Le Président Xi est en visite en France.
Dans la course à l’échalote pour savoir quel pays européen tirera le
mieux son épingle du jeu chinois de dévoration programmée de l’Eurasie,
avec l’Europe en cible ultime, l’Italie nous a grillé la politesse. La
fracturation politique et de plus en plus idéologique de l’Union
européenne, sur laquelle appuient avec délectation Américains, Russes et
Chinois pour choisir les points d’ancrage les plus avantageux à leur
influence est désormais avérée même si Paris et Berlin font encore
entendre l’incantation inquiète d’un rassemblement salutaire face à
Pékin pour prévenir le dépeçage « par appartements ».
Cinq ans après le lancement du projet
OBOR (One Belt One Road) dit aussi BRI (Belt and Road Initiative) la
Chine a d’ores et déjà signé des accords de coopération avec plus de 100
pays et organisations internationales, ce qui équivaut à un volume
d’échanges qui dépasse 5000 milliards de dollars entre Pékin et les 65
pays du long de la Route. Fin avril, le président
chinois, Xi Jinping participera à la cérémonie d’ouverture du deuxième
Forum de « la Ceinture et la Route » pour la coopération internationale.
Les chefs d’État et de gouvernement du monde entier s’y presseront. Il
leur faut en être après avoir, pour certains, trop longtemps traité le
projet chinois avec incrédulité voire mépris, essayant de traquer ses
faiblesses, ses manquements, ses incertitudes. Il est vrai que l’on a
toujours en Europe, malgré les signaux d’alarme qui se multiplient, du
mal à se projeter à long terme dans une vision stratégique…
Le projet « OBOR » pharaonique dans ses
dimensions et innovant dans ses propositions faites aux pays qui longent
cette route-ceinture, est à la mesure de l’ambition chinoise de prendre
toute sa place sur la carte du nouveau monde. Il ne s’agit pas là d’une
projection de puissance agressive mais d’un maillage économique étroit
et à terme financier et normatif sans égal, qui vise non seulement
l’Europe via l’Eurasie, mais aussi l’Afrique et l’Asie elle-même. En
cela OBOR est d’ampleur stratégique et sert un imperium chinois
déroutant pour les esprits manichéens qui peuplent les administrations
occidentales et animent leurs élites. La France, qui favorise une
approche multilatérale de la gouvernance du monde, y est favorable et
souhaite y occuper une place privilégiée. L’appui au multilatéralisme ne
signifie évidemment pas l’absence de relations bilatérales renforcées
que nous appelons de nos vœux avec Pékin. Si l’Europe est pour l’heure
provisoirement affaiblie par divers défauts propres et facteurs
extérieurs, Pékin devrait toutefois chercher à nous aider en tant
ensemble plutôt que d’appuyer à court terme sur nos différends. Le
déficit européen commercial vis-à-vis de Pékin est colossal (plus de 160
milliards d’euros en 2016), ce qui refroidit nécessairement les ardeurs
de l’Union envers OBOR. Il est donc important, « en même temps »
que le renforcement de relations bilatérales, de promouvoir des
synergies collectives à l’échelle de l’UE. Le respect, la réciprocité le
dialogue équilibré sont des objectifs partagés par Paris et Pékin. De même,
pour cette dernière, s’attacher à comprendre et respecter les
aspirations européennes serait poser les premiers jalons d’une relation
qui pourrait se révéler fructueuse à l’avenir, notamment pour peser plus
face aux Etats-Unis qui jouent la division du Vieux Continent de
manière désormais ouverte, notamment via ses membres d’ex Europe de
l’est. Comme le rappelle Jean-François di Meglio, président d’Asia
Center, « le sens des Routes de la soie s’est inversé ». Il se fait
désormais à l’initiative de Pékin, et non plus à celle de l’Occident.
Depuis mars 2014, il existe un plan de
coopération à moyen et long terme des relations franco-chinoises et le 6
juillet 2015 a été adoptée une Déclaration conjointe sur les
partenariats franco-chinois en marchés tiers. Cette expression de
« coopération de marché tiers » signifie que « la France et la Chine
engageront des partenariats fondés sur leurs complémentarités
productives, techniques et/ou financières. » et promouvront des
partenariats industriels respectueux de l’environnement entre les
entreprises chinoises et françaises sur les marchés tiers. Les domaines
de coopération envisagés regroupent les infrastructures, l’énergie, les
aéronefs civils, les transports, les domaine agricole et sanitaire, la
lutte contre les changements climatiques. La France et la Chine
souhaitent explorer la possibilité de mettre prioritairement ces
coopérations en place dans les pays en développement, en matière
d’énergies renouvelables, mais aussi dans les secteurs de la finance et
de l’assurance. Les cibles géographiques de ces partenariats sont l’Asie
et l’Afrique.
Les puissances
européennes doivent rester vigilantes et bien mesurer le risque de
dépècement de notre ensemble continental et même de l’Eurasie entière
dans la « double mâchoire » sino-américaine que promet le nouveau
duopole stratégique de tête Washington-Pékin. On ne peut toutefois nier
la force d’attraction qu’OBOR représente pour les pays que traverse son
maillage. Ils sont nombreux à être toujours en phase de croissance et
verront ainsi se développer leurs infrastructures et leurs productions
propres, en même temps qu’ils constitueront d’importants débouchés pour
les productions chinoises.
Le projet chinois peut, plus globalement
encore, jouer un rôle éminent et souhaitable pour la croissance mondiale
: un rôle d’équilibre, un rôle de contrepoids face à la puissance
américaine. Un rôle essentiel. Il est clair que face aux Etats-Unis, qui
contrôlent Suez, Panama et Malacca, la Chine cherche avec ce
pharaonique projet de construction ferroviaire, à opposer une voie
stratégique alternative à cette domination maritime.
Politiquement, la Chine cherche à
promouvoir le multilatéralisme face à une Amérique qui le déchire
méthodiquement à belles dents depuis 30 ans. Elle diffuse des valeurs
attractives : l’appel à la « construction d’une communauté d’avenir
partagé pour l’humanité » la promotion de l’égalité, de l’avantage
mutuel, ainsi que la coopération gagnant-gagnant. Surtout, OBOR se
présente comme une route d’échanges entre les civilisations alors que
cela planète n’a jamais été aussi crispée.
Le marché chinois est évidemment crucial
pour un pays comme le notre mais il est vrai que la Chine doit donner
des gages concrets pour combattre le flot des critiques (qui ne sont pas
toutes infondées) sur ses pratiques déloyales. Sa récente loi sur les
investissements des capitaux étrangers doit permettre la protection des
droits de propriété intellectuelle, l’interdiction du recours à des
moyens administratifs pour forcer les firmes étrangères à transférer des
technologies, et la fin des interférences gouvernementales qui
alimentent la méfiance des investisseurs étrangers. Certains domaines
semblent toutefois encore exclus de son domaine d’application (mines,
agriculture et industrie manufacturière).
Depuis 1978, c’est plus qu’une révolution
qu’a réussi la Chine. C’est la marque d’un très grand pragmatisme,
d’une capacité hors du commun à gérer les masses et à anticiper les
évolutions du monde. La Chine est sortie de sa gangue puis de sa
chrysalide et c’est aujourd’hui un fascinant papillon qui déploie ses
ailes. L’enjeu pour elle désormais, est de parvenir à maintenir un
contrôle social suffisant et un esprit collectif fort, tout en
permettant un développement économique croissant pour sa population et
une libéralisation politique et sociale qui ne détruise pas pour autant
le cœur de la « sinitude » et la force collective chinoise.
Seules les relations équilibrées
permettent une coexistence harmonieuse. Les autres survivent un temps,
puis se tendent et se rompent généralement dans la violence et le
mépris. Je crois à des relations internationales pacifiées par le
pragmatisme, le dialogue et le souci de l’équilibre et de l’équité. De
ce point de vue, l’idée d’un mode de relation « gagnant-gagnant » (qui
ne signifie d’ailleurs pas 50/50) mais un équilibre où chacun considère
qu’il a gagné suffisamment et perdu ce qu’il pouvait perdre, est la voie
de l’amélioration des coopérations internationales. La moralisation et
l’idéologie ne produisent que des désastres humains et de l’insécurité
collective.
Tandis que le littéralisme et le
dogmatisme font tant de ravages dans la compréhension et la gestion de
la conflictualité mondiale, il est difficile de ne pas se réjouir d’une
ambition visant à développer, selon les propres mots du président
chinois, un « nouveau modèle de relations mettant en valeur, la
coopération plutôt que la confrontation, le respect plutôt que la
rivalité et le gagnant-gagnant plutôt que l’avidité ».
*Caroline Galactéros, Présidente de Geopragma
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