lundi 2 juillet 2018

Syrie. De Trajan à Lawrence

L'Histoire a de ces coïncidences... L'actuelle bataille pour le sud-ouest syrien place sur le devant de la scène deux sites qui ont connu leur heure de gloire ou d'infortune en d'autres temps : Bosra et Deraa.





Déjà mentionnée au XIVème siècle avant JC dans les tablettes de Tell el-Amarna, Bosra se développa réellement à partir du IIème siècle avant notre ère lorsqu’elle devint la capitale du nord du Royaume nabatéen. Surtout, en 106, elle devient la capitale de la province romaine d’Arabie créée par Trajan après l’annexion des Nabatéens. Agrandie et embellie d’édifices publics, Bosra est rebaptisée Nova Trajana Bostra par l'empereur et un magnifique théâtre de 17.000 place, demeuré presque intact, est construit.


C'est cette petite ville que prennent les rebelles modérément modérés en 2015, forçant à l'exil la moitié chiite de la population.


Autre époque, même région. Durant la Première Guerre Mondiale, les Britanniques sont en guerre contre l'empire ottoman, allié de l'Allemagne, et le fameux Lawrence d'Arabie a un rôle clé dans le soulèvement des tribus arabes contre la Sublime Porte.
Après avoir pris Aqaba en juillet 1917 lors d'une audacieuse attaque terrestre, il lance un petit raid sur Deraa à l'automne, au cours duquel il se fait prendre. S'il ne l'a jamais explicitement dit, il y est vraisemblablement torturé et violé à cette occasion par des officiers turcs.
Après 1918, Lawrence ne quittera pas tout à fait les affaires moyen-orientales, comme nous l'expliquions il y a trois ans :
L’histoire d’amour entre le monde anglo-saxon et l’islamisme remonte à plus d’un siècle, lorsque la Grande-Bretagne commença à se mêler des affaires de la péninsule arabique. Mais Londres était tiraillée entre deux visions, plus exactement deux départements de ses affaires étrangères, chacun supportant son poulain (ou son pur-sang arabe en l’occurrence). Par l’entremise de son agent sur place, John Philby - le père du célèbre espion qui trahira pour le compte du KGB -, l’India Office soutenait Abdulaziz Ibn Saoud, allié aux wahhabites [ Voir Origines de la connivence wahhabisme-sionisme], ce courant ultra rigoriste de l’islam. De l'autre côté, l’Arab Bureau du Caire et le légendaire Lawrence (oui, oui, d’Arabie) jouaient la carte du chérif Hussein de la Mecque, bien plus modéré. Malheureusement pour le monde, le premier prit le pas sur le second sur le terrain et Philby sur Lawrence dans les corridors du Foreign Office. Le Saoud monta sur le trône de l’Arabie, on en paye encore les conséquences…
Mais revenons à Deraa, ville départ en 2011 de la vraie-fausse révolte syrienne et de la guerre en général. La ville est depuis lors plus ou moins divisée en deux, une partie fidèle aux loyalistes, l'autre aux mains des "rebelles".
C'est dans toute cette zone historiquement chargée qu'a maintenant lieu l'une des dernières batailles du conflit finissant. Nous en étions restés il y a cinq jours sur la dérouillée des barbus qui ont perdu l'importante plaine de Lajat. Depuis, les loyalistes ont encore avancé et les lignes de défense rebelles s'écroulent :


Comme souvent lorsqu'ils prennent une fessée, nos petits amis barbus sont soudain prêts à discuter avec l'impie gouvernement Assad et à faire des concessions. L'idée d'un cessez-le-feu est d'abord venue d'Amman avant de faire son chemin dans les esprits.
Le centre de réconciliation mis sur pied par les Russes fonctionne à plein régime et la plupart des groupes sont enclins à déposer les armes. Ils n'ont certes pas trop le choix étant donné que des manifestations pro-gouvernementales éclatent un peu partout dans les zones tenues par les rebelles, dont Bosra.
Si la zone à l'est de Deraa devrait rapidement revenir dans le giron de Damas, restera la partie occidentale, accolée au petit territoire daéchien et au Golan occupé par Israël. Étincelles en perspective, à moins que Poutine et Trump ne nous sortent un petit tour de leur chapeau lors du sommet le 16 juillet à Helsinki.
Le Donald veut-il réellement retirer les troupes US de Syrie et donner la main au Kremlin ? Si oui, le Deep State le laissera-t-il faire ? Quid de la réaction de Bibi la Terreur ? Le Hezbollah participera-t-il à la fête ? Toutes ces questions auront leur réponse dans les semaines à venir...
Terminons par une anecdote qui n'en est finalement pas une, la petite histoire rejoignant ici la grande. Bosra Sham, du nom de la ville sous les feux de l'actualité, était une grande pouliche des années 90. Elle appartenait à Wafic Saïd, homme d'affaires syro-saoudien.
Or, c'est lui qui a facilité, à partir de 1985 entre le Royaume-Uni et l'Arabie saoudite, une série de contrats record d'armement appelée Al Yamanah, que l'on peut traduire par "colombe" mais aussi "pigeon", nom ô combien prédestiné. On y retrouve les noms de Margaret Thatcher, Bandar bin Sultan (ambassadeur à Washington entre 1983 et 2005 puis chef des services secrets saoudiens jusqu'en 2014) ou encore Tony Blair (qui a stoppé en 2006, pour "raison d’État", l'enquête officielle sur les énormes soupçons de corruption).
Lawrence a dû se retourner dans sa tombe, même s'il aurait sans nul doute apprécié la maestria de la pouliche...

Publié le 30 Juin 2018 par Observatus geopoliticus

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