Les
récents échanges entre le ministre russe des Affaires étrangères,
Lavrov, et le secrétaire d’État, Kerry, ont fait avancer les choses. Les
Etats-Unis ne voulaient pas,
jusqu’à présent, accepter un véritable cessez-le-feu en Syrie. Ils
préféraient l’accord moins contraignant de « cessation des hostilités ».
Cela a changé. Les Etats-Unis ont, pour la première fois, accepté
d’aller vers un cessez-le-feu complet entre leurs forces par
procuration en Syrie et le gouvernement syrien et ses alliés.
Mardi
après l’entretien, Kerry a déclaré à la presse :
Nous pensons qu’aujourd’hui nous avons fait des progrès significatifs, et je vais vous dire précisément en quoi :
Tout
d’abord, nous nous sommes engagés à transformer la cessation des
hostilités en un cessez-le-feu global. Et nous nous sommes engagés à
utiliser notre influence pour que les camps impliqués dans la cessation
des hostilités, s’y conforment.
Deuxièmement, nous avons
convenu que si un camp montrait des signes persistants de refus de s’y
plier, les forces d’intervention pourraient en référer aux ministres du
Groupe de soutien international à la Syrie (ISSG), ou aux personnes
désignées par ces ministres, pour prendre les mesures nécessaires qui
pourraient aller jusqu’à l’exclusion de ces groupes des accords de
cessation des hostilités. En langage clair, cela signifie que s’ils
persévèrent dans leur double-jeu en continuant de vouloir faire partie
du groupe qui a accepté la cessation des hostilités sans la respecter,
ils pourraient en être exclus immédiatement.
Ces derniers mots
sont principalement dirigées contre Ahrar al Sham qui n’a jamais signé
l’accord de cessation, mais a prétendu en faire partie, tout en
continuant ses attaques contre les forces du gouvernement syrien et les
civils syriens. Kerry s’est rallié au point de vue russe qui considère
qu’Ahrar se conduit comme un groupe terroriste et qu’il doit être
éradiqué.
Quatrièmement, nous appelons tous les partis à cesser
les hostilités et à se dissocier physiquement et politiquement de Daesh
et d’al-Nusrah et d’appuyer les efforts renouvelés des États-Unis et de
la Russie pour développer une compréhension commune de la menace posée
et de la surface du territoire contrôlé par Daesh et al-Nusrah, et pour
mettre au point des méthodes permettant d’en finir avec les groupes
terroristes.
Kerry s’était déjà rallié à cette position sur
al-Qaïda et l’État islamique dans des négociations antérieures, mais,
par la suite, il était revenu en arrière sous prétexte que
« s’interposer » entre al-Qaïda et les « rebelles modérés » rendait la
lutte contre Al-Qaïda presque impossible. Il a renoncé à cet argument douteux.
Les Etats-Unis sont maintenant d’accord pour que la Russie et le
gouvernement syrien combattent al-Qaïda et pour considérer que, si
d’autres groupes se trouvent assez près pour recevoir des coups, ils ne
pourront s’en prendre qu’a eux-mêmes.
Soit dit en passant, le rapport du New York Times
sur les négociations et sur la conférence de presse, par le
manipulateur en chef David Sanger est à miiille lieues de ce qui a été
vraiment dit.
La « cessation de la violence » est assez bien
respectée depuis fin février. Le sud est globalement calme et, ailleurs,
il n’y a que quelques points chauds où il y a encore des combats
sporadiques. Plus de 100 villages et leurs forces locales ont signé des
accords de cessez-le-feu avec le gouvernement, grâce à la médiation
russe.
Il y a aussi, depuis peu, un niveau plus profond de
coopération russo-américaine sur la Syrie et sur la lutte contre
Al-Qaïda et l’État islamique. Ils se sont mis d’accord sur un plan
d’action commune pour attaquer et éliminer les deux groupes. Dans le
cadre de ce plan, les forces irakiennes sous contrôle américain ont attaqué et occupé
Rutba dans l’ouest de l’Irak. Rutba, qui fait partie de la province
d’Anbar, contrôle une grande partie de la terre et du désert du triangle
formé par les frontières irakienne, jordanienne et syrienne.
Ce
mouvement des troupes irakiennes coupe la route du sud qui reliait
l’Etat islamique en Irak et en Syrie. La partie syro/russe de ce
mouvement sera la libération de Deir Ezzor, au sud-est de la Syrie dans
les prochains mois. L’attaque de Raqqa occupé par l’État islamique
viendra plus tard, quand une grande concentration de forces deviendra
possible.
Il y a quelques autres poudrières en Syrie. Dans l’est
du Ghouta, à l’est de Damas, les Salafistes de Jaish al-Islam parrainés
par l’Arabie saoudite se battent contre des groupes autrefois
approvisionnés par la CIA et maintenant associés à Al-Qaïda/Jabhat al
Nosra pour le contrôle de la zone. Ces combats font déjà partie de la
séparation d’avec Nosra que les États-Unis ont acceptée. Mais le combat
est sanglant avec au moins 500 morts des deux côtés au cours des
dernières semaines. L’armée syrienne, qui est le troisième acteur de la
lutte, tire son épingle du jeu et a pris aujourd’hui une partie importante du sud de la poche de Ghouta à l’est.
La
partie rebelle de la ville d’Alep, contrôlée par Al-Qaïda, est
maintenant coupée de sa seule source d’approvisionnement. Des roquettes
artisanales tirées par les rebelles frappent quotidiennement les civils
des quartiers très peuplés tenus par le gouvernement. Éliminer al-Qaïda,
maintenant assiégé dans l’est d’Alep, va nécessiter des combats très
meurtriers et très destructeurs qui pourraient prendre des mois.
Au
nord, des « rebelles modérés » soutenus par les Turcs essaient toujours
d’avancer vers l’est le long de la frontière turco-syrienne pour couper
l’accès de l’État islamique à cet endroit. Mais chaque fois qu’ils
annoncent avoir repris tel ou tel endroit à l’EI, une contre-attaque
suit, et l’EI reprend ses positions. Cette lutte entre des forces
hostiles tourne aussi à l’avantage du gouvernement syrien.
Autour
de Palmyre, l’État islamique a fait quelques attaques surprises sur le
champ pétrolier de Shear et l’aéroport militaire de T-4 sur la route de
Palmyre, vers l’ouest. L’EI a occasionné, selon des sources non
officielles, des dommages importants au matériel syrien russe sur la
base aérienne, mais aucune information sur l’incident n’a été diffusée.
Les progrès que l’État islamique avait faits dans la région ont
maintenant tous été renversés, grâce à une importante aide russe. On
s’attend à une nouvelle avancée depuis Palmyre vers l’est de Deir Ezzor
après une phase de consolidation.
Le Hezbollah a retiré toutes ses troupes de la région d’Alep, où elles ont été remplacées par les forces iraniennes. Il ne veut pas engager
des forces supplémentaires juste pour déplacer des lignes de
cessez-le-feu de quelques km en arrière ou en avant. Il poursuit son
engagement autour de Damas et dans la région frontalière du Liban avec,
comme cibles principales, l’EI et al-Qaïda.
La Russie, l’Iran, le
Hezbollah et le gouvernement syrien sont tous conscients que les
États-Unis font une interprétation « élastique » des accords, et ont
tendance à tricher chaque fois qu’ils croient que c ‘est leur intérêt.
Ils sont tout à fait prêts à répondre, par une nouvelle escalade, à tout
écart des derniers accords par les forces américaines par procuration,
ou à tout autre changement important de la situation sur le champ de
bataille.
Moon of Alabama
Traduction : Dominique Muselet