Le Brexit montre une nouvelle fois à quel point le référendum est à
la démocratie ce que les œufs de lump sont au caviar, un vague succédané
et non le summum de la souveraineté populaire qu’il est devenu depuis
une vingtaine d’années sous l’impulsion de partis que l’on dit à tort
«populistes», alors qu’ils sont xénophobes, nationalistes, autoritaires,
à l’image du FN. Eux ont compris l’usage qu’ils peuvent en faire dans
leur marche vers le pouvoir, puisqu’ils peuvent emporter une décision
irréversible en étant politiquement minoritaires.
Référendum après référendum, on ne peut que constater les dommages qu’ils causent à la démocratie représentative, car ils procèdent de l’idée que les représentants du peuple, pourtant démocratiquement élus, sont illégitimes pour engager leur pays, car incompétents, manipulateurs, soumis aux puissances de l’argent et bien sûr indifférents aux citoyens.
Référendum après référendum, on ne peut que constater les dommages qu’ils causent à la démocratie représentative, car ils procèdent de l’idée que les représentants du peuple, pourtant démocratiquement élus, sont illégitimes pour engager leur pays, car incompétents, manipulateurs, soumis aux puissances de l’argent et bien sûr indifférents aux citoyens.
Le référendum, c’est l’exact contraire de la démocratie, qui n’est
pas la dictature brutale de la majorité sur la minorité, mais un
mécanisme complexe de pouvoirs-contrepouvoirs destinés à éviter les
décisions prises à l’emporte-pièce, sur la base de mensonges ou pour des
motivations qui n’ont rien à voir avec le sujet, et les réponses
simplistes à des questions complexes, comme celle de l’appartenance à
l’UE. Contrairement à un vote du Parlement, qui peut être renversé par
une autre majorité, le référendum est devenu LA parole du peuple et sa
remise en cause, extrêmement difficile, comme l’a montré l’adoption du
traité de Lisbonne en 2007 à la suite du «non» français de 2005 qui est
toujours contesté. Le drame est que quasiment personne, dans les partis
de gouvernement, n’ose plus remettre en cause la légitimité de cet
instrument par crainte d’apparaître comme «méprisant»et «élitiste».
Certes, on brandit en permanence le modèle suisse. Or, chacun a ses
traditions dans ce domaine. En France, le référendum a toujours été un
instrument plébiscitaire : on vote pour ou contre le pouvoir en place.
En Allemagne, les nazis l’ont utilisé de la même façon et c’est pour
cela qu’il est devenu tabou. Surtout, il laisse des blessures
difficilement cicatrisables, puisqu’il aboutit à une opposition binaire
sur des questions infiniment complexes, loin de tout compromis, qui est
la base de la démocratie parlementaire : en Belgique, par exemple, le
dernier référendum, celui de 1950 sur la question royale, a conduit le
pays au bord de la guerre civile. Au Royaume-Uni, le référendum sur le
Brexit laisse le pays profondément divisé, au point que son existence
est menacée.
Comme le disait Alexander Hamilton, l’un des pères de la Constitution américaine, en 1788, «les
principes républicains n’exigent point qu’on se laisse emporter au
moindre vent des passions populaires ni qu’on se hâte d’obéir à toutes
les impulsions momentanées que la multitude peut recevoir par la main
artificieuse des hommes qui flattent ses préjugés pour trahir ses
intérêts. Le peuple ne veut, le plus ordinairement, qu’arriver au bien
public, cela est vrai ; mais il se trompe souvent en le cherchant […].
Lorsque les vrais intérêts du peuple sont contraires à ses désirs, le
devoir de tous ceux qu’il a préposés à la garde de ses intérêts est de
combattre l’erreur dont il est momentanément la victime afin de lui
donner le temps de se reconnaître et d’envisager les choses de
sang-froid. Et il est arrivé plus d’une fois qu’un peuple, sauvé ainsi
des fatales conséquences de ses propres erreurs, s’est plu à élever des
monuments de reconnaissance aux hommes qui avaient eu le magnanime
courage de s’exposer à lui déplaire pour le servir.» Si l’on avait
consulté les Britanniques sur la poursuite de la guerre en 1940 ou les
Français sur la réconciliation avec l’Allemagne en 1950, quelle aurait
été la réponse ?
Même le législateur veille à se protéger de ses propres pulsions pour
les décisions les plus importantes. Pour modifier une Constitution, des
conditions très strictes de quorum et de majorité qualifiée sont fixées
: dans certains pays, comme en Grèce, le nouveau texte doit même être
voté par deux législatures successives. Dans le cas britannique, les
«Brexiters» ne représentent que 36 % du corps électoral (52 % de 70 %),
alors que leur décision aura des conséquences irréversibles. Et,
souligne l’ex-Premier ministre belge Guy Verhofstadt, dans une
démocratie représentative, on sait qui est responsable d’une décision et
on peut lui demander des comptes, alors que dans un référendum,
personne n’est responsable. Si l’on veut malgré tout maintenir des
référendums, pourquoi, comme le propose Kenneth Rogoff, prof d’économie
et de sciences politiques à Harvard (1), outre un quorum, ne pas exiger
une majorité qualifiée (60 % ou 65 %) ou, au moins, une majorité simple
du corps électoral sur des questions qui engagent l’avenir du pays,
voire un second vote un an plus tard pour confirmer qu’il ne s’agissait
pas d’une simple photographie de l’opinion ? La démocratie
représentative a ses garde-fous. La démocratie directe, si elle veut
garder le nom de démocratie, doit aussi avoir les siens.
(1) Les Echos du 30 juin.
Source : Libération, Jean Quatremer, 06-07-2016
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