont portés disparus, volatilisés sous les
bombardements, ou en prison.
Q : Est-ce que vous regrettez ? Combien de personnes avez-vous tuées ? Des dizaines ?
R : Bien sûr que je regrette… quelqu’un qui a tué autant d’âmes !
Q : Vous ne savez pas combien vous en avez tués ?
R : Non. J’ai tué… c’est tout !
Q : Une fois de plus, qu’est-ce qui vous a réveillé ?
R : Je vous l’ai dit, la mort du Cheikh Al-Bouti…
Q : En Tunisie, avez-vous rencontré des gens qui organisaient ces expéditions en Syrie ?
R : Dans des agences de voyage, des compagnies anonymes, des intermédiaires.
Q : Et vos papiers, votre passeport ?
R : ils sont perdus.
Conclusion : Abou Qoussai, je vous souhaite une bonne santé. Merci pour tout ce que vous nous avez appris.
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