La Syrie et la Libye ne sont que deux exemples de la
manière dont le dirigeant russe a encerclé l’Occident.
Lorsque la
Russie est entrée dans la guerre civile en Syrie en septembre 2015, le
secrétaire d’État américain à la Défense, Ash Carter, a prédit une catastrophe
pour le Kremlin. Vladimir Poutine « jetait de l’huile sur le feu » du
conflit, a-t-il dit, et sa stratégie de combattre ISIS tout en soutenant le
régime d’Assad était « vouée à l’échec ». Deux ans plus tard, Poutine
est sorti triomphant et l’avenir de Bachar al-Assad est assuré. Ils vont
bientôt déclarer leur victoire sur ISIS dans le pays.
Ce lamentable
échec est dû a notre cynique effort pour installer un régime sunnite
à Damas en adoptant la stratégie des années 1980 en Afghanistan. Nous
formerions, financerions et armerions des djihadistes, étrangers et du pays, en
partenariat avec les despotes arabes du golfe Persique. De cette manière, nous
priverions la Russie de son unique base navale en eaux chaudes, Tartous, sur la
côte méditerranéenne de la Syrie. Dans le processus nous créerions un tampon
entre l’Iran et son mandataire basé au Liban, le Hezbollah, pour diviser l’axe
chiite anti-Israël. Et nous marginaliserions encore plus le Liban en étendant
l’influence de nos alliés sunnites du Golfe plus profondément dans le Levant à
partir du Liban. Un
demi-million de Syriens ont été massacrés, conséquence de ce schéma saugrenu,
qui, géopolitiquement, a abouti à l’exact opposé du résultat attendu.
Poutine,
cependant, avait capté la réalité dès le début. Contrairement aux Afghans, les
Syriens ordinaires étaient habitués à vivre dans une culture libérale et
diverse qui, tout en étant politiquement répressive, défendait la coexistence
religieuse pacifique. La plupart d’entre eux étaient nerveux de voir leur pays
transformé en une théocratie wahhabite. Assad, malgré toutes ses erreurs, était
le tampon entre ces derniers et le carnage fratricide. Ils sont restés avec « le
diable » qu’ils connaissaient et il n’y a pas eu de révolution populaire
contre Assad – rien de comparable au soulèvement de Tahrir qui a chassé le
dictateur égyptien haï Hosni Moubarak. Les manifestations de millions de
personnes à Damas étaient en faveur du régime. Pour les deux tiers de la
population syrienne qui vit maintenant dans les zones du pays contrôlées par le
gouvernement, Assad est
plus populaire que jamais et Poutine est un héros.
Rien d’étonnant
si Poutine s’est dernièrement moqué de Washington pour « ne pas
connaître la différence entre l’Autriche et l’Australie ». La même
accusation pourrait, hélas, être formulée contre les dirigeants de l’OTAN en
général. Lors d’une réunion à l’ONU le mois dernier, le groupe au nom orwellien
des « Amis de la Syrie » – l’alliance
occidentale et des pays du Golfe qui a déchaîné le djihad – a
déclaré qu’il ne s’engagerait pas dans les efforts de reconstruction jusqu’à ce
que (selon les mots de Boris Johnson), il y ait une « mise à
l’écart » politique d’Assad. Mais quelques semaines plus tôt, une
importante conférence internationale sur la reconstruction avait eu lieu à
Damas. Pendant celle-ci, Assad
avait exclu l’attribution des contrats de plusieurs milliards de dollars aux
pays occidentaux et arabes hostiles au motif qu’ils avaient détruit son pays.
La Syrie chercherait plutôt à l’Est, et en particulier en Russie, en Iran et en
Chine. Moscou s’occupe déjà d’expédier par bateau des milliers de tonnes de
matériel et plus de 40 pièces de machines de construction – y compris des
bulldozers et des grues – en Syrie, qui ne veut pas ou n’a pas besoin de notre
aide.
L’incapacité
à reconnaître et encore moins à affronter le rôle régional croissant de la
Russie derrière la Syrie a été mise en lumière de la même manière pendant un
voyage tourbillon que Johnson a fait en Libye en août. Il y a eu une brève
rencontre avec l’homme fort laïque Khalifa Haftar, un ancien général de
l’armée de Kadhafi, dont les forces dominent actuellement l’est de la Libye – y
compris Benghazi et la plus grande partie des champs pétrolifères importants du
pays. Ce dernier est déterminé à s’emparer de Tripoli et il le fera
probablement. Haftar a des
liens avec Moscou qui remontent au début des années 1970 et il est dans la
poche de Poutine depuis au moins deux ans, rencontrant régulièrement des
responsables russes comme sur un porte-avion au large de la côte
méditerranéenne. Une semaine avant de serrer la main de Johnson, Haftar s’est
rendu à Moscou pour avoir des discussions poussées avec des responsables
important des ministères de la Défense et des Affaires étrangères. Elles ont
cimenté des plans pour faire passer la Libye divisée à un État sous le contrôle
de Haftar en tant que ministre de la Défense tout puissant, avec l’aide directe
de l’armée russe. Le
Kremlin a déjà déployé des troupes et des avions de chasse en Égypte
occidentale pour rejoindre ce pays et les Émirats arabes unis, qui soutiennent
aussi Haftar dans son combat unificateur contre les islamistes. Comme en Syrie,
pendant des décennies avant la chute de Kadhafi, la Russie était le plus grand
fournisseur d’armes de la Libye et son allié international le plus étroit, et
Moscou a longtemps visé une base navale sur la côte libyenne pour compléter la
sienne (aujourd’hui renforcée) à Tartous. Compte tenu de tout cela, quand
Johnson a suggéré que Haftar pourrait avoir « un rôle à jouer » dans
toute réconciliation politique future, tout en insistant pour qu’il respecte un
cessez-le-feu négocié à l’échelle internationale, celui-ci a dû avoir de la
peine à se retenir de rire.
La Syrie et
la Libye, cependant, ne sont que deux exemples montrant comment la Russie
encercle l’Occident dans sa détermination à parvenir à un statut de
superpuissance au Moyen-Orient. Poutine vient de conclure un accord avec la
Turquie – qui a la deuxième plus grande armée de l’OTAN – pour lui vendre son
système de défense aérienne le plus avancé, le S-400. (Les S-400 ont déjà été
déployés en Syrie, alors qu’on a donné à l’Iran le moins avancé mais redoutable
S-300). Peu après que la Russie est entrée en guerre en Syrie, la Turquie a
abattu un de ses avions. C était une tentative délibérée du président
Erdogan de provoquer une guerre plus large, et il a été furieux que Poutine,
par une campagne de bombardements impitoyable, ait mis fin à son soutien aux
fantassins d’ISIS en Syrie et à sa fourniture de pétrole du califat. (L’OTAN
avait ignoré toute cette duplicité dans l’espoir qu’ISIS affaiblirait Assad.).
Cela témoigne des capacités diplomatiques extraordinaires pour lesquelles la
Russie et la Turquie se congratulent réciproquement comme jamais auparavant. Et sous les auspices russes, la
Turquie travaille avec l’Iran et l’Irak pour contenir les retombées du
référendum sur l’indépendance kurde.
Lorsque le
roi Salmane est arrivé à Moscou cette semaine, c’était la première fois qu’un
dirigeant saoudien faisait une visite officielle en Russie – mais seulement la
dernière de plus de deux douzaines de rencontres en tête à tête de Poutine avec
des dirigeants moyen-orientaux. La Russie, bien sûr, n’est pas l’Union
soviétique, et il est facile de comprendre pourquoi les Saoudiens et les autres
tyrannies du Golfe croient qu’elles peuvent faire affaire avec un dirigeant
autoritaire comme Poutine. Il partage leur mépris pour la démocratie
occidentale ; et, contrairement à ce qui arrive à celui qui habite la
Maison Blanche, c’est
un homme de parole, il promeut la stabilité et non le chaos, et il
n’a pas d’agenda compliqué pour les droits de l’homme.
Au programme
saoudien à Moscou : la montée de l’Iran en tant qu’acteur régional
dominant, les zones de désescalade en Syrie et les milliards de dollars de
ventes d’armes russes et d’investissement économique mutuel direct. Riyad est
encore outragée que l’administration Obama ait accepté un accord nucléaire avec
l’Iran, le rival des Saoudiens pour l’hégémonie régionale, et elle boude à
cause de la débâcle en Syrie. Ils n’ont que la Russie pour la transformer en un
effort pour limiter l’influence de Téhéran en Syrie. Pour la même raison, le
Premier ministre israélien Netanyahou a rencontré Poutine. Pendant l’une de ces
rencontres, il était
presque en pleurs lorsqu’il a prié, comme les Saoudiens, de freiner
l’Iran et le Hezbollah, qui cherchent la destruction de l’État juif.
Dans un
effort désespéré d’arrêter la prise de pouvoir de Poutine en cours,
l’administration Trump dénoncera presque certainement l’accord nucléaire avec
l’Iran le 15 octobre, bien que l’Agence internationale de l’énergie atomique,
l’UE et l’ONU soient persuadés que Téhéran en respecte les termes. Le but est
de provoquer une confrontation militaire avec l’Iran, ou au moins de créer
davantage de turbulences régionales pour affaiblir le Kremlin. Ce geste
imprudent et injustifié lui mettra un bâton dans les roues, mais à long terme –
comme l’intervention en Afghanistan, en Irak, en Libye et en Syrie – il est
voué à l’échec.
Poutine a
une longueur d’avance, après avoir réussi l’exploit diplomatique apparemment
impossible de combattre avec le Hezbollah en Syrie tout en permettant à Israël
de bombarder le Hezbollah et des cibles du régime syrien à l’intérieur du pays.
La semaine dernière, une délégation de l’organisation terroriste palestinienne
Hamas s’est rendue à Moscou pour discuter du processus de paix après sa
réconciliation avec son principal rival le Fatah, à la suite d’une autre
intervention directe de Poutine. Et on a dit à Netanyahou, bien que la Russie considère Israël comme un
partenaire important, que l’Iran restera, quoi qu’il en soit, son allié
indispensable. Poutine pourrait donc déjà avoir le levier diplomatique
nécessaire pour faire baisser les tensions entre l’Iran et Israël, laissant une
fois de plus Washington à l’écart et humilié. Pendant un moment, les
conséquences des battements de tambour de Netanyahou appelant à la guerre
contre l’Iran ont été inexistantes, et Moscou pourrait désormais donner le feu vert à l’Iran, à
la Syrie et au Hezbollah pour déclencher les flammes de l’enfer contre l’État
juif.
Il est
facile de comprendre pourquoi Netanyahou tremble dans ses bottes, mais
devrions-nous nous alarmer, en Europe, du triomphe de Poutine au
Moyen-Orient ? Pas trop. Vous n’avez pas besoin d’être une groupie de
Poutine pour reconnaître que ce n’est pas lui qui a lancé une invasion illégale
après l’autre dans la région, laissant des millions de morts, de mutilés et de déplacés. Et
il a non seulement ralenti le flux de réfugiés syriens sur notre continent,
mais il a commencé à renverser la tendance. Un demi-million de Syriens sont
retournés dans leur pays rien que cette année.
Alors
qu’aucun camp n’a émergé les mains propres de l’une des guerres civiles les
plus brutales de l’histoire moderne, il est aussi très encourageant qu’il y ait eu si peu de défections dans
une armée majoritairement composée de musulmans sunnites (80% selon
certains décomptes). Ils se sont battus contre des myriades de groupes
djihadistes sunnites au nom d’un régime dominé par les alaouites, aux côtés de soldats russes
horrifiés (contrairement à nous) par le carnage déclenché contre leurs
coreligionnaires chrétiens et les milices chiites conservatrices envoyées par
l’Iran et le Hezbollah, également déterminées à protéger leur propre secte. Vu la manière dont la Tunisie et la Turquie –
deux pays musulmans historiquement laïques dans la région ont basculé
rapidement vers l’islamisme fascisant et totalitaire, et comment la lutte interne entre sunnites
et chiites continue à déchirer une grande partie du Moyen-Orient, la victoire
du pluralisme et de la laïcité sur les malfaisants islamisme et djihad
wahhabite en Syrie est finalement réconfortante.
Note du Saker Francophone
Cet article est celui d'un élément Système avec les narratives habituelles
sur les méchants Assad ou Poutine mais ce qui rend son article plutôt lucide
aussi intéressant.
Par John R. Bradley
– Le 7 octobre 2017 – Source The Spectator
Traduit par
Diane, vérifié par Wayan, relu par Cat pour le Saker
francophone
TITRE ORIGINAL :
Comment Poutine en est arrivé à dominer le Moyen-Orient
Nous avons changé le titre, car depuis l'intervention russe en Syrie, un "tube" fait des ravages dans les chaumières des pays arabes non golfiques, car dans les pays du Golfe, les meilleurs amis de l'Empire, cette chanson est strictement interdite. . Cette chanson est à la gloire de Poutine dénommé "LE PATRON". Hannibal GENSERIC