Le temporel n'a de sens que dans l'éternité Lao-tseu.
Le rapport au temps constitue une approche permettant de comprendre une
partie des problèmes qui secouent aujourd’hui le monde dit
"arabo-musulman". Le problème de la légitimité de l’État, les
crises politiques, économiques et sociales, le déficit démocratique et la
violence, le sous-développement technologique ne sont pas seulement dus au fait
que ce monde éprouve des difficultés à s’amarrer à la modernité. Ils
proviennent également des difficultés qu’ont les individus à se positionner
dans le temps, ainsi que le rapport qu’ils entretiennent avec le passé et
l’avenir.
Ces différents rapports au temps, et
notamment aux temps sociaux, permettent d’expliquer les clivages entre le
discours islamiste d’une part, et le discours modernisateur et laïc d’autre
part. En effet, ils proposent deux modes différents d’organisation du temps,
c’est-à-dire deux ordres sociaux, deux rapports au passé, deux mesures du temps
et deux structurations des activités sociales.
Ces différents rapports au temps, et notamment aux temps sociaux, permettent d’expliquer les clivages entre le discours islamiste d’une part, et le discours modernisateur et laïc d’autre part. En effet, ils proposent deux modes différents d’organisation du temps, c’est-à-dire deux ordres sociaux, deux rapports au passé, deux mesures du temps et deux structurations des activités sociales.
La structuration du temps dans les sociétés archaïques
Dans les sociétés de type archaïque, comme la société
islamiste, un objet ou un geste n'est réel que parce qu'il répète une
action effectuée in illo tempore, c'est-à-dire à une époque mythique,
originelle. Il acquiert un sens parce que le rituel, qui fait référence à un
archétype, le lui confère en le dotant d'une fonction ou d'une force sacrée. Seul ce qui est sacré est réel. Par
conséquent, tout ce qui n'entre pas dans le cadre d'un rite archétypal n'existe
pas.
L'homme archaïque refuse « son histoire », c'est-à-dire
l’histoire de son peuple, en accepte une autre qui n'est pas la sienne mais
celle de héros civilisateurs qui appartiennent à un temps mythique : ainsi, les
Maghrébins (ou les Égyptiens), parce qu'ils ont été islamisés par les Arabes,
et dont l'écrasante majorité est d'origine berbère, se donnent, contre toute
vérité historique ou génétique, une ascendance arabe.
On peut aussi reprocher à l'homme archaïque de vivre dans un monde exempt
de toute créativité humaine puisqu'il ne fait que répéter des archétypes. C'est
le cas des islamistes de nos jours. Ils n'inventent rien, ne créent rien, et
importent tout.
La plupart des événements vécus en dehors des rituels
sont considérés comme des péchés dont l'homme doit se libérer. La vie dans les temps
profanes est douloureuse car, pour eux, elle est vide de sens. L'Homo Islamicus
doit donc se régénérer dans les temps mythiques et pour cela il effectue des
rites. Les rites lui permettent ainsi "d'annuler le temps" et
indiquent « une intention anti historique ».
Le temps est un instrument de domination sociale
En pays musulman, à toute heure de la journée et de la nuit, la Mosquée
affirme sa mainmise totale sur le temps partant du principe suivant : la maîtrise de
temps est un instrument de domination sociale, qui en devient le maître
renforce son pouvoir sur la communauté. Toute l'année et toutes les journées
s'organisent en fonction de la liturgie musulmane (Aïd, Mouled, Ramadan, Hajj,
Omra, etc.) et les grands moments du calendrier hégérien sont des fêtes
religieuses. En dictant la tonalité des heures de prière de la journée, et les
jours de l'année, la Mosquée régente la vie des gens. Ainsi, le travail est
interdit le jour des fêtes et à l'heure des prières. Les périodes de Ramadan
sont marquées par le jeûne et l'abstinence sexuelle. L'appel à la prière,
cinq fois par jour, fixe le rythme du temps quotidien. Ces appels matérialisent
cette emprise. Ces appels ne sont pas des horloges qui donnent le temps, ils
ont une vocation collective avant d'être ponctuelle. Ils ont donc une vocation communautaire : il s'agit de
commencer et de s'arrêter ensemble. Ces appels ont un autre rôle essentiel :
celui d'un rappel de la présence divine tout au long du jour. Dès ce signal, les musulmans doivent
répondre, dès qu'ils le peuvent, par la prière. Au Moyen Age européen, ce sont
les cloches des églises qui avaient exactement le même rôle.
Pour les mouvances islamistes, le passé est la référence de l’organisation sociale et doit modeler les comportements du présent.
Faisant preuve de fatalisme, ils considèrent que le présent est une suite
discontinue d’événements et de ruptures inhérentes à la nature des choses,
qu’il n’existe pas de coupure nette entre le passé et le futur, et que ce
dernier ne doit être qu’une répétition du passé. L’histoire est alors une éternelle réitération du passé qu’il faut
revivre dans le respect de la tradition. Tous les islamistes sont donc idéologiquement passéistes, c’est à dire
salafistes (salaf = passé). Les islamistes ont en effet une
interprétation mythique du passé d’où ils retirent les modèles à imiter. Cette
histoire originelle mythifiée est la référence religieuse déterminant un ordre
du temps que le pouvoir politique doit imposer.
Dans le discours islamiste, l’absence de foi en Dieu
dans l’Oumma, la communauté musulmane, explique les périodes de décadence,
conséquence de châtiments célestes, tandis que la présence de foi en Dieu
explique les périodes de gloire, conséquence de dons de Dieu.
L’histoire de la communauté est alors conditionnée par le comportement des
croyants et non par l’action sur son environnement. La reproduction du passé,
de la période de l’épanouissement de la société musulmane, est le seul moyen,
pour eux, pour faire sortir la société arabo-musulmane des crises politiques,
économiques, sociales et morales qui la secouent ; c’est aussi un moyen qui lui
permettra de rivaliser avec l’Europe et l’Occident en termes de progrès et de
civilisation. Dans cette recherche d’harmonie et de sens, les islamistes se
positionnent depuis longtemps avec un discours cohérent et correspondant aux
aspirations des masses musulmanes les plus déshéritées et les plus ignorantes.
Spoliées par des dictateurs corrompus, défaites par l’Occident judéo-chrétien,
ces masses ne savent plus à quel saint se vouer. La maturation lente du
discours islamiste auprès de ces populations a trouvé son état final en cette fin
d’année 2011, début 2012. Elles ont voté en masse pour ces faiseurs de miracles,
aidées en cela par les pétrodollars et par un tapage médiatique occidental, présentant
les "islamistes modérés" comme des parangons de la démocratie. Le
fumeux « printemps arabe » s’est avéré être un hiver islamiste. Il a
eu pour principales conséquences (1) la généralisation du terrorisme dans ces
pays (Tunisie, Libye, Égypte, Syrie, Irak, etc.), et (2) la mainmise
impérialiste sur les ressources énergétiques de ces pays.
Islamisme et fatalisme
Dans les sociétés islamistes, les temps pour le travail, la famille et les
loisirs ne sont pas séparés, et la religion pénètre les diverses temporalités
sociales. Le temps est enfin plus qualitatif que quantitatif. Dans ces sociétés, l’homme n’ayant aucune prise sur
son destin, puisque tout se fait -ou ne se fait pas- selon la volonté d’Allah
le tout puissant, l’homme n’a pas de responsabilité dans ce qui se produit
autour de lui, c’est le fatalisme. Dans les sociétés musulmanes, les
« inchallah » (si Dieu le veut), « Allah ghaleb »
(je n'y peux rien, Dieu l'a décidé) et d'autres locutions analogues ne
signifient rien d’autre qu’une fuite devant ses responsabilités de celui qui
les utilise, c'est-à-dire de tout le monde. Il y a une démission générale,
une absence totale de responsabilité, seul Allah est responsable de tout et de
n’importe quoi. Du point de vue moral, ce fatalisme islamique est un
déterminisme ou un prédéterminisme, selon lequel les causes du cours des
événements sont indépendantes de la volonté humaine, ce qui revient à nier la
liberté de choix de l’homme. Ce fatalisme engendre le défaitisme, la paresse et
le sous-développement. En conséquence, les
notions de rendement, d’horaire de travail ou d’efficacité opérationnelle n’ont
pas de sens.
La structuration du temps dans les sociétés modernes
Au contraire, dans les sociétés modernes, les temps sociaux sont très
hiérarchisés et le temps est fortement structurant; c’est notamment autour du
temps du travail que les autres temps sociaux sont aménagés. Pour ces sociétés
modernes, le temps a acquis de la valeur, ce que l’on retrouve dans les
expressions usuelles : « le temps c’est de l’argent, le temps est précieux, le
temps perdu ne se rattrape pas, etc. ». Il est quantitatif et rythmé dans une
organisation rigide des activités. La notion même de stratégie dans ces
sociétés se réfère au fait que le temps peut être planifié, que l’on peut en
maîtriser la durée et le déroulement.
L’avenir est alors vu comme une source d’espoir ; il modèle le présent par
le développement de projets. Ainsi l’homme
moderne en vient-il à considérer « l’avenir » comme quelque chose à portée de
l’homme, comme quelque chose de ce monde et non plus de l’Au-delà et le «
progrès » comme à venir et non plus comme la réitération de l’ancien.
Cette conception du temps est celle des modernistes arabes ainsi que des divers
courants nationalistes, qu’ils soient libéraux ou socialistes. Mais cette
pensée moderniste arabe est éclatée et hétéroclite, ce qui n’est pas le cas de la
pensée islamo-conservatrice construite autour d’une certaine vision de la
religion islamique et autour du respect de la tradition.
D’autre part, pour le modernisme, le fondement de la dignité humaine n’est
plus situé au-dessus de l’humanité, mais dans l’homme lui-même, du seul fait de
son humanité, (immanence). Les obligations morales, quant à elles, se
fondent sur la prise de conscience, progressive, d’une triple immersion de
l’homme dans la nature, la société et l’histoire.
- L’homme trouve dans la nature ce qui lui est nécessaire pour vivre
mais il ne s’agit pas d’un don divin ou de la nature, il lui faut aller le
chercher.
- L’homme est aussi immergé dans la société, il dépend d’elle et des
échanges qui s’y pratiquent. La reconnaissance de l’égale dignité de tous les
êtres humains et de l’égalité de leurs droits crée l’obligation de permettre à
chacun de se procurer ce qu’il lui faut pour vivre, grâce aux échanges où il
reçoit des autres mais aussi où il leur apporte.
- L’homme, enfin, est aussi immergé dans l’histoire. L’humanité
actuelle est celle que, pendant des centaines de milliers d’années, les
générations précédentes ont peu à peu forgée au prix d’efforts et de
souffrances.
Ainsi, dans les fondements modernistes de
la vie sociale, l’homme tient sa dignité du fait même d’être homme. Il tient
ses obligations morales du fait qu’étant homme, il est solidaire de la nature,
de ses contemporains et de toutes les générations.
Conclusion
Le but des islamistes est de créer une société à l’opposé de la société
moderne.
Dans une société moderne, la religion est reléguée au domaine du privé
alors qu’elle est, pour les islamistes, un agent structurant l’ordre social.
Pour parvenir à leurs fins, ils ont, d’une part, lutté pour s’approprier le
pouvoir politique et, d’autre part, pris le contrôle du quotidien des
musulmans, quotidien structuré par les divers types de temps sociaux.
L’objectif de cette prise de contrôle du présent est de donner un aspect sacré
aux temps sociaux et de les rythmer dans la pratique religieuse : la
généralisation de salles de prières dans les universités, les entreprises, les
hôtels pour touristes, etc. va dans ce sens. Leur demande d’imposer un
« habit religieux » partout va aussi dans le même sens. En
agissant ainsi, ils réduisent l’islam à un code vestimentaire, alors que
l’islam n’impose aucun habit
religieux, ni burqa ni niqab. Le proverbe « l’habit ne fait pas
le moine » est inversé ; pour eux « c’est l’habit qui fait le
musulman ».
Autant dans le discours moderniste, le travail est la base du progrès et de
l’ordre social, autant dans le discours islamiste, la pratique de la foi
musulmane est la force motrice qui doit mener vers le progrès et l’ordre
social. Cependant, force est de constater qu’aucun régime islamiste existant
(Tunisie, Libye, Soudan, Arabie Saoudite, Qatar, Koweït, EAU, Iran, etc.), ne
brille par un quelconque progrès social ou humain. La réalité est têtue.
Hannibal Genséric