«
"Élections... Piège à cons". Le slogan a fait ses preuves en 68. On
pourrait peut-être le ressortir de la naphtaline aujourd’hui, l’aérer et en
profiter pour se poser des questions pas vraiment inutiles au vu de l’usage
qu’on fait un peu partout dans le monde de ce mode d’expression pour lequel
l’humanité s’est tant battue. » Patrick Adam
Que de crimes n-a-t-on pas commis ces derniers temps
au nom d’une démocratie qu’on prétend vouloir imposer aux « Arabes,
Vénézuéliens, Iraniens, et autres "sous-développés" récalcitrants
aux sirènes de l’Empire». On nous dit qu’une démocratie est un régime politique
dans lequel les décisions sont prises en fonction de la volonté du peuple. Mais
qu’est-ce que la volonté du peuple ? En d’autres termes, quelle est la
bonne façon de tenir compte des préférences de chaque individu pour en déduire
la préférence collective ? Depuis quelques décennies, les mathématiciens
se sont penchés sur ces questions, et sont arrivés à des conclusions...
surprenantes !
Le principe de démocratie existe depuis environ 2600 ans.
La démocratie athénienne est réputée pour être
l'ancêtre des démocraties modernes. Le
mot démocratie vient de deux mots grecs : dêmos (le peuple) et kratos
(le pouvoir). À la même époque que la démocratie grecque, un autre type de
démocratie était appliqué à Carthage. L’organisation politique de
Carthage était louée par de nombreux auteurs antiques qui mettaient en avant sa
« réputation d’excellence » [Polybe, Histoires, VI, 43.]. Aristote
(-384 ; -322) la dépeint comme un modèle de constitution
« mixte », équilibrée et présentant les meilleures caractéristiques
des divers types de régimes politiques, c’est-à-dire mêlant des éléments des
systèmes monarchique (suffètes), aristocratique
(Sénat) et démocratique (assemblée du peuple).
Qu’en pensaient les anciens ?
- Platon
(entre -427 ; -347) avait écrit, dans La République, qu’à son
avis, la « démocratie apparaît lorsque les pauvres, ayant emporté la
victoire sur les riches, massacrent les uns, bannissent les autres, et
partagent également avec ceux qui restent le gouvernement et les charges
publiques ; et le plus souvent ces charges sont tirées au sort. »
Ainsi, voter pour élire un président ou des représentants n’est pas,
contrairement à ce que l’on veut nous faire croire, une garantie de vie en
démocratie.
- Pourtant Aristote,
le père de la philosophie, écrivait déjà dans Les politiques que :
« Le choix judicieux est l’affaire des gens de savoir : par
exemple le choix d’un géomètre appartient à ceux qui sont versés dans la
géométrie, et le choix d’un pilote à ceux qui connaissent l’art de gouverner un
navire. Car, en admettant même que, dans certains travaux et certains arts, des
profanes aient voix au chapitre, leur choix en tout cas n’est pas meilleur que
celui des hommes compétents. Par conséquent, en vertu de ce raisonnement, on ne devrait pas abandonner à
la masse des citoyens la haute main sur les élections de magistrats. ».
Aristote était donc contre la démocratie comme nous l’entendons et sa
conception de l’État se rapprochait plus d’une dictature que d’une démocratie,
mais d’une dictature dirigée par des hommes de savoir : des dictateurs
éclairés.
Le théorème
d’Arrow
Pour « gouverner » tout d’abord, il faut à
un moment ou à un autre faire des choix et trancher entre plusieurs
alternatives. Comme dans une démocratie c’est le « peuple » qui est
supposé diriger, ces choix devront être réalisés collectivement. Or ces choix
collectifs ne sauraient être réalisés à partir d’autre chose que les choix des
individus composant le peuple. Il va donc
falloir, d’une manière ou d’une autre, agréger les choix individuels en un
choix collectif.
Justement, le vote est le moyen d’agréger les
convictions personnelles de chacun en un choix collectif unique.
Depuis cette époque lointaine, une multitude de méthodes de vote ont vu le jour sans
que jamais aucune ne semble forcément surpasser les autres.
Dans les années 1970, l’Américain Kenneth Arrow (prix
Nobel d’économie) énonça et démontra son théorème dont le résultat est pour le
moins surprenant et qui passe pour le théorème
le plus important de ce siècle en théorie du choix social.
Ce "théorème d'impossibilité"
s'énonce ainsi (en simplifiant, car il s'agit d'un théorème mathématique de
théorie des ensembles qui réclame une démonstration élaborée) :
« Il n'existe pas de fonction de choix social (un système de vote) qui puisse
convertir des préférences individuelles en une décision agrégée cohérente,
hormis dans le cas où la fonction de choix social coïncide avec les choix d'un
seul individu ("dictateur"), indépendamment du reste de la population. »
La dictature éclairée serait-elle plus démocratique que la
démocratie ?
Si on posait la question aux Irakiens, aux Syriens, ou aux Libyens, la réponse serait
évidente. La vie sous la dictature de Saddam Hussein, de Bachar Al-Assad ou de
Mouammar Kadhafi, est infiniment préférable, non seulement à la démocratie que
voudrait leur imposer l’Occident à coup de bombes, mais aussi aux sinistres et
obscurantistes dictatures des rois islamo-fainéants. De même, pour la grande
majorité des Tunisiens, la vie quotidienne sous le « dictateur » Ben
Ali était, de loin, préférable à la « démocratie islamise » (oxymore)
qui a suivi son renversement, et qui leur a été imposée par la France et les
USA. Pourquoi ? Parce que sous le régime « dictatorial » de Ben
Ali, la démocratie ne signifiait certes pas « élections libres », mais
signifiait : sécurité (la première des libertés), égalité homme
femme, propreté, bien-être, travail, etc. Toutes choses disparues avec la
« démocratie » islamiste d’aujourd’hui. Lorsqu’on suit les
débats à l’Assemblée des Représentants du Peuple (défense de se fendre la pipe),
on a l’impression d’assister à des querelles et au langage de gamins des rues
sans aucune éducation ni aucune valeur morale.
Il semble a priori, qu’une dictature éclairée soit un
oxymore, au même titre que qu’un « islamiste modéré » ou qu'un "gentil
terroriste". Car, être dictateur signifierait prendre les décisions
(et en assumer les conséquences) pour son peuple, et être éclairé
signifierait à la fois avoir les capacités et les compétences lui permettant de
faire les bons choix pour son peuple en toute connaissance de cause (Voir
Aristote ci-dessus).
Suite à une révolution, le département de l’Allier est
devenu indépendant. La Constitution du nouvel État prévoit que des élections
démocratiques soient organisées pour désigner sa capitale. Il se trouve que
l’Allier présente la particularité d’avoir trois villes principales de tailles
comparables, villes que nous noterons par leur dernière lettre :
Montluçon (N), Moulins (S) et Vichy (Y).
Chacune des ces villes a déposé une candidature pour devenir capitale, et
chaque citoyen souhaite naturellement que la future capitale soit la plus
proche possible de chez lui. Ainsi [voir la carte ci-dessous], les habitants
de N, à défaut de voir leur ville choisie, préfèreraient S
à Y, les habitants de S préfèreraient Y à N,
et les habitants de Y préfèreraient S à N. (Nous
négligerons ici les citoyens n’habitant aucune des trois villes).
Carte
de l’Allier montrant les trois villes et les distances les séparant. |
Si la
Constitution dit bien que c’est par une élection démocratique que doit être
désignée la capitale, elle ne précise en revanche pas quelle méthode électorale
doit être suivie. Plusieurs méthodes concurrentes, toutes clairement
démocratiques, ont été proposées. Nous n’en montrons que trois :
· Méthode A :
Chaque électeur vote pour une ville ; la ville qui reçoit le plus de
suffrages gagne.
· Méthode B : Dans
un premier tour, chaque électeur vote pour une ville, puis un second tour est
organisé entre les deux villes ayant reçu le plus de suffrages au premier
tour ; la ville qui reçoit le plus de suffrages au second tour gagne.
· Méthode C :
Chaque électeur vote contre une ville ; la ville qui reçoit le moins
de suffrages gagne.
Diantre,
que de possibilités ! Mais bon, vu que ces méthodes sont toutes
démocratiques, peut-être donnent-elles en fait la même ville vainqueure...
Hélas, non. Imaginons par exemple que 40 % des électeurs habitent N, 35 %
habitent Y et 25 % habitent S. Alors :
-
Suivant la méthode A, N gagne par 40 % des suffrages contre
35 % pour Y et 25 % pour S.
- Suivant
la méthode B, Y gagne au second tour contre N par
60 % des suffrages contre 40 %, vu que les habitants de S se
reportent sur Y au second tour.
-
Suivant la méthode C, S gagne par 0 % des suffrages contre
40 % pour Y et 60 % pour N, vu que les habitants de S
et de Y votent contre N et que ceux de N votent contre Y.
La
conclusion qu’on tire de cet exemple simplifié, c’est que le concept de “volonté du peuple” se révèle ambigu,
dans la mesure où plusieurs définitions a priori raisonnables de cette volonté
sont en fait contradictoires... Par conséquent, le concept de démocratie, en
tant que régime politique dans lequel les décisions sont prises en fonction de
la volonté du peuple, est trompeur ! Aussi bien Aristote que Platon
avaient raison. Ainsi, derrière l’idée “naturelle” de démocratie, se pose le
délicat problème suivant : comment déterminer la volonté du peuple à
partir des préférences individuelles ? Y a-t-il des méthodes qui soient
meilleures que d’autres, et si oui lesquelles ?
Le paradoxe de Condorcet
En
démocratie, on dit souvent « la majorité a toujours raison », ce qui
paraît très simple à première vue. Ainsi, si le choix doit se faire entre 2
options seulement (ce que nous appellerons un référendum), les trois
méthodes que nous avons données dans le « dilemme des Alliérins » se
confondent en une seule et même méthode : c’est l’option que la majorité
des électeurs préfère à l’autre, qui gagne !
Toutefois,
cette belle simplicité s’écroule dès qu’il y a au moins 3 options ! La
découverte de ce phénomène est due au mathématicien français du XVIIIe siècle Nicolas de Condorcet,
qui fut le plus important précurseur de l’étude mathématique de la démocratie
avec son Essai sur l’application de l’analyse à la probabilité des
décisions rendues à la pluralité des voix écrit en 1785. Dans cet
ouvrage, Condorcet démontre que la méthode de la majorité peut aboutir à des
incohérences, et qu’il n’est donc pas raisonnable de poser le principe que
« la majorité ait toujours raison » :
Paradoxe de Condorcet (1785) : « Il existe des situations où les préférences majoritaires
des électeurs sont incohérentes, au sens où on peut trouver trois options X, Y
et Z telles qu’une majorité d’électeurs préfèrent X à Y, une majorité
d’électeurs préfèrent Y à Z, mais pourtant une majorité d’électeurs
préfèrent Z à X. »
Conclusion (provisoire)
La
problématique de déterminer la volonté du peuple à partir des préférences
individuelles n’a pas de solution parfaite et indiscutable, en particulier à
cause du fait que les électeurs ont la possibilité de manipuler le scrutin en
exprimant une opinion mensongère afin de mieux faire triompher leur camp. Quand
il n’y a que 2 options en lice, la méthode de la majorité surmonte cette
difficulté et s’impose comme la méthode la plus convenable ; mais dès qu’il
y a au moins 3 options, le paradoxe de Condorcet sur l’incohérence des
préférences majoritaires empêche l’existence d’une telle méthode “parfaite”.
C’est
pour cela que, quelque soit le mode de scrutin, et quel que soit le pays, les
électeurs « gagnants » ont, a posteriori, souvent l’impression de
s’être « fait avoir ». Pourquoi ? Parce que la véritable
démocratie :
- Est celle des
travailleurs et des petites gens, elle n’est pas le droit de voter pour celui
qui, durant plusieurs années, servira de chef de file aux oligarchies
dirigeantes et d’un appareil d’État, qui eux n’ont été choisis et ne sont
révocables par personne.
- Ne consiste pas à
cacher la réalité de la lutte des classes qui fait qu’une infime minorité
accapare toutes les richesses.
-
Doit être organisée par et pour les classes opprimées et non pour les
classes exploiteuses.
-
ne cherche pas à camoufler la nature de classe de l’État (État populaire ou
État bourgeois) mais au contraire à la rendre consciente.
- c’est quand des
millions d’opprimés font de la politique et chassent les oligarques et
leurs valets qui tiennent les rênes du pouvoir afin de les enrichir toujours
plus .
« J’ai la
mémoire hémiplégique
Et les
souvenirs éborgnés
Quand je me
souviens de la trique
Il ne m’en
vient que la moitié
Et vous
voudriez que je cherche
La moitié d’un
cul à botter ?
Dans ces temps
on ne voit pas lerche...
Ils n’ont mêm’
plus d’cul les Français ! »
Léo Ferré - Ils ont voté... et puis après ?
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- Monde : 1 % les plus riches possèdent plus de 99 % du reste de la population
Hannibal GENSÉRIC