À partir d’août dernier, le Liban est parvenu à nettoyer sa frontière
au nord-est en évacuant plus de 8 000 membres d’Al-Qaeada et leurs
familles vers Idlib, au nord de la Syrie. Le monde entier, y compris les
Libanais, ont surveillé de près les modalités de l’accord et observé
comment les dirigeants politiques libanais (le président Michel Aoun et
le premier ministre Saad Hariri) réagiraient au résultat obtenu par le
Hezbollah, à savoir la libération des environs d’Arsal et l’expulsion
d’Al-Qaeda de son territoire. Les USA se sont contentés de rappeler à
l’ordre leurs partisans libanais qui soutenaient le Hezbollah avec un
peu trop d’enthousiasme dans les médias traditionnels et les médias
sociaux.
Des combattants du Hezbollah sur la plus haute montagne de Halimat-Qarat ces derniers jours. DR |
Un mois plus tard, le Hezbollah a informé le président Aoun de son
intention d’entamer la bataille contre le groupe armé « État
islamique », avec ou sans le soutien des Forces armées libanaises (FAL),
du territoire syrien. Ancien général de l’armée, Aoun savait que
l’attaque du Hezbollah pousserait Daech vers le Liban, rendant ainsi la
bataille à livrer par les FAL plus complexe et difficile. Aoun a demandé
un peu plus de temps et les FAL étaient prêts pour le combat quelques
jours plus tard.
Dans chaque bataille, l’ennemi est anéanti ou capitule. Daech a
choisi la seconde option une fois pris en souricière en territoire
syrien. Les conditions de la reddition dictée par le Hezbollah ont été
acceptées par le président et le premier ministre libanais, entraînant
ainsi l’évacuation de 309 militants de Daech, plus 341 femmes, enfants
et blessés, vers les villes syriennes de Deir Ezzor et d’Abou Kamal à
l’est de la Syrie. Toutefois, la réaction à la victoire du Hezbollah
contre le groupe terroriste à la frontière libano-syrienne et à
l’évacuation de 625 combattants de Daech et de leurs familles dans 17
autobus n’a pas été la même que lors de l’évacuation de 8 000 militants
d’Al-Qaeda et de leurs familles dans 98 autobus. Pourquoi?
L’évacuation des militants de Daech a causé une petite commotion au
Liban, une réaction habituelle parmi les Libanais aux loyautés
divergentes s’expliquant par la lutte de politique intérieure constante à
propos du Hezbollah. Mais dans ce cas-ci, la question a débordé la
frontière du Liban à la suite de l’intervention du pouvoir chiite
irakien à l’encontre du Hezbollah chiite.
Cette « tempête » transfrontalière entre chiites a amené les forces
armées des USA à intervenir: la US Air Force a ainsi stoppé les six
derniers autobus de Daech au point d’échange, afin de perturber
l’échange en question. Les militaires américains ont autorisé l’échange
de deux dépouilles du Hezbollah et le corps d’un Iranien membre du corps
des Gardiens de la révolution islamique décapité par Daech, et le
transfert de 11 autobus transportant 200 militants de Daech et 121
membres de leurs familles juste au delà du point d’échange sans leur
permettre d’aller plus loin. Les avions US sans pilote contrôlent les 17
autobus 24 heure sur 24 pour s’assurer que personne ne bouge. La US Air
Force a bombardé un véhicule de Daech à proximité du point d’échange,
en croyant qu’il transportait le seul prisonnier détenu par Daech et
qu’il se trouvait dans la cible détruite. Cette intervention américaine a
eu pour effet de bloquer 109 terroristes de Daech et 120 civils.
Les USA ont pu intervenir en raison de la division qui règne dans les
rangs chiites, qui met en lumière une véritable divergence entre deux
fronts. Le Hezbollah a été pris par surprise en voyant le premier
ministre irakien et le dirigeant sadriste Moqtada al-Sadr se montrer
hostiles, ce qui a eu pour effet d’augmenter considérablement la tension
entre les deux fronts. Mais derrière ce conflit « interne », se cache
un élément important : les élections à venir en Irak.
Les Irakiens peuvent prendre les choses à cœur, ce qui les rend
facilement manipulables par les médias. La question en cause n’a rien à
voir avec la souveraineté irakienne, pour les raisons suivantes : les
USA sont dans le pays; la Turquie refuse de lever ses forces armées
depuis deux ans; Daech occupe encore une partie de l’Irak; et le
Kurdistan fait chanter Bagdad, brandissant l’étendard de l’indépendance
pour soutirer de l’argent.
Par conséquent, la raison principale du différend est l’influence de
« l’axe de la résistance » en Irak : c’est un message direct à l’Iran et
à son influence en Mésopotamie. Le premier ministre Abadi s’oppose à la
montée en puissance des Hachd al-Chaabi et des groupes indépendants qui
combattent sous son drapeau, mais dont la loyauté va à « l’axe de la
résistance ». Ces groupes rejettent toute présence américaine dans le
pays et en Syrie et désirent se rendre à la frontière irako-syrienne
pour y combattre Daech, contrairement à Abadi.
En fait, le premier ministre irakien estime que les groupes
combattant sous la gouverne des Hachd ne sont pas sous son contrôle
direct et qu’ils deviendront des adversaires féroces aux prochaines
élections. Les Hachd soutiennent Nouri al-Maliki, le vice-président
irakien, ancien premier ministre et chef du parti Dawa, dont Abadi est
membre. Ce dernier n’a pas été honnête dans sa « crainte des 308
militants de Daech qui s’approchent de la frontière irakienne ».
Pourquoi n’a-t-il pas soulevé la question au centre des opérations
militaires à Bagdad, qui regroupe toutes les parties (Iran et Hezbollah y
compris), et par l’entremise de ses agents militaires et du
renseignement qui se rendent régulièrement à Damas? Nous l’ignorons. Il a
préféré utiliser les médias pour lancer un message au lieu de se
préoccuper du terrorisme.
Ainsi, la lutte politique entre chiites mise en lumière par l’Irak
brise tous les anciens tabous, ce qui permet aux ennemis de « l’axe de
la résistance » de le dénoncer haut et fort sous les jupons d’Abadi. Le
premier ministre est parvenu à mettre à jour ce que les opposants du
Hezbollah n’ont jamais réussi à faire pendant des années.
L’approche agressive de l’Irak est révélatrice de la férocité des
prochaines élections, où tous les coups seront permis pour obtenir le
siège de premier ministre. Elle n’a pas grand-chose à voir avec la
guerre contre le terrorisme (Al-Qaeda et Daech); il s’agit plutôt d’une
guerre pour reprendre le pouvoir. Les alliés les plus fidèles pourraient
faire défection et les tabous politiques voler en éclats même si
l’ennemi (Daech) est toujours dans le pays et que le travail pour
empêcher le retour du groupe terroriste n’est pas encore fait. Pour
l’amour du pouvoir, Abadi n’a aucune hésitation à reprendre pour lui les
mots de Louis XV : « Après moi le déluge ».
Elijah J. Magnier, analyste politique et correspondant de guerre qui compte plus de 30 ans d’expérience à son actif.
Article original en arabe: alrai.li/dwxx7j3
En anglais: elijahjm.wordpress
Traduction : Daniel G.