A bien lire entre les lignes du projet de loi «
d’immunisation de la révolution », présenté à l’Assemblée nationale
constituante par les islamistes d’Ennahdha et leurs alliés, il est clair que ce
projet est taillé, selon les observateurs de la scène politique, sur mesure
contre le leader de Nidaa Tounes et ex-premier ministre, Béji Caïd Essebsi.
Le chef d’Ennahdha et maître absolu de la Troïka
gouvernante, Rached Ghannouchi, a compris que le profil rassembleur de ce
nouveau parti qu’est Nidaa Tounes, en plus du charisme de son leader, Béji Caïd
Essebsi, constituent un « danger politique » pour la mainmise d’Ennahdha et de
la Troïka sur la Tunisie.
Rached Ghannouchi s’est donc juré d’écarter de sa
route Béji Caïd Essebsi. Et il n’y a pas mieux que cette trouvaille
d’immunisation de la révolution pour faire passer ces projets. Il suffit de
trouver le cadre adéquat pour « faire obstacle » aux concurrents politiques.
Or, toute la question est là. Y a-t-il une machine qui peut broyer BCE,
l’ennemi juré d’Ennahdha ?
Les 86 ans de Béji Caïed Essebsi ne l’ont pas empêché,
apparemment, d’être le mieux outillé pour damer le pion à la Troïka, plus
précisément à Ennahdha, selon les observateurs avérés. L’ex-premier ministre du
gouvernement provisoire est parvenu, en quelques mois, à réunir autour de lui
un melting-pot de politiciens ayant roulé leurs bosses dans la société civile
ou dans les sphères flirtant avec l’ex-RCD au pouvoir sans lui appartenir
vraiment.
Gravitent actuellement autour de BCE un éventail
d’éminences grises : des diplômés des grandes universités de l’Occident, des
personnalités de la société civile ayant marqué la lutte contre Ben Ali, en
plus d’une riche variante d’hommes d’affaires, notamment les éclairés parmi
eux.
Ce savant mélange a, par ailleurs, réussi à attirer de
larges segments de la population dans toutes les régions de la Tunisie. Il
suffit de jeter un regard sur les locaux de Nidaa Tounes et la logistique
accompagnant leurs meetings pour comprendre la popularité du mouvement et la
puissance d’argent qu’il y a derrière.
En plus, BCE a l’atout et le mérite d’avoir mené à bon
port la première phase de la transition démocratique en Tunisie, ce qui a
renforcé son capital-sympathie auprès de la population. Il s’agit, en fait,
d’un crédit qui a été acquis durant un parcours de militant dans l’école du
leader historique Habib Bourguiba, que Béji Caïd Essebsi, tout en le vénérant,
n’a pas manqué de le critiquer sur la question du manque de la démocratisation
de la vie politique.
Cette lutte pour la démocratie avait brouillé les
rapports de BCE avec Bourguiba et, ensuite, avec Zine El Abidine Ben Ali, dont
il avait quitté l’entourage depuis 1991, toujours pour le respect des principes
basiques de la démocratie. Aujourd’hui, ce sont encore les mêmes valeurs qui
sont à l’origine de sa discorde avec la Troïka.
En effet, par rapport aux islamistes d’Ennahdha, Béji
Caïd Essebsi a joué franc jeu. Il n’a pas suffi qu’il fût l’un des principaux
acteurs de la réussite des élections du 23 octobre 2011, il a tenu à remettre
les rênes du pouvoir à Hamadi Jebali un certain 26 décembre 2011 dans une
cérémonie modèle, digne de la révolution tunisienne.
Toutefois, BCE n’a pas quitté l’arène politique. Il
est resté aux aguets. A partir du 26 janvier 2012, il a commencé à taquiner la
Troïka gouvernante en leur rappelant, d’abord, dans une lettre ouverte
réclamant une feuille de route pour la réalisation des objectifs pour lesquels
la Constituante a été élue, notamment la rédaction de la Constitution et la
préparation des conditions objectives pour les prochaines échéances
électorales.
Ensuite, il a commencé à réunir autour de lui les
franges politiques et syndicales modérées et éclairées, appelant à établir un
échéancier pour la deuxième phase de la transition. Finalement, Béji Caïd
Essebsi a annoncé, le 16 juin 2012, la création de son parti, Nidaa Tounes qui
a obtenu sa reconnaissance officielle le 6 juillet 2012.
En quelques mois, ce parti est déjà crédité d’un taux
d’intentions de vote proche de celui des islamistes d’Ennahdha. BCE est même la
personnalité récoltant le plus d’intentions de vote dans une éventuelle
élection présidentielle, selon un sondage publié il y a quelques jours. De quoi
perturber la sérénité de Rached Ghannouchi.
Au moment où aussi bien la rédaction de la
Constitution que les projets de lois sur l’Instance indépendante des élections
ou l’Instance de régulation des médias n’avancent pas au rythme souhaité, les
blocs parlementaires d’Ennahdha et du CPR ne trouvent pas mieux, pour bloquer
davantage la situation, que de tirer des archives un ancien projet de loi sur
la protection politique de la révolution, présenté depuis mars dernier.
Le projet présenté prévoit d’écarter ceux ayant
travaillé avec Ben Ali du 2 avril 1989 au 14 janvier 2011 de la haute sphère de
la scène politique structurée pendant une période de dix ans à partir de la
promulgation de la loi. Pourquoi maintenant ?
Selon les observateurs avérés, « il s’agit d’une
manœuvre de diversion d’Ennahdha contre Nidaa Tounes, notamment son leader Béji
Caïed Essebsi, qui ne cesse de monter dans les intentions de vote ». « Le
parti d’Ennahdha est conscient que Nidaa Tounes tire sa force du charisme de
son président-fondateur. Les islamistes essaient donc de lui faire obstacle par
tous les moyens possibles », pense-t-on.
« Or, il est clair que l’ex-premier ministre ne tire
pas sa force de sa position au sein de son parti, Béji Caïed Essebsi étant une
figure nationale dont l’impact dépasse l’espace de son parti », réplique Lazhar
Akremi, un des dirigeants de Nidaa Tounes.
« Faute de programme alléchant et de réalisations
dignes de la révolution de la part du gouvernement de la Troïka, Ennahdha et
ses alliés procèdent à cet acte populiste pour prétendre appartenir à la ligne
de la révolution et essayer d’accuser leurs adversaires de vestiges du régime
déchu, s’ils s’opposent à ce projet », a-t-il poursuivi.
L’ex-ministre du gouvernement de Béji conclut en
affirmant « qu’Ennahdha se trompe lourdement. Le peuple tunisien est contre une
éventuelle punition collective du RCD. Et puis, la quasi-majorité des citoyens
garde une sympathie évidente pour Béji et ne garde que de bons souvenirs de son
passage au premier ministère. N’est-il pas l’un des principaux artisans de la
réussite des élections du 23 octobre 2011 ? ».
Mais ce projet, malgré une majorité garantie à la
Constituante, risque de rencontrer des réactions violentes dans les sphères
politiques. Le militant associatif, Slaheddine Jourchi, pense que « la nouvelle
loi fera des RCDistes des victimes alors qu’ils étaient accusés de despotisme
et de malversation durant la période du régime déchu ».
A la question si ce projet de loi sur l’immunisation
de la révolution est en contradiction avec la justice transitionnelle, le même
analyste répond sans détour : « oui, elle est contraire à l’esprit et à la
philosophie même de la justice transitionnelle qui s’articule autour de la
vérité, la reddition des comptes et la réconciliation ».
Le porte-parole d’Al Massar et membre de la
Constituante, Samir Bettaïeb, se range lui aussi dans le camp de ceux qui
rejettent ce projet en affirmant que « la justice transitionnelle se fonde sur
la responsabilité individuelle des personnes incriminées, suite à de procès
transparents et équitables où seule la justice est habilitée à décider des
sanctions à infliger. Or, ce projet reflète la volonté de certaines parties
d’imposer d’autres leurs choix. C’est une manœuvre électoraliste ».
Encore une opération de diversion, histoire d’occuper
ses adversaires pendant quelques mois ?
Mounir Ben
Mahmoud (business-news.com.tn)
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