Alors qu’une
vague de réfugiés déferle en direction nord-ouest, du Moyen-Orient vers
l’Europe, il n’est pas tellement surprenant d’entendre qu’une majorité
d’Irakiens ou de Syriens semblent croire que leur pays va dans la mauvaise
direction.
Cette
information provient d’un sondage d’opinion commandé par la BBC auprès d’ORB
International, qui organise des enquêtes d’opinion en Irak et en Syrie.
66% des sondés
irakiens et 57% des sondés syriens pensent que leur pays va dans la mauvaise direction. Mais la lecture inverse
de ces résultats est, par contre, plus choquante car elle indique qu’un quart
des sondés irakiens et un tiers des syriens pensent que leur pays est sur la
bonne voie.
Il est assez
fascinant de constater qu’une telle enquête d’opinion a été possible vu le
niveau permanent de violence et de chaos auquel sont soumis l’Irak et la Syrie.
Johnny Heald
d’ORB International nous dit que son entreprise organise des sondages en Irak
chaque année depuis 2005 même si, comme il l’admet lui-même, la sécurité reste
un problème dans quelques gouvernorats.
Le sondage
en Irak n’est pas totalement représentatif, remarque-t-il, étant donné qu’il
est restreint à 10 des 18 gouvernorats car aucun sondage n’est effectué dans
les trois gouvernorats kurdes ni dans quelques petits gouvernorats chiites.
Mais,
argumente-t-il, la distribution géographique des sondés en Syrie donne une
certaine crédibilité aux sondages syrien.
«La validité
d’un sondage ne vaut que par l’échantillon sur lequel il est fait, me
dit-il, les données syriennes couvrent l’opinion des 14 gouvernorats
qui forment toute la Syrie.»
«L’échantillon
des sondés comprend donc les gens vivant sous le contrôle du régime en place,
sous le contrôle d’État islamique, sous celui du groupe al-Nusra affilié à
al-Qaida et même sous contrôle du YPG (les combattants kurdes).»
Plus de 14
chefs d’équipe et 40 enquêteurs ont voyagé à travers le pays pour collecter les
données.
Trop dangereux pour sonder?
Mais comment
faites-vous pour conduire un sondage dans la zone sous contrôle d’État
islamique?
«Dans la
région de Raqqa, sous contrôle d’EI, avant chaque visite nous rencontrons
d’abord le chef de la ville et lui demandons la permission d’interviewer des
gens pris au hasard, nous explique Mr Heald.
Il nous
répond : tant que vous ne faites pas partie d’un média international et ne
filmez pas, cela m’est égal que vous fassiez cela.
Pourquoi
cette réaction? Parce que, comme le montrent les sondages, nombreux sont les
habitants de Raqqa qui se considèrent plus heureux depuis qu’État islamique a
pris le pouvoir.
Ils
apprécient la sécurité qu’ils ressentent et voient qu’EI essaie d’aider les
gens en leur fournissant électricité, nourriture et essence. C’est en tous cas
une histoire qu’ils sont enthousiastes de raconter.»
Ce résultat,
que l’on peut trouver assez surprenant, montre un aspect assez intéressant de
ce genre de sondage.
Comme le
remarque Mr Heald, ce sondage montre que «la majorité des sondés, dans
les deux pays, sont opposés à EI mais pensent aussi qu’EI est un phénomène
amené par des puissances étrangères»… Ce qui peut paraître, à vous
comme à moi, une sorte de conspirationnisme dingue mais qui est pour eux une
évidence.
«Le
fait qu’une large majorité soit contre les bombardements de la coalition
devrait pousser les politiques à remettre en question leur stratégie. Je crois
que la ligne officielle du gouvernement britannique est que les frappes
aériennes de la coalition dégradent EI. Mais même si l’on
peut reconnaître que ces frappes
les ralentissent, rajoute-t-il, peu de faits montrent qu’ils
soient en train de perdre la guerre. Les gens ne fuient pas Raqqa à cause d’EI, ils fuient à cause
des frappes de la coalition.»
Pour
les stratèges occidentaux, il y a de quoi être maussade face aux résultats de
ce sondage.
Plus d’un
quart des sondés de Syrie considèrent encore le président Bachar al-Assad comme
exerçant une influence positive sur le pays. Cependant, ce sondage d’ORB laisse
entrevoir quelques points qui permettent de rester optimiste.
«La majorité, à la fois en Irak et en Syrie, est opposée à la
dislocation de leur pays. Nous assure Mr Heald Cette
majorité pense que, malgré les différences idéologiques, ils sont plus fort
ensemble qu’en se battant l’un contre l’autre.
L’identification à une citoyenneté irakienne ou syrienne est préférée à une
identification sunnite ou chiite.»
Mais que
vaut vraiment un tel sondage d’opinion? Mr Heald est un sondeur qui ne va
sûrement pas dévaluer son propre business.
Mais il
marque un point en faisant remarquer que «les stratèges doivent
comprendre l’opinion publique de ces pays. État islamique a une stratégie de
communication extrêmement bien ficelée. Nos politiques et dirigeants militaires
doivent donc suivre l’opinion publique pour comprendre les cœurs et les esprits
ainsi que leurs évolutions.» Il y a quand même des actions
significatives exercées sur ces pays, qu’elles soient sous forme d’aide, de
communication, ou militaires. Il n’y a que grâce aux sondages d’opinion que
l’on pourra mesurer leur efficacité et déterminer lesquelles peuvent arriver à
faire changer les comportements.»
Quelques
résultats bruts de ce sondage :
En Irak
Sur 1 234 sondés
66% pensent que leur pays va dans la mauvaise
direction
90% pensent qu’une solution diplomatique peut résoudre
les différents dans le pays
84% pensent qu’EI a une influence extrêmement négative
56% sont opposés à des frappes de la coalition.
En Syrie.
Sur 1365 sondés
57% pensent que leur pays va dans la mauvaise
direction
50% sont opposés à des frappes de la coalition.
48% pensent qu’EI a une influence extrêmement négative
21% préfèrent la vie actuelle à celle d’avant la
guerre
Les
résultats complets de ce sondage :
Par Jonathan
Marcus – Le 9 septembre 2015 – Source BBC