Fin 2004, la CIA déclassifie
un rapport
dans lequel elle présente un scénario où elle imagine la naissance d’un nouveau
califat autour de 2020. Au regard du printemps arabo-musulman auquel nous
assistons, ce rapport prend des dimensions autant prophétiques que troublantes…
« Un
nouveau califat », est l’un des chapitres du rapport de la CIA intitulé : « Mapping the Global
Future : Report
of the National Intelligence Council’s 2020 Project». Un rapport qui se proposait
de prévoir quelle sera la situation géopolitique mondiale en 2020. Il a été
établi par des membres de la CIA et des militaires, après consultation d’experts
non gouvernementaux, notamment un ancien membre de la compagnie pétrolière
Shell. Officiellement parce que celle-ci dispose d’un département très
compétant, spécialisé dans la prévision des risques industriels liés aux
situations géopolitiques. Mais qu’une compagnie pétrolière soit (indirectement)
consultée par la CIA dans un rapport qui parle notamment des pays arabes (dont
certains sont producteurs de pétrole, pour rappel), cela peut paraître
troublant. Le document fut porté à la connaissance du public français en 2005
par le journaliste Alexandre Adler, dans son livre « Le rapport de la CIA
: Comment
sera le monde en 2020 ? ».
Ce qu’il y a d’original dans « un nouveau
califat », c’est la forme que prend ce chapitre : celle d’une lettre qu’un
(imaginaire) petit fils de Ben Laden adresse à l’un des membres de sa famille.
Notez que dans ce scénario Oussama Ben Laden est décédé (on ne sait comment),
alors qu’il n’aurait eu que 63 ans en 2020 (on peut penser que la CIA comptait lui
avoir fait la peau d’ici là).
Le scénario reste volontairement flou sur le
personnage qui s’auto-proclame nouveau calife : on ne sait pas d’où il vient,
ni qui il est exactement. On sait simplement qu’il s’agit d’un jeune prêcheur,
de tradition sunnite, et non entaché d’actes terroristes comme Ben Laden (qui
lui aussi croyait à un nouveau califat nous explique-t-on). Notre jeune
prêcheur est tellement charismatique que le nombre de ses disciples croît de
manière exponentielle. Sa « révélation » comme successeur de Mahomet
est ainsi admise par un nombre phénoménal de musulmans de tous les pays – comme
s’il s’agissait du 6e calife bien guidé- , y compris ceux des pays occidentaux
: « En Europe et en Amérique les
musulmans non pratiquants ont pris conscience de leur véritable identité et de
leur foi et, dans certains cas, ils ont quitté leurs parents occidentalisés,
les laissant tout décontenancés, pour regagner leur terre natale. ».
Dans ce scénario, le calife est donc un puissant guide
spirituel, mais son califat est encore virtuel car il ne repose pas
encore sur un territoire concret : « Quand
le califat fut proclamé, l’espérance était que certains régimes soient aussitôt
renversés. Mais cela ne s’est pas encore produit. Au lieu de quoi, il existe
encore des poches où se nichent des disciples qui accomplissent un travail de
sape dans bien des États, sans réussir encore à renverser ces régimes.».. S’il
y a des califes bien guidés, il y aurait donc aussi des islamistes bien
téléguidés. Depuis ce mois de juin 2014, le Califat dispose d'un territoire vaste et riche en hydrocarbures.
Dès 2004, lors de l’élaboration de ce scénario du
« nouveau califat », la CIA soulignait justement l’importance
stratégique d’Internet : « Ah, Internet
– tout à la fois le salut et un piège tendu par le diable. C’est cet outil qui
amène le calife si près du pouvoir total, en diffusant largement son appel.
Mais c’est aussi une arme brandie par nos ennemis. Il est de plus en plus de
fidèles qui observent la manière de vivre des autres, en Occident, et ils
veulent les même choses, sans saisir tout le vice qui va de pair ».
Une arme à double tranchant, que les Américains
semblent bien avoir utilisée pendant le printemps arabe.
Dans ce rapport, la CIA imagine une résurgence des troubles entre sunnites et chiites,
en Irak particulièrement. Des troubles alimentés aussi bien par les Iraniens
que… par les Américains. La CIA ne manque en effet pas d’humour lorsqu’elle
fait dire au petit-fils de Ben Laden : « Et là-dessus nous avons suspecté l’Irak, dominé par les chiites, et,
derrière l’Irak, les États-Unis et la CIA, d’alimenter le tumulte. Mais si les
Américains infidèles étaient derrière tout cela – et je crois que c’était le
cas -, ils en ont aussi subi les conséquences. (…). Les insurgés se sont
proclamés comme appartenant au véritable califat, et ils ont repris la lutte, à
la fois contre les chiites et contre les garnisons américaines ». Au
passage, notez que la CIA envisage une présence américaine en Irak jusqu’en
2020 (au moins).
Les Américains ont aussi envisagé que des troubles
auraient lieu dans la péninsule arabique,
une situation proche de ce qui s’est passé pendant le printemps arabe à Bahreïn
: « Avec son importante population chiite,
la province saoudienne de l’Est, où sont situés les champs pétrolifères, était
particulièrement vulnérable. Les chefs d’État du Golfe ont aussi joué leur rôle. ».
La problématique pétrolière est développée dans le
scénario. La CIA fait en effet dire au petit-fils de Ben Laden : « (…) des rumeurs circulaient sur les projets
des États-Unis et de l’OTAN pour s’emparer des champs pétrolifères, afin de se
prémunir contre toute prise du pouvoir par le califat. Par la suite, nous avons
appris que les États-Unis n’étaient pas parvenus à convaincre leurs alliés de
se joindre à eux dans une intervention militaire, et Washington craignait de
provoquer une réaction brutale du monde musulman».
Que les Américains se rassurent : en Irak et en Libye,
ils ont été suivis. Les Britanniques, ayant retenu la leçon irakienne, ont
refusé de les suivre en Syrie : ce qui a refroidi leurs ardeurs
belliqueuses, malgré les va-t-en-guerre sionistes français.
Une chose est sûre : les Américains ont imaginé la
possibilité d’un printemps arabe, dans des proportions qui rejoignent les rêves
les plus fous des islamistes : l’émergence d’un nouveau califat, qui
transcenderait toutes les nations musulmanes !
Hannibal Genseric