vendredi 12 mai 2017

Emmanuel Clinton et la révolte des élites




Donc, en fin de compte, l’Occident a été sauvé par l’élection de Emmanuel Macron à la présidence de la France : soulagement à Bruxelles, une eurozone pleine d’entrain, et des reprises boursières sur les marchés d’Asie.
Cela a toujours été une évidence. Après tout, Macron était approuvé par l’UE, déesse des marchés, et par Barack Obama. Et il était totalement soutenu par la classe dirigeante française.
C’était un référendum sur l’UE – et l’UE, dans sa configuration actuelle, a gagné. 

La cyber-guerre devait être de la partie. Personne ne sait d’où viennent les « Macron Leaks » [1] – une fuite massive en ligne de mails de la campagne Macron. Wikileaks a certifié que les documents qu’il avait eu le temps d’évaluer étaient authentiques.
Cela n’a pas empêché la galaxie Macron d’accuser immédiatement la Russie. Le Monde, un ex-grand journal aujourd’hui détenu par trois soutiens influents de Macron, a loyalement fait écho à ces dénonciations de RT et de Sputnik, d’attaques technologiques et, en général, d’interférences russes dans les élections.
La russophobie macronite [2] de la médiasphère française inclut également Libération, à l’origine le journal de Jean-Paul Sartre. Édouard de Rothschild, le dirigeant précédent de la banque Rothschild & Cie, a acheté 37% des parts du journal en 2005, ce qui lui en a donné le contrôle. Trois ans plus tard, un Emmanuel Macron inconnu entamait sa montée dans le département des fusions et acquisitions, et gagnait rapidement la réputation d’un « Mozart de la finance ».
Après un bref passage au ministère des finances, un mouvement, En Marche! a été monté pour lui par un réseau de personnages influents et de think tanks. Aujourd’hui, c’est la présidence. Bienvenue dans les portes tournantes de style Moet & Chandon.
Rendez-vous aux barricades, baby
Dans sa dernière confrontation avec Marine Le Pen, Macron ne s’est pas privé d’étaler de la condescendance/grossièreté et a même engrangé quelques points de pourcentage supplémentaires en martelant que « Marine » était une nationaliste mal informée, corrompue, haineuse, menteuse qui « se nourrit des souffrances de la France » et précipiterait une « guerre civile ».
Cela peut se retourner contre lui. Macron est destiné à être un opérateur de la dévaluation de la France ; un champion de la « rigueur » salariale, dont le contrepoint sera un boom du sous-emploi ; et un champion de l’augmentation de la précarité comme stratégie de relance de la compétitivité.
Les grandes entreprises applaudissent son idée de réduction de leurs impôts de 33% à 25% (la moyenne européenne). Mais dans l’ensemble, ce que Macron a vendu a été une recette pour un scénario de type « rendez-vous aux barricades » : des coupes sombres dans les dépenses de santé, les allocations chômage et les budgets des régions ; au moins 120.000 licenciements dans le secteur public, et l’abrogation de certains droits des travailleurs. Il veut continuer à « réformer » le code du travail français – des réformes auxquelles 67% des Français sont opposés – par ordonnances.
Sur l’Europe, « Marine » a dit quelque chose de vrai, « La France sera dirigée par une femme, moi ou madame Merkel ».
De sorte que Macron est susceptible d’être le nouveau Tony Blair ou, dans une veine plus désastreuse, le nouveau [ex-premier ministre italien] Matteo Renzi.
La vraie partie commence aujourd’hui. Seuls quatre électeurs sur dix l’ont soutenu. L’abstention a atteint 25% – presque un tiers en comptant les votes nuls. Il sera virtuellement impossible à Macron d’obtenir une majorité parlementaire dans les élections législatives à venir.
La France est aujourd’hui divisée en cinq blocs antagonistes – avec très peu de choses en commun : (1) Le mouvement En Marche ! de Macron, (2) le Front National de Marine Le Pen, qui sera recomposé et développé ; (3) la France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon, qui est destinée à mener une nouvelle gauche ; (4) les lambeaux des Républicains, autrement dit la droite traditionnelle française, qui a un besoin urgent d’un nouveau leader après la débâcle Fillon ; et (5) le PS post-Hollande virtuellement détruit.
Un choc de nouveauté orwellien
Contrairement aux perceptions mondiales, la plus grande question de cette élection n’était pas l’immigration, mais le profond ressentiment contre l’État profond français (police, justice, administration) – qui est perçu comme oppressif, corrompu et même violent.
macron-pas
Avant même le vote, le toujours pertinent et délicieusement provocateur Michel Onfray, auteur de Décadence, le meilleur livre de l’année, et fondateur de l’université populaire de Caen, a identifié quelques-uns des soutiens les plus importants du mouvement de Macron : [la galaxie de la Cabale judéo-française[3],] le soi-disant philosophe « belliqueux » Bernard-Henri Levy ; Pierre Bergé, du Monde ; Jacques Attali – qui a transformé les socialistes en néolibéraux endurcis presque à lui tout seul ; l’éminence grise Alain Minc ; l’ex-dirigeant de MSF Bernard Kouchner ; et l’ex-soixante-huitard [et pédophile] Daniel Cohn-Bendit – « en d’autres termes, les promoteurs sauvages des politiques libérales qui ont permis à Marine Le Pen d’enregistrer son plus haut score à ce jour ».
Tous les précités sont des serviteurs fidèles de l’État profond français. J’ai exposé sur Asia Times la façon dont l’hologramme Macron avait été fabriqué. Mais pour comprendre comment l’État profond a réussi à le vendre, il est essentiel de se référer au philosophe Jean-Claude Michéa, un disciple de George Orwell et de Christopher Lasch, et l’auteur du récemment publié Notre Ennemi, Le Capital.
Michéa analyse en détail la façon dont la gauche a adopté toutes les valeurs de ce que Karl Popper appelait « une société ouverte ». Et la façon dont les propagandistes ont dévié le sens du mot populisme pour en stigmatiser la forme contemporaine comme l’incarnation du Mal Absolu. Marine Le Pen a été ostracisée comme « populiste » – alors que la propagande des médias a toujours refusé de noter que les électeurs du Front National (aujourd’hui 11 millions) viennent des « classes populaires ».
Michéa souligne le sens original, historique, du mot « populisme » dans la Russie tsariste ; un courant du mouvement socialiste – très admiré par Marx et Engels – dans lequel les paysans, les artisans et les petits entrepreneurs devaient avoir une place d’honneur au sein d’une économie socialiste développée. Pendant mai 68 en France, personne n’aurait imaginé que le populisme viendrait à être assimilé au fascisme. Cela a commencé à se produire au début des années 80 – dans le cadre de la manipulation orwelienne du langage par les néolibéraux.
Michéa note aussi qu’aujourd’hui, il est beaucoup plus facile d’être un néolibéral de gauche que de droite ; en France, ces néolibéraux de gauche appartiennent au circuit très fermé des « Young Leaders » adoptés par la French American Foundation. Les grandes entreprises françaises et la haute finance – essentiellement, la classe dirigeante française – ont tout de suite compris qu’un vieux catholique de droite comme François Fillon ne ferait jamais l’affaire ; ils avaient besoin d’apposer une nouvelle marque sur le même produit.
D’où Macron : un nouvel emballage vendu comme un changement auquel la France peut croire, et qui reviendra en fait à une approche en douceur des « réformes » nécessaires à la survie du projet néolibéral.
Ce que les Français ont élu – d’une certaine façon – est l’unité de l’économie néolibérale et du libéralisme culturel. Appelons cela, comme Michéa, « du libéralisme intégré ». Ou, avec toutes ses harmoniques orwelliennes, « du capitalisme post-démocratique ». Une véritable révolte des élites. [a] Et les « paysans » ont avalé cela de bon cœur. Qu’ils mangent de la brioche hors de prix. Encore cette fois, la France mène l’Occident [vers sa dégénérescence].
Source : Asia Times
Traduction Entelekheia

[a] NdT : La révolte des élites et la trahison de la démocratie est le titre d’un livre de Christopher Lasch préfacé par Jean-Claude Michéa.

Les commentaires  dans cette couleur sont d’Hannibal GENSÉRIC.

Les manipulateurs derrière Emmanuel Macron ont joué l’« Ode à la Joie » de Beethoven au lieu de l’hymne national français lors du rassemblement électoral du vainqueur. Eh bien, au moins, ils n’ont pas joué « Deutschland Über Alles ». Les tensions dans la situation de la zone euro restent : le chômage des jeunes est à 20%, l’insolvabilité des banques européennes et la contraction implacable de l’activité économique, en particulier sur le flan sud de l’UE.

 [1] MacronLeaks: Les documents révélés par WikiLeals sur Macron et son équipe (les bonnes feuilles)

[2] Macron promoteur et prisonnier de l’antirussisme

Macron est il un agent de la CIA ou du MOSSAD ?

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Emmanuel Macron et le précédent israélien

En Marche!, un Kadima français?

Emmanuel Macron  à gauche
et Tzipi Livni en 2009 à droite
La victoire d’Emmanuel Macron à  la présidentielle est largement celle d’un candidat au visage aussi lisse que son programme politique. Celui qu’on présente déjà comme le « plus jeune président » de la Ve République et que nous pourrions qualifier de premier candidat postmoderne, est aussi l’incarnation d’un phénomène politique récent. Par sa stratégie politique, par son programme et par sa personnalité, Macron illustre en effet une évolution que l’on retrouve dans d’autres pays occidentaux. La comparaison avec Israël, où on se plaît à surnommer Emmanuel Macron le « Yaïr Lapid français », est instructive à plusieurs égards.

« Kadima » en hébreu signifie « En avant »

Le phénomène du mouvement En Marche ! qui a amené Macron au second tour, ressemble étrangement au phénomène Kadima, éphémère parti politique israélien qui avait remporté les élections législatives de 2005, après une apparition fulgurante sur la scène politique, suivie d’une disparition tout aussi rapide. Ajoutons que « Kadima », en hébreu, signifie « En avant ». Dans les deux cas, il s’agit d’une organisation politique sui generis, sans identité bien définie. En Marche ! est un mouvement populaire se revendiquant comme étant « de droite et de gauche ». Kadima était un parti formé d’anciens membres du Likoud (droite) et d’Avoda (gauche travailliste), qui se définissait comme centriste et dont les dirigeants, à l’instar d’Emmanuel Macron, affirmaient rejeter les « clivages droite-gauche dépassés ».
En réalité, Kadima incarnait surtout l’arrivée au pouvoir des idées post-sionistes, en vogue dans les milieux universitaires et intellectuels israéliens depuis le début des années 1990. Après une ascension rapide, le parti Kadima obtint 28 sièges dans la 18ème Knesset (ce qui en faisait le premier parti, devançant le Likoud et réduisant le parti travailliste à la portion congrue). Mais ce succès spectaculaire fut de courte durée : lors des élections législatives de 2013, Kadima a été pulvérisé et n’obtint que 2 sièges. Il a disparu de la scène politique israélienne à la suite de cet échec, et sa dirigeante Tsipi Livni créa un nouveau parti, au nom tout aussi vide de contenu idéologique : « Le mouvement » (Hatnua).
Le sociologue Shmuel Trigano a décrit le postmodernisme comme une idéologie dominante, caractérisée notamment par le rejet de la souveraineté de l’État et des frontières. C’est dans cette perspective qu’il faut comprendre la déconfiture des partis politiques traditionnels (UMP et PS en France, parti travailliste en Israël), qui va de pair avec l’émergence de nouvelles structures politiques, dont En Marche ! et Kadima sont les illustrations les plus marquantes. Dans les deux cas, ces nouvelles entités politiques sont marquées par un rejet des idéologies politiques traditionnelles (socialisme, travaillisme) et par le recours à des slogans qui relèvent plus du marketing que du discours politique.

Des électeurs « consommateurs »

En effet, au-delà de la similarité des noms, Kadima et En Marche ! se ressemblent surtout à un niveau plus fondamental : l’idéologie dominante post-moderniste, dont ils sont l’expression politique. Le post-sionisme (c’est-à-dire l’abandon des principes fondamentaux du sionisme politique) de Kadima trouve ainsi son semblant dans le post-modernisme incarné par En Marche !. Quant à leur rejet affiché des clivages politiques traditionnels, il recouvre, dans une large mesure, une absence de positionnement politique réel (socialistes ou libéraux? conservateurs ou réformistes?), que beaucoup décrivent comme une absence de programme.
La volonté proclamée de renouveau, (En Marche ! est l’émanation de l’Association pour le renouvellement de la vie politique) exprime ainsi la quintessence, sinon la totalité de leur programme. Mais derrière les slogans prometteurs, on a peine à déchiffrer quelle est l’identité véritable de ces mouvements politiques, dont les électeurs sont plutôt des « consommateurs » que des militants aux revendications bien définies. Leur rejet des idéologies classiques n’exprime sans doute pas tant une volonté de renouveau politique qu’un vide de contenu, que les efforts des conseillers en image et autres communicants peinent à masquer.
Tout comme l’ascension fulgurante du parti Kadima en Israël, la victoire d’En Marche ! au premier tour de l’élection présidentielle française est, plus encore que celle d’un appareil politique, celle d’un slogan et d’un appareil de communication, c’est-à-dire de publicité. Pour la première fois dans l’histoire politique française, les électeurs vont porter au pouvoir un mouvement qu’ils auront choisi non pas tant en raison de son programme et de son contenu, que de son « emballage »… En Israël, les années Kadima auront surtout été marquées par la catastrophique Deuxième guerre du Liban. L’avenir dira si le mouvement En Marche ! saura laisser une trace plus durable et positive dans la vie politique française.
Élu de Neuilly / avocat et écrivain