Ce texte ci-dessous d’Elijah
J. Magnier sur la situation de la Syrie dans le cadre de la “bataille de la
Ghouta” nous paraît important, – avec de nombreux détails inédits dont les
sources sont évidentes, comme l’utilisation
des bases US en Syrie par l’aviation israélienne, – dans la mesure où
il embrasse toute la situation de la Syrie à partir de cet épisode de la
Ghouta, et particulièrement la position et la politique des USA telle qu’elle a
évolué depuis l’arrivée de Trump. Le paradoxe de chaos de cette chronologie
(“depuis l’arrivée de Trump”) est bien que Trump semble opposé à cette évolution de la
politique américaniste en Syrie, et qu’il
semble par conséquent sans aucun pouvoir dans ce domaine.
« Les
États-Unis ne quitteront pas le nord-est de la Syrie, contrairement à ce qu’a
affirmé le président Donald Trump, qui a perdu toute crédibilité »,
écrit Magnier. Nous répétons de notre côté qu’il est moins
question de “crédit” que de “pouvoir”. Trump veut un retrait
de Syrie des forces US puisque paraît-il Daech est quasiment
détruit et que les forces US ne sont selon lui en Syrie que pour détruire Daech, mais
il ne contrôle rien de la politique US dans ce domaine (alors que dans d’autres
domaines il contrôle la politique, sinon l’impose, – le pouvoir à
“D.C.-la-folle” est lui-même transmutée en champ de bataille). La
“politique” US en Syrie a été complètement confisquée par les généraux
(McMaster, Mattis, etc.) qui sont évidemment idéalement placés pour cela, et
elle est en fait transmutée en une opération militaire à vocation stratégique,
comme s’il s’agissait d’une “guerre totale”, et d’une guerre contre la
Russie, – “guerre froide”
totale en attendant “mieux”, c’est-à-dire pire.
PhG dans son Journal-dde.crisis
le 24 janvier 2018 :
« Je pense enfin, pour tout dire, que les militaires US, qui sont en
position idéale pour orienter le pouvoir, veulent la
guerre. Non pas parce qu’ils sont stupides, par définition
selon certains puisqu’étant militaires ; non, plutôt parce qu’ils sentent
de plus en plus fortement, plutôt que de comprendre, qu’il n’y a aucun autre
moyen de s’en sortir, entre ces catastrophiques ersatz de guerre et
l’effondrement inéluctable du Pentagone... [...] En Syrie, j’en
arrive à penser que le but des militaires US, derrière les initiatives
individuelles des chefs US locaux qui arrangent les grands chefs US de
“D.C.-la-folle”, ce n’est plus la partition de la Syrie, ni même la chute
d’Assad, même si tout cela va de soi ; leur but, c’est vraiment la
recherche d’une provocation qui, enfin, susciterait une riposte russe directe
contre les USA... Pour tenir enfin l’allumette
enflammée qui pourrait embraser la mèche, en leur donnant le beau rôle. »
Il s’agit donc
d’un événement considérable qui se déroule sous nos yeux, dans
tous les cas pour ceux qui veulent bien les ouvrir s’ils parviennent à écarter
l’ivresse de l’encens du déterminisme-narrativiste
qui soumet leurs psychologies
épuisées. L’aveuglement contraint ou par absence de caractère et surtout à
cause decette psychologie épuisée de nombre de pays du bloc-BAO (pays
européens, certes), derrière l’extraordinaire comptine du délire affectiviste
de l’humanitariste, est une situation qui ne
peut pas avoir de précédent dans l’Histoire puisque jamais n’a existé un
système de la communication d’une telle puissance, et d’une
telle manœuvrabilité politique avec effet direct sur la perception (d’ailleurs
dans les deux sens selon le principe-Janus).
Cette situation
syrienne, qui évolue à une vitesse indescriptible, – il eût
été insensé, par rapport à la vérité-de-situation, d’écrire ces lignes il y a
un mois ou six semaines, – est de la sorte qui va obliger Poutine, à partir du 18 mars, à complètement
modifier sa politique. Le 18 mars, nous disent les ides prises
comme symbole, il est en général acquis que Poutine sera reconduit comme président
de la Russie, – et il n’hérite pas d’une sinécure...
Le texte de
Elijah J. Magnier, commentateur reconnu comme sérieux et bien informé dans les
réseaux antiSystème, du 25
février 2018, a comme titre (que nous avons raccourci) « Ce n’est
pas d’une guerre contre la Ghouta qu’il s’agit mais bien d’une “Guerre froide”
entre les USA et la Russie, qui divise la Syrie ». (Traduction originale
du site ejmagnier.com de Daniel G.)
dedefensa.org
En Syrie, il s’agit bien d’une “Guerre froide” entre USA et Russie
Les États-Unis
et la Russie se livrent actuellement une guerre totale en Syrie sur le front de
« la situation humanitaire dans la Ghouta », qui se trouve à l’est de
Damas, la capitale syrienne. C’est une sale guerre où tous les coups sont
permis et où l’on ne rigole plus, qui fait en sorte qu’aucune des
superpuissances impliquées dans cette lutte ouverte n’acceptera d’être défaite
par l’autre.
Oui, la
situation humanitaire est grave dans la Ghouta orientale, tout comme à Kfariya
et à Al-Foua, qui sont assiégées depuis tant d’années de guerre, comme c’était
le cas aussi d’Alep et de Raqqa. La guerre fait d’abord et avant tout des
victimes parmi les civils qui n’ont pas de refuge où aller et qui sont à la
merci des forces insurgées. Ce sont les victimes d’un conflit international
dont le champ de bataille est la Syrie et qui perdure depuis sept longues
années.
Des dizaines de
milliers de personnes vivent dans la Ghouta orientale, dont la population était
estimée à 400.000 habitants par les Nations Unies. Il convient de noter que
toutes les statistiques fournies par la communauté internationale, dont l’ONU,
sont exagérées en ce qui concerne les villes faisant l’objet d’une campagne de
« sauvetage » dans les médias institutionnels de la communauté
internationale. C’était le cas de Qousseir, de Madaya, d’Alep et de bien
d’autres villes où la « campagne humanitaire » est motivée par
l’antagonisme plus large opposant les superpuissances, leurs politiques et
leurs conflits d’intérêts.
Le gouvernement
syrien a annoncé l’ouverture de passages sécurisés pour permettre le retrait
des civils avant le début de l’attaque terrestre, comme l’ont fait les USA et
le gouvernement irakien à Mossoul, Tikrīt, Ramadi, Hawija et ailleurs. Il y a
toutefois une distinction à faire entre les batailles réelles et la guerre morale
en Syrie et en Irak.
Tant en Irak
qu’en Syrie, le groupe armé « État islamique » est devenu une
organisation orpheline, ce
qui a permis aux USA de lancer leurs frappes aériennes qui ont détruit la
vieille ville de Mossoul et anéanti la ville syrienne de Raqqa, en tuant un
grand nombre de civils dont les corps gisent encore sous les décombres. Les
forces américaines peuvent apparemment s’adonner à des tueries de masse ou à la
destruction totale de villes en toute impunité, sans la moindre campagne
médiatique féroce pour les condamner, ou même y réagir. Le monde a assisté
au fil de l’histoire à l’implication des USA dans leurs nombreuses guerres qui
ont fait des millions de morts (l’Afghanistan et l’Irak en étant les exemples
contemporains). Notons cependant que des passages sécurisés ont été établis dans
les provinces d’al-Anbar et de Salaheddine (en Irak) et à Raqqa, où même les
militants de Daech n’ont pas empêché les civils de sortir.
Dans la Ghouta
orientale par ailleurs, les passages sécurisés mis à la disposition des civils
par le gouvernement syrien ne se sont pas traduits par le retrait des habitants
de la zone. C’est que les militants à la ligne de démarcation avec l’armée
syrienne sont membres des groupes « Faylaq al-Rahman » (FAR),
« Ahrar al-Sham » (AAS) et « Al-Qaeda » (AQ), tandis que
l’Armée de l’Islam contrôle une zone s’étendant de Douma au nord à Salhia au
sud. Harasta, Zamalek et Ein Tarma sont sous le contrôle des djihadistes (FAR,
AAS et AQ), qui empêchent les civils de trouver refuge en dehors de la Ghouta
le doigt sur la gâchette, en leur tirant dessus à l’occasion pour décourager
toute tentative de quitter les lieux. Il est « naturel » pour ces
civils d’être considérés comme des boucliers humains. Al-Qaeda et ses alliés
comptent énormément sur la campagne menée par les USA que soutiennent les
médias institutionnels et qui semblent partager un objectif commun :
empêcher les civils de partir et laisser la Ghouta sous le contrôle des
djihadistes.
Les 15 membres
du Conseil de sécurité de l’ONU ont adopté la résolution 2401 qui
« demande à toutes les parties au conflit de cesser les hostilités pour
une période minimale de 30 jours consécutifs et de permettre aux convois
humanitaires d’accéder aux lieux assiégés et d’assurer l’évacuation médicale
des malades et des blessés ». Cependant, la résolution « ne
s’applique pas à al-Qaeda, Daech et à tous les autres groupes
terroristes » qui contrôlent une partie de la Ghouta et la région rurale
d’Idlib. Pareille résolution appelant à la cessation des hostilités est
irréaliste et il est peu probable qu’elle tienne longtemps.
Les USA veulent imposer une menace constante sur la capitale
Damas, qui est frappée par des tirs de roquettes et de missiles
chaque jour. Lorsque cela survient, cela envoie au monde une indication claire
que le gouvernement syrien en place n’arrive pas à protéger sa population au
cœur même de sa capitale. Par conséquent, la Syrie ne peut manifestement pas
garantir la sécurité du personnel des ambassades ou des organisations
internationales disposées à rester ou à renouer leurs liens avec l’État syrien.
C’est le premier objectif.
Le deuxième objectif est de maintenir la
menace sur Damas pour
révéler l’échec des efforts russes en vue de mettre fin à la guerre par la
création de zones de désescalade. Des responsables américains ont qualifié les
pourparlers de paix de Sotchi et d’Astana d’échec total dans le but de saboter
les efforts et les initiatives de la Russie. C’est une façon d’exercer plus de
pression sur Moscou qui cherche désespérément à obtenir un gel des hostilités
et à éliminer al-Qaeda en Syrie, son but principal de l’année que les
responsables du Kremlin n’ont cessé de répéter.
Le troisième objectif est de protéger al-Qaïda,
pour continuer de laisser planer le spectre de la guerre en Syrie et justifier
l’occupation du nord-est de la Syrie par les USA, en disant que la menace
terroriste persiste et que la présence des forces américaines dans ce
territoire occupé est nécessaire pour lutter contre al-Qaïda et Daech (qui se
trouvent dans la région occupée par les USA, au camp de Yarmouk au sud de Damas
et dans le sud syrien sous les auspices et avec l’appui d’Israël).
Les États-Unis ne
quitteront pas le nord-est de la Syrie, contrairement à ce qu’a affirmé le
président Donald Trump, qui a perdu toute crédibilité. Trump est
parvenu à faire plus de 2.000 fausses promesses pendant sa première année à la
Maison-Blanche. En Syrie, les USA ont établi des aéroports et des bases
militaires et personne au monde ne pourra les forcer à partir ou leur imposer
des conditions, ni statuer sur leur présence (comme c’est le cas en Turquie et
en Irak).
De plus, des informations attestent que
des avions israéliens ont atterri plusieurs fois à ces aéroports américains en
territoire occupé syrien, dont la superficie est quatre fois plus
grande que le Liban voisin. Les forces aériennes israéliennes sont les plus
puissantes du Moyen-Orient, mais elles sont concentrées dans un très petit
secteur, ce qui en fait une cible facile pour les missiles du Hezbollah et de
l’Iran en cas de guerre. Par conséquent, les bases américaines au milieu des territoires kurdes
syriens offrent à Israël une protection, une garantie et un point de départ
stratégique à partir duquel ses forces aériennes peuvent frapper n’importe
quelle cible en Syrie, au Liban et en Irak, ou encore mener toutes les
opérations de renseignement souhaitées dans les pays avoisinants.
En Irak, les
« Unités de mobilisation populaire » (UMP) rejettent toute présence
américaine dans les différentes bases du pays. Selon des sources de haut rang
dans ces unités, les UMP possèdent des missiles sol-air pouvant toucher tout
avion militaire américain qui décolle ou atterrit si les USA décident de
prolonger leur séjour en Mésopotamie trop longtemps.
L’Irak ne serait
donc pas le lieu idéal pour établir des bases militaires comparativement au
nord-est de la Syrie, où aucune règle ne restreint Washington, en
« territoire occupé » où tout est possible. La même immunité
apparente vaut aussi pour la Turquie, un des principaux membres de l’OTAN, qui
perçoit dans le soutien américain aux Kurdes de Kobané, d’Hassaké et de Deir
Ezzor une menace à sa sécurité nationale.
Le quatrième objectif est la présence de pétrole et de
gaz naturel en grande quantité (11 ou 12 % du total des
ressources énergétiques de la Syrie) en Syrie occupée au nord-est
(comparativement à 47 % dans la Badia, 38 % sur la côte syrienne,
2 % à Alep et 2 % sur les hauteurs du Golan non occupées). C’est une
abondance de ressources pour le secteur , où vivent moins de 10 % d’Arabes
et de Kurdes syriens et qui représente 24 % de la superficie du territoire
syrien.
Les USA n’ont
donc pas besoin de consacrer un énorme budget à la revitalisation de la région.
Ils n’ont qu’à construire des bases militaires et des aéroports et donner la
possibilité aux sociétés pétrolières américaines d’exploiter le pétrole et le
gaz de cette partie de la Syrie. Sous prétexte de combler les « besoins
intérieurs » pour reconstruire l’infrastructure locale et répondre aux
besoins des habitants, il sera possible de stimuler le revenu national des USA,
tout en satisfaisant l’obsession financière de Donald Trump.
Les USA font chauffer la guerre froide qui les oppose à la
Russie dans la Ghouta orientale. Ils sont restés indifférents aux
appels des Nations Unies pour que cesse la destruction de Raqqa et ils ont
rejeté des résolutions internationales qui n’avaient jamais été jugées
nécessaires depuis la création de l’ONU. Ce n’est pas de « sauver la
Ghouta » qu’il s’agit, mais bien d’une déclaration de « guerre
froide » contre la Russie.
Les forces
américaines contrôlent aujourd’hui un vaste territoire en Syrie qu’elles
n’auraient jamais cru possible de dominer en plus de 50 ans. Washington a
d’abord défendu sa présence en évoquant le prétexte de « bloquer le
corridor Téhéran-Bagdad-Damas-Beyrouth ». Mais ce corridor reste ouvert
malgré la présence américaine à al-Tanf, Hassaké et Deir Ezzor. Aujourd’hui,
les USA et leurs alliés nous lancent du sable dans les yeux en prétextant que
l’Iran est « le plus grand et le seul danger pour le Moyen-Orient et même
le monde », uniquement
pour détourner l’attention de son occupation de la Syrie.
Washington
affirme que « l’Iran contribue à déplacer à l’intérieur de la Syrie la
population de la Ghouta », alors que seule l’armée syrienne participe à
cette bataille et que plus de 1.700 familles sont retournées à Zabadani
(5 000 familles devraient y retourner dans moins d’un mois une fois la
reconstruction de leurs maisons terminée) dans le cadre du programme de
réconciliation nationale.
Dans la Ghouta
orientale, des dizaines de milliers, voire plusieurs centaines de milliers de
civils assiégés subissent des bombardements et un siège. D’autre part, quelques
millions d’habitants de Damas sont bombardés quotidiennement par les
djihadistes de la Ghouta. La Russie a demandé une trêve à la guerre en Syrie,
conditionnelle au retrait de toutes les forces étrangères non approuvées par le
gouvernement central, pour mettre fin à la guerre dans la Ghouta en en Syrie en
général. Cette demande est impossible à remplir parce que les USA et la Turquie
occupent la Syrie et n’ont pas l’intention de partir maintenant et dans un
proche avenir. Ils préféreraient se la diviser.
La bataille de
la Ghouta est censée être la dernière livrée par l’opposition, car il s’agit de
sa forteresse ultime. Les
USA vont y jouer leurs cartes les plus fortes et les utiliser pour frapper de
plein fouet la Russie si elle accepte de céder à la pression internationale et
à celle des médias institutionnels.
La Russie a
déjoué le plan directeur de l’Occident, de l’Arabie saoudite et du Qatar en
Syrie, en empêchant les Takfiris non seulement d’occuper Damas, mais aussi de
parvenir à Beyrouth (au Liban). Voilà pourquoi les USA n’ont aucune intention
d’abandonner, même si leur objectif, qui est de renverser le gouvernement
syrien, a échoué. Ils ont ramené le « climat accablant de l’époque de la
guerre froide » qui ne manquera pas d’oppresser le Moyen-Orient jusqu’à la
fin de l’été qui vient, qui promet d’être chaud.