vendredi 25 mars 2022

Il est temps de comprendre la redoutable “stratégie hypersonique” de Vladimir Poutine.

Pourquoi n’arrivons-nous pas à décrypter la stratégie militaire révolutionnaire que l’armée russe déploie sous nos yeux en Ukraine?

Depuis les premiers jours du conflit, beaucoup d’experts sont convaincus que le Kremlin a échoué par rapport à sa stratégie initiale. La Russie aurait imaginé un « Blitzkrieg », aurait échoué et puis aurait dû s’adapter à une guerre longue et dure. En fait, même si aucune hypothèse ne doit être écartée, avant de décrypter la stratégie russe, il faut commencer par nous débarrasser d’un certain nombre de représentations préalables. Il faut désapprendre nos certitudes pour observer ce qui se passe vraiment. Le nouvel art de la guerre russe s’appuie sur une stratégie globale, « hybride », combinant la dissuasion nucléaire, l’arme hypersonique, les tirs de précision, l’engagement limité de troupes au sol et la négociation permanente avec l’adversaire.
Il serait temps de comprendre la redoutable stratégie « hypersonique » de Vladimir Poutine!

Il y a des questions auxquelles nous ne pouvons pas répondre pour l’instant. Nous ne disposons pas de suffisamment d’éléments pour comprendre le déclenchement de la guerre en Ukraine par la Russie le 24 février. Mais cette incertitude, comme nous le verrons, fait partie de la stratégie russe. Par exemple, quel a été le rôle de la provocation de Vladimir Zelenski, le 19 février 2022, lorsqu’il a expliqué, à la conférence de Munich, que si son pays n’était pas admis dans l’OTAN, il remettrait en cause le Mémorandum de Budapest (signé en 1994, qui prévoit la dénucléarisation de l’Ukraine sur le plan militaire)? C’est indéniablement un facteur déclenchant majeur. Cependant les Russes ont attendu d’avoir lancé le conflit pour le dire. Est-ce que la Russie avait prévu depuis plusieurs mois une offensive – par exemple du fait des craintes de nouvelle offensive de l’armée ukrainienne dans le Donbass; ou du fait d’une immixtion renforcée de l’OTAN en Ukraine – par exemple le début d’installation d’une véritable “alternative à Sébastopol” à Berdiansk, avec le soutien britannique? Est-ce que Vladimir Poutine s’est dit qu’il fallait déclencher une guerre tant que la Russie disposait d’une avance stratégique avec ses missiles hypersoniques? L’incertitude sur les intentions de Vladimir Poutine fait partie d’une stratégie qui a pour l’instant fonctionné, fondée sur l’effet de surprise.

Le mythe de l’échec d’une « victoire immédiate »

Il y a ensuite une question à laquelle les observateurs – même neutres vis-à-vis de la Russie – répondent à notre avis trop rapidement.
Est-ce que le commandement russe avait pensé que l’on pourrait reproduire le scénario de la Crimée en 2014 avec un ralliement rapide de la plus grande partie de l’armée ukrainienne ?

Nous l’avons lu souvent sur des canaux Telegram bien informés. Cela nous a été rapporté par des militaires: le renseignement russe aurait surestimé la disposition de la population à se soulever et renverser le régime dans la partie russophone du pays. Les militaires russes auraient fait leur planification en fonction d’un inévitable soulèvement et donc d’une reddition rapide de l’armée ukrainienne.

Supposons qu’il y ait eu un plan prévoyant une victoire rapide. Admettons que les services de renseignement russe aient été trop optimistes. Mais dans ce cas le commandement russe avait forcément un plan B, celui de l’adaptation à une guerre plus longue. L’évolution de l’Ukraine depuis le coup de Maïdan était lisible avec une simple veille régulière sur Internet – y compris la radicalisation idéologique d’une partie des unités combattantes ukrainiennes. Il serait donc étonnant que les services russes l’aient manqué; tout comme ils n’auraient pas vu les livraisons occidentales d’armes à l’Ukraine, la présence de conseillers militaires de pays de l’OTAN, la politique de terreur exercée par l’armée ukrainienne ou des milices paramilitaires sur les populations majoritairement russophones de l’est ukrainien. Ou bien ils auraient sous-estimé les effectifs de l’armée ukrainienne, estimés à 260 000 hommes.

Il faut toujours écouter ce que les acteurs concernés disent. De quoi Vladimir Poutine parle-t-il depuis le départ? (1) permettre aux populations du Donbass de vivre définitivement en paix. (2) Consolider la possession de la Crimée, stratégiquement vitale pour une Russie confrontée à un Occident hostile. (3) Désarmer l’Ukraine à un niveau acceptable pour la sécurité de la Russie; et la rendre neutre. (4)

Dénazifier le pays.

 

Ce dernier objectif n’est absolument pas pris au sérieux par les Occidentaux. Nous concevons que lorsqu’on n’est jamais allé en Ukraine, on ait du mal à imaginer la réalité d’unités comme le bataillon Azov. L’auteur de ces lignes a passé suffisamment de temps dans le pays pour avoir pu observer la violence et la radicalisation idéologique d’unités à propos desquelles le gouvernement français avait d’ailleurs reçu un rapport détaillé en 2016.

Même quand on ne dispose pas de cette expérience ni d’une connaissance approfondie du nationalisme ukrainien radical depuis la Seconde guerre mondiale, il suffit pourtant d’avoir prêté attention au massacre d’Odessa en 2014 ou aux tentatives avortées de nettoyage ethnique dans le Donbass pour commencer à comprendre. Les gouvernements occidentaux, d’ailleurs, connaissent très bien cette réalité. Comme disait Roosevelt à un interlocuteur qui lui reprochait de soutenir Somoza, président du Nicaragua: “C’est un salopard, en effet. mais c’est notre salopard!”. Les dirigeants occidentaux connaissent la réalité d’unités dont la russophobie à composante raciste n’est pas une invention ni une pure instrumentalisation de Moscou. Et nos gouvernants l’assument car ils pensent que la volonté de combattre de ces unités permettra de tenir en échec la Russie.

Ce serait faire insulte à la Russie que de penser que le gouvernement, l’armée, les services de renseignement n’étaient pas capables de se rendre compte (1) que le basculement de l’Ukraine n’était pas aussi facile que celui de la seule Crimée; (2) que l’armée ukrainienne s’est, depuis 2014, aguerrie et, en partie fanatisée par la diffusion du nationalisme radical dont les milices néo-nazies sont la pointe avancée. (3) que l’armée ukrainienne est formée et équipée, depuis 2014 par des instructeurs ou des mercenaires de l’OTAN.

Qu’est-ce que les Russes pouvaient voir au début de l’année?
(A) qu’une grande partie de l’armée ukrainienne était rassemblée dans l’Est du pays, face aux Républiques sécessionnistes du Donbass.
(B) que la population de l’Est ukrainien n’était pas en mesure de se soulever contre des milices qui ne se contentent pas, depuis des années, de bombarder régulièrement les villes du Donbass mais qui font régner aussi un régime de suspicion et de délation envers tous ceux qui pourraient être soupçonnés de “travailler pour les Russes”.

 

La Russie savait qu’elle ne pouvait pas affronter massivement et frontalement l’armée ukrainienne sans causer d’énormes pertes dans la population qu’elle entendait précisément délivrer du régime kiévien. Elle sait aujourd’hui (voir les zones passées sous contrôle de l’armée russe à Marioupol) – et de ce point de vue les services de renseignement russes avaient raison si c’est bien le point de vue qu’ils ont défendu – que la population de l’est de l’Ukraine souffre du joug des milices kiéviennes et affirme son soulagement dès que les troupes russes établissent leur domination. Enfin, la Russie sait parfaitement que les sentiments de la majorité des Ukrainiens est ambiguë vis-à-vis de la Russie.

- à l’est on est russophile mais on ne veut pas forcément être intégré à la Russie
- à l’ouest, on se sent attiré par la Pologne mais on souffre de la corruption et de la tyrannie du régime kiévien que soutiennent Varsovie et les capitales occidentales.

Il nous semble donc possible d’identifier un double choix russe présent dès le départ.

+ il ne fallait en aucun cas (re)solidariser la population ukrainienne avec le régime issu du coup de Maïdan.
+ il ne fallait pas, non plus, provoquer de redéploiement massif d’une armée ukrainienne à la fois majoritairement stationnée face au Donbass et relativement éparpillée, par ailleurs sur le territoire.

La préoccupation russe est de préserver l’avenir, à tout prix, sans que l’on puisse dire quelle sera la part d’occupation du territoire ukrainien, la part de “protectorat” et la part de coexistence pacifique avec un voisin démilitarisé.

De cette approche politique découle une méthode militaire bien différente de celle à laquelle les Occidentaux se sont habitués depuis le début des années 1990.

Sortir du « Blitzkrieg » et du jeu vidéo

Quelles sont les représentations dominantes dans notre perception des guerres? Il y a d’abord le “Blitzkrieg” – la guerre-éclair façon armée allemande de 1939-40. En Pologne et en France, l’armée allemande a réussi, au début de la Seconde Guerre mondiale, à obtenir des victoires en quelques semaines. Les médias, les politiques et trop d’universitaires ou experts de think tanks n’ont pas pris le temps de lire les travaux de Karl Heinz Frieser sur la campagne de France de mai-juin 1940.

Il y eut de nombreux couacs dans l’avancée de l’armée allemande et seul le manque de vision du commandement français a transformé l’attaque nazie en victoire rapide de la Wehrmacht. Pensons par exemple au “bouchon” de blindés, sur 100 km à la sortie des Ardennes, à la mi-mai, qu’aucun avion français ne vînt bombarder.

En fait, dès les premières semaines de la campagne d’URSS, un an plus tard, à l’été 1941, les limites de la “guerre-éclair” étaient devenues visibles. L’Allemagne se heurta vite aux distances, puis, à partir de l’automne, à la météorologie et à une puissance industrielle qui surpassait la sienne. En imaginant même que la Russie ait eu, en Ukraine, une stratégie d’attaque frontale – nous verrons en fait que ce n’est pas le cas – les guerres sont rarement des “guerres-éclair” au sens où nous l’entendons.

Le mythe de la “guerre-éclair” a cependant survécu dans l’imaginaire occidental.

Et il a revécu ces dernières décennies du fait des guerres américaines d’après 1990. En Irak, en Afghanistan, au Kosovo, en Libye, en quelques semaines, des guerres ont été gagnées facilement – du moins en apparence. Ajoutons que les Américains ayant pour habitude de tapisser de bombes plusieurs fois les pays avant d’y envoyer des troupes au sol, notre représentation de la guerre est devenue digne d’un jeu vidéo. Nous n’imaginons pas autre chose que des bombardements massifs initiaux, sans nous demander ce qu’en est le coût humain – qui sait par exemple que les Américains ont utilisé en Irak et en Afghanistan ces bombes à l’effet de souffle gigantesque appelées “faucheuses de marguerite” (daisy cutters)? Que dirions-nous si la Russie, aujourd’hui, faisait de même?

Ensuite la guerre au sol nous semble devoir relever de l’élimination instantanée d’adversaires qui surgissent sur le chemin des troupes comme les méchants d’un jeu vidéo. Et pour que la réalité ne revienne pas trop fort nous hanter, nous comptons sur les drones pour combattre “après la victoire” les résistants ou les armées renaissantes.

En réalité, aucune de ces guerres américaines depuis trente ans n’a été un succès stratégique, au sens d’une victoire durable. Elles ont disloqué des États fragiles mais qui avaient le mérite de maintenir un minimum de paix civile. Elles ont surtout laissé un état de chaos difficile à surmonter. Des millions de vie ont été anéanties sans que l’homo occidentalis s’en émeuve, des trillions de dollars ont été consommés par le Pentagone pour arriver à des situations guère plus glorieuses, au bout du compte, que la Guerre du Vietnam. Les Américains n’ont su résoudre  ni la question de la pacification des pays qu’ils occupaient ni celle de la viabilité d’une organisation politique après leur départ. Nous ne voulons pas minimiser des efforts d’organisation qui ont pu être faits dans les pays occupés ni la contribution que par exemple notre armée, avec sa longue expérience de présence outre-mer, a pu apporter. Mais c’est en général ignoré et nous voulons souligner ici les origines de la perception dominante.

Pouvons-nous maintenant nous débarrasser de nos représentations et de notre manque d’analyse des guerres menées par l’Occident ces trente dernières années et regarder l’offensive russe en Ukraine pour ce qu’elle est ?

Un engagement limité sur le terrain pour des gains ciblés

Depuis que nous suivons le conflit en Ukraine, nous utilisons plusieurs sources de cartographie de l’avancée russe: Ukraine War Map, Institute for the Study of War, Military Advisor ou bien ici @Rybar (sur Telegram). Elles nous disent à peu de choses près la même chose: l’armée russe étend son emprise progressivement, méthodiquement à partir des frontières de la Biélorussie et de la Russie. Un  objectif semble possible à terme: occuper militairement toute la rive gauche du Dniepr, même si c’est encore loin d’être le cas.

Dès le début, on a pu faire deux observations apparemment contradictoires. D’une part, l’avancée russe est indéniablement rapide. Plusieurs spécialistes américains – qui tiennent à la référence du Blitzkrieg ! – tiennent même à préciser que l’avance est plus rapide que celle des troupes allemandes durant la Seconde Guerre mondiale. Sur la carte que nous avons reproduite ci-dessus, on voit que les troupes russes ont fait passer sous leur contrôle – hors territoires des républiques sécessionnistes du Donbass et Crimée – 130.000 à 150.000 km², soit 20 à 25% du territoire de l’Ukraine dans ses frontières de 2013. C’est en effet considérable. Cependant, on a très vite pu observer, à l’inverse, que l’armée russe ne poussait pas son avantage de la manière qu’on s’y serait attendue. Pour le dire avec les mots de Scott Ritter :

« La stratégie russe habituelle consiste à localiser la cible et à brûler l’emplacement avec des tirs nourris d’artillerie à lance-roquettes multiples, de mortiers, puis à faire avancer les forces au sol jusqu’à ce qu’une nouvelle cible soit localisée et que la procédure soit répétée. La tactique est extrêmement efficace et extrêmement brutale. Appliquée à une formation ennemie située dans une zone urbaine ou dans une banlieue densément peuplée, elle entraînerait la mort de dizaines de milliers de civils ».

Visiblement, l’armée russe a refusé de recourir à sa manière de combattre habituelle. Essayons d’approfondir.
Pour l’instant, trois mouvements principaux sont discernables:

 

+ la prise de contrôle progressive des régions au nord de la Crimée, la “Nouvelle Russie” au sens historique de ce terme
+ un double mouvement depuis le nord et le sud, pour prendre en étau les troupes ukrainiennes qui combattent au Donbass.
+ un mouvement visant à encercler progressivement Kiev par l’ouest et par l’est.

Ce qui a déconcerté les observateurs, c’est l’alternance d’offensives et d’immobilisations de l’armée russe.
+ Dans les premiers jours, l’armée russe a pris le contrôle du nord-ouest de Kiev à partir de Gostomel; elle s’est installée au nord-est de Kiev en passant par Tchernigov; elle s’est installée dans la région de Soumy, celle de Kharkov, mais en contournant les villes. Au sud, même chose, on voit des mouvements vers Mélitopol, Kherson, Nikolaïev; avec une poussée vers Energodar pour sécuriser la centrale nucléaire. Puis l’offensive s’arrête à peu près partout plusieurs jours.
+ Quand l’offensive reprend, ce n’est pas du tout uniforme. Après 24 jours de conflit, on voit d’indéniables progrès:

  

+La jonction entre le mouvement depuis le nord et celui depuis le sud pour prendre dans la nasse l’armée ukrainienne qui combat au Donbass est largement effectuée. Il existe désormais une ligne de front continue depuis Ernegodar et Kherson jusqu’aux troupes de la République de Donetsk. C’est une grosse victoire parce que la plus grande partie de l’armée ukrainienne se trouve à cet endroit.
+ Les troupes russes sont solidement installées sur la rive droite du Dniepr dans la région de Kherson
+ Les troupes russes et l’armée des républiques sécessionnistes ont enfermé une partie des éléments néo-nazis (Bataillon Azov) à Marioupol. Et ils sont en train d’y gagner la bataille.

Pour le reste, des diplomates bien informés et des experts sûrs de leur fait nous ont annoncé plusieurs fois depuis quinze jours que l’assaut sur Kiev ou Kharkov était pour la nuit suivante. Et le débarquement à Odessa pour le lendemain matin. Mais rien de tel ne s’est passé.

On peut reprendre, là aussi l’analyse de Scott Ritter.

« ….Pour tout le monde, ce fut une surprise absolue qu’ils aient commencé l’opération avec une main attachée dans le dos. La progression est très calme et très précise. Les Russes ont tenté de négocier avec tous ceux qui occupaient des positions fortifiées dans le but de minimiser les pertes civiles et la destruction des installations urbaines. Les Russes ont manifesté leur refus de tuer des soldats ukrainiens dans leurs casernes ».

Limiter, donc, autant que faire se peut, les pertes civiles ; laisser aux soldats ukrainiens la possibilité de se rendre ; l’opération militaire a bien eu dès le départ de forts garde-fous politiques. Il n’en a pas fallu plus que les Occidentaux crient à l’échec de l’armée russe. De fait – pour continuer à explorer nos références militaires – nous comprenons mieux la façon de faire la guerre de Bonaparte que celle de Turenne ; et nous tenons plus rigueur à Turenne des brutalités et des destructions qu’il a ordonnées – pourtant de manière sporadique par comparaison aux armées napoléoniennes. Il est arrivé plusieurs fois, depuis trois semaines, que l’armée russe force tout de même le passage au risque de tuer des civils – et cela occupe les médias occidentaux infiniment plus que les brutalités bien plus importantes, par comparaison, commises par les Américains lors des deux offensives d’Irak, en 1991 et en 2003.

On peut même dire que la Russie a été largement inférieure dans la guerre de l’information devant l’opinion mondiale. Mais visiblement le gouvernement et l’armée russe ne s’en sont pas préoccupés en priorité. Ils suivent une stratégie que nous devons encore largement expliciter. Elle obéit, bien entendu à des considérations politiques concernant l’avenir de l’Ukraine. Mais elle est à lire aussi dans la conscience aiguë que le pouvoir russe a des ressources limitées dont  il dispose eu égard à la faiblesse démographique du pays et à la multitude de défis que lui pose sa situation géopolitique en Eurasie.

 

En fait, ce qui surprend les observateurs et les conduit à affabuler sur une prétendue « défaite russe », c’est le fait que l’effort de guerre russe est mené à l’économie: pour les matériels (utilisation par les troupes au sol de matériel de la période soviétique; parcimonie des tirs de missiles pour détruire des objectifs d’infrastructures militaires); mais aussi des effectifs limités des troupes russes engagées, qui ne correspondent pas à la volonté de déclencher des offensives massives – sur le modèle de ce que tous les historiens de l’Armée Rouge aiment décrire pour la Seconde Guerre mondiale.

On l’avait déjà remarqué en Syrie. Vladimir Poutine sait qu’il dirige un pays où la ressource démographique est devenue rare et qui a les plus longues frontières du monde. Tout effort militaire doit être mesuré, calibré – (les missiles de précision qui détruisent les objectifs ukrainiens ne s’appellent-ils pas Kalibr?). La Russie n’a pas que le front occidental. Elle doit continuer à surveiller le Proche et le Moyen-Orient. L’Asie Centrale est instable, comme l’ont montré la crise du Haut-Karabakh ou une tentative de renversement du gouvernement kazakh récemment. Et puis la Russie a un allié encombrant, la Chine, dont le poids démographique représente une pression considérable sur la Russie d’Asie.

Sous les tsars ou durant la période soviétique, l’armée russe était peu économe de la vie de ses soldats. la perspective a totalement changé. Voilà pourquoi la stratégie développée n’implique – tant que cela est possible – que des engagements au sol très ciblés.
Le seul endroit où sont menés des combats intensifs, c’est le Donbass. Ailleurs, il y a eu, près de Kiev, de Kharkov, de Kherson, de Nikolaïev et Voznesensk, des combats durs, sporadiquement, sans qu’on puisse leur attribuer la dimension d’une bataille.

La stratégie « hypersonique » de Vladimir Poutine

 

Réexaminons l’argumentation des experts occidentaux, qui relaient, pour la plupart, les bulletins de l’armée ukrainienne. Ils ont évoqué d’abord de sérieuses  difficultés de l’armée russe. On a vu circuler des photos (non datées et très vaguement localisées, souvent) de matériel russe détruit et abandonné. Puis, petit à petit, l’armée russe a fini par publier elle-même des statistiques et même des photos des destruction de matériel ukrainien.

En fait, si l’on regarde objectivement la situation, la progression de l’armée russe sur le terrain est absolument remarquable, surtout rapportée aux effectifs utilisés, comme le souligne Scott Ritter – en « considérant que l’armée ukrainienne était composée de 260 000 hommes, entraînés et équipés selon les normes de l’OTAN, avec un système de commandement étroitement lié, efficacement géré par des officiers. Il convient également d’envisager le soutien de 200 à 300 000 réservistes, unités auxiliaires et services. Et donc les Russes ont commencé avec 190-200 000 soldats pour faire face à une force de 600 000 soldats. Habituellement, au début d’une campagne, vous aurez un avantage de trois contre un côté offensif. Les Russes ont lancé l’opération avec un avantage d’un contre trois, ou un contre quatre du côté ukrainien. Mais néanmoins, les pertes (…) s’affichent 1 à 6 en faveur des Russes.

Habituellement, dans les affrontements modernes de la Seconde Guerre mondiale, les batailles d’annihilation à grande échelle, par exemple, les Allemands dans les batailles avec les Américains, étant donné que les Américains ont gagné, pour chaque Américain tué, il y avait 3 à 4 Allemands. Ce ratio a permis aux Américains de gagner des batailles et d’avancer. Le rapport entre les Russes et les Ukrainiens de 1 à 6 est une défaite écrasante pour la partie ukrainienne ».
Nous parlons ici hors troupes des républiques sécessionnistes du Donbass qui font ajoutent 30 à 50 000 hommes aux troupes engagées sur le terrain du côté russe: on reste dans tous les cas en-dessous d’un pour deux face aux Ukrainiens.

On ne peut cependant pas s’arrêter là dans la lecture de ce qui se passe sur le terrain. La stratégie d’avancée rapide et ciblée mais sans la force de feu que l’on aurait attendu restera difficilement compréhensible si on ne la raccroche pas à toutes les autres composantes de l’effort de guerre russe:

+ dès le début du conflit, les missiles de précision russes (Kalibr, Iskander) ont détruit systématiquement les infrastructures militaires ukrainiennes: dépôts de munition, stocks d’artillerie, aéroports, entrepôts de véhicules en particulier. Il y a bien eu du matériel russe détruit dans les combats et quelques avions ou hélicoptères abattus ou endommagés mais l’armée ukrainienne est incapable d’infliger des dommages sérieux à l’armée russe et les experts occidentaux perdent leur temps à monter en épingle des affirmations souvent non vérifiées tirées des bulletins de l’armée ukrainienne. Les frappes russes contre les infrastructures militaires ne sont d’ailleurs pas terminées.

Surtout, deux épisodes devraient faire réfléchir:

– dimanche 13 mars 2022, un ou plusieurs tirs de précision ont détruit les bâtiments à Iavorov, en Ukraine de l’Ouest, à 20 km de la frontière polonaise, où s’étaient regroupés des mercenaires ou volontaires étrangers venus combattre en Ukraine. Selon beaucoup de témoignages, les jours suivants sur les réseaux sociaux, l’ardeur des combattants occidentaux volontaires en a été bien refroidie. Mais les Russes envoient aussi un signal très clair aux Occidentaux: qu’il s’agisse de livraisons d’armes ou de mobilisation de volontaires étrangers, la riposte sera systématique.

– samedi 19 mars et dimanche 20 mars 2022, l’armée russe a tiré des missiles hypersoniques. Nous savons depuis mars 2018 que ces armes ont donné à la Russie une avance stratégique, y compris et surtout dans le domaine nucléaire.

Eric Verhaeghe attire depuis plusieurs semaines l’attention des lecteurs du Courrier des Stratèges sur l’avance des Russes et des Chinois, face aux Américains, dans ce domaine. Plus lucide que la plupart des autres journaux, le Figaro écrivait le 18 février 2022:

“Les missiles hypersoniques constituent des menaces redoutables. Ils se déclinent en plusieurs variantes, stratégiques, tactiques, à charge nucléaire ou conventionnelle. Ils sont un défi pour tous les systèmes de défenses militaires. Ces armes volent entre 10 et 20 fois la vitesse du son, à basse altitude en faisant des zigzags vers leurs cibles. Elles n’ont encore jamais servi sur un théâtre de guerre mais elles pourraient passer à travers les dispositifs antimissiles“.

Eh bien l’armée russe les a utilisés pour la première fois sur un champ de bataille les 19 et 20 mars 2022 ! Un entrepôt souterrain d’armements situé dans l’ouest de l’Ukraine a été détruit par des missiles supersoniques “Kinjal”, a annoncé le ministère russe de la Défense, samedi 19 mars. Et, selon un communiqué du dimanche 20 mars du Ministère russe de la Défense “une importante réserve de carburant a été détruite par des missiles de croisière “Kalibr” tirés depuis la mer Caspienne, ainsi que par des missiles balistiques hypersoniques tirés par le système aéronautique “Kinjal” depuis l’espace aérien de la Crimée». Cette frappe s’est produite dans la région de Nikolaïev. Toujours selon le ministère russe de la Défense, la cible détruite était «la principale source d’approvisionnement en carburant des véhicules blindés ukrainiens» déployés dans le sud du pays.

Ces tirs ne sont pas le fruit du hasard. Ils suivent des déclarations agressives du Président américain contre Vladimir Poutine. Ils indiquent à l’Ukraine, qui met du temps à accepter les conditions russes et aux Occidentaux qui encouragent l’armée ukrainienne à prolonger le combat, que les frappes de l’armée russe contre des objectifs militaires ou gouvernementaux ukrainiens peuvent augmenter d’intensité à tout moment.

C’est aussi un très clair avertissement aux Occidentaux sur la résolution des Russes et leur capacité de frappe nucléaire dévastatrice si l’OTAN  menaçait les intérêts vitaux de la Russie. Comme le résumait utilement le Figaro le 18 février dernier:

“Les travaux de recherche sur la technologie hypersonique débutent dans les années 80. Ils s’accélèrent à partir de 2002 quand les États-Unis se retirent du traité ABM qui limite les systèmes antimissiles. Les États-Unis se retrouvent alors libres d’améliorer leur défense contre les engins balistiques. Aux yeux de Moscou, la dissuasion nucléaire est menacée. En réponse, les Russes cherchent à perfectionner leurs propres vecteurs pour qu’ils puissent toujours percer les défenses ennemies, même les plus sophistiquées. Plusieurs programmes sont lancés et commencent à devenir aujourd’hui opérationnels, entre autres celui de l’Avangard, un planeur volant à Mach 20, d’une portée de 6 000 km, capable de transporter une charge nucléaire, et ceux du Zirkon ou du Kinjal. En matière d’hypervélocité, les Russes ont un coup d’avance“.

 
En fait, c’est toute la stratégie de Vladimir Poutine, que l’on pourrait qualifier “d’hypersonique”

- elle s’appuie sur une capacité de frappe nucléaire en dix minutes qui, pour l’instant, percerait toutes les défenses américaines.
- les missiles hypersoniques donnent aussi à la Russie les moyens d’intensifier ses frappes conventionnelles quand elle en aura besoin.
- On peut dire qu’en fait c’est toute l’approche de Poutine, depuis des années, qui est “hypersonique”. Cet homme peu bavard a toujours avancé sous les radars, pour frapper par surprise là où on ne l’attendait pas: pensons à son discours à la Conférence de la Sécurité de Munich en 2007, où il jetait un défi à l’unilatéralisme américain au nom d’un monde multipolaire; à l’intervention inattendue en Géorgie en août 2008; à la prise de la Crimée sans tirer un coup de feu en 2014; à l’intervention en Syrie pour détruire Daech. L’intervention en Ukraine, le 24 février, a relevé du même effet de surprise.

Il faut donc envisager la stratégie russe comme un tout

Vu la pression que représentent les sanctions économiques, l’idée d’une guerre au sol, certes efficace mais dont la puissance de feu est bridée, pour limiter les pertes parmi les civils, et l’avancée régulièrement suspendue dans une logique de reddition négociée de l'armée ukrainienne, pourrait comporter un risque. Cependant ce choix dans la méthode de combat se fait à l’abri de la sécurité – provisoirement absolue – que donne l’avance russe dans le secteur des armes hypersoniques.

On peut détester la rationalité stratégique d’un Vladimir Poutine. Mais il serait absurde de l’ignorer. Et ceci d’autant plus que la révolution militaire sur laquelle s’appuie l’armée russe ne peut pas laisser indifférente une puissance nucléaire comme la France.

La révolution militaire de l’armée russe rouvre la possibilité de la négociation

La “stratégie hypersonique” que nous venons de décrire est la variante russe de la “guerre hybride” sur laquelle glosent beaucoup de commentateurs mais qu’apparemment ils ont du mal à identifier quand ils en voient une variante spécifique. Il est bien évident qu’il faudrait pouvoir regarder de près le potentiel de cyberattaque, le travail des services de renseignement. D’autre part,  comme l’armée russe semble prendre son temps en Ukraine, il n’est pas possible que Vladimir Poutine ait oublié de préparer la guerre économique; il faudra dans les semaines qui viennent, observer de près les ripostes aux sanctions. Ce que nous voudrions souligner pour finir, c’est combien la supériorité militaire russe grâce à la garantie que donne l’introduction des armes hypersoniques aussi bien dans la dissuasion nucléaire que dans les armes conventionnelles, ramène à des fondamentaux de l’histoire russe et européenne. La certitude de pouvoir à tout moment réaliser une montée en intensité militaire pousse à revenir à Clausewitz ou à Turenne: la guerre n’empêche pas de négocier parallèlement:

L’idée que la Russie cherche à s’emparer de Kiev, la capitale pour éliminer Zelensky, vient typiquement des Occidentaux : c’est ce qu’ils ont fait en Afghanistan, en Irak, en Libye et ce qu’ils voulaient faire en Syrie avec l’aide de l’État islamique. Mais Vladimir Poutine n’a jamais eu l’intention d’abattre ou de renverser Zelensky. La Russie cherche au contraire à le maintenir au pouvoir en le poussant à négocier en encerclant Kiev. Il avait refusé de faire jusque-là pour appliquer les Accords de Minsk, mais maintenant les Russes veulent obtenir la neutralité de l’Ukraine.

Beaucoup de commentateurs occidentaux se sont étonnés que les Russes aient continué à chercher une solution négociée tout en menant des opérations militaires. L’explication est dans la conception stratégique russe, depuis l’époque soviétique. Pour les Occidentaux, la guerre commence lorsque la politique cesse. Or, l’approche russe suit une inspiration clausewitzienne : la guerre est la continuité de la politique et on peut passer de manière fluide de l’une à l’autre, même au cours des combats. Cela permet de créer une pression sur l’adversaire et le pousser à négocier“.

Les Américains, qui réfléchissent selon le mode binaire de la “capitulation sans conditions” sauront-ils s’adapter à la nouvelle donne? La révolution militaire dont la Russie a pris l’initiative en maîtrisant avant les autres l’arme hypersonique bouleverse le jeu des puissances auquel USA et Union Européenne étaient habitués. Mais gageons que la Chine, elle aussi équipée avant les États-Unis d’armes hypersoniques, saura faire avancer la cause de la négociation et de la paix. C’est l’intérêt de l’alliance occidentale. En attendant que les États-Unis eux-mêmes – et, souhaitons-le, la France – aient rattrapé et comblé ce nouveau “missile gap“.

Par Édouard Husson. Professeur des universités.

 

3 commentaires:

  1. PREMIERE PARTIE

    La situation est tant simple que serieuse: lorsqu'il y a eu la Perestroïka dans les années 1980 et peu après l'implosion controllée de l'URSS, (car Lenine et les chefs communistes qui ont suivi etaient tous juifs comme les sionistes mondialistes d'aujourd'hui) Gorbatchev et Reagan ont signé des accords de non-expansion de l'OTAN vers l'Est. Ces accords ont été manifestement trahis par les USA/OTAN. A ce stade, vu l'énormité de la "trahison", il est même légitime de penser qu'ils ont été signés par Reagan les considérant au prealable du papier de toilet. Si cela était vrai, comme c'est très probable, nous découvririons que nous avons eu et avons affaire à des personnages par rapport auxquels Al Capone était un boy-scout. Ensuite, ces hommes civilisés, ont essayé avec l'alcoolique Yeltsin de mettre les mains sur la Russie, mais ils ont echoué, car Poutine est entré en scène pour sauver son Pays de la catastrophe. Avec le faux attentat des Tours jumelles il a ouvert les yeux et compris les vrais intentions des mondialistes. Il a commencé a moderniser l'apparatus militaire de l'ex URSS à fins defensifs, et en meme temps a resuscité, si on peut ainsi dire, car la spiritualité du peuple russe a toujours survecue comme un fleuve carsique, all'unisson avec le Patriarche Kiril, la Foi orthodoxe sur la quelle a etablie la survie et renaissance de son grand et glorieux Pays.

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  2. DEUXIEME PARTIE

    Ensuite les sionistes mondialistes l' ont encerclé, pas à pas, achetant les gouvernements des anciens pays soviétiques (Pologne, République Tchèque, Roumanie, Bulgarie, Géorgie, Pays Baltes, etc.), jusqu'à l'arrière-cour de la Russie, c'est-à-dire, l'Ukraine, avec le coup d'Etat 2014 avec lequel l'Occident sioniste anglo-saxon (qui depuis Napoléon et Hitler, dont les guerres ont été financées par Rothschild, a toujours poursuivi l'anéantissement et la conquête de la Russie) a essayé de prendre le contrôle de l'Ukraine afin d'installer sournoisement des rampes avec missiles "defensifs" qui une heure avant le lancement peuvent être chargés d'ogives nucléaires et rejoindre en 5 minutes de vol Moscou et 7 minutes les silos nucléaires russes, afin de lancer une première frappe nucleaire par surprise qui équivaudrait à l'anéantissement définitif de la Russie. La Russie a demandé presque à genoux et à plusieurs reprises l'abrogation des accords precedents et la signature de nouveaux dans l'intérêt de sa sécurité nationale, mais aussi de l'Europe et du monde. Mais l'Occident gouverné par l'Amérique sioniste n'a pas voulu et ne veut pas entendre parler, réitérant son incroyable, pratiquement demoniaque, mauvaise foi. Si la Russie veut survivre et en a tous les droits et devoirs de le faire, n'a d'autre choix que d'empêcher l'Ukraine de devenir un État satellite de l'Occident avec des bases militaires et des missiles de l'OTAN pointés sur Moscou. Pour mémoire, les États-Unis / l'OTAN ont plus de 700 bases militaires dans le monde, dont beaucoup entourent déjà la Russie, tandis que la Russie compte environ 20 bases militaires dans le monde. L'Occident pourri, qui porte l'entière responsabilité de ce qui se passe et surtout de ce qui se passera, a tout l'intérêt à faire traîner les choses pour faire apparaitre la Russie à l'opinion publique mondiale comme la coupable de tout, même aux yeux de ceux qui ignorent la réalité ou qui doutent ou de ceux qui sympathisent faiblement pour la Russie, mais Poutine, ayant été agent du KGB, et en etant un habile joueur d'echecs et meme ceinture noire de judo, est tout sauf un imbécile et, tôt ou tard, mettra l'Occident dos au mur. La Russie possède une richesse evaluée 75 mille milliards de dollars, son territoire equivaut à les Usa et la Chine reunis, et possede des refuges atomiques prets à accueillir 40 millions de russes. Si strictement nécessaire pour sa survie, elle mettra l'Occident en echec, meme avec une pluie de missiles nucléaires, après avoir déposé dans les bunkers toute la documentation possible qui témoigne sans équivoque de la réalité et des énormes mensonges des Occidentaux, pour être montrée au monde dans un éventuel Nuremberg 2. Si évidemment l'Occident existera encore.

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  3. Il n'y a pas que la guerre militaire mais aussi celle de l'économie. Poutine veut obtenir le paiement du pétrole et du gaz Russe avec la devise monétaire du rouble. Idée brillante mais dangereuse pour lui. Les dirigeants de l'Irak et de Libye voulaient eux aussi sortir du dollar pour le dinar. Résultat un pendu et un égorgé. Aujourd'hui le pétrole de ces deux pays coule toujours mais rétribué en dollars. L'Europe est mécontente mais surtout l'Amérique furieuse. Donc Poutine ne devrait pas faire traîner inutilement ses pions sur son jeu d'échecs, avant de mettre mat l'Occident.

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