" Le cheval a beau avoir un plan,
celui qui le monte en a d’autres ! " Proverbe
Avant
Propos
l’article qui suit a été publié en décembre 2008 par
l’hebdomadaire américain « executive intelligence review ». Cet hebdomadaire a été fondé par Lyndon Larouche en 1974. Sa rédaction, basée en Virginie (USA), dispose d'un
réseau de correspondants dans une vingtaine de capitales. Son contenu reflète un point de vue américain, néanmoins assez proche
de la réalité que nous avons exposée dans les articles
suivants : Moyen Orient : le plan américano-israélien et Origines de la connivence wahhabisme-sionisme,
Selon Norman Bailey, ex membre du
National Security Council, "l'organisation Larouche est un
des meilleurs services privés de renseignement au monde ". Rappelons que le National Security Council ou NSC est une organisation
administrative dépendant directement du président des États-Unis. Il a un rôle
de conseil, de coordination et parfois d’impulsion sur les sujets de politique
étrangère, de sécurité nationale , et plus généralement sur l’ensemble des
questions stratégiques.
On voit que "l'un des meilleurs services de renseignement au monde" affirme que Rached Ghannouchi est cité parmi les chefs islamistes travaillant pour le MI6. Ceci confirme bien ce que nous écrivions dans un autre article et qui provenait de sources arabes.
On voit que "l'un des meilleurs services de renseignement au monde" affirme que Rached Ghannouchi est cité parmi les chefs islamistes travaillant pour le MI6. Ceci confirme bien ce que nous écrivions dans un autre article et qui provenait de sources arabes.
Introduction
Les musulmans du monde entier peuvent être à bon
droit écœurés du détournement de leur religion par des groupes de terroristes
fanatiques commettant des atrocités sous le costume de l’islam. Encore
pire : à cause de ces soi-disant « moudjahidines », l’islam se
voit attaqué de toutes parts par les médias occidentaux. Étant donné que bien
souvent les victimes de ces attentats terroristes sont des musulmans et que
ceux qui bénéficient de leurs attaques sont les impérialistes qu’ils appellent
« infidèles », il est légitime de se demander QUI ils visent vraiment
et QUI les soutient. Nous allons ici essayer de jeter un peu de lumière sur
l’histoire des mouvements terroristes islamistes pour mieux les comprendre.
Salafisme et wahhabisme
Une grande partie des actes terroristes les plus
récents ont été commis par des groupes qui se qualifient eux-mêmes de
« salafistes » ou de « wahhabites », branches de la
religion musulmane très proches l’une de l’autre. Au milieu du XVIIIème siècle,
Mohammed ibn Abd al-Wahhab (1703-1792) fonda le wahhabisme dans le
désert du Nejd, au centre de la péninsule arabique. Son but était de faire
revivre la tradition salafiste. Ce mouvement est, encore aujourd’hui, une forme
puritaine et fondamentaliste de l’islam sunnite, rejetant toute lecture
rationnelle du Coran et de la tradition du prophète Mahomet. Les wahhabites
extrémistes interprètent littéralement et strictement les mots du Coran ;
pour eux, une grande partie des traditions du Prophète sont infondées,
notamment lorsqu’elles concernent l’éducation morale et spirituelle. Ibn Abd
al-Wahhab affirmait que sa théologie était une forme « purifiée »
de l’islam et qu’elle avait pour fonction de faire revenir tous les musulmans
aux vrais principes de la foi. Les wahhabites, en tant qu’islamistes radicaux,
prônent le « targhib » (contrainte) pour imposer l’islam, tandis que
les musulmans modérés sont pour le « tabligh » (persuasion).
Les wahhabites se propagèrent dans les villages à
travers le désert, pillant les villages alentour et attaquant les caravanes ou
les pèlerins chiites. Les gorges des hommes étaient tranchées, les biens et les
animaux volés, et les femmes et les enfants étaient réduits en esclavage.
En 1744, Ibn Abd al-Wahhab s’allia au chef
tribal Mohammed ibn Saoud (1710-1765), faisant du wahhabisme non plus un
simple mouvement religieux, mais un mouvement politique, comme c’est toujours
le cas aujourd’hui. Étendant sa domination guerrière vers les régions de
l’Arabie orientale, Ibn Saoud s’engagea à répandre l’enseignement
wahhabite.
Arrive l’Empire britannique
L’Empire britannique, qui au milieu du XIXème
siècle contrôlait de grandes parties de l’Asie, notamment l’Inde, eut besoin de
sécuriser ses routes commerciales vers l’Europe. Les Britanniques conclurent
donc des accords avec les chefs des tribus occupant les territoires situés le
long des côtes de la mer Rouge, de la mer d’Oman et du golfe Persique :
armes et or furent allègrement distribués, de même que des promesses de
protection militaire ; en échange ces tribus devaient empêcher les autres
puissances coloniales (en particulier l’Empire ottoman) d’approcher ces terres.
Moyen Orient : Empire ottoman en 1914.
Ces régions en tant que telles n’avaient pas de
réelle signification stratégique jusqu’à ce que l’Allemagne lance la construction
de la ligne ferroviaire Berlin-Bagdad, au tout début du XXème siècle, et que de
grandes quantités de pétrole ne soient découvertes au sein de ce qui devinrent
l’Irak et l’Arabie Saoudite. Les Britanniques utilisèrent parfaitement leur
méthode de « diviser pour régner » en lançant les chefs tribaux les
uns contre les autres, intervenant au bon moment pour soutenir l’un, puis
l’autre. Les tribus devinrent ainsi totalement dépendantes des Britanniques.
Dès la fin des années 1880, l’alliance
Saoud-wahhabites commença à empiéter sur les territoires ottomans, qui
contrôlaient ce qui est aujourd’hui l’Irak, la Grande Syrie et la partie ouest
de l’Arabie, où se trouvent La Mecque et Médine. Manquant des moyens financiers
et du matériel de guerre moderne nécessaire pour faire face à l’Empire ottoman,
le chef Abdel Aziz Ibn Saoud (1880-1953) se reposa sur les Britanniques
pour se les procurer.
Pragmatisme islamiste et collaboration avec les « infidèles »
La dépendance envers des « infidèles » et
des impérialistes est devenue monnaie courante chez les jihadistes salafistes,
qui allèguent qu’elle n’est pas néfaste tant qu’elle bénéficie à la cause. Ce
pragmatisme fut particulièrement peaufiné par l’érudit religieux Mohamed
Abduh. Abduh avait participé à la révolte égyptienne de 1882 contre
l’occupation britannique, suite à laquelle il avait été placé en exil au Liban.
En 1884, il fut invité en France par Jamal al-Din al-Afghani. Les
Français, qui combattaient les Britanniques pour le contrôle du Moyen-Orient,
introduisirent les deux comparses dans une loge franc-maçonnique et les
soudoyèrent pour qu’ils fassent de la propagande anti-britannique. Abduh
retourna ensuite en Égypte ; il fut non seulement pardonné par les
Britanniques, qui contrôlaient le pays, mais fut en plus nommé juge puis grand
mufti (le poste religieux le plus élevé du pays) après avoir promis au
proconsul britannique d’Égypte de ne plus se mêler de politique.
Les « idées politiques » d’Abduh
eurent plus tard une grande influence sur le fondateur de l’organisation des
Frères musulmans en Égypte, Hassan al-Banna. Les Frères musulmans
suivirent les mêmes croyances religieuses fanatiques et le même pragmatisme que
les wahhabites, devenant eux aussi de bons instruments de l’Empire britannique .
Après l’accord Sykes-Picot
Lors de l’accord secret
Sykes-Picot en 1916, Britanniques et Français décidèrent de se
répartir ce qui resterait de l’Empire ottoman après la guerre, passant outre
les promesses d’indépendance qui avaient été faites aux Arabes ayant aidé à
combattre les Turcs. Au sortir de la Première Guerre mondiale, alors que les Turcs étaient épuisés économiquement, ils durent faire face à des rébellions armées
en Afghanistan, en Turquie, en Irak, en Syrie, en Palestine et en Égypte.
Partition
franco-britannique selon l’accord secret de Sykes-Picot.
Les rebelles furent matés par la force, mais le
colonialisme militaire ne pouvait plus durer. La France et la Grande-Bretagne
décidèrent alors d’allouer un statut quasi-indépendant aux différents pays, en laissant
des rois arabes diriger, mais sous mandat britannique. Les forces aériennes
étaient utilisées pour laminer les villes et villages qui faisaient preuve de
résistance, évitant d’avoir des troupes de fantassins sur place ; les
dirigeants arabes donnaient à leur police ou à leur armée l’ordre de maintenir
le calme pour les Britanniques.
Dans le golfe Persique, jouer les chefs tribaux les
uns contre les autres étant devenu impossible pendant la Première Guerre
mondiale, le pouvoir fut limité à quelques tribus. Le fidèle Abdel Aziz ibn
Saoud fut donc encouragé à écraser les tribus rivales du nord-est de
l’Arabie avec l’aide de ses Ikhwans (frères, en arabe), bédouins wahhabites guerriers :
nouvelles armes, véhicules, moyens de communication les plus modernes
(télégraphe par exemple) furent mis à leur disposition sous label britannique.
Des officiers britanniques, tel le capitaine William Shakespear (!),
aidèrent Ibn Saoud pour la supervision, la logistique et la
communication.
Le major-général Sir Percy Cox continua le
travail de Shakespear dès 1924, quand Ibn Saoud finit par vaincre
Hussein ibn Ali (1854-1931), chérif de la Mecque, en Arabie occidentale.
Cox, qui faisait partie de l’armée britannique des Indes, signa le
premier traité d’amitié anglo-saoudien, donnant à Ibn Saoud un accès
illimité au soutien financier, militaire et politique de la part de la
Grande-Bretagne. En novembre 1916, Cox décorait Ibn Saoud du
titre de Chevalier-commandeur de l’Ordre de l’Empire des Indes !
La chute d’Hussein ibn Ali fut assurée par
les Britanniques, évitant des combats trop rudes. Alors que les Ikhwans d’Ibn
Saoud avançaient vers l’ouest, massacrant des villes entières sur leur
passage, Hussein demanda de l’aide à ses « amis » du Bureau
arabe, sans réponse. Le Bureau arabe, dirigé depuis le Foreign Office de
Londres (ministère des Affaires étrangères), avait aidé Hussein, à
travers Lawrence d’Arabie, à combattre les Turcs au cours de la Première
Guerre mondiale. Mais Hussein n’étant plus utile, la seule aide qu’il
reçut fut un bateau à vapeur pour fuir sa ville de Djeddah et tout laisser à Ibn
Saoud. C’est là un coup typique des Britanniques : deux clans qui se
battent pour le contrôle d’une région, et deux institutions (ici, l’armée
britannique des Indes d’un côté, et le Bureau arabe de l’autre) armant,
finançant et orientant les deux clans. Au moment propice, l’un des deux clans
est abandonné.
Abdel
Aziz ibn Saoud devint dirigeant du Nejd et du Hedjaz en 1925. En
1927, après avoir signé le deuxième traité anglo-saoudien, il s’auto-proclama
roi de Nejd et de Hedjaz. Il consolida ensuite son contrôle sur la plus grande
partie de la péninsule arabique, donnant à son royaume le nom d’Arabie Saoudite
en 1932. À cette époque, un autre officier britannique, Sir John Philby,
devint le plus proche « conseiller » d’Ibn Saoud.
Les Ikhwans (Frérots) vont trop loin
Les Ikhwans wahhabites se déchaînaient de plus en
plus au fur et à mesure de leurs conquêtes. Leur brutalité et leur empressement
à s’étendre au-delà des territoires assignés par les Britanniques à Ibn
Saoud, commencèrent à les rendre plus dangereux qu’utiles. Quand Ibn
Saoud tenta de mettre des limites à leur frénésie en 1929, ils se
retournèrent contre lui, et lui demandèrent de donner l’ordre de combattre les
Britanniques pour montrer sa loyauté à l’islam et son dégoût des infidèles.
La ligne rouge était franchie, et Ibn Saoud
ne mit pas longtemps à choisir entre des rebelles fous et le soutien
britannique. Au printemps 1929, il décida d’en finir avec les Ikhwans, qui
furent dépassés par la modernité de l’équipement militaire que le roi saoudien
venait de recevoir. Plusieurs centaines de prisonniers Ikhwans furent
décapités, leurs chefs finirent en prison.
Les Ikhwan furent disculpés dans les années 60 par le roi Saoud
ben Abdel Aziz, lorsque les Britanniques voulurent combattre la montée du
nationalisme arabe à l’aide du fanatisme religieux. Bien qu’Ibn Saoud ait
réduit à néant les moyens militaires des Ikhwan en 1929, il leur avait permis de
préserver leur influence et leur enseignement religieux.
La tentative de Roosevelt
Au cours des années 30 et de la Seconde Guerre
mondiale, les Britanniques tentèrent de garder les Américains loin de l’Arabie
Saoudite. Le fait que la Standard Oil of California (aujourd’hui Chevron)
obtint une concession saoudienne leur donna des sueurs froides. Mais Ibn
Saoud, faisant peu confiance aux Britanniques qui tentaient de lui faire
croire que le pétrole n’existait pas sous le sable de son royaume, cherchait à
gagner son indépendance financière. Les Britanniques contrôlaient déjà la plus
grande partie de la production de pétrole dans le monde, notamment en Irak et
en Iran avec l’Anglo-Persian Oil Company (qui deviendra British Petroleum en
1954), et augmenter les capacités de production n’était pas à leur avantage.
Cependant, pour les conseillers du Président Franklin
Roosevelt, l’approvisionnement énergétique était un point crucial de
l’effort de guerre et de la préparation à l’après-guerre. Roosevelt
avait une vision des nations africaines et asiatiques différente de celle des
impérialistes : il voulait donner quelque chose à ces nations en échange
de leurs matières premières, comme il le dit lui-même au Premier ministre
britannique Sir Winston Churchill. Sa rencontre avec Ibn Saoud en
février 1945 était partie intégrante de toute une série de discussions qu’il
put avoir avec différents dirigeants des pays sous développés.
La mort de Roosevelt, le 15 avril 1945,
empêcha ce « grand dessein » de se réaliser. Il n’en resta que le
plan Marshall limité à l’Europe et non, comme l’aurait voulu Roosevelt, étendu
à l’échelle du monde.
Après la mort de Roosevelt,
tout ce qui resta de la politique américaine dans la région fut la chasse aveugle
au pétrole. La politique américaine prit la teinte de la corruption britannique
et les compagnies de pétrole américaines devinrent les complices des projets
impérialistes.
Panislamisme contre nationalisme
C’est la crise du canal de Suez, en 1956, qui fit entrer
sur la scène mondiale le panislamisme britannico-saoudien. Lorsque le Président
américain Dwight Eisenhower insista pour que cesse l’agression
anglo-franco-israélienne contre Nasser en Égypte, les Frères musulmans
et d’autres mouvements religieux devinrent clés pour la déstabilisation de
l’Égypte et de toute autre nation musulmane qui aspirait à la décolonisation.
La décision de Gamal Abdel Nasser de
nationaliser la Compagnie du canal de Suez, l’arrachant des mains des
Britanniques, et la défaite des forces anglo-franco-israéliennes avec l’aide
des États-Unis, firent de Nasser un héros dans le monde arabe. Quand les
mouvements républicains anti-coloniaux gagnèrent la Syrie, l’Irak, le Yémen, la
Tunisie et l’Algérie, les Britanniques risquaient la perte de tout le contrôle
de l’Asie du Sud-Ouest, au profit de forces bien disposées envers les
États-Unis et leur tradition républicaine. Les choses empirèrent encore pour
les Britanniques lorsque des officiers républicains renversèrent le sultan du
Yémen en 1962. Les républicains étaient soutenus par Nasser, et
l’administration Kennedy reconnut la république du Yémen immédiatement
après le coup. Le sultan s’enfuit en Arabie Saoudite et engagea le combat
depuis la frontière avec l’aide des Saoudiens et d’armes importées de
Grande-Bretagne par le trafiquant Adnan Khashoggi, qui ferait encore
parler de lui par la suite.
La principale faille de la politique américaine
envers les forces anti-britanniques était l’idéologie de la Guerre froide, qui
faisait de chaque anti-impérialiste un « communiste ». C’était là une
partie de la politique du rideau de fer instiguée par Churchill qui,
avec l’aide de présidents américains anglophiles tels que Harry Truman,
et de conseillers présidentiels comme John Foster Dulles, George
Schultz et Henry Kissinger, tourna les États-Unis du côté des
monarchies féodales soutenues par les Britanniques dans les pays
non-développés, et contre le Mouvement des pays non-alignés.
Les Frères musulmans devinrent une épine dans le
pied du président égyptien Nasser et de tout gouvernement arabe
nationaliste, notamment en Syrie et en Tunisie. La Syrie avait forgé une
alliance avec l’Égypte de Nasser, donnant naissance à la République Arabe Unie. Les royaumes saoudien, irakien et jordanien avaient formé une
alliance pour contrer ce front égypto-syrien. En 1958, le roi Saoud ben
Abdel Aziz donna deux millions de livres sterling à des terroristes pour
assassiner le président syrien Shukri al-Kuwatli et le président
égyptien Nasser, et mener un coup d’état dans les deux pays à la fois.
La tentative échoua, mais divisa le monde arabe pour les décennies à venir.
Selon des fuites parmi certains dirigeants des
Frères musulmans, les Saoudiens soutinrent plusieurs autres tentatives
d’assassinat contre Nasser, faisant entrer clandestinement des armes du
Soudan vers l’Égypte. L’Arabie Saoudite était devenue le principal appui des
Frères musulmans, qui firent des ravages en Égypte, en
Syrie et en Tunisie. Il est intéressant de noter que les dirigeants de
l’organisation dans ces trois pays sont aujourd’hui réfugiés à Londres : Ali
al-Bayanouni (Syrie), Rashid al-Ghannoushi (Tunisie) et Kamal
al-Halbawi (Égypte). Ils sont encore actifs politiquement et mènent des
activités de subversion contre leurs gouvernements respectifs.
En août 1969, de soi-disant terroristes israéliens
brûlèrent la mosquée Al-Aqsa à Jérusalem, ouvrant la voie aux premiers cris
panislamiques. Le roi saoudien Fayçal appela à l’établissement d’un
mouvement panislamique qui donna naissance à l’Organisation de la conférence
islamique, dont le siège est à Djeddah, en Arabie Saoudite ; le but étant
de remplacer le nationalisme anti-colonial par le panislamisme.
En 1973, durant la pseudo guerre israélo-arabe du Kippour,
l’Arabie Saoudite et l’Iran entrèrent dans le jeu d’Henry Kissinger en
retirant le pétrole du marché pour protester contre le soutien occidental
envers Israël, faisant quadrupler les prix.
Le 6 octobre 1973, l’Égypte et la Syrie envahirent
Israël, déclenchant la guerre du Kippour. Henry Kissinger, qui était
déjà conseiller national à la Sécurité de Nixon (on le surnommait le
« tsar » du renseignement américain), s’était arrangé pour être également
nommé secrétaire d’État dans les semaines qui avaient précédé l’attaque. Étant
un intime de l’ambassadeur israélien à Washington et assurant la liaison avec
le camp égypto-syrien, il monta un scénario machiavélique entre Israël, les USA et Sadate (le président égyptien) afin d'écraser la Syrie d'une part, et de faire reconnaître Israël par tous les Arabes d'autre part.
Le 16 octobre, l’OPEP procéda à une augmentation de
70 % du prix du baril de pétrole (le baril passant de 3 à 5 dollars). Le 1er janvier 1974, le shah d’Iran, obéissant à Kissinger
(dont le département d’État ne connaissait même pas les manœuvres) surprit
tout le monde en exigeant une deuxième augmentation du prix du pétrole de plus
de 100 %, amenant le prix du baril de pétrole de l’OPEP à 11,65 dollars.
L’augmentation de 400 % « prévue » par le groupe de Bilderberg à
Saltsjöbaden devenait ainsi un fait accompli.
Cette envolée du prix du pétrole de l’OPEP eut pour
conséquence de rendre rentables les centaines de millions de dollars investis
notamment par British Petroleum et Royal Dutch Shell en mer du Nord, dont
l’exploitation était difficile. De plus, l’Agence monétaire saoudienne fut
directement conseillée par un jeune banquier de Wall Street, David Mulford,
pour guider les pétrodollars saoudiens vers les banques londoniennes et
new-yorkaises.
Le plan du groupe de Bilderberg, qui avait été de
ramener vers les cartels financiers anglo-américains un dollar en chute libre
après le démantèlement des accords de Bretton Woods, avait ainsi réussi. Henry
Kissinger, qui faisait lui-même partie du groupe de Bilderberg, fut une
pièce maîtresse de l’échiquier. Il était à la fois conseiller national à la
Sécurité et secrétaire d’État, une double casquette que personne avant lui et
personne après lui n’obtint jamais. Son influence à la Maison Blanche se trouva
encore renforcée lorsque le scandale du Watergate prit toute son ampleur fin
1973, braquant les projecteurs sur Nixon. Cerise sur le gâteau, Kissinger
obtint le prix Nobel de la paix dans le courant de l’année 1973.
L’Arc de crise
Vers la fin des années 70, une série de
soulèvements, de coups d’État et d’assassinats eurent lieu au sein de ce que Zbigniew
Brzezinski avait appelé « l’Arc de crise », ouvrant la voie à la
guerre d’Afghanistan et à la guerre Iran-Irak.
Au Pakistan, le Premier ministre anti-impérialiste Zulfikar
Ali Bhutto fut mis en prison après le coup monté contre lui en 1977 ;
il fut ensuite assassiné par le général Zia Ul-Haq, qui joua un rôle
crucial pour faire du Pakistan le pivot logistique des échanges drogue contre
armes et amener le pays à devenir une arrière-base pour les moudjahidines en
guerre contre les Soviétiques en Afghanistan. Une bonne partie de l’armée et
des services de renseignement pakistanais entrèrent dans une corruption sans
précédent, corruption dont les effets se font encore lourdement ressentir
aujourd’hui.
Les États-Unis, heureux de pouvoir
livrer une guerre par procuration contre l’Union soviétique, organisèrent le
soutien des seigneurs de guerre afghans et des moudjahidines en provenance de
l’étranger. Le rôle des Britanniques, et notamment du MI6, le service de
renseignements extérieurs du Royaume-Uni, est moins connu, mais certainement
pas à négliger.
En 1979, la Révolution islamique de l’Ayatollah
Khomeiny renversa le Shah Mohammad Reza Pahlavi, et un État
religieux fut établi en Iran. La même année, le « socialiste » Saddam
Hussein fit un coup d’État dans les rangs du Parti Baath et s’empara de la
présidence irakienne. Suite à quoi la guerre Iran-Irak débuta
quasi-automatiquement en septembre 1980, brisant les deux pays et les mettant
au centre des trafics d’armes britannique, israélien et américain.
En octobre 1981, le président égyptien Anouar
el-Sadate, qui avait été en 1978 le premier Arabe à signer un traité de
paix avec Israël, fut assassiné par des membres de l’organisation du Jihad
islamique, rejeton des Frères musulmans.
Le jihad globalisé
Il est communément admis que la CIA et les
États-Unis abandonnèrent les moudjahidines dès que les troupes soviétiques se
retirèrent d’Afghanistan en 1988-89. Ce que l’on dit moins, c’est qu’à partir
de ce moment-là, le MI6, l’ISI (Inter-Services Intelligence) pakistanais et les
Saoudiens trouvèrent une nouvelle forme de déploiement pour les « soldats
sans cause ». Alors que les seigneurs de guerre afghans se combattaient
les uns les autres pour avoir le pouvoir à Kaboul, les volontaires d’autres
pays musulmans se regroupèrent à Peshawar, au nord du Pakistan. Leur mission se
transforma en « croisade » islamique globale.
Au début des années 90, une grande partie des
volontaires étrangers ayant servi en Afghanistan retournèrent dans leur pays,
où ils furent mal accueillis par leurs gouvernements, certains d’entre eux
finissant même en prison. Beaucoup furent utilisés pour aller combattre en
Bosnie, d’autres cherchèrent asile en Grande-Bretagne ou dans d’autres pays
européens.
Avec la Guerre du Golfe en 1991, Ben Laden
commença à s’agiter contre la famille princière Ibn Saoud, qui,
disait-il, avait « invité les Américains infidèles » sur le sol sacré
de la péninsule arabique pour combattre Saddam Hussein. Son appel à une
« réforme » du royaume saoudien fut soutenu par bon nombre de
théologiens wahhabites ; la famille Ibn Saoud, appréciant peu,
emprisonna la plupart d’entre eux. Certains purent s’enfuir et trouvèrent
refuge en Grande-Bretagne, tels Saad al-Faqih et Mohammed al-Masri,
qui commencèrent à mener des opérations de propagande pour Ben Laden
depuis leur bureau londonien du Committee for the Defense of Legitimate Rights.
Ils envoyaient des communiqués dénonçant le gouvernement saoudien, directement
signés par Ben Laden.
L’auteur américain Lawrence Wright rapporte
que Jamal Khashoggi, à l’époque conseiller du chef du renseignement
saoudien,
rencontra Ben Laden en Afghanistan au milieu des années 90 pour qu’il abandonne
ses campagnes contre la famille Ibn Saoud, en échange de quoi il
recevrait leur soutien. Si d’après Lawrence Wright, Ben Laden refusa,
des sources du renseignement américain soutiennent que l’accord fut conclu, et
que peu après l’argent coula à flots pour le chef d’Al-Qaïda.
En 1998, Ben Laden et Al-Zawahiri
firent connaître leur déclaration de « Jihad contre les Juifs et les
Croisés » et fusionnèrent Al-Qaïda avec d’autres organisations en
provenance de nombreux pays, donnant un coup de fouet à l’organisation (la date
de création d’Al-Qaïda n’est pas claire, certains disent 1987). Les attentats à
la bombe sur les ambassades américaines à Nairobi et Dar es Salaam en 1998 furent
les premières attaques d’envergure signées Al-Qaïda. Les organisations situées
dans les différents pays ont toutes pour origine les Frères musulmans, et la
majorité ont leurs bases de recrutement, de financement et de logistique en
Grande-Bretagne.
Le terrorisme, une spécialité londonienne
Suite à des attentats terroristes sur leur sol, les
gouvernements d’Égypte, de Libye, de Jordanie, de Turquie, d’Iran, de Russie,
de France et
d’autres nations, envoyèrent des protestations diplomatiques au Foreign Office
britannique concernant l’hébergement d’organisations terroristes.
En 1997, le Parlement britannique répondit
clairement qu’il n’avait nullement l’intention d’intervenir : il refusa en
effet de modifier la loi qui permet à ces organisations de financer et de
recruter pour des opérations armées, l’argument étant que ces opérations
n’allaient pas à l’encontre des intérêts britanniques !
Le Royaume-Uni a régulièrement refusé de coopérer
avec d’autres nations pour arrêter des terroristes en activité sur son sol. Les
seules exceptions eurent lieu lorsque la pression fut mise par les autorités
américaines.
Depuis 1995, l’Executive Intelligence Review a
largement documenté les opérations menées depuis la Grande-Bretagne pour
déstabiliser d’autres nations. La plupart des nations victimes de ces actes
terroristes sont quasi-systématiquement à majorité musulmane. Cette alliance
apparemment paradoxale entre les « infidèles » et les
« moudjahidines » est mieux comprise lorsque la lumière est jetée sur
les méthodes utilisées par l’Empire britannique pour manipuler les religions
dans un but stratégique global. Cet empire existe toujours aujourd’hui, à la
différence près que l’empire colonial et maritime d’avant 1945 s’est mué
progressivement en un empire financier dont les trois piliers sont la City de
Londres (première place financière du monde), les paradis fiscaux (dont un
grand nombre se situent dans les îles anglo-néerlandaises) et les fonds
vautours ou « hedge funds » opérants depuis ces îles ;
l’existence de cet ensemble perpétue un système s’opposant au développement
physique et moral des peuples et des nations. Mais avec l’effondrement du
système financier international entamé depuis l’été 2007, la stratégie de
tension reste une des dernières cartouches de l’Empire. À nous de le combattre
et de ne pas en être les dupes. Contre la guerre de tous contre tous, seul le
retour à une politique de développement mutuel permettra de bâtir la paix.
Texte
publié dans l’Executive Intelligence Review du 26 décembre 2008.
Traduit
de l’anglais et agrémenté par Théodore Rottier