Les Russes ont accepté la proposition US de cessez-le-feu en Syrie
(ou plutôt d’arrêt des hostilités). Ils avaient fait une proposition
semblable quelques semaines plus tôt, c’est donc dans la ligne de leur
analyse. Ils ont eu de grands succès en Syrie ; ils ont remporté une
victoire inattendue et étourdissante avec très peu de pertes.Il s’agit d’une victoire au niveau de l’image autant que sur le plan
militaire.
Autour des stations de métro centrales, à Moscou, on dirait
Alep après un raid aérien. Des ruines, des carcasses de bâtiments, des
pelleteuses charriant les gravats. Ce n’est pas une attaque terroriste,
c’est la démolition programmée de centaines de petites et plus grandes
baraques édifiées en dépit des lois d’urbanisme, tout autour des
stations de métro dans les années 90, quand la loi était élastique et
facile à tourner avec du liquide. La plus grande, la Pyramide, au-dessus
de la station Pouchkinskaïa, est tombée cette semaine. Les agents
municipaux ont rapidement évacué les décombres, sous le regard incrédule
des ex-propriétaires.
Ils ont été surpris par l’offensive de la municipalité contre les
bidonvilles illégaux ; certains ont continué à faire leurs petites
affaires jusqu’à la dernière minute. Ils ont reçu un avis de démolition
il y a quelques mois, mais ils ne s’attendaient pas à ce que le décret
soit concrètement appliqué. Ils étaient persuadés qu’il serait invalidé à
la dernière minute. Ce qui n’a pas eu lieu, et des centaines
d’immeubles sont tombés en une nuit.
Cruel rappel que les autorités russes peuvent agir, après tant de
palabres creuses. Les Russes prennent leur temps pour seller leur
monture, mais ensuite ils sont rapides comme la foudre, disait le
chancelier Bismarck, citant un proverbe russe (il avait servi à la cour
russe et s’y connaissait quelque peu). Bien des gouvernants et rebelles
ne prenaient pas au sérieux les avertissements russes, se moquaient de
leur lenteur pour les préparatifs, et ont souvent eu l’occasion de le
regretter.
Les Moscovites étaient enchantés de ces démolitions ; les structures
étaient laides et bloquaient l’accès aux métros. Pire, ils rappelaient à
tout le monde l’époque d’Eltsine, lorsqu’elles avaient poussé comme des
champignons. Dépouillées de ces vestiges, les stations édifiées par les
meilleurs architectes de l’ère stalinienne dans un style classique ont
retrouvé belle allure.
Peu de gens ont réfléchi à une raison supplémentaire, peu connue,
pour cette rénovation soudaine. Les stations de métro avaient été
doublées pour servir d’abris anti-aériens, pendant la guerre. Les
baraques illégales auraient fait obstacle à cet usage. Après la
démolition, des centaines de stations de métro ont été habilitées pour
abriter la population civile en cas d’attaque.
Au même moment, l’armée russe et l’armée de l’air ont entrepris des
manœuvres soudaines dans le sud du pays. Les journaux télévisés ont
couvert ces exercices avec délectation. La Russie espère encore que la
paix prévaudra, mais les dirigeants préfèrent prévoir. Il y a un réel
risque de conflagration, à partir de la guerre par procuration qui a
lieu en Syrie.
La cessation des hostilités
Les Russes ont accepté la proposition US de cessez-le-feu en Syrie
(ou plutôt d’arrêt des hostilités). Ils avaient fait une proposition
semblable quelques semaines plus tôt, c’est donc dans la ligne de leur
analyse. Ils ont eu de grands succès en Syrie ; ils ont remporté une
victoire inattendue et étourdissante avec très peu de pertes.
Il s’agit d’une victoire au niveau de l’image autant que sur le plan
militaire. La guerre était au point mort, au niveau international, quand
la Russie est intervenue. Les US et l’UE ont déclenché une guerre
sévère au niveau commercial, financier et diplomatique (ce qu’ils
appellent « sanctions ») contre l’Ours ; celui-ci était isolé, à l’Ouest
et au Sud. Le rouble s’effondrait, la société faisait grise mine et en
voulait à Poutine de sa décision prudente de rester en retrait de la
tourmente ukrainienne (se bornant à un soutien très limité aux
séparatistes russes) au lieu de s’imposer, alors que la Russie avait été
de toute façon condamnée à titre d’agresseur.
L’intervention dans la guerre de Syrie avait suscité incrédulité et
doutes. L’armée russe pouvait-elle gagner si loin de ses bases ? Leurs
avions allaient-il vraiment décoller, et leurs tanks démarrer, ou bien
se disloquer en masse, par suite des négligences de l’ère
post-soviétique ? Dans le pays comme au-delà, des Cassandres
prophétisaient la catastrophe, « le Vietnam », « l’Afghanistan » qui
les attendaient, et spéculaient sur le nombre de cercueils à rapatrier.
Mais ce ne fut qu’un chemin de roses, les militaires ont fait de
superbes performances, avions, missiles et chars ont fait leurs preuves.
Le régime de Bachar al Assad a été sauvé, les rebelles battent en
retraite. Pour les Russes, la fin des hostilités permettrait la
consolidation de leur victoire.
Dans chaque guerre, quand un cessez-le-feu est accepté, il y a des
voix pour réclamer « la guerre jusqu’à la victoire complète »....
La guerre de Syrie n’est pas une exception. L’armée syrienne est au
bord d’une victoire retentissante, d’après les experts militaires
belliqueux ; les rebelles sont encerclés à Alep, leur accès vital à la
Turquie a été coupé, c’est le moment d’en finir avec la menace et de
débarrasser la Syrie des djihadistes. Mais l’élimination des poches
ennemies peut être une opération très coûteuse en termes de vies
humaines, surtout s’agissant d’un ennemi fanatique et solide dans ses
retranchements. Les terribles attentats-suicide à Damas et à Homs ont
prouvé que les rebelles sont aussi meurtriers que leurs prédécesseurs,
la secte des Assassins. Seuls les Mongols de Genghis Khan avaient réussi
à en venir à bout. Les Russes ont préféré négocier et envisager un
gouvernement de coalition qui inclurait certains rebelles modérés,
élargissant de la sorte le soutien à Assad.
Les derniers jours avant le cessez-le-feu vont permettre à l’armée
d’Assad de gagner du terrain dans la région d’Alep et de se retourner
contre le front sud. Je m’attends à la reprise de Palmyre dans les
prochains jours, prenez-le comme un tuyau que je vous donne.
Pourtant, le cessez-le-feu s’est avéré être un but fuyant, dans cette
étape. Les rebelles ont accepté avec hésitation une « cessation des
hostilités », mais avec tant de pré-conditions que cela n’a plus de
sens. Les forces gouvernementales n’avaient pas envie de déposer les
armes non plus, tant que le vent de la victoire soufflait dans leurs
voiles. Les Russes n’ont pas l’intention d’arrêter les opérations contre
les « terroristes »; les US étaient bien d’accord, mais qui sont les
« terroristes » et qui sont les « modérés », voilà ce qu’il va falloir
trancher dans les négociations.
Le Conseil de Sécurité de l’Onu déclaré Daech et al-Nosra (la branche
syrienne d’al Quaida) « terroristes », mais ce n’est pas aussi simple
qu’il y paraît. Il y a des centaines de petites organisations qui leur
sont affiliées, depuis les Brigades Abdullah Azzam jusqu’à Jamaat Abu
Banat (qui « opère dans les faubourgs des villes syriennes d’Alep et
d’Idlib, rackettant et enlevant contre rançon, avec exécutions publiques
des habitants syriens », selon la liste de terroristes de l’Onu.
Va-t-il falloir les protéger au titre du cessez-le-feu ?
Les rebelles « modérés » (soutenus par les Saoud) répondent oui. Ils
veulent inclure les affiliés à Al Nosra dans les accords de
cessez-le-feu, car sans al Nosra, ils seraient perdus. Ceci est
inacceptable pour le gouvernement syrien et pour ses alliés russes. A
reculons, les Américains ont essayé d’inclure al Nosra dans le schéma,
au moins à Alep. On aura bientôt la solution du casse-tête, si elle
existe.
Le nettoyage des accès au métro à Moscou avait plus à voir avec un
danger de guerre avec la Turquie. La Turquie est entrée en guerre,
volontairement de façon limitée, en bombardant les Kurdes syriens. Les
Russes se sont préparés à une confrontation armée avec la Turquie, mais
seulement comme riposte dans le cas d’une invasion turque à grande
échelle. Cette préparation militaire (qui inclut le transport d’armes
lourdes, par voie aérienne, vers la base aérienne russe en Arménie) et
la déclaration de l’Otan (qui dit que l’Otan ne suivra pas la Turquie si
elle ouvre les hostilités) a aidé à affaiblir la détermination turque.
Les Russes se sont adressés au Conseil de Sécurité pour demander la
condamnation de la Turquie ; mais il s’agit d’une déclaration, et non
pas d’une résolution, comme le voulaient les Russes. Cela a quand même
refroidi les Turcs quelque peu, et il semble que leur envie d’envahir et
de s’installer à Alep se soit évanouie. Les troupes saoudiennes ne se
sont pas encore matérialisées, comme je l’annonçais dans mon article
précédent.
La guerre de Syrie est donc loin d’être finie, mais il y a de bonnes
chances qu’au premier mars, des accords de cessez-le-feu se
concrétisent. Si les rebelles saisissent l’occasion et entreprennent des
négociations sérieuses pour un gouvernement de coalition, la paix est
possible. S’ils arrivent à Genève avec leur vieux mantra « Assad doit
partir », ils auront raté l’occasion. Même si (ce qui est très
improbable) la Russie acceptait de sacrifier Assad pour la paix, elle
n’en aurait pas les moyens. Assad est quelqu’un de solide et un
dirigeant qui a un pouvoir réel. La Russie ne pourra pas le déposer.
Assad est incontournable, qu’on le veuille ou non. A mon avis, c’est un
bon dirigeant dans le présent contexte.
Il y a deux changements importants : une vision plus réaliste du
conflit syrien s’est frayé un chemin dans les médias mainstream
américains. La publication de deux articles de Stephen Kinzer dans le Boston Globe,
« Sur la Syrie, merci la Russie » et « En Syrie les médias nous
égarent », premier évènement révolutionnaire d’envergure. Pour la
première fois dans l’histoire, le lecteur des journaux américains a pu
lire que « depuis trois ans, des militants violents règnent sur Alep.
Leur gouvernement a commencé par une vague de répression. Ils ont
affiché des avertissements aux résidents : ‘n’envoyez pas vos enfants à
l’école. Si vous le faites, nous garderons les cartables et vous
reprendrez les cadavres’. Ensuite ils ont détruit les usines, espérant
que les ouvriers au chômage seraient bien obligés de s’enrôler. Ils ont
emporté en camion les équipements pillés vers la Turquie, pour les
vendre. » Kinzer est arrivé à la conclusion : « Nous aurions été une
nation plus sûre, et aurions contribué à un monde plus stable, si nous
avions suivi la politique étrangère russe d’autrefois », référence à l
Afghanistan, l’Irak et la Syrie. Certes le monde serait
différent. Souhaitons que l’on puisse bientôt relier ces publications au
nouveau style américain qui s’est fait jour lors des primaires en
faveur de Trump et de Sanders.
Le second changement d’envergure est la position claire d’Israël
contre le cessez-le-feu, contre Assad, en faveur de Daech et d’al Nosra.
Pendant longtemps cette position avait été masquée par les observateurs
et politiciens israéliens. Israël a beaucoup apprécié que les Arabes
s’entretuent. Maintenant que la fin de la guerre approche, Israël donne
de la voix. Amos Harel, observateur militaire en vue, avec accès au haut
commandement, l’a clarifié : « la guerre en Syrie a largement servi les
intérêts israéliens. L’armée syrienne n’est plus que l’ombre de ce
qu’elle était, grâce aux combats en cours. Et le Hezbollah, le principal
adversaire d’Israël au nord, perd des douzaines de combattants tous les
mois sur le champ de bataille. Israël a souhaité la victoire
tranquillement aux deux camps et n’aurait pas été contre la poursuite de
l’hécatombe pendant quelques années de plus, sans gagnant clair. »
Maintenant, après l’intervention russe, Israël déclare ouvertement
qu’une « victoire d’Assad serait funeste pour Israël », et appelle
l’Occident a « envoyer une aide militaire réelle pour les rebelles
sunnites les moins extrémistes. »
Autrement dit, le bon plaisir d’Israël et du lobby israélien aux US
est en franche contradiction avec la volonté du peuple, comme l’a dit
en toute lucidité Stephen Kinzer. Vous pouvez vous laisser piloter par
votre lobby israélien, ou avoir la paix et la sécurité, mais vous ne
pouvez pas avoir les deux à la fois, c’est aussi simple que ça.
Par Israël Adam Shamir | 24 février 2016
Publication originale sur the Unz Review
Traduction de l’anglais : Maria Poumier
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