Coïncidence
(ou pas) du calendrier, deux importants voisins de la Syrie sont à
Moscou pour rendre visite au boss du conflit. Commençons par Netanyahou,
arrivé hier. Bibi l'a mauvaise en ce moment, voyant l'Iran reprendre
plus que jamais pied en Syrie et l'arc chiite se reconstituer.
Ses déclarations délicieusement biaisées en témoignent :
Ces
dernière années, nous avons vu de grands progrès dans la lutte contre
l'islamisme sunnite radical porté par l'Etat Islamique et Al Qaeda.
Jusqu'ici, tout va bien...
Mais il y a la menace de l'islamisme chiite radical, pas seulement pour notre région mais pour le monde entier.
Pardon
? On ne sache pas que le Hezbollah ou l'Iran aient mis le monde à feu
et à sang, faisant sauter des bombes ou égorgeant de Paris à Dhaka, de
San Bernardino à Kaboul... Pauvre Bibi, tout tourneboulé par l'évolution
du conflit syrien. Ne s'arrêtant pas en si bon chemin, il a été pris
d'une inspiration historico-eschatologique à laquelle Poutine a mis fin
en le remettant gentiment à sa place :
Vladimir
Poutine a invité jeudi Benjamin Netanyahu à tourner la page quand le
Premier ministre israélien a évoqué la volonté ancestrale des Perses et
de leurs "héritiers" iraniens de "détruire le peuple juif", le président
russe estimant qu'il s'agissait là d'histoire ancienne.
Reçu
au Kremlin, le Premier ministre israélien a violemment critiqué l'Iran,
allié de la Russie au Proche-Orient. "Il y a 2.500 ans, il y a eu une
tentative en Perse de détruire le peuple juif. Cette tentative a échoué
et c'est ce que nous célébrons à travers la fête" de Pourim qui aura
lieu dimanche et lundi en Israël, a déclaré M. Netanyahu au chef de
l'Etat russe. La fête de Pourim célèbre, selon la tradition juive, la
victoire des juifs contre un vizir de l'empire perse, Haman, au Ve
siècle avant J-C.
"Voilà qu'aujourd'hui
l'Iran, héritier de la Perse, poursuit cette tentative de détruire
l'Etat juif. Ils le disent de la façon la plus claire, ils l'écrivent
sur leurs missiles balistiques", a-t-il affirmé.
"Oui,
enfin, c'était au Ve siècle avant notre ère", a répondu, ironique, le
président russe. "Aujourd'hui, nous vivons dans un monde différent.
Alors parlons-en", a-t-il ajouté.
L'Iran
est considéré comme l'ennemi numéro Un par l'Etat hébreu (...) Benjamin
Netanyahu dénonce régulièrement le soutien militaire de l'Iran au
régime de Bachar el-Assad dans son conflit face à la rébellion syrienne.
Dimanche, Netanyahu avait déclaré qu'il allait tenter de convaincre
Vladimir Poutine d'empêcher une présence militaire iranienne permanente
en Syrie.
Plus
encore que Bibi la terreur, le sultan est consterné par l'évolution
récente du conflit. Ses rêves néo-ottomans de percée vers le centre de
la Syrie et de recomposition du pays sont morts et enterrés.
Qui plus est, ses manigances dans le nord syrien ont eu l'incroyable
résultat de rapprocher Russes et Américains sur le terrain, même si la
nouvelle direction prise par Trump y est aussi pour beaucoup. Nous
étions les premiers à en parler (nous en avions même esquissé la possibilité dès novembre), l'info commence maintenant à être reprise par certains observateurs.
La rencontre militaire tripartite
turco-américano-russe d'il y a quelques jours, à la demande de la
partie turque affolée des intentions de Moscou et Washington, n'a
semble-t-il rien donné. L'accord entre Kurdes (donc les Américains
derrière) et Syriens (donc les Russes) pour Manbij commence à se mettre en place.
Des forces spéciales russes accompagnent les militaires syriens pour
bien montrer à Erdogan que la partie est finie. Aiguille dans le coeur
ottoman, Syriens, Kurdes et Russes se retrouvent
dans la bonne humeur, entamant des danses endiablées pendant que les
Turcs et leurs affidés rongent le canon de leur fusil à quelques
kilomètres :
Ne manquaient que les Américains... C'en est trop pour le sultan, en plein casse-tête. Des combats ont lieu en certains points, les sbires turquisés bombardant les nouveaux arrivants, se prenant une volée de bois vert par les YPG en retour. Certains rapports
non confirmés font état de la mort de 8 soldats syriens. Si c'est le
cas, il va vite falloir qu'Ankara mette le holà sous peine de provoquer
la colère du Kremlin.
Ca tombe bien, Erdogan vient d'arriver à Moscou. Des premiers éléments qui ressortent, le sultan est tout miel avec le tsar : la
coopération militaire avec la Russie est fondamentale... les
entreprises russes ne devraient pas être sanctionnées par l'Occident...
notre coopération énergétique est indépassable... des discussions de
paix entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie devraient avoir lieu sous
médiation russe...
S'il espère, en contrepartie, en retirer
un feu vert pour marcher sur Manbij et/ou Raqqa, il en sera pour ses
frais. La route est complètement bouchée et la présence de soldats russes et américains est un message clair visant à refroidir ses ardeurs. Comment dit-on game over en turc ?
Un peu plus au sud, l'armée syrienne continue son inexorable avance
contre Daech, profitant de l'épuisement des petits hommes en noir après
des mois de rudes combats à Al Bab contre des Turcs tout aussi épuisés.
Faire faire le sale boulot par un tiers pour venir tirer les marrons du
feu à la fin de la pièce, ça aussi c'était prévu...
Il
y a trois jours, les troupes loyalistes ont atteint le lac Assad pour
la première fois depuis... 2012 ! Hier, c'est la base aérienne de Jirah
qui est tombée, le tout sous le déluge
de l'aviation syro-russe. Le territoire repris sans coup férir en dix
jours (rectangle rouge) est considérable, au prix de pertes minimes :
Si
l'on dézoome, on voit trois saillants prêts à se lancer au coeur du
fief califal pour faire la jonction avec les Kurdes venant du nord et
éventuellement les milices chiites irakiennes en provenance de l'est où
le territoire de Daech se réduit comme peau de chagrin. La grande bataille contre l'EI est-elle sur le point d'être lancée ? A moins que...
Reste l'Idlibistan qui, sans surprise,
s'enfonce dans le chaos inter-"modérés". Un jour après un éphémère
accord passé entre Ahrar al-Cham et Tahrir al-Cham, la nouvelle
fédération d'Al Qaeda, de violents combats
ont déjà lieu. Damas et Moscou attendront-ils que le fruit soit pourri
pour le cueillir ? Peut-être pas si l'on en juge par la nouvelle de l'envoi de combattants qaédistes près d'Alep en prévision d'une offensive des loyalistes.
L'armée
syrienne est trop affaiblie par six années de guerre pour pouvoir mener
de front et pleinement ces deux campagnes. Est ou ouest, désert ou
Syrie utile ? Les prochains jours nous le diront.
10 Mars 2017
,
Rédigé par Observatus geopoliticus