mercredi 19 juin 2013

Libye : début du démantèlement ?

Lorsque l'OTAN a assassiné Mouammar Kadhafi de sang-froid, les observateurs avertis ont prédit que sa disparition n’allait pas marquer la fin de la guerre, mais serait, à l’image de l’Irak, le début de son escalade. La Libye est à nouveau dans l'œil du cyclone. La reconquête de Beni Walid par les kadhafistes et la récente déclaration de l'autonomie de la Cyrénaïque, riche en pétrole, par des chefs tribaux et des milices ne sont que des signes avant-coureurs des guerres à venir. Le CNT, installé par les États-Unis et l'OTAN comme gouvernement officiel, s'est avéré incapable d'exercer son contrôle, même sur la capitale, Tripoli, dont le principal aéroport reste sous contrôle d’une de ces milices. En fait, de nombreux membres du CNT ne se déplacent pas librement en Libye, et beaucoup d’entre eux passent leurs nuits à Malte par crainte de représailles. Plus de 100 milices tribales et d’autres milices citadines (milices de villes) contrôlent, dans les faits, une grande partie du pays, et à l’occasion, se font une guéguerre plus ou moins larvée.

Le désert libyen est devenu un haut lieu de la contrebande et du terrorisme


Le sud de ce pays est devenu le nouveau sanctuaire des terroristes du Sahel, en particulier d’al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi). Les trafiquants y règnent en maître et y ont trouvé une nouvelle porte d'accès pour atteindre l'Europe. Ce qui s’est passé, c’était un reflux massif des gens d’al-Qaida donc d’Aqmi, du Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest (Mujao), d’Ansar Dine… à partir de la fin de l’année 2012 alors que l'intervention militaire française au Mali -l’opération Serval- était pressentie dans les milieux jihadistes. Le noyau dur des combattants d’Aqmi s’était, lui, regroupé en prévision justement de cette attaque dans un nouveau sanctuaire qui était le sanctuaire libyen.
Le désert libyen, à l’heure, actuelle est devenu un haut lieu de la contrebande et du terrorisme :
·       une région contrôlée par la brigade islamiste 315, fondée par un Touareg malien lié par mariage à Mokhtar Belmokhtar, lié à Al Qaeda, engagé dans le trafic de drogue et le transport de djihadistes ;
·       une région où des stocks d’armes de l’ère Kadhafi sont entreposés dans des bunkers souterrains, dont les Touaregs révèlent l’emplacement au plus offrant ;
·       une région où, au vu et au su de Tripoli, Mokhtar Belmokhtar a rassemblé les hommes qui ont lancé l’attaque d’In Amenas, à quelques centaines de kilomètres de là, et l’imposant matériel de guerre dont de l’explosif Semtex qui devait servir à faire exploser la raffinerie algérienne ;
·       une région hors de tout contrôle : A Tripoli, tout le monde connaît l’existence de ces groupes terroristes implantés chez les Touaregs. Mais sans moyens militaires et sans véritable volonté politique, impossible d’intervenir ! Alors on enterre le dossier en faisant de son mieux pour que l’Occident reste à l’écart. 
Les anciens collaborateurs de Kadhafi , les Touaregs, sont aujourd’hui ceux qui protègent Aqmi dans le sud. De quoi relativiser les termes de la victoire française annoncée au Mali, pays qui ne peut être jugé isolé du reste de ce qu’on appelle le « Sahelistan », un petit frère de l’Afghanistan, mais plus près de nous….

La connexion entre l'ex roi Idris et le mouvement séparatiste dans l'est est très directe.


Le petit-neveu du roi Idris, Ahmed Zubair al-Senoussi, a émergé lors de la conférence à Benghazi. Il a été choisi par les 3.000 représentants des tribus, des milices et des politiques réunis pour élire le chef d'un nouveau conseil intérimaire de Cyrénaïque, dont le sous-sol détient les trois quarts des réserves pétrolières de la Libye. Sous le régime de Kadhafi, une partie importante de la richesse pétrolière du pays a été canalisée vers les prestations sociales : les soins de santé et l'éducation étaient gratuits pour tous les Libyens. La proposition de transférer ces secteurs aux autorités régionales représente une menace directe pour le bien-être de la majorité de la population. La décision de créer un gouvernement autonome basé à Benghazi fait partie d'un éclatement plus large de la Libye le long des lignes régionales (voir carte). L'objectif déclaré du nouveau conseil est de faire revivre la Constitution de 1951, imposée par l'ancien roi fantoche Idris.

Le premier ministre libyen par intérim a rejeté toute évolution vers un État fédéré en déclarant: "Nous ne voulons pas revenir 50 ans en arrière".  Il faisait référence au régime réactionnaire et corrompu du roi Idris, qui a gouverné la Libye jusqu'à son renversement par le Mouvement des officiers libres d'inspiration nassérienne, dirigés par Kadhafi. Idris avait été, lui aussi, une marionnette aux mains l'impérialisme américano-britannique. Il leur avait octroyé deux bases militaires (dont la base aérienne géante américaine Wheelus), et a été un pion aux mains des grandes compagnies pétrolières américaines. Ce sont ces compagnies qui ont écrit la loi sur le pétrole du pays et qui ont obtenu des droits d'exploitation pratiquement sans restriction. Après son arrivée au pouvoir, Kadhafi a fermé les bases américaines et britanniques et a nationalisé l'ensemble des compagnies pétrolières étrangères opérant dans le pays. L’impérialisme occidental ne le lui a jamais pardonné.

Les hommes forts ? Les ultras


En Libye, les vrais chefs sont les hommes qui montent. Ceux qui ont les armes, les milices, et prêchent l'islam le plus intégriste qui soit. C'est Abdelhakim Belhadj, un ancien d’Al-Qaïda, gouverneur de Tripoli, un djihadiste « afghan » qui a troqué son treillis contre un complet veston et vise désormais le pouvoir par les urnes avec son nouveau parti, le Hezb el-Watan, de tendance « salafiste nationaliste ».
La reconquête s'opère en faisant table rase des dirigeants actuels grâce à la fameuse loi de bannissement politique votée sous la menace des kalachnikovs, cette loi que les islamistes tunisiens essaient d’imposer en Tunisie afin d’exclure tous les opposants. Cette loi risque d'exclure 500.000 personnes (presque la moitié de la population adulte !) de toute participation à la société nouvelle au motif qu'elles auraient été associées à la Libye de Kadhafi depuis 1969. « Du coup, des régions entières sont éliminées, la loi s'oppose à toute réconciliation nationale »,.
Autre figure clé : l'émir de Derna, ville symbole de l'insurrection contre Kadhafi. Abdelkarim al-Hasadi justifie la lapidation et explique que « les talibans respectent les femmes ». Il est ultra populaire. Parmi les futurs leaders, on trouve encore le grand mufti Sadiq al-Gariani, qui interdit aux Libyennes d'épouser des étrangers, même musulmans. Une fatwa en contradiction intégrale avec le Coran.
Ces ultras constituent avec bien d'autres les vraies éminences grises de la nouvelle Libye. A côté d'eux, les salafistes tunisiens et égyptiens sont vert pâlot et plutôt falots. La Libye est aujourd'hui « le plus radicalement réactionnaire des pays de la révolution arabe ».

On mesure le succès de la mission de l’OTAN en consultant les chiffres suivants :

  • En 2010, sous le « régime de Mouammar el-Kadhafi », il y avait en Libye : 3,8 millions de Libyens et 2,5 millions de travailleurs étrangers soit 6,3 millions d’habitants.
  • Aujourd’hui :1,6 million de Libyens sont en exil, et 2,5 millions d’immigrés ont fuit le pays pour échapper aux agressions racistes.
  • Il reste environ 2,2 millions d’habitants. Ces chiffres ne tiennent pas compte du nombre de victimes durant l’intervention, leur évaluation restant sujette à caution.

La catastrophe dont personne ne parle


Meurtres, règlements de comptes, tortures, arrestations arbitraires, viols, massacres, sans parler du génocide à l’encontre des Africains et des tribus noires du pays, présence massive d’Aqmi dans le sud, implantation d’Al Qaeda en Cyrénaïque, trafic de drogue, trafic d’armes et déstabilisation régionale...

C’est une nation en lambeaux, disloquée et plus fragile que jamais, pleine de violence et de dangers, qu’on nous cache depuis maintenant des mois. 

Mais au-delà de ce constat, il y a la dimension de déstabilisation régionale.  Elle a créé un vaste espace ouvert aux groupes djihadistes et/ou trafiquants en tous genres, qui se déplacent au gré des événements. Quand l’Algérie boucle ses frontières après In Amenas, ou quand la France et ses alliés reconquièrent le nord du Mali, le foyer se déplace vers la Tunisie (djebel Chaambi et dans le sud) ou dans son sanctuaire du sud de la Libye, sans problèmes d’argent ou d’armes, prêt à ressurgir ailleurs.

Le rêve libyen est, comme en Tunisie ou en Egypte, devenu un cauchemar. Les milices sont partout et l'État n'est nulle part. Chaque mois, chaque semaine, chaque heure apporte une preuve nouvelle de la dislocation générale.   Un formidable bond en arrière : le triomphe pour le sionisme (merci BHL) et pour l'impérialisme (merci l'OTAN).

Voir aussi : 

Moyen Orient : Le plan américano-israélien

Hannibal Genséric