jeudi 26 septembre 2019

Les pierres qui poussent ou pierres vivantes de Roumanie : de quoi s’agit-il en réalité ?

Depuis quelques années ont fleuri de manière explosive sur internet des informations, des blogs,  des forums à propos d’un phénomène qualifié d’extraordinaire qui se produirait en divers lieux de Roumanie. Merveilles d’une nature mystérieuse, des pierres nommées trovants auraient ainsi le pouvoir de croître, de se multiplier et même de se déplacer. Plus qu’une légende alimentée par les habitants, il s’agirait d’un fait vérifiable puisque ces pierres sont visibles dans des lieux aisément accessibles aux touristes et aux randonneurs.
Il est possible que la création en 2005 d’un musée à l’air libre, unique en Roumanie et en Europe [1], et une exposition au Muséum National d’Histoire Naturelle de Bucarest [2] consacrées à ces pierres aient contribué à enflammer la toile. Cependant, la multiplication extraordinaire de ces sites internet, dont certains font la part belle aux phénomènes prétendus paranormaux, reprenant le plus souvent sans recul les mêmes propos dans toutes les langues, contribue à entretenir pour le grand public une vision altérée et irrationnelle d’objets et phénomènes géologiques certes spectaculaires, mais finalement déjà bien connus scientifiquement. Le spectaculaire est dans ces cas là assimilé à l’extraordinaire.
Des investigations sur différents sites géologiques où peuvent s’observer les pierres en question nous ont permis d’en savoir plus. Mais de quoi parle-t-on en fait ?
De spectaculaires concrétions
Connues depuis très longtemps, des couches à concrétions de grande taille parsèment la Roumanie dans des formations d’âges variés, de l’Eocène au Pliocène. Concernant l’Olténie, et plus particulièrement un secteur se situant dans les sous-Carpathes occidentales, Murgoci a utilisé pour la première fois en 1907 sans vraiment le définir le mot roumain de « trovanţi » (« trovant » au singulier) pour désigner des blocs indurés au sein d’une sédimentation plus meuble [3]. Ce terme, qui pourrait provenir de l’italien « trovànte » [4], a ensuite été repris pour décrire en Roumanie des concrétions clairement dégagées du sédiment encaissant. Il est à remarquer que dans une note antérieure en  anglais, Murgoci avait employé le terme plus spécifique de concrétion pour les mêmes objets [5].
Les trovanţi sont de taille très variable, de centimétrique à métrique. Ce sont surtout les formes des grosses concrétions qui retiennent l’attention et suscitent l’étonnement, même pour des géologues avertis. Ainsi, tous les aspects définis pour caractériser classiquement des concrétions sont représentés, mais avec des proportions importantes. Les trovanţi sont toujours de forme arrondie avec une très grande variété de déclinaisons: sphérique, hémisphérique, ellipsoide, globuleuse, allongée horizontalement, en boudins, en miches, à sommet ou base plats, en soucoupe évoquant les   fameuses « soucoupes volantes »... Les concrétions forment parfois des lentilles étendues au sein d’un banc bien défini. Elles peuvent être soudées et réunies en agrégats complexes, évoquant dans certains cas des sculptures qui ne seraient par reniées dans le cadre de l’art contemporain. Certains ont suggéré à ce sujet cette influence dans les œuvres de l’artiste Brancuşi. Par ailleurs, certaines concrétions montrent en surface des boursouflures et pustules qui semblent avoir nourri la légende des excroissances surnaturelles. Enfin un certain nombre de concrétions sont nettement caractérisées par un des lignes de croissance concentriques.

Figure 1 – Vue générale du musée en plein air des trovanţi à Costeşti avec en premier plan les concrétions éparses et dans l’affleurement les concrétions encore dans le sédiment encaissant (flèche).
 
Figure 2 – Quelques aspects des trovanţi de Costeşti.

Le site à trovanţi le plus connu est celui de Costeşti en Olténie où la Réserve Naturelle du Musée des Trovanţi [1] permet une visite en plein air dans un espace aménagé. Les concrétions y sont intégrées dans  des  sédiments détritiques du Miocène supérieur relevant  d’un système  deltaïque. De nombreux blocs sont visibles encore in situ sur l’affleurement tandis que les concrétions dégagées par l’érosion et l’exploitation du sable sont répartis ça et là. Cependant, dans la campagne environnante, d’autres endroits produisent des trovanţi qui peuvent être transportés d’ailleurs par les cours d’eau. Les célèbres habitations bourgeoises fortifiées de Culele de la Măldăreşti dans les environs proches en présentent un certain nombre disposés dans les jardins de manière ornementale.

 
Figure 3 - Des trovanţi comme ornements dans les jardins de Culele de la Măldăreşti.

Une autre région renferme en abondance des concrétions semblables. C’est le cas de la région de Buzau, dans les Sous-Carpathes orientales, dans diverses localités, dont surtout le secteur Ulmet- Bozioru, dans des couches également datées du Miocène supérieur. On peut considérer ces affleurements comme encore plus spectaculaires car les concrétons y sont observables en majorité au sein du sédiment encaissant dans un cadre sédimentaire plus lisible. Les mêmes morphologies surprenantes sont développées intégrant les stratifications obliques qui caractérisent ces niveaux.

 
Figure 4 – La couche à trovanţi du secteur Ulmet-Bozioru.

Figure 5 - Quelques trovanţi du secteur Ulmet-Bozioru.
Mais on connaît des trovanţi dans d’autres régions (voir liste sans doute non exhaustive avec des liens pour le détail de chaque zone indiquée [6]).
Finalement, bien connues sur l’ensemble du territoire roumain, les concrétions ont largement été utilisées par les habitants comme objets d’ornements le long des routes, des chemins ou à l’intérieur des propriétés.
 
Figure 6 - Des trovanţi au hasard des routes en Roumanie.
Un florilège des idées délirantes véhiculées sur internet
Internet démultipliant des informations ou pseudo-révélations à l’infini, on peut ainsi relever abondamment d’un site à l’autre les mêmes propos, parfois au mot près, avec les mêmes illustrations. Voici quelques morceaux choisis de cette littérature (voir par exemple en français [7,8] parmi les innombrables sites repérables sur internet) :
  • Les autochtones appellent les pierres des « trovanţi ». En fait les autochtones ignoraient en général ce terme issu d’un travail scientifique spécialisé. Ainsi, une discussion avec un berger fréquentant journellement une zone à concrétions révèle que ce sont « les messieurs de Bucarest » qui dénomment ces pierres trovanţi (en suivant donc Murgoci) ou éventuellement babele (les vieilles femmes).
  • Ces pierres sont capables de grossir et de se multiplier. Elles peuvent êtres sectionnées mais finissent toujours par s’arrondir. Lorsqu’il pleut elles se mettent à grossir comme si elles étaient vivantes : 30 ou 40 minutes après une pluie, le sable humide commence à présenter de nouveaux petits éléments en formation. Un trovant de quelques grammes peut devenir gigantesque et atteindre près d’une tonne. A la surface de ces pierres apparaissent des petites boursouflures qui se cassent et tombant à terre se multiplient. Ce sont les pierres jeunes qui grandissent le plus vite et avec l’âge cette particularité tend à s’atténuer. Les trovanţi représenteraient une forme intermédiaire entre le minéral et le végétal. Il est vraiment très difficile de déterminer quelle est l’origine exacte de toutes ces fables, la littérature ancienne ou récente n’apportant aucun élément de ce type sur ces pierres dites mystérieuses. Il est intéressant de noter qu’un même site internet peut reporter des informations correctes, émanant notamment des documents du Parc Naturel et du Musée des trovanţi ou de propos de géologues roumains, et poursuivre dans ce type de délire mystico-paranormal.
  • Comme les fameux rochers de la Vallée de la Mort en Californie, les trovanţi se déplacent souvent d'un endroit à l'autre. Cette assertion fait évidemment référence à un autre phénomène géologique apparemment intriguant, celui des pierres qui bougent qui a sans doute également bien agité le monde du paranormal sur internet. Plusieurs articles scientifiques récents ont abordé cette question et apporté des éléments intéressants de compréhension [9,10]. Cela n’a évidemment rien à voir avec les trovanţi de Roumanie qui ont souvent pu rouler le long des pentes lorsqu’ils étaient entièrement dégagés par l’érosion ou qui ont été dans certains cas déplacés, réunis, voire carrément mis en scène, comme c’est le cas pour le Musée des trovanţi à Costeşti.
  • Les trovanţi sont des phénomènes géologiques qui consistent en formes sphériques de sable cimenté, apparues en raison d'une puissante activité sismique. Les tremblements de terre qui ont conduit à la création des premiers trovanţi sont supposés s'être produits il y a 6 millions d'années. Cette idée en apparence plus sérieuse, néanmoins passablement étonnante, est analysée ci-dessous.
Des informations scientifiques correctes, mais pratiquement uniquement en langue roumaine, sont cependant disponibles sur internet, [1,6,11], y compris sur le cadre géologique [12].
Sur les processus de formation des concrétions géantes
Une interrogation légitime se pose sur les processus qui aboutissent à la formation de ces objets si spectaculaires. Une explication avancée spécifiquement pour les trovanţi de Roumanie a été proposée par une communication au Congrès Géologique International d’Oslo [2,4,13], et enfin invoquée sans discussion dans un certains nombre de sites internet. Selon les auteurs de cette hypothèse, le terme de concrétions serait inapproprié pour ces objets qui résulteraient en fait de chocs sismiques ayant eu  pour effet un réarrangement des fluides et engendré les morphologies sphériques observées. Plus, de nombreuses concrétions dans le monde résulteraient des chocs occasionnés par l’impact d’astéroïdes sur Terre. Une observation raisonnée des concrétions de Roumanie, notamment à la lueur de l’abondante littérature sur les séismites, amènent à écarter de telles assertions jamais basées sur des arguments tangibles. Plus généralement, des travaux scientifiques, certains récents, ont été consacrés aux nombreuses concrétions géantes relevées à travers le monde pour des âges géologiques et des environnements de dépôts très variés. Dans tous les cas une conjonction de facteurs impliquant les phénomènes de pression, de circulations, de concentrations en carbonates, de nucléations est invoquée [14 à 19].
En guise de conclusion : un phénomène unique, cependant observable partout dans le monde entier, mais aussi en France !
On peut se demander pourquoi les concrétions de Roumanie ont focalisé autant l’attention et égaré tant de monde alors que de tels objets géologiques abondent sur le globe, de manière tout aussi spectaculaire. Un recensement, sans doute incomplet, mais instructif, en a été dressé sur un site bienvenu [20]. Plus encore, on peut aussi contempler des concrétions de type trovanţi en France et des études géologiques en font état [21 à 24]. Mais un sérieux problème demeure quant à la large diffusion sur internet d’informations et d’interprétations erronées. Cela a été souligné il y a quelques temps dans la revue Science à propos de concrétions similaires de Bosnie qui ont amené à des considérations délirantes malheureusement reprises par des autorités politiques.
Ainsi, comme il ressort de cette revue succincte il n’est guère question de mystère pour nos trovanţi de Roumanie mais de superbes objets naturels qui constituent aujourd’hui des jalons d’un tourisme géologique particulier à la Roumanie qui n’est pas avare de ce type de patrimoine naturel [25].

Sources
[2] Tiţa R., 2002. The microexhibition of trovants from Costesti (Romania) at "Grigore Antipa" National Museum of Natural History (Bucharest), Travaux du Muséum National d'Histoire Naturelle Grigore Antipa, XLIV, 493-496.
[3] Murgoci G.M., 1907. Terţiarul din Oltenia cu privire la sare, petrol si ape naturale. An. Inst. Geol Rom., Bucureşti, I (1), 128 p.
[4] Ţicleanu M., 2011. The trovants in Romania., 12th Annual NECLIME Meeting, Bucharest 2011, Anuarul Institutului Geologic Al României 77, Special Issue, Guide of excursion, 50-55.
[5] Murgoci G.M., 1905. Tertiary formations of Oltenia with regard to salt, petroleum, and mineral springs. The Journal of Geology, 13 (8), 670-712.
[9] Lorenz R., Jackson B., Barnes J., Spitale J., Keller J., 2011. Ice rafts not sails: Floating the rocks at Racetrack Playa. Am. J. Phys. 79 (1), 37-42.
[10] Norris R.D., Norris J.M., Lorenz R.D., Ray J., Jackson B., 2014. Sliding Rocks on Racetrack Playa, Death Valley National Park: First Observation of Rocks in Motion. PLoS ONE 9 (8), 1-11.
[13] Ţicleanu M., Pantea A., Constantin A., Ţicleanu N., Nicolescu R., 2008. Hypothesis on the paleodynamic (paleoseismic) origin of the trovants ("Sandsteinkonkretionen"). 33rd IGC,  Oslo 2008, Abstracts, 1 p.
[14] Abdel-Wahab A., McBride E.F., 2001. Origin of giant calcite cemented concretions, temple member, Qasr El Sagha Formation. (Eocene), Faiyum depression, Egypt. J. Sediment. Res., 71, 70- 81.
[15] García-García F., Marfil R., De Gea G. A., Delgado A., Kobstädt A., Santos A., Mayoral E., 2013. Reworked marine sandstone concretions: a record of high-frequency shallow burial to exhumation cycles, Facies, 59, 843-861
[16] Krajewski K.P., Luks B., 2003. Origin of “cannon-ball” concretions in the Carolinefjellet Formation (Lower Cretaceous), Spitsbergen. Polish Polar. Res., 24, 217–242.
[17] McBride E.F., Milliken K.L. 2006. Giant calcite-cemented concretions, Dakota Formation,  central Kansas, USA. Sedimentology, 53, 1161-1179.
[18] McBride E.F., Picard M.D., Milliken K.L. (2003) Calcite-cemented concretions in cretaceous sandstone, Wyoming and Utah, USA. J. Sediment. Res., 73, 462-483.
[19] Wanas H.A., 2008. Calcite-cemented concretions in shallow marine and fluvial sandstones of the Birket Qarun Formation (Late Eocene), El-Faiyum depression, Egypt: field petrographic and geochemical studies: implications for formation conditions. Sediment. Geol., 212, 40-48.
[21] Battiau-Queney Y., Simao B., Tekin M., 2003. Les falaises du Nord-Boulonnais, du cap Gris Nez à Audresselles (France). Hommes et Terres du Nord 2003/1, 12-21.
[22] Pierre G., 2005. Structure et évolution des falaises gréseuses et argileuses du cap Gris-Nez (Boulonnais, France). Géomorphologie : relief, processus, environnement, 4, 297-310.
[24] Friès G., Parize O. 2003. Anatomy of ancient passive margin slope systems : Aptian gravity- driven deposition on the Vocontian palaeomargin, western Alps, south-east France. Sedimentology, 50 (6), 1231-1270.
[25] Heinrich P.V., 2007. Pseudoscience in Bosnia. Science 318, 5 october 2007, 42-43.
Écrit par Jean-Paul Saint Martin, Simona Saint Martin et Florin Stoican

3 commentaires:

  1. la science n'a pas encore trouver des explications à certains phénomènes naturels...
    comme par ex: on arrive pour une première fois dans un endroit,et on a l'impression qu'on a déjà vu ce site..etc...

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  2. la science est soi disant capable d'envoye des amerloques marcher sur la lune et revenir
    Mais incapable d'analiser et comprendre un cailloux , Ha ha ha ha ha ha aha aha ha ha ha ha ah aha aha aha aha ha aha

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  3. La Nature n'a pas fini de nous Surprendre.! 🌞 🍀 🍀 🍀 🌺

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