Lorsqu'en
2012-2013, les États-Unis édictèrent une série de sanctions contre la banque
centrale iranienne à propos du supposé programme nucléaire, Téhéran contourna le piège en recourant à l'or. L'Inde, qui
achetait du pétrole iranien et ne pouvait le payer en dollars, passa par l'intermédiaire
de la Turquie, principal marché de l'or au Moyen-Orient : Ankara recevait les
paiements en monnaie fiduciaire et transférait le précieux métal jaune à Téhéran.
On voit
d'ailleurs que les importations d'or turques ont explosé en 2013, pour pouvoir
réaliser ce tour de passe-passe :
Notons au passage
que les encouragements depuis quelques mois des autorités turques à vendre du
dollar pour acheter de l'or ou de la lire et la presque confiscation de l'or des particuliers visent certes
à enrayer la dégringolade de la monnaie (attaques des fonds spéculatifs US ?)
mais s'inscrit plus généralement dans un vaste plan de dédollarisation et de
constitution d'un axe de l'or.
Quand Erdogan déclare récemment vouloir commercer en monnaies nationales
avec la Russie, la Chine et l'Iran, il ne fait que reprendre une antienne bien
plus ancienne ; en 2012 déjà, il suggérait au FMI de remplacer le dollar par l'or pour ses prêts. Ce qui doit
expliquer la mansuétude répétée de Moscou envers le sultan...
Le triangle
Iran-Inde-Turquie vu plus haut n'est qu'un des nombreux exemples de la vague de
dédollarisation qui touche lentement mais sûrement la planète et met en péril l'empire américain. A ce titre, la lune de
miel aurifère sino-russe est éclairante. Le mois dernier, nous
écrivions :
Une nouvelle est passée à peu près inaperçue quelques
semaines avant le false
flag chimique de Khan Cheikhoun. La banque centrale russe a ouvert
son premier bureau à l'étranger à Pékin le 14 mars, à un moment où la Russie va
pour la première fois de son histoire lancer un emprunt en yuans chinois.
Fin mars, le dragon renvoyait la pareille en ouvrant une banque de
compensation à Moscou afin gérer les transactions en yuans et de créer en
Russie un pool
de liquidités en RMB facilitant le commerce bilatéral en monnaies nationales.
Ce centre pourrait devenir un important hub financier dans le cadre de l'Union Économique
Eurasienne et les nouvelles routes de la Soie chinoises.
Mais surtout, les discussions avancent sur l'établissement d'un
étalon-or commun aux deux pays au moment où les monnaies occidentales
deviennent chaque jour un peu plus des monnaies de singe. Il est même évoqué
l'éventualité de paiements commerciaux en or !
Cela fait un certain temps que l'ours et le dragon nous mijotent
quelque chose avec le métal précieux.
De fait, le
mariage aurifère est déjà assez poussé. La Chine paye en yuans le pétrole russe
qu'elle importe. Avec ces yuans, Moscou se précipite... à Shanghai pour acheter
de l'or ! Circuit autarcique dont le dollar est totalement absent.
Assistera-t-on bientôt
à un échange direct pétrole contre or ? Pas impossible vu ce que nous évoquions
précédemment. Mais alors pourquoi Pékin continue de pousser à l'acceptation de
contrats à terme sur le pétrole en yuans dans l'optique de rendre la monnaie
chinoise indispensable sur le marché de l'or noir - ce que d'aucuns nomment le pétroyuan ? Peut-être bien pour embarquer les Saoudiens dans l'aventure.
Le fidèle
lecteur du blog à ses débuts avait été prévenu :
[...] Une chose demeurait, stoïque et inébranlable : le
pétrodollar. Saddam avait bien tenté de monter une bourse pétrolière en euros
mais il fut immédiatement tomahawkisé. Kadhafi avait lancé l'idée mais les
bombes libératrices de l'OTAN tombaient déjà sur Tripoli avant qu'il ait eu le
temps de passer un coup de fil. Les stratèges américains pouvaient dormir du
sommeil du juste, leurs charmants alliés pétromonarchiques du Golfe resteraient
le doigt sur la couture du pantalon.
Sauf que... Une info extrêmement importante, donc passée inaperçue
dans la presse française, est sortie il y a quelques jours. La Russie et l'Angola ont
dépassé l'Arabie saoudite comme premiers fournisseurs de pétrole à la Chine.
Chose intéressante d'après les observateurs, c'est le fait que la Russie
(encore ce diable de Poutine !) accepte désormais les paiements en yuans
chinois qui a motivé ce changement tectonique. D'après un analyste, si l'Arabie
veut reprendre sa part de marché, il faudrait qu'elle commence à songer
sérieusement à accepter elle aussi les paiements en yuans... c'est-à-dire
mettre fin au pétrodollar.
Et là, cela risque de poser un sérieux dilemme aux Saoudiens :
faire une croix sur leur prééminence pétrolière mondiale ou faire une croix sur
le pétrodollar au risque
de voir les Américains le prendre très mal et éventuellement fomenter un
changement de régime.
Si - et cela
reste encore un gros si pour le moment - les Saoudiens franchissent le
Rubicon, une kyrielle d'autres pays suivront, dans et en dehors de l'OPEP,
entraînant dans leur sillage la chute du pétrodollar et de la puissance
impériale.