Les
États-Unis sont de plus en plus isolés en matière de politique internationale,
et l’Europe commence même à montrer un peu de courage et à mettre en œuvre une
politique étrangère indépendante. Cela contrarie les impérialistes américains
mais ils ne peuvent pas y faire grand-chose. Cette évolution pourrait bien
faire partie du projet de Trump de « Rendre sa grandeur à
l’Amérique ».
Après que
Trump a déclaré que les États-Unis considéraient Jérusalem comme la capitale
d’Israël, le Conseil de sécurité des Nations Unies et l’Assemblée générale des
Nations Unies ont condamné cette initiative. Les États-Unis ont dû opposer leur
veto à une résolution du Conseil de sécurité que 14 autres membres soutenaient.
Au moment où
les manifestations et les émeutes de faible envergure en Iran se calmaient
(comme je l’avais prévu),
l’ambassadrice américaine Haley a tenté de s’en servir pour mettre en scène une
sorte de condamnation du pays par le Conseil de sécurité des Nations Unies.
Elle essuyé une rebuffade de la part de
plusieurs pays, dont la Suède et la France, alliées des États-Unis :
Vendredi,
une réunion du Conseil de sécurité des Nations Unies consacrée aux récentes
manifestations en Iran a vu s’élever des critiques contre les États-Unis qui
avaient demandé au Conseil de se réunir pour discuter de ce que certains États
membres considèrent comme un problème intérieur à l’Iran.
L’UE s’est
prononcée contre toute condamnation de l’Iran. La Russie et la Chine ont répété
les arguments de l’Iran selon
lesquels ces questions internes n’avaient pas leur place au sein du Conseil de
sécurité des Nations Unies et que des émeutes et des violences policières
beaucoup plus graves aux États-Unis mériteraient davantage de faire l’objet
d’une telle attention :
La Chine et
la Russie – qui aiment rarement discuter des manifestations politiques à l’ONU
– ont pris la tête d’un groupe de pays qui ont déclaré que les manifestations
étaient une affaire intérieure qui ne menaçait pas la sécurité internationale
et ne devait pas être discutée ici. L’envoyé de la Chine a déclaré que s’il
fallait suivre la logique de Haley, alors le Conseil de sécurité aurait dû se
réunir après les manifestations raciales de 2014 à Ferguson (Missouri) et les
manifestations d’Occupy Wall Street en 2011.
La France a parlé au nom de l’UE :
« Nous
devons éviter d’exploiter cette crise à des fins personnelles ; cela
aurait un résultat diamétralement opposé au résultat souhaité » a déclaré
l’ambassadeur François Delattre.
« Aussi
inquiétants que puissent être les événements de ces derniers jours en Iran, ils
ne constituent pas en soi une menace à la paix et à la sécurité internationales. »
L’ambassadeur
ne faisait que réitérer la crainte que le président Macron a exprimée il y a
deux jours et que nous avons citée ici. Même les médias
américains l’ont maintenant notée :
« La
ligne officielle suivie par les États-Unis, Israël et l’Arabie saoudite, qui
sont nos alliés à bien des égards, va quasiment nous conduire à la guerre » a déclaré M. Macron aux
journalistes, selon Reuters.
C’est « une
stratégie délibérée de certains » a-t-il ajouté.
La tentative américaine d’utiliser les manifestations contre les politiques néolibérales
du gouvernement Rohani comme un premier pas vers un changement de régime en
Iran a manifestement échoué.
Trump a
menacé de mettre fin à l’accord nucléaire avec l’Iran, mais son gouvernement a
peur des conséquences. L’accord est conclu entre un certain nombre de pays, pas
seulement entre les États-Unis et l’Iran, et le Conseil de sécurité des Nations
Unies l’a approuvé. Mais Trump n’aime pas non plus avoir à certifier tous les
trois mois que l’Iran respecte bien l’accord. La question reste brûlante
et ça n’est pas dans son intérêt. La certification est une condition que les
Républicains du Congrès des États-Unis avaient fait inscrire dans la loi. La
solution de Trump n’est pas de mettre fin à l’accord nucléaire, mais de modifier la loi pour ne plus être obligé de faire
cette certification :
« L’administration
Trump travaille avec des hommes de loi sur une solution législative qui
pourrait permettre aux États-Unis de rester dans l’accord nucléaire
iranien » a déclaré le secrétaire d’État Rex Tillerson dans une
interview accordée vendredi à Associated Press.
« Les
changements à la loi américaine codifiant la participation des États-Unis à
l’accord de 2015 pourraient intervenir dès la semaine prochaine ou peu
après » a dit M. Tillerson. Le président Donald Trump n’a plus
beaucoup de temps pour trouver la meilleure solution pour cet accord qu’il
qualifie de terrible et trop mou pour l’Iran, du fait des délais à respecter.
(…)
« Le
président a dit qu’il allait soit le modifier, soit l’annuler » a déclaré
à AP Tillerson, assis devant une cheminée dans sa suite du département d’État.
« Nous essayons de tenir sa promesse. »
Trump et le
Congrès n’ont pas le pouvoir de modifier un accord international. Alors, quelle
« solution » vont-ils bien pouvoir trouver ?
« Une
option que les hommes de loi discutent avec la Maison Blanche est de supprimer
la nécessité pour Trump de certifier que l’Iran se conforme bien aux exigences
de l’accord. Une autre possibilité est de modifier la loi pour que
l’opération soit beaucoup moins fréquente », ont dit les
fonctionnaires.
S’il ne faut
vraiment rien de plus pour faire descendre Trump du train anti-iranien, cela
corrobore parfaitement la théorie « isolationniste » dont je
parle ci-dessous.
Mais
revenons à la position de l’UE. Trump fait marche arrière sur l’ouverture
américaine à Cuba, mais l’UE ne suit pas le mouvement. Le chef de la politique
étrangère de l’UE est actuellement sur l’île et rejette la position
américaine :
« L’Union
européenne veut être un partenaire fiable pour Cuba malgré le revirement sur
les relations américano-cubaines opéré sous la présidence de Donald Trump »
a déclaré jeudi la responsable de la politique étrangère et de la sécurité.
Federica
Mogherini a déclaré à l’issue d’une visite de deux jours que « l’UE est
un partenaire ‘prévisible et solide’ qui peut aider Cuba à gérer une transition
politique et une ouverture économique lente et difficile. »
(…)
« Nous
sommes cohérents, nos politiques sont prévisibles et nous ne changeons pas
d’avis brusquement » a déclaré M. Mogherini, en se positionnant
clairement contre la volte-face de Trump sur certains aspects de l’ouverture du
président Barack Obama à Cuba.
Après Jérusalem et l’Iran, Cuba est la troisième
question de politique étrangère sur laquelle l’Union européenne s’oppose aux
États-Unis. Après des
années de complète adhésion aux politiques américaines, ce changement est une
agréable surprise. Deux autres questions devraient suivre : la Syrie et la Russie.
Pendant que la chancelière allemande Merkel est encore occupée à former une
coalition pour pouvoir gouverner, le président français Macron prend
l’initiative en disant ce que le président syrien Assad dit depuis 7 ans :
Emmanuel
Macron @EmmanuelMacron – 16:54 – 5 jan 2018
Ce n’est ni
à Ankara ni à Paris qu’on décidera de l’avenir de la Syrie. Le peuple syrien, y
compris ceux qui ont fui le régime, devra lui-même décider de son avenir.
La Pologne
était un des pays qui avaient fortement poussé à un changement de régime en
Ukraine. Elle a vu son souhait se réaliser, mais maintenant elle se rend compte
que les nouveaux dirigeants ukrainiens promeuvent les groupes et les individus
fascistes responsables du massacre historique de dizaines de milliers de
Polonais. Aïe, aïe, aïe ! Les sanctions imposées à la Russie à cause de la
situation en Ukraine et en Crimée ont fait perdre à l’Allemagne d’énormes
possibilités d’exportation. La combinaison de ces deux facteurs entraînera
probablement un changement de politique de l’UE à l’égard de la Russie. Tandis
que les États-Unis livrent de nouvelles armes à l’Ukraine, je pense que l’UE va
réduire son implication dans ce conflit. Les sanctions européennes contre la
Russie seront assouplies ou contournées.
Les think
tanks de l’Empire étasunien ne voient pas d’un bon œil une UE indépendante.
Voici ce que disent le Brookings, le premier lobby de propagandistes « centristes »
et le Washington Institute qui fait partie du lobby sioniste :
Suzanne Maloney? @MoneySuzanne – 19h24
– 4 jan 2018
Suzanne
Maloney Retweeted Michael Singh
C’est une
énorme occasion manquée pour l’Europe, à la fois d’utiliser son influence
diplomatique et économique pour le bien de l’Iran sur le long terme et de
démontrer la possibilité et même l’utilité de faire cause commune avec Washington
sur l’Iran.
Michael Sing
@MichaelSinghDC – 19:14 – 4 jan 2018
Il est
regrettable que les écarts préexistants entre les États-Unis et l’Europe à
propos de l’Iran semblent se creuser à cause des manifestations – le soutien
aux droits de l’homme en Iran devrait faire l’objet d’un accord
transatlantique.
Brookings sur Cuba :
Tom Wright@thomaswright08 – 23:02
– 5 jan 2018
Tom Wright
Retweeted EU External Action (Action extérieure de l’UE)
C’est un
vrai échec moral. D’accord pour s’intéresser à Cuba mais il faut faire pression
sur le régime pour qu’il se libéralise. Avec ça plus le fait de mettre les deux
camps sur le même plan en Iran, c’est une horrible semaine pour la politique
étrangère européenne.
Les
Européens auront sans doute un autre avis.
Trump a fait
beaucoup de bruit à propos de la Corée du Nord et s’est même vanté que la sienne était
plus grosse que celle de Kim Jong-un. Mais lorsque la Corée du Nord
a offert de faire une trêve
pour les Jeux olympiques d’hiver en Corée du Sud et a repris les pourparlers,
Trump est tombé d’accord avec le pacifique
président de la Corée du Sud, Moon.
Patrick Armstrong et Andrew Korybko décèlent une méthode derrière ces
développements. Armstrong : « Trump coupe le nœud gordien des implications à l’étranger » :
Trump ne
partage pas vraiment les obsessions des néoconservateurs et des partisans de
l’intervention humanitaire.
(…)
« Le
président Trump peut éviter de nouvelles implications, mais il en a hérité de
beaucoup et elles deviennent, toutes, de plus en plus denses et complexes à
chaque minute. Rappelez-vous la célèbre histoire du nœud gordien : au lieu
d’essayer de défaire le nœud terriblement compliqué, Alexandre a sorti son épée
et l’a tranché. Comment Trump peut-il trancher le nœud gordien des implications
de l’empire américain ?
En faisant
en sorte que d’autres le démêlent. »
M.
Armstrong, un ancien officier de la Défense canadienne et spécialiste de la Russie,
pense que M. Trump ne prend des positions extrêmes que pour pousser les autres
à prendre la relève et libérer ainsi Trump et les États-Unis. Si l’UE s’intéresse à l’Iran ou
à Cuba, si la Russie s’engage dans le « processus de paix » au
Moyen-Orient et si la Corée du Sud s’occupe du problème nord-coréen, Trump n’y
verra rien à redire. Ces questions ne lui sont d’aucune utilité pour réaliser
son programme.
L’article de
Korybko, « Trump le Kraken : l’agent du chaos »
dit que Trump crée délibérément le chaos pour améliorer la situation
américaine. Il y a de fortes chances que cela ne fonctionne pas et que les
États-Unis soient obligés de se retirer sur leur hémisphère. Trump le sait,
mais il s’en moque car d’une manière ou d’une autre, il pourra survivre, et
d’ailleurs, pour ce qu’on en sait, il préfère peut-être même la retraite à une
position plus isolationniste.
Je ne crois
pas que Trump soit aussi stupide que ses ennemis le prétendent. Trump
n’explique tout simplement pas ce qu’il fait. Il laisse tout le monde dans
l’expectative, même son propre personnel. Il faut regarder ce qu’il fait, pas ce qu’il dit.
Trump se
moque de la plupart des questions étrangères dont les gouvernements Clinton,
Bush et Obama ont été les premiers à se mêler. Selon lui, les diverses
aventures à l’étranger ne sont pas dans l’intérêt bien compris des États-Unis.
Si on peut amener d’autres pays à s’en occuper, les États-Unis s’en porteront
mieux. Sa position est à l’opposé de ce que font les grandes personnes qui
règnent habituellement à Washington. C’est pourquoi elles le combattent bec et
ongles.
Trump
survivra-t-il assez longtemps pour mener à bien cette stratégie et provoquer un
changement durable ?
Ou la
théorie Armstrong / Korybko est-elle complètement erronée ?
Par Moon of Alabama – Le 6 janvier 2017