Syrak-nord est en
ébullition. Alep, Al Bab, Mossoul : si éclate une guerre régionale
(voire plus...), c'est de l'une de ces trois villes qu'elle partira.
Penchons-nous
aujourd'hui sur Mossoul. Depuis une semaine, la presstituée n'en a que
pour cette bataille, suivie à la seconde près. Ce ne sont que
communiqués victorieux, louanges au Tout-Puissant suzerain US
et autres joyeusetés. Le but est évidemment de dresser le parallèle
avec l'abominable ours des neiges qui tue bébés, vieillards et poissons
rouges à Alep. Voyez, nous ne tuons pas de civils, nous sommes propres, nous, Môsieur ! Heu oui... sauf que la bataille de Mossoul n'a pas commencé...
Les
opérations se bornent pour l'instant aux campagnes environnantes, à une
dizaine de kilomètres de la ville. Pas un coup de feu, pas une bombe
n'a été entendu à Mossoul même.
Sa libération prendra du temps - d'autant que Daech emploie la même tactique que Saddam en 1991 et allume les puits de pétrole
- et causera force dommages collatéraux, comme à Alep, comme dans
toutes les guerres. Nous verrons alors si la volaille médiatique et les
chancelleries occidentales pousseront des cris d'orfraie sur les "crimes
de guerre"...
Cependant, la situation n'est pas tout à fait
identique. Il ne reste "plus que" quelques dizaines de milliers de
civils à Alep, dont une partie est acquise aux djihadistes d'Al Qaeda ou
d'Ahrar al-Cham, notamment les familles des combattants. Si les barbus
ne se sont pas gênés pour tirer ces derniers jours sur les civils, fonctionnaires
ou groupes rebelles dissidents qui souhaitaient quitter la ville en
empruntant les corridors mis en place par Moscou, ils n'ont pas
l'ensemble de la population contre eux. Mossoul, par contre, compte
encore plus d'un million d'habitants, d'une population relativement
hétérogène dont on ne connaît pas le degré de fidélité à l'Etat
Islamique.
D'après des témoignages directs recueillis par votre
serviteur, beaucoup considèrent les petits hommes en noir comme une
force d'occupation et attendent la libération avec impatience. Mais dans
quelle proportion ? Il y a quelques jours, une révolte a éclaté
dans la ville même. Si elle a été vite réprimée, d'autres peuvent se
déclarer et le califat est obligé de déléguer une fraction non
négligeable de ses forces à la surveillance des rues.
Passons
maintenant à la partie vraiment intéressante, les grandes manœuvres
géopolitiques pour préparer l'après-Mossoul. Car si tout le monde
s'accorde sur un point - l'élimination de Daech - quelle foire
d'empoigne du côté de la coalition hétéroclite. Et encore, "hétéroclite"
est un euphémisme. Jugez plutôt : armée irakienne, peshmergas kurdes,
Iraniens, Américains, milices chiites, bataillon turc... N'en jetez plus
!
Évidemment, tout cela ne se fait pas sans heurts et Ankara parle même, non sans exagérations, d'étincelle pouvant déclencher
la Troisième Guerre Mondiale, rien que ça. Ce que les Turcs ne disent
pas, c'est qu'ils sont eux-mêmes au cœur du cyclone et en grande partie
responsables de cette situation...
La crise remonte à décembre dernier et nous étions les premiers à en parler :
La
planète s'est réveillée sur l'étonnante information (évidemment passée
sous silence dans les médias de l'OTAN) de l'incursion d'un bataillon
turc et de deux douzaines de tanks en Irak du nord, dans la région
autonome du Kurdistan, pour... former les combattants kurdes qui luttent
contre Daech ! Un coup d’œil au calendrier me rassure : nous ne sommes
pas le 1er avril. Que viennent donc faire vraiment ces soldats turcs
dans la région de Mossoul ?
En
fait, l'histoire n'est pas si aberrante qu'elle en a l'air. Il faut
d'abord rappeler que le Kurdistan irakien est très polarisé entre deux
tendances irréconciliables : d'un côté le PUK de Talabani, pro-PKK,
pro-YPG, sans compromissions avec Daech ; de l'autre, le PDK de Barzani,
pas en mauvais termes avec Ankara voire, fut un temps pas si lointain
(2014), avec l'EI.
L'accord a été signé
le 4 novembre durant la visite du ministre turc des Affaires étrangères
à Erbil où règne Barzani ; il prévoyait l'établissement d'une base
turque permanente dans la région de Mossoul, témoin de combats entre les
Peshmergas kurdes et Daech. Tiens, tiens, c'est précisément là que passe
le pipeline Kirkuk-Ceyhan...
Bagdad n'a visiblement guère apprécié l'arrivée des tanks turcs et l'a fait savoir
assez vertement. Le premier ministre Abadi a pris Erdogan au mot : "La
présence non autorisée de troupes turques dans la région de Mossoul est
une atteinte à notre souveraineté". Sultan, sultan, tu disais quoi après
l'incident du Sukhoi ? Le parlement irakien a renchéri, appelant
carrément à bombarder la colonne turque ! Aux dernières nouvelles,
celle-ci a fait demi-tour et est rentrée chez elle. Bien tenté mais
encore un plan qui tombe à l'eau, comme tout ce qu'entreprend Ankara ces
temps-ci...
En ce qui concerne la fin du billet, nous
n'avions qu'à moitié raison. Le bataillon turc a fait mine de quitter
les lieux, est revenu... le tout dans des conditions assez obscures. Et
au final, il est toujours là.
Ce qui, dans le contexte de la
bataille de Mossoul qui s'annonce, provoque un échange verbal assez
savoureux entre Bagdad et Ankara - la palme revenant au sultan déjanté
qui, non content de s'inviter chez son voisin, a osé répliquer au premier ministre irakien de "rester à sa place". Les chiites sont évidemment furieux, la rue manifeste, les milices reprennent leurs menaces et Bagdad parle de dérapage vers une guerre régionale. Les Turcs en rajoutent et menacent
de faire dans le nord de l'Irak ce qu'ils ont fait dans le nord de la
Syrie (nous y reviendrons une autre fois, car ça chauffe aussi à Al
Bab).
Si, pour Erdogan, le facteur stratégique est évidemment
central (couper la base arrière du PKK et contrôler le pipeline
Kirkuk-Ceyhan), s'y ajoutent des considérations historiques ("Mossoul
est historiquement turque" a-t-il déclamé) et surtout religieuses. Cela fait un certain déjà que le führerinho néo-ottoman d'Ankara se voit comme le nouveau protecteur du monde sunnite, quitte à irriter la maison des Seoud, et il craint par dessus tout le "nettoyage" des sunnites par les milices chiites une fois la reconquête de Mossoul achevée.
Tout cela créé un maelstrom inextricable
au milieu duquel les Américains tentent de se dépatouiller. Ash Carter,
le supremo du Pentagone, a dû prendre en catastrophe l'avion, sans bien
savoir ce qu'il dirait. Le 21 octobre à Ankara : Oui, vous participerez à la libération de Mossoul. Le lendemain : En fait, peut-être pas...
Quant à l'anguille Barzani, qui dans sa longue carrière a mangé à
pratiquement tous les râteliers (Saddam, Iraniens, Américains, Turcs,
Daech), il a retourné une énième fois sa veste : "Il doit y avoir un moyen de réconcilier Ankara et Bagdad à propos de la présence des soldats turcs. Nous ne pensons pas qu'une force puisse participer à la bataille sans le consentement de Bagdad". Pas mal pour celui qui a invité l'année dernière ces mêmes Turcs à créer leur base sans l'accord du gouvernement irakien...
Les Kurdes justement. Barzani, toujours lui, s'est brusquement réveillé et a annoncé sans rire
qu'il était temps de reprendre Mossoul à l'EI. On se demande ce qu'il
faisait depuis deux ans... Bon connaisseur de la région, Patrice
Franceschi l'expliquait il y a peu :
Depuis qu'il est autonome, le Kurdistan
irakien est divisé en deux. Au Nord, c'est le clan de Massoud Barzani,
au Sud, celui de Jalal Talabani. Au Nord, Barzani, qui a le pétrole, est
dans les mains des Turcs. Ils font des pressions colossales sur lui.
Quand il n'obéit pas, les Turcs referment le robinet et il n'y a plus
d'argent. Barzani ferme donc la frontière avec le Kurdistan syrien et ne
soutient d'aucune manière le Rojava [Kurdistan autonome syrien, ndlr]. Au Sud, et c'est par là qu'on peut
passer, le clan de Jalal Talabani, leader de l'Union Patriotique du
Kurdistan (UPK), est moins dans les mains des Turcs. Il soutient les
gens du Rojava syrien et parvient à les alimenter. Ça fait un peu
d'oxygène qui passe. Mais c'est très peu ! Les Turcs font des pressions
colossales que même les Américains n'arrivent pas à lever réellement
pour que les Kurdes d'Irak ne soutiennent pas ceux de Syrie, pour les
asphyxier.
Je les connais bien pour aller depuis de longues années au Kurdistan irakien et je suis très déçu de leur part. Les
«barzanistes» jouent le jeu de la Turquie et, de surcroît, ne font
absolument pas ce qu'il faut contre l'ennemi commun qu'est l'Etat
islamique. Je suis aussi souvent du côté irakien près Mossoul et
franchement les Kurdes irakiens ne se battent pas.
C'est ce qu'on avait dit en 2014, qu'ils
avaient déguerpi et qu'ils n'avaient pas soutenu les Yazidis et les
Chrétiens qui fuyaient Daech quand ils n'étaient pas massacrés par les
djihadistes…
Ce sont les YPG syriens et le PKK turc qui ont sauvé les Chrétiens et les Yazidis, pas les peshmergas irakiens ! Les articles de presse sur les peshmergas de Barzani qui combattent les djihadistes sont à mourir de rire.
Une poignée de soldats du Califat isolés dans des masures parviennent à
tenir en respect un bataillon entier de peshmergas pendant une journée.
Alors évidemment qu'à la fin de la journée, ces malheureux djihadistes
sont morts! L'inverse serait inquiétant. Je connais bien les Peshmergas
irakiens, ils ont pris vingt kilos en vingt ans de confort.
Les peshmergas de Barzani font la Une
des médias parce que tout est organisé sur le terrain pour les médias.
Ils ont des «fixeurs» pour accompagner les journalistes qu'il suffit de
payer 500 dollars la journée. Mais sur le terrain, c'est de la rigolade : en deux ans face à Mossoul, ils n'ont pas avancé d'un mètre. Alors, oui, il serait temps qu'ils s'y mettent un petit peu ! Les Américains leur ont fourni des blindés, des Humvee (blindés légers de l'Armée américaine,
ndlr.) et quantité d'armements. A l'inverse, en deux ans, les YPG en
Syrie ont conquis un territoire qui est grand comme trois fois le Liban
et ce contre une armée djihadiste infiniment plus puissante, à la fois
en nombre d'hommes et en matériel.
Le lecteur ne
sera pas surpris, nous avons plusieurs fois abordé la question. Notons
au passage la pique à l'indécrottable boussole qui indique le Sud, le
jamais fatigué BHL qui s'est encore planté du tout au tout avec son film
Peshmergas, ode aux combattants immobiles de Barzani...
Et aujourd'hui, coup de tonnerre : les Kurdes creusent des tranchées sur le tracé de leur future frontière provinciale et annoncent qu'ils n'avanceront plus.
La bataille de Mossoul se fera sans eux. Décidément, les "gros ventres"
décrits par Franceschi se sont contentés du minimum syndical. Coup
d'intox pour faire monter les enchères, accord secret préalable avec
Bagdad, décision unilatérale ? A suivre... Relevons au passage que la
polémique base turque dont nous avons parlé plus haut se trouve en
territoire kurde, à quelques kilomètres de ces tranchées.
Irakiens, Turcs, Kurdes... la fiesta
ne serait pas complète sans les Iraniens et les Américains. Et l'on
apprend que l'Arsène Lupin du Moyen-Orient, le redouté chef des Gardiens
de la Révolution, Qassem Someimani est présent sur le terrain pour coordonner les milices chiites. Milices qui, par la voix de l'exalté Moqtada Sadr, avaient d'ailleurs appelé à attaquer les troupes américaines, on s'en souvient. Soleimani est la bête noire de la CIA, le commandant de l'ombre responsable de la mort de dizaines de soldats US pendant l'occupation de l'Irak, le faiseur de rois de Bagdad. On le crédite de tout
et peut-être d'un peu trop d'ailleurs, mais une chose est sûre : c'est
l'un des hommes les plus importants du Moyen-Orient. Le voir aujourd'hui
se balader non loin des forces spéciales états-uniennes ne manque
décidément pas de sel...
Et puisqu'on parle de Téhéran, une
dernière information pour compliquer encore la donne si c'était
possible. Le Ministère des Affaires étrangères iranien, solidaire avec
Bagdad, critique sans ambages la présence militaire turque et la violation de la souveraineté irakienne qui en découle.
Résumons
: Irakiens vs Turcs ; Iraniens vs Turcs ; Iraniens vs Américains ;
milices chiites vs gouvernement irakien (nous n'en avons pas parlé mais
il existe des bisbilles entre eux) ; milices chiites vs Américains ;
Kurdes barzanistes qui trahissent tout le monde... Vous avez dit
"coalition" ?
Syrak-nord est en
ébullition. Alep, Al Bab, Mossoul : si éclate une guerre régionale
(voire plus...), c'est de l'une de ces trois villes qu'elle partira.
Penchons-nous aujourd'hui sur Mossoul. Depuis une semaine, la presstituée n'en a que pour cette bataille, suivie à la seconde près. Ce ne sont que communiqués victorieux, louanges au Tout-Puissant suzerain US et autres joyeusetés. Le but est évidemment de dresser le parallèle avec l'abominable ours des neiges qui tue bébés, vieillards et poissons rouges à Alep. Voyez, nous ne tuons pas de civils, nous sommes propres, nous, Môsieur ! Heu oui... sauf que la bataille de Mossoul n'a pas commencé...
Les opérations se bornent pour l'instant aux campagnes environnantes, à une dizaine de kilomètres de la ville. Pas un coup de feu, pas une bombe n'a été entendu à Mossoul même.
Sa libération prendra du temps - d'autant que Daech emploie la même tactique que Saddam en 1991 et allume les puits de pétrole - et causera force dommages collatéraux, comme à Alep, comme dans toutes les guerres. Nous verrons alors si la volaille médiatique et les chancelleries occidentales pousseront des cris d'orfraie sur les "crimes de guerre"...
Cependant, la situation n'est pas tout à fait identique. Il ne reste "plus que" quelques dizaines de milliers de civils à Alep, dont une partie est acquise aux djihadistes d'Al Qaeda ou d'Ahrar al-Cham, notamment les familles des combattants. Si les barbus ne se sont pas gênés pour tirer ces derniers jours sur les civils, fonctionnaires ou groupes rebelles dissidents qui souhaitaient quitter la ville en empruntant les corridors mis en place par Moscou, ils n'ont pas l'ensemble de la population contre eux. Mossoul, par contre, compte encore plus d'un million d'habitants, d'une population relativement hétérogène dont on ne connaît pas le degré de fidélité à l'Etat Islamique.
D'après des témoignages directs recueillis par votre serviteur, beaucoup considèrent les petits hommes en noir comme une force d'occupation et attendent la libération avec impatience. Mais dans quelle proportion ? Il y a quelques jours, une révolte a éclaté dans la ville même. Si elle a été vite réprimée, d'autres peuvent se déclarer et le califat est obligé de déléguer une fraction non négligeable de ses forces à la surveillance des rues.
Passons maintenant à la partie vraiment intéressante, les grandes manœuvres géopolitiques pour préparer l'après-Mossoul. Car si tout le monde s'accorde sur un point - l'élimination de Daech - quelle foire d'empoigne du côté de la coalition hétéroclite. Et encore, "hétéroclite" est un euphémisme. Jugez plutôt : armée irakienne, peshmergas kurdes, Iraniens, Américains, milices chiites, bataillon turc... N'en jetez plus !
Evidemment, tout cela ne se fait pas sans heurts et Ankara parle même, non sans exagérations, d'étincelle pouvant déclencher la Troisième Guerre Mondiale, rien que ça. Ce que les Turcs ne disent pas, c'est qu'ils sont eux-mêmes au cœur du cyclone et en grande partie responsables de cette situation...
La crise remonte à décembre dernier et nous étions les premiers à en parler :
Ce qui, dans le contexte de la bataille de Mossoul qui s'annonce, provoque un échange verbal assez savoureux entre Bagdad et Ankara - la palme revenant au sultan déjanté qui, non content de s'inviter chez son voisin, a osé répliquer au premier ministre irakien de "rester à sa place". Les chiites sont évidemment furieux, la rue manifeste, les milices reprennent leurs menaces et Bagdad parle de dérapage vers une guerre régionale. Les Turcs en rajoutent et menacent de faire dans le nord de l'Irak ce qu'ils ont fait dans le nord de la Syrie (nous y reviendrons une autre fois, car ça chauffe aussi à Al Bab).
Si, pour Erdogan, le facteur stratégique est évidemment central (couper la base arrière du PKK et contrôler le pipeline Kirkuk-Ceyhan), s'y ajoutent des considérations historiques ("Mossoul est historiquement turque" a-t-il déclamé) et surtout religieuses. Cela fait un certain déjà que le führerinho néo-ottoman d'Ankara se voit comme le nouveau protecteur du monde sunnite, quitte à irriter la maison des Seoud, et il craint par dessus tout le "nettoyage" des sunnites par les milices chiites une fois la reconquête de Mossoul achevée.
Tout cela créé un maelstrom inextricable au milieu duquel les Américains tentent de se dépatouiller. Ash Carter, le supremo du Pentagone, a dû prendre en catastrophe l'avion, sans bien savoir ce qu'il dirait. Le 21 octobre à Ankara : Oui, vous participerez à la libération de Mossoul. Le lendemain : En fait, peut-être pas... Quant à l'anguille Barzani, qui dans sa longue carrière a mangé à pratiquement tous les râteliers (Saddam, Iraniens, Américains, Turcs, Daech), il a retourné une énième fois sa veste : "Il doit y avoir un moyen de réconcilier Ankara et Bagdad à propos de la présence des soldats turcs. Nous ne pensons pas qu'une force puisse participer à la bataille sans le consentement de Bagdad". Pas mal pour celui qui a invité l'année dernière ces mêmes Turcs à créer leur base sans l'accord du gouvernement irakien...
Les Kurdes justement. Barzani, toujours lui, s'est brusquement réveillé et a annoncé sans rire qu'il était temps de reprendre Mossul à l'EI. On se demande ce qu'il faisait depuis deux ans... Bon connaisseur de la région, Patrice Franceschi l'expliquait il y a peu :
Et aujourd'hui, coup de tonnerre : les Kurdes creusent des tranchées sur le tracé de leur future frontière provinciale et annoncent qu'ils n'avanceront plus. La bataille de Mossoul se fera sans eux. Décidément, les "gros ventres" décrits par Franceschi se sont contentés du minimum syndical. Coup d'intox pour faire monter les enchères, accord secret préalable avec Bagdad, décision unilatérale ? A suivre... Relevons au passage que la polémique base turque dont nous avons parlé plus haut se trouve en territoire kurde, à quelques kilomètres de ces tranchées.
Irakiens, Turcs, Kurdes... la fiesta ne serait pas complète sans les Iraniens et les Américains. Et l'on apprend que l'Arsène Lupin du Moyen-Orient, le redouté chef des Gardiens de la Révolution, Qassem Soleimani est présent sur le terrain pour coordonner les milices chiites. Milices qui, par la voix de l'exalté Moqtada Sadr, avaient d'ailleurs appelé à attaquer les troupes américaines, on s'en souvient. Soleimani est la bête noire de la CIA, le commandant de l'ombre responsable de la mort de dizaines de soldats US pendant l'occupation de l'Irak, le faiseur de rois de Bagdad. On le crédite de tout et peut-être d'un peu trop d'ailleurs, mais une chose est sûre : c'est l'un des hommes les plus importants du Moyen-Orient. Le voir aujourd'hui se balader non loin des forces spéciales états-uniennes ne manque décidément pas de sel...
Et puisqu'on parle de Téhéran, une dernière information pour compliquer encore la donne si c'était possible. Le Ministère des Affaires étrangères iranien, solidaire avec Bagdad, critique sans ambages la présence militaire turque et la violation de la souveraineté irakienne qui en découle.
Résumons : Irakiens vs Turcs ; Iraniens vs Turcs ; Iraniens vs Américains ; milices chiites vs gouvernement irakien (nous n'en avons pas parlé mais il existe des bisbilles entre eux) ; milices chiites vs Américains ; Kurdes barzanistes qui trahissent tout le monde... Vous avez dit "coalition" ?
Penchons-nous aujourd'hui sur Mossoul. Depuis une semaine, la presstituée n'en a que pour cette bataille, suivie à la seconde près. Ce ne sont que communiqués victorieux, louanges au Tout-Puissant suzerain US et autres joyeusetés. Le but est évidemment de dresser le parallèle avec l'abominable ours des neiges qui tue bébés, vieillards et poissons rouges à Alep. Voyez, nous ne tuons pas de civils, nous sommes propres, nous, Môsieur ! Heu oui... sauf que la bataille de Mossoul n'a pas commencé...
Les opérations se bornent pour l'instant aux campagnes environnantes, à une dizaine de kilomètres de la ville. Pas un coup de feu, pas une bombe n'a été entendu à Mossoul même.
Sa libération prendra du temps - d'autant que Daech emploie la même tactique que Saddam en 1991 et allume les puits de pétrole - et causera force dommages collatéraux, comme à Alep, comme dans toutes les guerres. Nous verrons alors si la volaille médiatique et les chancelleries occidentales pousseront des cris d'orfraie sur les "crimes de guerre"...
Cependant, la situation n'est pas tout à fait identique. Il ne reste "plus que" quelques dizaines de milliers de civils à Alep, dont une partie est acquise aux djihadistes d'Al Qaeda ou d'Ahrar al-Cham, notamment les familles des combattants. Si les barbus ne se sont pas gênés pour tirer ces derniers jours sur les civils, fonctionnaires ou groupes rebelles dissidents qui souhaitaient quitter la ville en empruntant les corridors mis en place par Moscou, ils n'ont pas l'ensemble de la population contre eux. Mossoul, par contre, compte encore plus d'un million d'habitants, d'une population relativement hétérogène dont on ne connaît pas le degré de fidélité à l'Etat Islamique.
D'après des témoignages directs recueillis par votre serviteur, beaucoup considèrent les petits hommes en noir comme une force d'occupation et attendent la libération avec impatience. Mais dans quelle proportion ? Il y a quelques jours, une révolte a éclaté dans la ville même. Si elle a été vite réprimée, d'autres peuvent se déclarer et le califat est obligé de déléguer une fraction non négligeable de ses forces à la surveillance des rues.
Passons maintenant à la partie vraiment intéressante, les grandes manœuvres géopolitiques pour préparer l'après-Mossoul. Car si tout le monde s'accorde sur un point - l'élimination de Daech - quelle foire d'empoigne du côté de la coalition hétéroclite. Et encore, "hétéroclite" est un euphémisme. Jugez plutôt : armée irakienne, peshmergas kurdes, Iraniens, Américains, milices chiites, bataillon turc... N'en jetez plus !
Evidemment, tout cela ne se fait pas sans heurts et Ankara parle même, non sans exagérations, d'étincelle pouvant déclencher la Troisième Guerre Mondiale, rien que ça. Ce que les Turcs ne disent pas, c'est qu'ils sont eux-mêmes au cœur du cyclone et en grande partie responsables de cette situation...
La crise remonte à décembre dernier et nous étions les premiers à en parler :
La
planète s'est réveillée sur l'étonnante information (évidemment passée
sous silence dans les médias de l'OTAN) de l'incursion d'un bataillon
turc et de deux douzaines de tanks en Irak du nord, dans la région
autonome du Kurdistan, pour... former les combattants kurdes qui luttent
contre Daech ! Un coup d'oeil au calendrier me rassure : nous ne sommes
pas le 1er avril. Que viennent donc faire vraiment ces soldats turcs
dans la région de Mossul ?
En
fait, l'histoire n'est pas si aberrante qu'elle en a l'air. Il faut
d'abord rappeler que le Kurdistan irakien est très polarisé entre deux
tendances irréconciliables : d'un côté le PUK de Talabani, pro-PKK,
pro-YPG, sans compromissions avec Daech ; de l'autre, le PDK de Barzani,
pas en mauvais termes avec Ankara voire, fut un temps pas si lointain
(2014), avec l'EI.
L'accord a été signé
le 4 novembre durant la visite du ministre turc des Affaires étrangères
à Erbil où règne Barzani ; il prévoyait l'établissement d'une base
turque permanente dans la région de Mossul, témoin de combats entre les
Peshmergas kurdes et Daech. Tiens, tiens, c'est précisément là que passe
le pipeline Kirkuk-Ceyhan...
Bagdad n'a visiblement guère apprécié l'arrivée des tanks turcs et l'a fait savoir
assez vertement. Le premier ministre Abadi a pris Erdogan au mot : "La
présence non autorisée de troupes turques dans la région de Mossul est
une atteinte à notre souveraineté". Sultan, sultan, tu disais quoi après
l'incident du Sukhoi ? Le parlement irakien a renchéri, appelant
carrément à bombarder la colonne turque ! Aux dernières nouvelles,
celle-ci a fait demi-tour et est rentrée chez elle. Bien tenté mais
encore un plan qui tombe à l'eau, comme tout ce qu'entreprend Ankara ces
temps-ci...
En ce qui concerne la fin du billet, nous
n'avions qu'à moitié raison. Le bataillon turc a fait mine de quitter
les lieux, est revenu... le tout dans des conditions assez obscures. Et
au final, il est toujours là.Ce qui, dans le contexte de la bataille de Mossoul qui s'annonce, provoque un échange verbal assez savoureux entre Bagdad et Ankara - la palme revenant au sultan déjanté qui, non content de s'inviter chez son voisin, a osé répliquer au premier ministre irakien de "rester à sa place". Les chiites sont évidemment furieux, la rue manifeste, les milices reprennent leurs menaces et Bagdad parle de dérapage vers une guerre régionale. Les Turcs en rajoutent et menacent de faire dans le nord de l'Irak ce qu'ils ont fait dans le nord de la Syrie (nous y reviendrons une autre fois, car ça chauffe aussi à Al Bab).
Si, pour Erdogan, le facteur stratégique est évidemment central (couper la base arrière du PKK et contrôler le pipeline Kirkuk-Ceyhan), s'y ajoutent des considérations historiques ("Mossoul est historiquement turque" a-t-il déclamé) et surtout religieuses. Cela fait un certain déjà que le führerinho néo-ottoman d'Ankara se voit comme le nouveau protecteur du monde sunnite, quitte à irriter la maison des Seoud, et il craint par dessus tout le "nettoyage" des sunnites par les milices chiites une fois la reconquête de Mossoul achevée.
Tout cela créé un maelstrom inextricable au milieu duquel les Américains tentent de se dépatouiller. Ash Carter, le supremo du Pentagone, a dû prendre en catastrophe l'avion, sans bien savoir ce qu'il dirait. Le 21 octobre à Ankara : Oui, vous participerez à la libération de Mossoul. Le lendemain : En fait, peut-être pas... Quant à l'anguille Barzani, qui dans sa longue carrière a mangé à pratiquement tous les râteliers (Saddam, Iraniens, Américains, Turcs, Daech), il a retourné une énième fois sa veste : "Il doit y avoir un moyen de réconcilier Ankara et Bagdad à propos de la présence des soldats turcs. Nous ne pensons pas qu'une force puisse participer à la bataille sans le consentement de Bagdad". Pas mal pour celui qui a invité l'année dernière ces mêmes Turcs à créer leur base sans l'accord du gouvernement irakien...
Les Kurdes justement. Barzani, toujours lui, s'est brusquement réveillé et a annoncé sans rire qu'il était temps de reprendre Mossul à l'EI. On se demande ce qu'il faisait depuis deux ans... Bon connaisseur de la région, Patrice Franceschi l'expliquait il y a peu :
Depuis qu'il est autonome, le Kurdistan
irakien est divisé en deux. Au Nord, c'est le clan de Massoud Barzani,
au Sud, celui de Jalal Talabani. Au Nord, Barzani, qui a le pétrole, est
dans les mains des Turcs. Ils font des pressions colossales sur lui.
Quand il n'obéit pas, les Turcs referment le robinet et il n'y a plus
d'argent. Barzani ferme donc la frontière avec le Kurdistan syrien et ne
soutient d'aucune manière le Rojava [Kurdistan autonome syrien, ndlr]. Au Sud, et c'est par là qu'on peut
passer, le clan de Jalal Talabani, leader de l'Union Patriotique du
Kurdistan (UPK), est moins dans les mains des Turcs. Il soutient les
gens du Rojava syrien et parvient à les alimenter. Ça fait un peu
d'oxygène qui passe. Mais c'est très peu ! Les Turcs font des pressions
colossales que même les Américains n'arrivent pas à lever réellement
pour que les Kurdes d'Irak ne soutiennent pas ceux de Syrie, pour les
asphyxier.
Je les connais bien pour aller depuis de longues années au Kurdistan irakien et je suis très déçu de leur part. Les
«barzanistes» jouent le jeu de la Turquie et, de surcroît, ne font
absolument pas ce qu'il faut contre l'ennemi commun qu'est l'Etat
islamique. Je suis aussi souvent du côté irakien près Mossoul et
franchement les Kurdes irakiens ne se battent pas.
C'est ce qu'on avait dit en 2014, qu'ils
avaient déguerpi et qu'ils n'avaient pas soutenu les Yazidis et les
Chrétiens qui fuyaient Daech quand ils n'étaient pas massacrés par les
djihadistes…
Ce sont les YPG syriens et le PKK turc qui ont sauvé les Chrétiens et les Yazidis, pas les peshmergas irakiens ! Les articles de presse sur les peshmergas de Barzani qui combattent les djihadistes sont à mourir de rire.
Une poignée de soldats du Califat isolés dans des masures parviennent à
tenir en respect un bataillon entier de peshmergas pendant une journée.
Alors évidemment qu'à la fin de la journée, ces malheureux djihadistes
sont morts! L'inverse serait inquiétant. Je connais bien les Peshmergas
irakiens, ils ont pris vingt kilos en vingt ans de confort.
Les peshmergas de Barzani font la Une
des médias parce que tout est organisé sur le terrain pour les médias.
Ils ont des «fixeurs» pour accompagner les journalistes qu'il suffit de
payer 500 dollars la journée. Mais sur le terrain, c'est de la rigolade : en deux ans face à Mossoul, ils n'ont pas avancé d'un mètre. Alors, oui, il serait temps qu'ils s'y mettent un petit peu ! Les Américains leur ont fourni des blindés, des Humvee (blindés légers de l'Armée américaine,
ndlr.) et quantité d'armements. A l'inverse, en deux ans, les YPG en
Syrie ont conquis un territoire qui est grand comme trois fois le Liban
et ce contre une armée djihadiste infiniment plus puissante, à la fois
en nombre d'hommes et en matériel.
Le lecteur ne
sera pas surpris, nous avons plusieurs fois abordé la question. Notons
au passage la pique à l'indécrottable boussole qui indique le Sud, le
jamais fatigué BHL qui s'est encore planté du tout au tout avec son film
Peshmergas, ode aux combattants immobiles de Barzani...Et aujourd'hui, coup de tonnerre : les Kurdes creusent des tranchées sur le tracé de leur future frontière provinciale et annoncent qu'ils n'avanceront plus. La bataille de Mossoul se fera sans eux. Décidément, les "gros ventres" décrits par Franceschi se sont contentés du minimum syndical. Coup d'intox pour faire monter les enchères, accord secret préalable avec Bagdad, décision unilatérale ? A suivre... Relevons au passage que la polémique base turque dont nous avons parlé plus haut se trouve en territoire kurde, à quelques kilomètres de ces tranchées.
Irakiens, Turcs, Kurdes... la fiesta ne serait pas complète sans les Iraniens et les Américains. Et l'on apprend que l'Arsène Lupin du Moyen-Orient, le redouté chef des Gardiens de la Révolution, Qassem Soleimani est présent sur le terrain pour coordonner les milices chiites. Milices qui, par la voix de l'exalté Moqtada Sadr, avaient d'ailleurs appelé à attaquer les troupes américaines, on s'en souvient. Soleimani est la bête noire de la CIA, le commandant de l'ombre responsable de la mort de dizaines de soldats US pendant l'occupation de l'Irak, le faiseur de rois de Bagdad. On le crédite de tout et peut-être d'un peu trop d'ailleurs, mais une chose est sûre : c'est l'un des hommes les plus importants du Moyen-Orient. Le voir aujourd'hui se balader non loin des forces spéciales états-uniennes ne manque décidément pas de sel...
Et puisqu'on parle de Téhéran, une dernière information pour compliquer encore la donne si c'était possible. Le Ministère des Affaires étrangères iranien, solidaire avec Bagdad, critique sans ambages la présence militaire turque et la violation de la souveraineté irakienne qui en découle.
Résumons : Irakiens vs Turcs ; Iraniens vs Turcs ; Iraniens vs Américains ; milices chiites vs gouvernement irakien (nous n'en avons pas parlé mais il existe des bisbilles entre eux) ; milices chiites vs Américains ; Kurdes barzanistes qui trahissent tout le monde... Vous avez dit "coalition" ?