jeudi 24 juillet 2014

Ibn Khaldoun avait décrit "le monde arabe" de son temps. Rien n'a changé depuis lors.

L’historien tunisien Ibn Khaldoun (1332 – 1406), dans son autobiographie, relate une histoire tout aussi tumultueuse, celle des sociétés et des émirats où il a servi en tant qu’homme d’état ou haut fonctionnaire, au Maghreb, en Egypte et en Al-Andalus (l’Espagne musulmane).

Il nous semble qu'Ibn Khaldoun est encore très actuel. Comme beaucoup aujourd’hui, il avait en son temps également éprouvé le sentiment d’une désintégration politique : alliances occasionnelles pour renverser les souverains, clans rebelles qui ne reconnaissaient pas certains émirs, alliances de vieux ennemis contre d’anciens alliés. Ironiquement, c’est précisément cette complexité politique qui a nourri sa réflexion pour théoriser l’ascension et la chute des nations dans son ouvrage politique de référence, « Les Prologomènes » (Al-Muqaddima).
Les Prologomènes sont un guide analytique pour ceux qui trouvent des similitudes dans le modus operandi de certains gouvernements aujourd’hui et dans les réactions de leurs populations. Il propose une grille de lecture sur les caractéristiques des sociétés en ascension ou en décadence, sa grande théorie. Par conséquent, la relecture d’Ibn Khaldoun dans le moment historique actuel est très instructive.
Les Khaldoun, un clan politique
Son autobiographie, moins connue, et qui est aussi l’histoire politique de son temps et du Maghreb, peut aujourd’hui éclairer ceux qui recherchent une perspective historique aux événements actuels en Tunisie et ailleurs. Bien qu’il s’agisse d’une autobiographie, Ibn Khaldoun ne révèle pas grand chose de sa vie personnelle, mais abonde d’informations sur l’Histoire politique de son temps.
Ibn Khaldun au 10 Tunisi dinar. http://www.banknotes.it (CC BY-SA 3.0).
Ibn Khaldun  , billet de 10 dinars tunisiens

Pour ce qui est de sa famille, on remarque qu’il cite beaucoup ses ancêtres, qu’il utilise comme illustrations des mérites intrinsèques de sa famille, de petite noblesse. Et il fait aussi référence à des événement familiaux tragiques, comme la perte de ses parents durant une épidémie de peste noire. Il est très clair qu’il a appris très tôt à contrôler l’information, en particulier celle qui concernait la réputation de sa famille et la sienne. Mais ses silences sont éloquents, ainsi que ses contradictions, ce qui nous permet de dresser un profil psychologique intéressant principalement guidé par deux idées : la force et la solitude. Ces deux idées vont l’accompagner dans sa vie personnelle, dans une carrière politique en dents de scie et dans ses ouvrages fondamentaux : « Autobiographie » (At-Tarif), « Les Prolégomènes » (Al-Muqaddima) et « Le livre des exemples » (Kitab al-’Ibar).

Ibn Khaldoun appartenait à une famille relativement puissante, dont les liens avec les différentes dynasties de l’Occident musulman (l’Espagne et le Maghreb actuels) lui permirent d’obtenir des postes politiques importants. Le nom « Khaldoun » est une variation maghrébine du prénom « Khalid », le fondateur du clan, qui est entré dans ce qui restait de l’ancienne Hispanie wisigothe (Espagne) avec la première vague de troupes yéménites originaires de la région de Hadramaout, au début de l’occupation musulmane de la Péninsule ibérique, au VIIIe siècle. Son ancêtre yéménite Khalid, devenu plus tard Khaldun, s’est installé d’abord à Carmona où il a formé son clan.
En Al-Andalus
Les descendants du fondateur du clan de Khalid quittèrent Carmona pour Séville, où ils ont gagné une proéminence politique sous le règne de Abd Allah I, l’émir Omeyyade de Cordoue, entre 888 et 912. A cette époque, l’émir Abd Allah devait gérer les conflits internes entre Arabes, Berbères et Muladies (chrétiens convertis à l’islam). Ironiquement, ce qui a le plus menacé l’émir étaient les rébellions de clans arabes qui ne reconnaissent pas son autorité, dont le clan Khaldoun de Séville, à l’époque dirigé par Quraib.
Après Quraib, le clan Khaldoun traversa une période d’isolement politique qui s’achevera seulement à l’époque des royaumes taïfas, quand Séville fut conquise par Abu al-Qasim Muhammad ibn ‘Abbad en 1023. La lutte fratricide entre les dirigeants Almohades (empire qui a émergé au Maroc au cours du XIIe siècle et occupé l’Afrique du Nord, l’Egypte et de la Péninsule ibérique à différentes époques) et le coup fatal de la Bataille de Las Navas de Tolosa le 16 Juillet 1212 fit comprendre au clan Khaldoun ce qui devenait évident : l’avancée inexorable des royaumes chrétiens vers le sud de la Péninsule. Ainsi, dans la foulée de ces événements, le clan quitta Séville en 1228.
La suite prouva qu’il avait eu raison, car ce qui remplaça le grand empire furent de fragiles émirats, face aux royaumes chrétiens en plein essor. Même après l’unification imposée par l’Émirat de Grenade, les musulmans d’Al-Andalus ne pouvaient plus lutter contre l’avancée de la Reconquista. La dynastie nasride allait bientôt se rendre compte que sa survie devrait passer par l’allégeance à ces royaumes et son existence prit fin le 2 Janvier 1492, quand Grenade fut reprise par les rois catholiques, Isabelle Ire de Castille et Ferdinand II d’Aragon.
« Pélage le Conquérant » est le premier roi des Asturies (718-737). Après l’occupation de l’Espagne par les Sarrasins, Pélage inaugura la rébellion contre eux en Asturies. Photo de Jose Luis Cernadas Iglesias: Flickr, 2009 (CC BY).
« Pélage le Conquérant » est le premier roi des Asturies (718-737). Après l’occupation de l’Espagne par les Sarrasins, Pélage inaugura la rébellion contre eux en Asturies.
A Tunis
Au Maghreb, les Khaldoun durent traiter avec des émirats qui émergèrent après la chute de l’Empire Almohade. Comme en Al-Andalus, ces États étaient également divisés entre dynasties que se menaient une guerre sans fin pour imposer leur hégémonie l’une sur l’autre d'une part, et sur les tribus berbères d'autre part.
C’est dans ce monde d’instabilité politique qu’Ibn Khaldoun est né à Tunis, le 27 mai 1332, sous le règne du Sultan Abou Bakr (1330-1346) , durant une courte période de stabilité qui suivit la pacification des tribus berbères et durant laquelle il va faire ses études. Ce calme précaire et trompeur s’acheva à la mort de Abu Bakr en 1346 par une lutte sanglante entre les prétendants au trône, ouvrant la voie à la guerre civile. Profitant de cette faiblesse, Abu al-Hasan, sultan mérinide du Maroc, intervint à Tunis sous prétexte de rétablir l’ordre et s’empara de la ville en 1347.
L’entrée des Mérinides à Tunis perturba profondément la structure sociopolitique de l’Ifriqiya, qui correspondait à la Tunisie actuelle à laquelle s’ajoutait le nord-ouest de la Libye et le nord-est de l’Algérie, en rompant l’équilibre fragile entre l’aristocratie au pouvoir et les tribus berbères, c’est à dire entre les citadins et les nomades. En outre, la Peste noire de 1347-1348, qui avait déjà emporté des milliers de vies en Europe, sévit également au Maghreb, tuant aussi les parents d’Ibn Khaldoun. A cette époque, il avait d’environ seize ans : ces événements ont certainement marqué fortement ses idées ultérieures.
La Peste Noire a changé sa façon de regarder le monde. Perdre les parents, les enseignants admirés et les amis proches ont enclin Ibn Khaldoun à la solitude. L’absence de soutien d’une famille lui a montré tôt que l’absence de dirigeants vertueux et la perte de l’esprit de groupe affaiblissaient non seulement les clans, mais aussi les tribus, et les pays dont la population était composée de ces tribus.
C’est dans ce contexte historique que Ibn Khaldoun commença également sa carrière dans la vie publique en 1350, à l’âge de 18 ans, comme clerc à la cour du sultan mérinide Abou Ishaq, récemment installé sur le trône de l’Ifriqiya. Mais ce poste n’était pas conforme à ses ambitions, sentiment qui augmenta quand les érudits Mérinides quittèrent Tunis, ce qui lui donna envie de se déplacer à Fès.
A Fès
Ibn Khaldoun serait arrivé à Fès, dans l’actuel Maroc, au début 1355. Initialement, il fit partie du cercle littéraire du sultan et à la fin de la même année, de son secrétariat. C’est durant cette période que Ibn Khaldoun entre définitivement dans le jeu politique de ces émirats et ne le quittera plus jamais.



La protection d’Abou ‘Inan ne l’empêcha pas de prendre part à une conspiration contre son protecteur pour libérer l’émir hafside de Bougie, Abu ‘Abd Allah Muhammad, alors captif à Fez, et pour le rétablir au pouvoir. L’opération échoua et il fut emprisonné pendant deux ans (1357-1358).

Sa libération n’intervint qu’avec la mort d’Abu Inan et l’intervention directe du nouveau vizir Al-Hasan ibn ‘Umar. Commence alors une période révolutionnaire durant laquelle Ibn Khaldoun soutint des groupes putschistes. En bref, notre historien aurait obtenu d’eux qu’ils changent de camp en échange de postes importants dans le nouveau régime.

Cette stratégie dura jusqu’à 1361, lorsque son dernier maître en date, Abu Salim, fut également assassiné lors d’un coup d’Etat. Ibn Khaldoun essaya à nouveau de changer d’allegeance, mais cette fois sans succès. Après bien des difficultés, il obtint la permission de quitter Bougie et de se rendre à Grenade, où il arriva en Décembre 1362.
Dans les terres andalouses : un nouveau départ
A cette époque, le sultan de Grenade était Muhammad ibn al-Ahmar an-Nasr (Muhammad V), dont les liens d’amitié avec feu Abou Salim remontaient à l’époque où celui-ci était en exil en Al-Andalus. L’amitié d’Ibn Khaldoun avec le monarque andalou porta des fruits. Bientôt, il passa à son service. Le point culminant de sa carrière en Occident musulman fut sa mission à Séville en 1364 pour conclure un traité de paix entre Pierre Ier de Castille et les émirs andalous.

De retour à Grenade, il vécut dans le calme et la prospérité avec sa famille. Toutefois, le Sultan Muhammad commença à le traiter avec froideur. Sa situation devint si inconfortable qu’il quittera al-Andalus en 1365 pour se rendre à Bougie, dans l’actuelle Algérie.
A Bougie
Son ami, le sultan háfside Abu ‘Abd Allah Muhammad – celui pour la libération duquel il avait participé à un complot, ce qui l’avait conduit en prison –, avait reconquis le Royaume de Bougie. Le sultan lui offrit le poste de hajib, qui était alors la fonction la plus importante de l’État, qu’il prit en 1365.

L’année suivante, l’émir de Constantine mena une offensive contre Bougie, tuant le protecteur d’Ibn Khaldoun, qui donna la ville à son nouveau maître. Quand Ibn Khaldoun se rendit compte qu’il serait arrêté par l’émir, il prit la fuite vers Biskra, cherchant refuge auprès de ses amis berbères.

Durant son séjour à Biskra, Abou Hammou, beau-frère du sultan décédé de Bougie, lui écrivit en 1368 disant qu’il envisageait de reconquérir Bougie, mais que pour ce faire il lui fallait obtenir le soutien des Berbères à sa cause. Ibn Khaldoun accepta la tâche d’émissaire et ne tarda pas à nouer les contacts avec ses amis du désert. Commença alors un nouveau cycle de coups d’Etat et d’invasions qui allaient se poursuivre jusqu’à 1377, quand Abu al-’Abbas reprit Fès.

Fuyant vers Grenade en 1374, Ibn Khaldoun y rencontra des déceptions, puisque l’émir de Fès ne permit pas à sa famille de le rejoindre. Par ailleurs, son passé provoquait la méfiance dans l’élite locale.
A la forteresse de Ibn Salama
Sa famille étant retenue au Maghreb, il n’avait pas d’autre choix que d’y retourner. Là-bas, il se heurta à un environnement hostile. Cependant, il obtint le pardon de Abou Hammou, qui avait reconqui Tlemcen et qu’il recommença à servir.

Quelques mois plus tard, le sultan Abou Hammou l’appela pour lui confier la mission de recruter des mercenaires parmi les Berbères de Biskra. Il fit semblant de l’accepter, mais se réfugia dans la forteresse d’Ibn Salama en Algérie où il resta pendant quatre ans (1375-1378) et finit d’écrire la première partie de son Kitab al-’Ibar et de la Muqaddima.
A nouveau à Tunis
Ses recherches pour ses livres exigeaient l’accès à une vaste documentation, qui ne pouvait être trouvée qu’à Tunis. Il avait à ce moment là 46 ans et avait quitté Tunis à 23. La même année, il devint professeur à l’Université de la Zitouna. La jalousie de ses collègues provoquée par les faveurs qu’il recevait du Sultan Abu al-’Abbas, et les missions qui en découlaient, créerent un environnement hostile pour lui à Tunis.
Fatigué de l’Occident musulman et décidé à le quitter définitivement, il prit le prétexte du pèlerinage à la Mecque pour partir à la fin d’Octobre 1382 en Egypte, où il occupera le poste de professeur et grand qadi malékite dans l’administration des sultans Mamelouks, d’origine circassienne.
En Égypte

En 1383, il avait alors près de cinquante ans, et fut enchanté par la capitale mamelouk. Ironiquement, l’Égypte qui l’avait séduit avait le même « principe actif » qu’il avait décrit à propos des jeunes Etats musulmans de l’Occident dans leur phase d’ascension, dans ses réflexions politiques. Les Mamelouks étaient entrés en Égypte comme esclaves, mais ils avaient entretenu au fil des siècles un fort esprit de corps, qui leur permit de devenir les maîtres du pays.

Ibn Khaldoun approcha le Sultan Barquq, seigneur de l’Égypte, et gagna sa confiance et des faveurs. Barquq le nomma professeur de Fiqh de l’Université d’al-Azhar et à la madrasa de Qamhiyya en Mars 1384 puis en Août, grand qadi malékite.

Les intrigues provoquées par son ascension rapide marquèrent le début de son désenchantement avec l’Egypte d’une part, et d’autre part, l’apparition de la conscience de l’importance de la justice dans ses écrits. Il consacre une grande partie de son autobiographie à démontrer qu’il était un juge honnête, juste et équitable, protégeait le faible contre le fort et punissait sévèrement les corrupteurs et les corrompus. Ce qui est certain, c’est qu’il va à partir de là appliquer une démarche de magistrat enquêteur à son analyse de l’Histoire.
Tragédie familiale, adversité et désenchantement politique
Une période de deuil va s’ensuivre. Non pas, cette fois-ci, en raison des intrigues fomentées par ses ennemis égyptiens, mais dans sa vie personnelle. Depuis son arrivée au Caire, Ibn Khaldoun demandait l’intervention du Sultan Barquq pour la libération de sa famille restée à Tunis, afin qu’elle puisse le rejoindre en Egypte.
Le sultan atteignit son but, obtenant qu’ils embarquent pour l’Egypte quelques mois plus tard. La joyeuse perspective des retrouvailles disparut quand un violent orage près d’Alexandrie fit couler le navire, emportant avec lui sa femme et ses filles, vers Novembre 1384. Lui restèrent deux fils qui n’avaient pas embarqué et qui le rejoignirent peu après.
Presque en même temps, son intransigeance et les intrigues contre lui causèrent sa démission en tant que grand qadi, un an après sa nomination, vers la mi 1385. En Septembre 1387, il décida d’aller en pèlerinage à la Mecque, et en revint en juin 1388.
L’année suivante, le Sultan Barquq allait être chassé du pouvoir par un émir rival qui jusque-là avait été exilé en Syrie. La disparition du sultan signifiait également la disparition d’Ibn Khaldoun, qui, pour sauver sa peau, accepta de signer une fatwa condamnant le Sultan Barquq. Cependant, Barquq retrouva son trône en 1390, et limogea Ibn Khaldoun de toutes les fonctions qu’il lui avait données avant le soulèvement.
La signature de cette fatwa contre le sultan allait coûter très cher à Ibn Khaldoun. Désormais isolé, il ne pourrait plus compter sur les faveurs de ses amis à la cour mamelouke. Son retour à la magistrature ne surviendra qu’en 1399, lorsque le sultan lui pardonna, quelques mois avant sa mort.
Nommé magistrat pour la deuxième fois, il continua à servir An-Nasr Faraj, le fils du sultan, à la mort de ce dernier. Dans la tourmente qui saisit le pays peu de temps après le passage du pouvoir aux mains du jeune sultan, Ibn Khaldoun décida d’aller à Jérusalem, d’où il revint en Mai 1400. De retour au Caire, il va être limogé une seconde fois.
Rencontre avec Tamerlan en Syrie
C’est vers cette époque qu’arriva du Levant la nouvelle que Tamerlan avait envahi la Syrie et pris Alep. Il marchait sur Damas. Le sultan An-Nasr Faraj réunit ses généraux et décida d’envoyer ses soldats pour repousser l’invasion tartare : avec eux partit aussi un groupe de juristes, parmi lesquels Ibn Khaldoun.
L’expédition arriva à Damas à la fin de 1400, lorsque les troupes mamelouks combattirent les tartares. Bien qu’ils aient conservé leurs positions militaires, les Mamelouks étaient considérablement affaiblis et ont bientôt commencé des pourparlers de paix. Au cours des négociations, le sultan An-Nasr Faraj fut averti qu’un complot était en cours contre lui au Caire, ce qui lui fit abandonner les habitants de Damas à eux-mêmes.
Les dissensions entre les généraux et le départ du sultan étaient l’occasion d’Ibn Khaldoun attendait pour revenir sur le devant de la scène. Début Janvier 1401, le vide d’autorité parmi les Mamelouks lui permit de convaincre les autres oulémas qu’il était temps d’entamer des pourparlers de paix avec Tamerlan.
Ibn Khaldoun raconte qu’il eut une longue conversation avec Tamerlan en personne. L’envahisseur tartare l’aurait interrogé sur ses origines, les raisons qui l’avaient mené à vivre en Égypte, mais aussi, et avec beaucoup plus d’intérêt, sur la politique du Maghreb, ses sultans, ses conflits, et lui demanda d’écrire un traité détaillant tous ces aspects. Quant à ce qui avait motivé sa rencontre avec Tamerlan, une négociation de paix, elle eut lieu, mais assura surtout la soumission des Mamelouks à Tamerlan.
Lorsqu’il acheva le traité que Tamerlan lui avait demandé, Ibn Khaldoun fut libéré et put retourner au Caire autour de Mars 1401, deux mois seulement semble-t-il après son arrivée à Damas. Dans la capitale mamelouk, il réoccupa son poste en tant que professeur dans les madrasas, et sa fonction de grand qadi, pour la troisième fois. Il avait alors presque 70 ans.
Les années suivantes furent celles de luttes intenses pour se maintenir à son poste de grand qadi. Il sera destitué puis restauré dans la magistrature encore trois fois, parfois pour quelques mois seulement. La sixième et dernière nomination intervint quelques semaines avant sa mort le 17 Mars 1406. Ibn Khaldun serait enterré dans le cimetière soufi du Caire.
Le tumultueux XIVe siècle que Ibn Khaldoun décrit dans son autobiographie sur sa vie au Maghreb et en al-Andalus peut se comparer sous beaucoup d’aspects à notre XXIe siècle. Les pessimistes diront que la civilisation humaine a régressé et est retourné au Moyen-Age, renouant avec toutes les atrocités commises à cette période. Mais les siècles qui ont suivi ont été moins violents ? En apparence, oui ; sur le fond, pas du tout.
De l’Autobiographie à la Muqaddima : trois chapitres à relire
Trois chapitres de la Muqaddima s’inspirent directement des expériences décrites dans son autobiographie et ont nourri les théories politiques de Ibn Khaldoun.
Le premier d’entre eux est le chapitre Les tribus à demi sauvages sont plus capables d’effectuer des conquêtes que les autres peuples. Bien que Ibn Khaldoun fasse référence à la société nomade, c’est à sa jeunesse d’une société qu’il se réfère, à son esprit encore juvénile, et en particulier à l’élan qui pousse les jeunes sociétés à l’ascension et qui sont unies, pour résumer, par un forte cohésion.
Manuscrit autographe d'Ibn Khaldoun (coin supérieur gauche). De MS. C (Atif Effendi 1936). Islamic Philosophy online.
Manuscrit autographe d’Ibn Khaldoun
(coin supérieur gauche).

L’autre chapitre à relire est Celui qui cherche à se distinguer par de nobles qualités montre qu’il est capable de régner. Sans vertus on ne parvient jamais au pouvoir, où Ibn Khaldoun décrit les qualités nécessaire aux hommes pour diriger un peuple. Parmi celles ci, la générosité, la fidélité à ses promesses, rendre justice aux faibles, s’abstenir de tout acte de fraude et de mauvaise foi.
Selon Ibn Khaldoun ces qualités sont, entre autres, ce qui démarque les hommes des animaux et elles seules permettraient d’exercer une souveraineté légitime. Sans ces qualités de base, l’esprit de corps serait comme un homme privé de bras et de jambes. Plus précisément, au sujet des dynasties régnantes qui ont perdu ces vertus, il dit : « elles tombent en décadence et finissent par perdre l’empire. Une autre famille la remplace dans l’exercice du pouvoir et rappelle, par sa présence, que Dieu a enlevé à ceux qui gouvernaient auparavant l’empire et les biens qu’il avait daigné leur accorder ».
Le troisième chapitre a pour nom Un gouvernement oppresseur amène la ruine de la prospérité publique, ce qui semble prophétique pour la situation actuelle. Il sagit de l’intransigeance et de l’ingérence du gouvernement dans la vie privée et dans les affaires de ses citoyens.
Il nous semble que Ibn Khaldoun est encore très actuel. Ses expériences dans les pays d’Afrique du Nord pourraient nous faire penser que l’histoire est pure répétition, qu’il n’y a rien d’autre à faire que d’attendre docilement notre destin inévitable. Cela est faux car comme il le souligne, les humains sont en conflit constant entre leur côté humain et leur côté animal. Les hommes changent le cours de leur histoire, tandis que les animaux suivent le cours que la nature ou les hommes ont déterminé.
Les exemples ci-dessus sont la preuve que, comme le note Ibn Khaldoun au XIVe siècle et nous maintenant au XXIe siècle, les gouvernements corrompus, intransigeants, cherchant à affaiblir l’esprit de corps de leurs sociétés pour mieux les contrôler, tôt ou tard, tombent. Quand les qualités du « bon gouvernement » viennent à faire défaut, le coup est porté par une autre société, dont l’esprit d’équipe est encore fort, mais aussi, et souvent, par les propres composantes de cette société.
Il est fréquent que le groupe même qui était sous la férule d’un gouvernement injuste, et qui a pris conscience de sa force, lui donne le coup de grâce. A partir de là, selon Ibn Khaldoun, commence un nouveau cycle pour cette société. Le contrat social va construire un esprit de corps nouveau et fort, capable d’imposer les rénovations nécessaires à son avancement. Souhaitons que les Arabes sachent saisir ce moment historique qu’ils vivent actuellement pour créer ce nouvel esprit de corps, celui de l’ascension vers le développement de leurs institutions politiques.

Juillet 31, 2013
 “ http://orientalia.hypotheses.org/71

Commentaire exemplaire
Qui finance l'offensive israélienne contre Gaza et le Hamas? 
Réponse : Arabie Saoudite et Emirats
Al Akhbar qui rapporte cette information écrit :" on disserte beaucoup sur le soutien financier de l'Arabie saoudite et des Emirats à l'offensive terrestre de l'armée sioniste contre la bande de Gaza. c'est une opération qui vise à anéantir la Résistance islamique de la Palestine, Hamas" .
Cinq jours après un article paru sur le même thème dans les colonnes de Huffington Post,  le célèbre activiste saoudien 'Mojtahed", qui est d'ailleurs membre de la famille royale, écrit sur sa page twitter :  "l'Arabie Saoudite et les Emirats  financent non seulement l'offensive terrestre israélienne contre Gaza mais encore ils ont promis à Netanyahu d'ouvrir l'ambassade israélienne à Riyad et à Abou Dhabi" !! En effet, l'insistance saoudienne et émiratie est à l'origine de l'obstination de Netanyahu à poursuivre sa guerre insensée contre Gaza sinon les israéliens ne supporteraient pas plus d'une semaine l'angoisse créé par les missiles palestiniens" dit Mojtahed, cité par al Akhbar.


Ainsi soit-il des "Arabes" tout au long de l'Histoire : guerres tribales, trahisons, alliances avec les ennemis. A-t-on vu une seul Djihadiste de DAESH ou d'Ennosra combattre Israël ou les USA ? JAMAIS.  Heureusement, les Maghrébins ne sont pas des Arabes.

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IBN KHALDOUN précurseur du Darwinisme
Hannibal GENSERIC