dimanche 12 octobre 2025

C’est quoi, un complotiste ?

Moi qui me pique, dans mon travail, de proposer une philosophie de l’histoire à la hauteur de notre temps, ce livre (Index obscurus . Deux siècles et demi de complots 1788 – 2022. Par ) me sera à l’avenir d’une utilité irremplaçable. J’y ai appris de très nombreuses choses que j’ignorais, et le lecteur le plus aguerri en «complotisme» en apprendra lui aussi : des vertes et des pas mûres. Mais qu’entendez-vous au juste, Dr Médard (c’est ainsi que certains de mes proches me surnomment), par « complotisme» ? Au moins peut-on remarquer, pour marquer le coup, que tous ceux qui utilisent le terme ne le savent pas eux-mêmes. Ce qui en dit très long, et mériterait une analyse psychanalytique et psychiatrique bien serrée. Passons.

Depuis mars 2020, où il est devenu très à la mode, le terme de «complotiste» créé par la CIA en 1967 (Marcival explique lumineusement pourquoi, dans lentrée consacrée à lassassinat de JFK), lors même quil était jusque-là (2020, pas 1967) un terme réservé à des «initiés» de toutes sortes, il est devenu très aisé de définir, et sèchement, ce que signifie le mot «complotiste». Il signifie : «dissident de louest». Cest-à-dire, comme les «dissidents» de lex-bloc soviétique (donc «de lest»), qui firent foison dans les années précédant 1989 (comme les «complotistes» depuis trois ans), de gens qui ne souscrivent plus au mythe de la divine «démocratie occidentale», et savent que la «démocratie», dans ledit «bloc occidental» entièrement phagocyté par la CIA, cest, principalement, et ce depuis désormais longtemps, le droit de penser comme tout le monde, c’est-à-dire comme pense la CIA (et le Mossad, comme le démontre à l’envi Marcival). Les procédés de la Gestapo et du KGB, à côté, font un peu pitié.

En effet, à partir de l’effondrement du bloc de l’est en 1989, symbolisé par la chute du mur de Berlin, s’installe aussitôt un «grand récit», comme dirait Lyotard[1], lequel (le «grand récit», pas Lyotard), promeut le fait que le modèle de la démocratie libérale et la loi mondiale du Marché est en passe de triompher, actant par là même le logion hégélien de la «fin de lHistoire»[2] : le paradis sur terre s’apprêtait à s’établir partout sans plus aucune résistance, sous la haute supervision des États-Unis, les «sheriffs du monde».

On aurait mieux fait, de toute évidence, de parler de «mafia du monde», et cest ce que constate Debord, dans le même livre multi-cité en exergue :

"Quant aux assassinats, en nombre croissant depuis plus de deux décennies, qui sont restés entièrement inexpliqués car si lon a parfois sacrifié quelque comparse, jamais il na été question de remonter aux commanditaires leur caractère de production en série a sa marque : les mensonges patents, et changeants, des déclarations officielles; Kennedy, Aldo Moro, Olaf Palme, des ministres ou financiers, dautres qui valaient mieux queux. Ce syndrome dune maladie sociale récemment acquise s’est vite répandu un peu partout, comme si, à partir des premiers cas observés, il descendait du sommet des États, sphère traditionnelle de ce genre d’attentats, et comme si, en même temps, il remontait des bas-fonds, autre lieu traditionnel des trafics illégaux et protections, où s’est toujours déroulé ce genre de guerre, entre professionnels. Ces pratiques tendent à se rencontrer au milieu de la société, comme si en effet l’État ne dédaignait pas de s’y mêler, et la Mafia parvenait à s’y élever; une sorte de jonction s’opérant par là. (…) En janvier 1988, la Mafia colombienne de la drogue publiait un communiqué destiné à rectifier l’opinion du public sur sa prétendue existence. La plus grande exigence d’une Mafia, où qu’elle puisse être constituée, est naturellement d’établir qu’elle n’existe pas, ou qu’elle a été victime de calomnies peu scientifiques; et cest son premier point de ressemblance avec le capitalisme. Mais en la circonstance, cette Mafia irritée d’être seule mise en vedette est allée jusqu’à évoquer les autres groupements qui voudraient se faire oublier en la prenant abusivement pour bouc émissaire. Elle déclare : “Nous n’appartenons pas, nous, à la mafia bureaucratique et politicienne, ni à celle des banquiers et des financiers, ni à celle des millionnaires, ni à la mafia des grands contrats frauduleux, à celle du monopole ou à celle du pétrole, ni à celle des grands moyens de communication.” (…) La tactique défensive de la Mafia ne pouvait jamais être que la suppression des témoignages, pour neutraliser la police et la justice, et faire régner dans sa sphère d’activité le secret qui lui est nécessaire. Elle a par la suite trouvé un champ nouveau dans le nouvel obscurantisme de la société du spectaculaire diffus, puis intégré : avec la victoire totale du secret, la démission générale des citoyens, la perte complète de la logique, et les progrès de la lâcheté et de la vénalité universelles, toutes les conditions favorables furent réunies pour qu’elle devînt une puissance moderne, et offensive (…). On se trompe chaque fois que l’on veut expliquer quelque chose en opposant la Mafia à l’État : ils ne sont jamais en rivalité. (…) La mafia n’est pas étrangère dans ce monde; elle y est parfaitement chez elle. ().

Pardon de commencer par de longues et pesantes citations pour un livre que je suis censé préfacer et donc célébrer — ce que je vais faire sans délai, et sans le moindrement surjouer mon admiration — : c’est qu’en discutant avec Antoine, Marcival du nom, il me confessa qu’il ne connaissait pas assez bien Debord. Or, c’est non seulement une lacune qu’il est important que tu rattrapes, Antoine; mais, surtout, quil est à mes yeux désormais imprescriptible de lire ce qui est pour moi la Bible politique de la modernité, Les commentaires sur la société du spectacle à point nommé, et le livre qu’on s’apprête à lire, Index obscurus. Je veux marquer le simple fait qu’à mes yeux, si le livre d’Antoine est à ce point un événement pour la pensée, c’est que la lecture des deux livres, que trente-cinq années séparent, est devenue à mes yeux inséparable. Index complète les Commentaires; et pourtant, au futur antérieur, les Commentaires auront complété Index.

D’autant que l’auteur de ce dernier m’a confessé préparer, d’ores et déjà, plusieurs suites à son chef-d’œuvre d’historien, ce qui est une nouvelle merveilleuse. C’est qu’avec Index obscurus, nous assistons à la naissance d’un gigantesque historien des temps modernes que je ne lésine donc pas à comparer à Thucydide[3] : le plus éminent des historiens grecs, pour ceux qui l’ignoreraient, et l’un des auteurs de chevet de Debord (qui le cite d’abondance dans les Commentaires, avec une inflation parlante du mot «complot»). Une chose est sûre : le livre quon va lire a éclairé des propos des Commentaires qui, depuis le temps que je les lis, m’étaient restés obscurs (c’est le sens même de son titre, dialectiquement parlant).

D’une écriture remarquable, d’une érudition sans faille, trahissant un inlassable travail de documentation et de sourçage incessant, ponctuellement très drôle, mais le plus souvent horrifique, ce livre exceptionnel se boit comme du petit lait.

Et donc (je ne sais pourquoi ça me vient), comme me le dit mon père, le plus grand «complotiste» des vingt dernières années dans le pays doù il vient : «bonne bourre, fiston». Ce livre est une arme de combat irremplaçable dans le combat que nous menons tous contre la colonisation, cest-à-dire la dégénérescence terminale, de ce que l’Occident avait de bon, contre la colonisation états-unienne.

NOTES

[1] Que cite, de façon pédante, un Klaus Schwab, prouvant par là qu’il est un crétin et un inculte, puisqu’il en appelle à la création de « nouveaux récits » en se réclamant explicitement de Lyotard, lequel disait exactement le contraire : que notre époque (après l’effondrement, justement, du communisme, qui fut notre dernier « grand récit » occidental à se tenir) était celle de « la fin des grands récits ».

[2] Le principal défenseur de ce diagnostic est un très mauvais philosophe, répondant au nom de Francis Fukuyama : La fin de l’Histoire et le dernier homme, Paris, Flammarion, 1992. Le même, bien entendu, défend aujourd’hui, en couverture des magazines français, la guerre de la « civilisation » américaine et otanienne contre l’atroce « barbarie » russe sévissant dans l’Ukraine, le pays récemment encore le plus corrompu, prostitutionnel, drogué, dictatorial et plaque tournante de trafics d’enfants (un enfant sur dix en était victime) au monde : le magnifique Occident, dont Index Obscurus nous rappelle certains des principaux faits d’armes.

[3] La guerre du Péloponnèse, Paris, Gallimard, 2000.

Par Mehdi BELHAJ KACEM

Source

7 commentaires:

  1. Un complotiste est celui qui a encore un cerveau en état de marche qui fait fonctionner ses neurones dans l'esprit de la méthode socratique. C'est l'antithèse des "normies" (dont l'anagramme est celui d'une race de mouton, le mérinos) conformistes abrutis par le lavage de cerveau incessant, incapables, ou tétanisés, par la recherche de la vérité qui peut être douloureuse ou inconfortable.
    Le "konplotiste" est l'ennemi du "Kontoucour"
    Clin d'oeil à Medhi : Vous en avez connu, dont le maire d'une petite commune française... Jean P.

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  2. Fier d’être un complotiste confirmé. (Niveau 5ème dan). Les socialo-libertaires, dans leurs croyances ténébreuses les nomment des rouges-bruns. A chacun ses visions du monde.
    Les âmes les plus courageuses sont rarement les plus bruyantes dans la pièce, mais elles sont souvent les plus incomprises.
    À une époque où le conformisme est présenté comme une vertu et où les applaudissements sont la monnaie d'échange de l'estime de soi, ceux qui refusent de suivre le scénario deviennent des paratonnerres. Ils provoquent le malaise par leur simple existence dans la vérité. Ils ébranlent les insécurisés, déstabilisent les complaisants et perturbent les illusions soigneusement entretenues du faux.
    Souvenez-vous ou découvrez l’expérience de Salomon Ash, déjà en 1951. https://fr.wikipedia.org/wiki/Exp%C3%A9rience_de_Asch
    On aime à imaginer que la pression du conformisme cesse avec l'adolescence, avec ces années difficiles où l'appartenance compte plus que l'authenticité.

    Mais il n’en n’est rien . Voici la partie qui donne à réfléchir : cette expérience n’a jamais pris fin..
    Cela se répète chaque jour dans les salles de classe, sur les lieux de travail, dans les chambres d’écho des médias et en politique.
    Les gens préfèrent la sécurité de la foule à la solitude de la vérité. Ils renoncent à ce qu'ils savent être réel, car ils ne veulent pas du froid de l'impopularité ni de la douleur du rejet. Les applaudissements sont faciles à payer, mais le prix de la dissidence est insupportable.
    Si l'on ajoute à cela dans les années 1960, l’expérience de Stanley Milgram, https://fr.wikipedia.org/wiki/Exp%C3%A9rience_de_Milgram, où 65 % des participants administraient volontairement ce qu'ils pensaient être des décharges électriques mortelles à une autre personne simplement parce qu'une autorité le leur avait ordonné, on comprend le sombre schéma.
    L'obéissance à l'autorité et la conformité à la foule sont les forces jumelles qui étouffent la vérité. Et pourtant, chaque tournant de l'histoire a été marqué par ceux qui ont résisté aux deux : les prophètes, les dissidents, les lanceurs d'alerte et les réformateurs. Brefs ceux que les conformistes bien pensants ( les normies biberonnés aux mensonges sans fin des gouvernements, politiciens et radios/TV) appellent les complotistes.
    Vivre ainsi, c'est accepter la solitude comme une compagne. C'est endurer la suspicion, le ridicule et le rejet, non pas parce qu'on a tort, mais parce qu'on refuse de se contenter du mensonge réconfortant. La vérité a un prix, mais sa récompense est l'intégrité : une boussole intérieure qui ne perd pas son cap lorsque la foule dévie.
    Les applaudissements s'estompent. C'est toujours le cas.
    Ce qui perdure, c'est la force tranquille et constante de ceux qui n'ont jamais cédé, n'ont jamais cédé et n'ont jamais échangé leur essence contre l'acceptation. Ils ne seront peut-être jamais pleinement compris de leur vivant, mais on se souviendra toujours d'eux comme de ceux qui ont vu clair, tenu bon et vécu avec courage.

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  3. C’est quoi, un complotiste ?

    Simple, j'en suis !
    Non content d'être un complotiste du présent, c'est-à-dire des événements de notre temps, je suis aussi un complotiste du passé, c'est-à-dire des événements de notre histoire.

    Tout comme être traité d'antisémite est un compliment, car c'est la marque d'un niveau de connaissances afférent à l'histoire respectable, être accusé de complotiste, de mesquin, de traitre et autres joyeusetés, sont aussi des compliments qui me confortent dans l'idée d'être du bon côté de l'histoire et de l'humanité.

    Hormis cela,
    Celui qui flatte un homme est son ennemi celui qui lui dit ses fautes est son ami.

    Homo Sapiens

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  4. Membre aussi du club depuis le début. J'aime à penser, avec un plaisir non dissimulé, que je suis le gravier dans la chaussette qui pourrit la vie de ces nains qui se prennent pour des géants aux pieds d'argile.... plus dure sera la chute.

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  5. https://jeune-nation.com/actualite/actu-france/quand-robert-badinter-manoeuvrait-sournoisement-pour-eviter-a-lentite-sioniste-detre-jugee-pour-crimes-de-guerre-a-la-haye-2
    Quand Badinter protégeait l'entité génocidaire!

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  6. QUOI d'étonnant qu'un juif protège un état de juifs? Et que faisaient durant tout ce temps les supposés 400 millions d'arabo-musulmans? Ils tramaient des complots contre leurs voisin arabes et ourdissaient en collaboration avec Israel des coups d'état....Tout en applaudissant et espérant que l'Iran s'effondre lors de l'attaque Israélienne.......

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