lundi 1 juillet 2019

L'Axe Russie-Chine drague d'l'Inde et soutient l'Iran


Aucune fuite de leur trilatéral au G20, mais la tendance à l’unité est claire.
La rencontre trilatérale la plus importante du G20 d’Osaka a été confinée dans un environnement déplorable, indigne du minimalisme esthétique sans égal du Japon.

Le Japon excelle dans la planification et l’exécution parfaites. Il est donc difficile de prendre cette configuration comme un malheureux « accident ». Au moins, le sommet Russie-Inde-Chine – non officiel – qui s’est tenu en marge du G20 a tranché le sort d’un décorateur d’intérieur qui mériterait de se faire hara-kiri.

Les dirigeants de ces trois pays se sont réunis dans un quasi secret.

Les très rares représentants des médias présents dans la salle délabrée ont rapidement été invités à partir. Les présidents Poutine, Xi et Modi étaient entourés d’équipes profilées qui trouvaient à peine assez de place pour s’asseoir. Il n’y a pas eu de fuites. Les cyniques préfèrent plaisanter en disant que la salle a sûrement été mise sur écoute. Après tout, Xi peut appeler Poutine et Modi à Pékin chaque fois qu’il veut discuter d’affaires sérieuses.
New Delhi raconte que Modi a pris l’initiative de les rencontrer à Osaka. Ce n’est pas exactement le cas. Osaka est l’aboutissement d’un long processus mené par Xi et Poutine pour séduire Modi dans une sérieuse feuille de route triangulaire d’intégration eurasienne, consolidée lors de leur précédente réunion le mois dernier au sommet de l’Organisation de Coopération de Shanghai (SCO) à Bichkek.
Le RIC (Russie-Inde-Chine) est de nouveau pleinement opérationnel ; la prochaine réunion est prévue pour le Forum Économique Oriental à Vladivostok en septembre.
Dans leurs remarques introductives, Poutine, Xi et Modi ont clairement indiqué que le RIC a pour but de configurer, selon les termes de Poutine, une « architecture de sécurité indivisible » pour l’Eurasie.
Modi – dans la lignée de Macron – a souligné l’effort multilatéral de lutte contre le changement climatique et s’est plaint que l’économie mondiale est gouvernée par un diktat « unilatéral », soulignant la nécessité d’une réforme de l’Organisation Mondiale du Commerce.
Poutine a pris une longueur d’avance en insistant sur le fait que :
« Nos pays sont favorables à la préservation du système de relations internationales, dont le cœur est la Charte des Nations Unies et l’État de droit. Nous défendons des principes aussi importants des relations interétatiques que le respect de la souveraineté et la non-ingérence dans les affaires intérieures« .
Poutine a clairement souligné l’interconnexion géopolitique de l’ONU, du BRICS, de l’OCS et du G20, ainsi que le « renforcement de l’autorité de l’OMC » et du Fonds Monétaire International en tant que « modèle d’un monde moderne et juste multipolaire qui réfute les sanctions comme actions légitimes« .
Le contraste entre la Russie, l’Inde et la Chine et l’administration Trump ne pourrait être plus frappant.

Ces « atouts énormes » 
Le BRICS, tel qu’il est, est mort. Il y a eu une réunion « officielle » pro-forma BRICS avant le RIC. Mais ce n’est un secret pour personne, Poutine et Xi se méfient complètement du Brésilien Jair Bolsonaro, considéré comme un agent néocolonial de Trump.
Avant son accord bilatéral avec Trump, Bolsonaro a vendu les richesses minières du Brésil, affirmant que le pays pouvait désormais exporter des « babioles de niobium ».
Eh bien, c’est certainement moins controversé que le sherpa militaire brésilien arrêté en Espagne pour avoir transporté des quantités industrielles de cocaïne (36 kg) dans l’avion présidentiel, ruinant définitivement la fête après le travail à Osaka.
Plus tard, Trump a fait l’éloge des « énormes atouts » du Brésil, en cours de privatisation totale au profit des entreprises américaines.
Xi, s’adressant à la réunion du BRICS, a dénoncé le protectionnisme et appelé à un renforcement de l’OMC. Les pays du BRICS, a-t-il dit, devraient « accroître notre résilience et notre capacité à faire face aux risques externes« .
En plus de dénoncer des tendances « protectionnistes » dans le commerce mondial, Poutine a appelé à un commerce bilatéral dans les monnaies nationales en contournant le dollar américain – reflétant un engagement du partenariat stratégique Russie-Chine.
Russie-Chine, par l’intermédiaire du Ministre des Finances Anton Siluanov et le chef de la People’s Bank of China, Yi Gang, ont signé un accord pour passer au rouble et au yuan dans les échanges bilatéraux, à commencer par l’énergie et l’agriculture, et augmenter de 50% les règlements en devises étrangères dans les prochaines années.
Des efforts concertés seront déployés pour contourner de plus en plus le système SWIFT, en utilisant le Système Russe de Transfert de Messages Financiers (SPFS) et le Système Chinois de Paiements Interbancaires Transfrontières (CIPS).
Tôt ou tard, la Russie et la Chine inciteront l’Inde à y adhérer. Moscou entretient d’excellentes relations bilatérales avec Pékin et New Delhi, et joue résolument le rôle de messager privilégié.
La mini-guerre commerciale contre New Delhi lancée par l’administration Trump – avec notamment la perte du statut commercial spécial de l’Inde et la punition pour l’achat de systèmes de missiles russes S-400 – accélère le rythme du processus. L’Inde, soit dit en passant, paiera les S-400 en euros.
Modi écoute le Président russe Vladimir Poutine lors de la rencontre trilatérale avec le président Xi en marge du sommet du G20. Le Premier ministre indien se fait courtiser par ses puissants voisins. Photo : Mikhaïl Klimentyev / Spoutnik


Il n’y a eu aucune fuite provenant de la Russie, de l’Inde ou de la Chine au sujet de l’Iran. Mais les diplomates disent que c’était un thème clé de la discussion. La Russie aide déjà – clandestinement – l’Iran à une multitude de niveaux. L’Inde a un choix existentiel à faire : continuer à acheter du pétrole iranien ou dire adieu à l’aide stratégique de l’Iran, via le port de Chabahar, pour faciliter la mini route de la soie indienne vers l’Afghanistan et l’Asie centrale.
La Chine considère l’Iran comme un nœud clé des Nouvelles Routes de la Soie, ou Initiative Ceinture et Route. La Russie considère que l’Iran est essentiel pour la stabilité stratégique de l’Asie du Sud-Ouest – un thème clé des négociations bilatérales Poutine-Trump, qui ont également porté sur la Syrie et l’Ukraine.
RIC ou Ceinture et Route ?
Quelle que soit la tactique psyop employée par Trump, Russie-Inde-Chine est aussi directement impliquée dans les ramifications massives à court et à long terme de la rencontre bilatérale Trump-Xi à Osaka. Le tableau d’ensemble ne va pas changer ; l’administration Trump parie sur un réacheminement des chaînes d’approvisionnement mondiales hors de Chine, tandis que Pékin avance à toute allure avec son Initiative Ceinture et Route.
Trump est très méfiant au sujet de l’Europe – comme Bruxelles le sait, l’UE est la cible d’une autre guerre commerciale imminente. Pendant ce temps, avec plus de 60 nations engagées dans une myriade de projets de Ceinture et Route, et avec l’Union Économique Eurasienne également liée à l’Initiative Ceinture et Route, Pékin sait que ce n’est qu’une question de temps avant que l’ensemble de l’UE n’emprunte l’autoroute de la BRI.
Il n’y a aucune preuve que l’Inde pourrait soudainement rejoindre les projets Ceinture et Route. L’attrait géopolitique de « l’Indo-Pacifique » – essentiellement une autre stratégie pour contenir la Chine – se profile à l’horizon. C’est la bonne vieille règle impériale Diviser pour Régner – et tous les grands joueurs le savent.
Pourtant, l’Inde, maintenant dans la partie, commence à dire que l’Indo-Pacifique n’est pas « contre quelqu’un ». L’entrée de l’Inde dans le RIC ne signifie pas un rapprochement avec l’Initiative Ceinture et Route.
Il est temps pour Modi de se montrer à la hauteur de l’occasion ; en fin de compte, c’est lui qui décidera de l’orientation du pendule géoéconomique.
traduit par Réseau International
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Russie, Chine, Iran… et la victoire de Vienne

La rencontre des États signataires restés dans l’« Accord sur le nucléaire iranien » [France, Royaume-Uni, Allemagne, Russie, Chine et l’Iran], attendue depuis le retrait des États-Unis le 8 mai 2018, a finalement eu lieu à Vienne hier, 28 juin, sur fond d’une double menace :
-  La menace américaine dirigée contre quiconque commercerait avec l’Iran, résumée par la déclaration de Brian Hook, l’envoyé spécial des États-Unis pour l’Iran, signifiant aux Européens : «  Vous devez choisir entre Washington et Téhéran ».

-  La menace iranienne d’une sortie imminente de l’accord, exprimée par les déclarations sur la patience épuisée des Iraniens et leur refus de continuer à respecter unilatéralement ses clauses depuis plus d’une année; période jugée largement suffisante pour que les signataires restés dans l’accord prouvent le sérieux de leur partenariat.
Le résultat de la rencontre de Vienne a été l’annonce de l’activation immédiate du mécanisme européen INSTEX [1], lequel vise à contourner les sanctions des États-Unis et constitue une alternative au SWIFT, mécanisme grâce auquel l’Iran avait pu éviter les sanctions américaines, avant qu’il ne passe sous le contrôle des États-Unis après leur retrait de l’accord.

Brièvement, INSTEX [Instrument in Support of Trade Exchanges] est un outil basé sur l’Euro qui permet à l’Iran de vendre son pétrole à l’Europe, laquelle rembourse au marché européen le prix des marchandises que l’Iran -en tant que gouvernement et entreprises- lui aura acheté ; le solde de ces transactions, évalué tous les trois à six mois, pouvant faire l’objet d’un crédit bancaire [2].
Bien qu’au départ, ce mécanisme concernait uniquement les produits alimentaires et médicaux vendus par des entreprises européennes, l’Iran l’a accepté à condition que le mécanisme soit effectivement activé, vu qu’il pourra bénéficier d’une trésorerie en Euros au cas où le total de ses exportations en pétrole ne couvrirait pas les sommes dues pour ses importations en marchandises européennes ; ce dernier point étant finalement le plus important.
Les négociations entre l’Iran et l’Europe ne portaient pas sur le mécanisme de l’INSTEX, mais sur la quantité de pétrole que les Européens achèteraient. En effet, alors que l’Iran insistait sur une quantité égale à celle précédant les sanctions et le retrait des États-Unis de l’accord, les Européens proposaient presque la moitié de cette quantité en affirmant que ce n’était qu’un début susceptible d’évolution. Les négociations se sont arrêtées à ce stade : l’Iran demandant à l’Europe de lui garantir l’achat d’environ 500.000 barils par jour, l’Europe lui proposant environ 250.000 barils par jour. Et l’entretien téléphonique entre le président français et le président iranien avant cette rencontre à Vienne [le 25 juin 2019] a réaffirmé ce différend sur la quantité, sans remettre en cause l’accord sur le principe du mécanisme de compensation proposé.
Mais la surprise des Européens, réunis à Vienne, est venue de la Chine qui a annoncé son intention de rejoindre l’INSTEX, pour couvrir le paiement de ses achats de pétrole iranien, et qui a donc affirmé sa volonté de reprendre ses achats suspendus deux mois plus tôt. Une reprise qui porte sur 650.000 barils par jour, correspondant à près d’un tiers des ventes quotidiennes de pétrole iranien.
De leur côté, les Russes ont annoncé qu’ils seront partenaires de l’INSTEX, bien qu’ils aient déjà monté des sociétés offshore, protégées par un décret présidentiel contre les sanctions, pour acheter puis revendre du pétrole iranien à titre de contribution à la protection de l’accord [vu qu’ils ne sont pas acheteurs ; Ndt].
La Russie, la Chine et l’Iran, lesquels sont allés dans la confrontation jusqu’au bord du précipice, ont donc réussi à amener l’Europe à reconnaître qu’il est de son intérêt que l’accord se maintienne car, dans le cas contraire, Washington n’offre pas d’alternative et ne dispose pas de feuille de route susceptible d’empêcher l’Iran d’acquérir l’arme nucléaire ; ce que Washington ne conteste pas.
Autrement dit, le non maintien de l’accord signifie pousser l’Iran à faire le nécessaire afin de s’installer sur le siège des détenteurs d’armes nucléaires, même s’il ne procède pas à leur fabrication se contentant d’atteindre le niveau nécessaire en la matière. Cela signifie aussi, pousser le marché financier à s’enflammer sans posséder de recette pour éteindre l’incendie.
En revanche, du fait que l’Europe offre la plate-forme de l’INSTEX, l’important n’est plus le volume des transactions européennes, l’important est que l’Europe y soit présente, vu que tout ce que les entreprises européennes hésiteront à vendre à l’Iran, la Chine lui vendra l’équivalent de sa propre production.
Une victoire russo-sino-iranienne qui apparaîtra plus nettement dans les prochains jours, lorsque les ministres des Affaires étrangères se rencontreront à Vienne et mettront les points sur les « i » quant au sauvetage effectif de l’accord sur le nucléaire iranien, conformément à la déclaration du vice-ministre russe des Affaires étrangères, M. Sergei Ryabkov.
Nasser Kandil
Traduit de l’arabe par Mouna Alno-Nakhal
Source : Al-Binaa
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Notes :

Nasser Kandil est un homme politique libanais, ex-député et rédacteur en chef du quotidien Al-Binaa

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