L’importance de la crise qui déchire aujourd’hui ce petit pays dépasse de beaucoup ses frontières. De son issue dépendra la possibilité du maintien d’une véritable démocratie en terre d’islam.
Je lis, j'écoute, je vois. Et je constate que ce qui se passe aujourd'hui en Tunisie se
révèle d’une importance majeure. Si étroits qu’aient pu être nos liens avec ce
petit pays depuis son indépendance en 1956, on peut comprendre qu’il y ait un
paradoxe à voir son évolution susciter une telle inquiétude non seulement dans
sa région mais au-delà.
Ce
serait tout simplement oublier le retentissement mondial d’un sacrifice qui a
déjà sa légende : le 17 décembre 2010, un jeune homme, simple marchand
ambulant, s'est suicidé en s'immolant par le feu à Sidi Bouzid, dans le sud tunisien. De nombreux Tunisiens oublient
d'ailleurs eux-mêmes comment cette immolation a pu donner le départ à une série
de soulèvements dans le monde arabe. Ils oublient aussi que Mohamed Bouazizi
n'a pas commis un attentat suicide. Il n'a voulu tuer personne. Il n'a agi au
nom d’aucun dieu. Il n'a injurié ni les Américains, ni Israël, ni la France. Et
sa manifestation ultime de détresse a culpabilisé tout le monde parce qu'elle
n'accusait personne. C'est probablement le geste qui m'a le plus touché dans
les dernières décennies.
Le
paradoxe, c'est que, comme tous les grands révolutionnaires, ce déclencheur
pacifique d’une et même de plusieurs révolutions va se voir renié par presque
tous ceux à qui son geste extraordinaire s'adressait. Il en est resté,
cependant, la volonté insurrectionnelle de se débarrasser des despotes. Grâce à
Mohamed Bouazizi, tous les citoyens ont découvert qu’ils pouvaient s'indigner,
se révolter et renverser des tyrans.
Remontons à Bourguiba
Depuis
ces jours derniers, les regards d'une partie du monde sont à nouveau fixés sur
la Tunisie. On va savoir en effet si les parties d'échecs qui s'y jouent
seront gagnées ou perdues par les participants. Et si, pour être plus précis,
les habitants de ce pays dévasté, exsangue et divisé ont envie de vivre ensemble
et de quelle manière. Sans doute a-t-on déjà un début de réponse dans le fait
qu’il y ait une assemblée issue d’élections libres dont le vainqueur peut
prétendre n'avoir nullement usurpé sa victoire. Mais il découvre soudain, qu’en
face de lui, des forces dites modernistes ne sont pas prêtes à rendre les
armes. La lutte qui a lieu paraît donner la preuve que la démocratie pourrait
être respectée. Car c'est bien le pari qui se joue en Tunisie et il intéresse
politiquement et moralement tous les autres pays musulmans.
Remontons
un peu dans l’histoire. C'est sans conteste le leader Habib Bourguiba,
le fameux "combattant suprême", qui a amorcé pendant une grande
partie de son règne une telle évolution démocratique, même s’il est devenu
lui-même, il est vrai, un despote de moins en moins éclairé. Les premières
années de Bourguiba ont été essentielles sur deux points : ses décisions
sur le statut des femmes et sur la façon de pratiquer et de respecter l'islam
ont été révolutionnaires. Et elles le sont restées. On ne peut pas dire que le
statut des femmes, devenu très libéral, ait été remis en question ni vers la
fin du règne de Bourguiba ni sous celui de Ben Ali. Et c'est ce statut que les
mouvements islamistes tunisiens voudraient aujourd’hui contester.
Les islamistes attisent la rancœur
Si la
Tunisie est devenue une caisse de résonance, il importe d’être attentif à tout
ce qui peut se passer entre Tunisiens et Français. Tous les traditionnalistes,
extrémistes ou pas, ont cherché à empoisonner les rapports avec la France. Ils
ont parfois réussi d’une manière désastreuse dans le peuple. C’est ce qui
explique qu’Ennhadha, aujourd’hui au pouvoir, réagisse avec tant
de précipitation à un propos juste mais maladroit de Manuel Valls
dénonçant une montée de "l’islamo-fascisme".
C'est dans
ces moments que le poids de l'histoire doit être rappelé. Dans tout le Maghreb,
pendant la colonisation et même après l'indépendance, une sensibilité restée à
vif a associé la France au racisme anti-musulman. Dans les trois pays
maghrébins, la suprême injure consistait à accuser les ennemis de
l'indépendance d'appartenir au "parti de la France".
Récemment
encore, en Algérie, certains débats politiques ont eu lieu sur l'influence
négative que la France continuerait d’exercer dans son ancienne colonie. Ce qui
se passe en Tunisie aujourd'hui rappelle les sentiments prêtés aux
colonialistes français et à leurs successeurs. En fait, il s'agit d'un
mouvement plus large encore puisqu'on y retrouve une volonté d’attiser le
conflit entre l'islam et l’ensemble de l'Occident. Rien de tout cela, en tout
cas, ne saurait empêcher notre solidarité active avec des démocrates tunisiens
qui nous sont si proches.
Jean
Daniel
Le Nouvel Observateur
Commentaire
Pendant ce temps, Ennahdha verrouille. Voici, à titre d'exmple, un appel du philosophe et expert en religion musulmane, Mohamed Talbi.
Un
groupe de 50 salafistes
attaque , à Gammarth,
de jeunes buveurs
d’alcool.
La police, alertée, n'intervient pas.
Bienvenue au Tunistan.
Mohamed
Talbi : "Conformément à la loi 88 du 24.9.2011, j' déposé le 25 février un
dossier pour la constitution d'une Association Internationale des Musulmans
Coraniques, et ipso facto laïque. Je n'ai pas reçu l'accusé de réception.
Conformément à la loi, un mois écoulé, j'ai demandé la publication de l'annonce
de cette association au JO.
Refus !
Mais le
gouvernement trinitaire autorise l'Association de Protection de la Révolution
qui agresse et tue impunément. Si le public ne réagit pas massivement c'en fait
de toutes les libertés. La dictature religieuse est à nos portes! Choisissez.
C'est votre passivité et votre indifférence qui a donné le pouvoir à la Nahdha.
Il est temps encore pour sauver les meubles. Demain il sera trop tard.
Choisissez le destin de vos enfants!"
Un
groupe de 50 salafistes
attaque , à Gammarth, de jeunes buveurs d’alcool. La police, alertée, n'intervient pas. Bienvenue au Tunistan. |
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