samedi 24 février 2018

Pendant ce temps, dans les tubes...

Barack à frites parti, les geignards ont perdu leur source d'inspiration face aux lourdes réalités économiques et au simple bon sens. Se profile à l'horizon un grignotage à la sauce gazière dont Moscou a le secret, contribuant à l'intégration énergétique de l'Eurasie pour le plus grand malheur de McKinder, Spykman et leurs descendants à Washington...
Pour son 25ème anniversaire, Gazprom a tout lieu de se réjouir. Non content de caracoler en tête des prix Pulitzer de l'énergie et d'avoir les fondamentaux pour lui, le géant russe voit peu à peu se concrétiser ses projets pharaoniques que nous présentions il y a deux ans et demi.
Gazprom a vraiment la folie des grandeurs. Ils sont maintenant engagés dans la construction simultanée des quatre plus grands pipelines de la planète !
Comment vont-ils financer tout ça ? Certes, ils ne sont pas tout seuls dans le Nord Stream 2, Shell, E.ON (Allemagne) et OMV (Autriche) vont participer ; certes, les Chinois vont financer une partie des travaux de l'Altaî et du Force de Sibérie. Mais enfin, quand même... Il y a deux ans, même dans leurs rêves les plus fous, ils n'auraient jamais pu imaginer en être là. Preuve supplémentaire que, en dépit de quelques difficultés économiques passagères, la crise ukrainienne a été du pain béni pour la Russie (Crimée russe, neutralisation définitive de l'Ukraine qui n'entrera jamais dans l'OTAN, développement des BRICS et de l'OCS, Union Eurasienne...)
Petit tour d'horizon...
Le Turk Stream, remplaçant du défunt South Stream torpillé par l'empire, est en bonne voie. La construction des deux lignes avance rapidement : la première, destinée uniquement au marché turc, entre dans sa dernière phase (déjà 530 km sur les 930 km prévus). Quant à la seconde, signée plus tard et visant l'Europe du sud, 224 km de tubes ont été posés.
Le pipe devrait entrer en service en 2019, année également prévue pour la fin des travaux du Nord Stream II. Le 31 janvier, l'Allemagne a donné l'autorisation de poser un tronçon du gazoduc dans ses eaux territoriales, ce que nous avions prévu fin 2016 :
C'est le genre de petite nouvelle banale qui passe totalement inaperçue, pas même digne d'être évoquée dans les fils de dépêches des journaux. Et pour une fois, je ne les en blâme pas, car seuls les initiés peuvent comprendre la portée de l'information sur notre Grand jeu énergético-eurasiatique.
Une première livraison de tubes est arrivée dans la presqu'île de Rügen, sur la côte baltique de l'Allemagne, et il y en aura désormais 148 par jour, acheminés par trains spéciaux (chaque tuyau mesure en effet 12 mètres et pèse 24 tonnes). Vous l'avez compris, il s'agit des composants du Nord Stream II qui devraient commencer à être assemblés au printemps prochain.
Ainsi, même si aucune décision officielle n'a encore été prise, ou du moins annoncée, le doublement du gazoduc baltique semble bien parti (...) Gazprom prendrait-il le risque de les acheter et de les acheminer sans avoir une idée assez sûre du dénouement ?
Là encore, les fondamentaux - irrésistible et inévitable ascension de la part de gaz russe dans la consommation européenne (+ 30% en trois ans malgré le harcèlement US) - jouent en faveur de Gazprom qui est en train de battre tous ses records sur le Vieux continent. Vladimirovitch est optimiste sur la réalisation du Nord Stream II et Frau Merkel le défend bec et ongles, assurant qu'il ne représente pas une "menace". Là encore, le fidèle lecteur du blog ne sera pas surpris :
La perspective du doublement du Nord Stream - Nord Stream II pour les intimes - rend les pays de la "nouvelle Europe" (© Bush) chaque jour plus émotifs. L'on se rappelle les réactions hystériques lors de la construction du gazoduc à la fin des années 2000, l'inénarrable Radoslaw Sikorski, pillier néo-conservateur des Affaires étrangères polonaises, comparant même le projet au pacte germano-soviétique ! Rien que ça... Malgré l'opposition résolue des Etats-Unis, utilisant leurs créatures baltes et polonaises afin de couper l'Europe de la Russie, l'Allemagne de Schroeder avait mis tout son poids dans la bataille pour faire passer le tube.
Une demi-décennie plus tard, on prend presque les mêmes et on recommence, mémère Merkel ayant remplacé papi Gerhard. Pourtant, dame Angela aura d'abord tout fait pour crier au grand méchant ours russe. Russophobie réelle, chantage à l'or allemand entreposé à la FED américaine et dont on ne sait plus trop s'il existe encore, chantage de la NSA sur la jeunesse peu reluisante de la possible informatrice de la Stasi, ou tout cela à la fois ? Mémère a en tout cas tout fait pour torpiller le South Stream devant fournir le gaz russe aux Balkans.
Jamais à court de ressources et sachant parfaitement jauger le poids de chaque acteur européen, Moscou a fait contre mauvaise fortune ("abandon" des amis balkaniques qui s'étaient eux-mêmes mis dans la panade en entrant dans l'UE) bon coeur et fait à l'Allemagne une proposition que Berlin ne pouvait refuser. Comme nous l'écrivions en septembre :
"Moscou assure ses arrières en doublant le Nord Stream. Grande intelligence de Poutine qui parie sur l'égoïsme allemand ; la mère Merkel est toute pleine de paroles grandiloquentes sauf quand l'économie de son pays est en jeu. Avec le doublement du tube baltique, l'Allemagne deviendra le hub gazier d'une grande partie de l'Europe, renforçant encore sa mainmise économique sur le Vieux continent. De quoi faire réfléchir la chancelière..."
C'est maintenant tout réfléchi ; mémère ne minaude plus devant la possibilité de faire de l'Allemagne la plateforme énergétique du Vieux continent. Mais c'est là que réapparaissent nos petits geignards de la "nouvelle Europe", jamais à court de critiques acerbes contre la Russie et son gaz mais ne dédaignant visiblement pas les confortables frais de transit de ce même gaz russe. Le beurre et l'argent du beurre, comme toujours...
Que pèsent ces nains geignards maintenant que le système impérial a perdu sa tête avec l'élection du Donald ? On se rappelle qu'il en était autrement sous la présidence du prix Nobel de la paix (défense de rire), comme l'avait avoué candidement une membre du comité des Affaires étrangères du Congrès américain : 
Les Etats-Unis devraient agir contre le projet russe de gazoduc afin de soutenir la sécurité énergétique de l'Union européenne [qui eut cru que la novlangue pouvait être amusante ?] L'administration Obama et l'UE ont travaillé contre le Nord Stream II (...) L'administration Obama a fait de la sécurité énergétique européenne une question de haute priorité de la politique étrangère américaine. L'administration Trump serait bien avisée de continuer sur cette voie.
Barack à frites parti, les geignards ont perdu leur source d'inspiration face aux lourdes réalités économiques et au simple bon sens. Se profile à l'horizon un grignotage à la sauce gazière dont Moscou a le secret, contribuant à l'intégration énergétique de l'Eurasie pour le plus grand malheur de McKinder, Spykman et leurs descendants à Washington...
A l'autre bout du continent-monde, les tubes continentaux avancent inexorablement, marginalisant là aussi l'empire maritime. Le Sila Sibirii - chantier pharaonique de 4 000 km suite au contrat du siècle de 400 Mds d'équivalents dollars signé en 2014 entre Gazprom et le chinois CNPC - est aux deux-tiers construit (en avance sur le plan) et devrait bientôt entrer en fonction.
Gazprom vise 13% de part du colossal marché chinois d'ici une quinzaine d'années et l'objectif est loin d'être irréalisable, d'autant que l'on reparle de l'Altaï, le dernier gazoduc de la bande des quatre. Les négociations ont continué ces derniers mois, les positions se sont rapprochées et le projet est une telle évidence que les deux parties, par ailleurs alliés stratégiques, devraient assez rapidement se mettre d'accord.
24 Février 2018 , Rédigé par Observatus geopoliticus