mercredi 25 mars 2020

Pendant ce temps, dans la Pampa... et dans les favelas


Alors que plusieurs maires ou entreprises d'Italie retirent les drapeaux de l'euronouillerie pour les remplacer par ceux des pays qui ont lui apporté une aide considérable - Russie, Chine, Cuba - et qu'un journal anglais va jusqu'à prédire une sortie du pays de l'UE après la crise, partons aujourd'hui sous d'autres cieux.

 
Une nouvelle prédiction de nos Chroniques est en passe de se réaliser. A la fin de l'année dernière, nous évoquions à propos du sommet brésilien le...
... regain d'énergie des BRICS, d'autant que le grand voisin argentin pourrait à nouveau être de la partie. Nous l'expliquions en août :
En Argentine, le président Mauricio Macri, gentil toutou des USA, vient de se prendre une volée aux élections primaires, répétition générale de l'élection présidentielle du mois d'octobre. Pour Washington, c'est une bien mauvaise nouvelle, d'autant que le grand vainqueur est le parti de l'ancienne présidente Cristina Kirchner, égérie de la multipolarité face à un Macri qui, dans la plus pure tradition des leaders latino-américains dévoyés, est l'homme de paille des États-Unis en Argentine, permettant l'installation de deux bases US dans son pays, plaçant sa fortune chez son maître, s'attirant les louanges de son suzerain et acceptant avec gloutonnerie tout accord avec le FMI visant à esclavagiser un peu plus son pays. Sans surprise, la Cristina, maintenant sénatrice, s'y oppose résolument. Le combat continue entre la pasionaria et le vassal. Macri est largement devancé par C.K dans les projections du premier tour (39%-30%).
Si Cristina ne s'est pas finalement présentée elle-même, son parti a gagné par 47% contre 32%. Un retour du clan Kirchner à la Casa Rosada apporterait à coup sûr un regain d'activité au processus de multipolarité en Amérique du Sud, un temps mis à mal par la destitution de Dilma au Brésil et l'élection de Macri. On se rappelle que l'Argentine de Cristina, bien que ne faisant pas officiellement partie des BRICS, y faisait souvent figure de membre associé, ce qui sera sans doute à nouveau le cas dans deux petits mois...
Bingo. Le 27 octobre, Alberto Fernández, protégé de Cristina, a gagné dès le premier tour, renvoyant Macri à ses chères études. Si sa prise de fonction se fera en décembre, les stratèges américains commencent déjà à se ronger les ongles. Dans un geste ô combien symbolique, Fernández a accordé sa première interview internationale à Correa, l'ancien président équatorien et bête noire de l'imperium US, sur la chaîne russe RT.
Nous y sommes. Fin février, la nouvelle ambassadrice argentine en Russie a demandé le soutien de Moscou pour favoriser l'entrée de son pays dans les BRICS. Si la pandémie coronavirarienne risque de retarder quelque peu les plans, la chose est dans les tuyaux, au grand dam de qui vous savez...
Et ce n'est pas la décision uruguayenne de quitter TeleSur qui consolera grandement les stratèges du Potomac. TeleSur, quézako ?
Lancée officiellement par Hugo Chavez le 24 juillet 2005, jour anniversaire de la naissance de Simon Bolivar, la chaîne "anti-impérialiste" est, vous l'aurez compris, très critique envers Washington. Elle constitue ainsi un thermomètre assez sûr des évolutions politiques du continent latino-américain.
Un gouvernement qui souhaite prendre ses distances avec les États-Unis aura tendance à entrer dans son capital (Cuba, l'Argentine de Kirchner et l'Uruguay de Vazquez lors de sa création en 2005 ; la Bolivie d'Evo quelques années plus tard). A l'inverse, que vienne au pouvoir un pion de l'empire et sa participation est remise en cause : sortie de l'Argentine de Macri en 2016 et, donc, de l'Uruguay il y a quelques jours.
Montevideo n'ayant pas le poids de Buenos Aires, le baume au cœur de Washington est tout relatif...
En Bolivie, la situation était dans la balance jusqu'à ce que les élections prévues pour le 3 mai soient reportées sine die pour cause de coronavirus. En attendant, quel est l'état des forces en présence ? Il y a deux semaines, un sondage établissait la hiérarchie suivante :
  1. MAS : 32,6 %
  2. Carlos Mesa : 19,2 %
  3. Jeanine Áñez (présidente de facto) : 18,2 %
  4. Luis Fernando Camacho et Marco Antonio Pumari : 12,5 %
  5. Chi Hyung Chung (évangéliste d'origine sud-coréenne) : 8,6 %
Le parti d'Evo Morales est donc largement en tête mais ne regroupe qu'un tiers de la population, ce qui semble confirmer notre analyse qui en a irrité certains à la fin de l'année dernière :
Ce blog s'est toujours efforcé de faire la part des choses et de rapporter les faits tels qu'ils sont pour une meilleure compréhension des événements. Si l'empire américain et ses filiales s'y font régulièrement esquinter, ce n'est jamais aux dépens de la vérité. Ainsi, ce que nous écrivions le 12 novembre a pu causer une certaine gêne :
A peine notre dernier billet sur le recul impérial en Amérique latine était-il publié que la Bolivie était le théâtre d'un coup d'Etat qui fleure bon la CIA. Les ressemblances avec le Maïdan ukrainien sont d'ailleurs assez frappantes : un président quelque peu naïf, une opposition violente, liée à Washington, des pontes de la police et de l'armée qui trahissent leur gouvernement et retournent leur veste, une chasse aux sorcières qui débute...
Un coup d'Etat, donc ? Oui mais... Ce blog se doit avant tout d'être objectif et il faut reconnaître que l'ami Evo n'est pas non plus blanc comme neige. Personne n'a bien compris pourquoi le comptage des voix a soudain été arrêté pour finalement désigner Morales gagnant alors qu'il n'était qu'en ballotage favorable. Certaines vidéos montrent que ses partisans n'avaient rien à envier non plus à l'opposition sur le plan de la violence. Plus généralement, on peut difficilement contester que la Bolivie, y compris parmi sa propre base électorale, était lasse d'un président qui s'accrochait de plus en plus au pouvoir.
C'est lui-même qui, en 2009, avait inscrit dans la Constitution la limitation à deux mandats présidentiels. Pourtant, il se présentait là pour la quatrième fois ! Il avait déjà fait un tour de passe-passe en obtenant de la justice que son premier mandat (2006-2010) ne soit pas pris en compte. Puis, en 2016, il a perdu le référendum l'autorisant à se représenter mais une nouvelle et commode décision de justice a purement et simplement annulé le résultat du vote ! Dans un remake digne de l'euronouillerie, le tribunal a considéré que briguer une fonction est un droit de l'homme supérieur à la Constitution ou au résultat d'un référendum. Bref, vous l'aurez compris, Evo a quand même donné le bâton pour se faire battre...
Géopolitiquement, qu'est-ce que ça nous donne ? Pas grand chose à vrai dire. La Bolivie de Morales était une voix anti-impérialiste assumée mais, petit pays, elle n'a jamais beaucoup pesé sur la scène internationale. Comme nous le disions il y a trois jours, la perte de l'Argentine et la tangente prise par le Brésil, les deux poids-lourds du continent, sont autrement plus dramatiques pour Washington que le gain éventuel, somme toute modeste, de la Bolivie. Chose très intéressante, le Brésil a ouvert son espace aérien à l'avion d'Evo qui rejoignait l'exil mexicain. De quoi s'interroger, du côté de DC la Folle, sur les véritables intentions de Bolsonaro qui a d'ailleurs eu des paroles inhabituellement modérées  concernant les événements boliviens.
Quoi ? Rendre l'immaculé Evo Morales partiellement responsable de la situation ? Ne pas se lâcher en imprécations contre Bolsonaro mais, au contraire, lui reconnaître une évolution intéressante ? Vous n'y penser pas, voyons, cachez ce billet que je ne saurais voir. Et de fait, certains sites qui ont l'habitude de republier nos articles se sont curieusement abstenus cette fois-ci. Et pourtant...
Une très intéressante interview a été accordée par Andrónico Rodriguez, leader cocalero et héritier présomptif d'Evo. S'il ne se gêne pas pour appeler un chat, un chat (et un putsch, un putsch), il n'est pas tendre non plus envers le Movimiento Al Socialismo, son propre parti. Selon lui, une autocritique est absolument nécessaire car le MAS a perdu les masses (jeu de mot non voulu) : népotisme, copinage, conformisme, éloignement de la base... Et encore ne mentionne-t-il pas, ou seulement en filigrane, le non respect du référendum de 2016 et le viol flagrant de la Constitution par Evo.
Depuis, on a appris que le décompte des voix n'avait finalement pas connu de fraudes et que ce n'est pas Andrónico qui reprendrait le flambeau, mais le fond du problème reste le même. La scène politique bolivienne est extrêmement divisée. Si le MAS est en tête, il ne peut prétendre gouverner avec un tiers des votants. Quant à l'autre "camp", si tant est qu'il n'y en ait qu'un seul, il est éclaté et se crêpe régulièrement le chignon.
Si le corona a au moins le mérite de désamorcer temporairement la crise qui se prépare en renvoyant tout ce joli monde dans ses foyers, il suffira, le jour de l'élection, d'une étincelle pour que la Bolivie ne tombe dans le chaos...
Covid-19 et l’inversion brésilienne
Au Brésil, la situation des grandes tendances des pouvoirs, – entre légitimité et illégitimité, entre légalité et illégalité, – sont dans une position d’inversion caractéristique de la Grande Crise d’Effondrement du Système. Bien sûr, la chose est révélée par la pandémie Codiv-19, et porte non sur la pandémie elle-même mais sur les réactions devant elle. D’un côté, le président Bolsanaro qui nie la gravité de la pandémie sinon la pandémie elle-même, et écarte toute mesure importante contre elle ; de l’autre les gangs régnant dans les favelas des grandes villes, qui instituent le couvre-feu pour protéger les populations.
• Bolsanaro, donc, estime que le Covid-19, “petite grippe” sans importanceest représenté en événement exceptionnel par une sorte de “complot des médias”. Il écarte toute mesure importante comme le confinement qui, selon lui, constitueraient “le suicide économique du Brésil”.
« Les médias sociaux ont fustigé le président brésilien Jair Bolsonaro pour son récent commentaire sur le coronavirus. Ce dernier, âgé de 65 ans, qui avait auparavant qualifié la maladie de “petite grippe”, a accusé les politiciens et les médias d'exagérer les dangers de COVID-19, suggérant plutôt qu'il s'agit d'un “coup monté médiatique”. Le nombre de cas de coronavirus au Brésil s'élève maintenant à 1 629 avec 25 décès.
» “Le peuple verra bientôt qu'il a été dupé par ces gouverneurs et par une grande partie des médias en ce qui concerne les coronavirus”, a déclaré Bolsonaro dans  une interview à la chaîne de télévision locale. »
• Par contre, les gangs brésiliens (drogue, armes, prostitution, etc.) qui règnent sur les favelas (immenses bidonvilles des grandes villes, dont Rio particulièrement) demandent aux habitants de rester chez eux à partir de 20H00 jusqu’à 08H00 pour participer massivement à un effort de résistance à Covid-19. L’explication est dite : “nous faisons ce que le gouvernement ne fait pas, vous protéger”... 
« Les gangs criminels de plusieurs favelas de Rio-de-Janeiro, dont Rio das Pedras, Muzema et Tijuquinha, ont envoyé des messages aux habitants pour leur demander de rester à l'intérieur après 20 heures afin de freiner la propagation de COVID-19, selon le quotidien  El Globo. Leurs messages affirment que les gangs veulent protéger la population et qu’ils font ce que le gouvernement aurait dû faire et qu’il ne fait pas.». Au Brésil, les favelas sont les quartiers les plus pauvres de la ville. Selon le Buenos Aires Times, « les problèmes d'approvisionnement en eau et de contrôle sanitaire rendent les habitants de ces zones particulièrement vulnérables face à la pandémie de coronavirus. » 
"L'ironie est que la maladie a été amenée au Brésil par avion, par les riches, mais c’est parmi les pauvres qu’elle va exploser”, a déclaré Paulo Buss, directeur du centre des relations internationales de Fiocruz, un centre de recherche de référence en matière de santé publique, cité par le Buenos Aires Times. »
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Quelles que soient la complexité des positions, les grandes lignes de cette situation mesurent la complète inversion caractérisant notre Grande Crise Générale, jusqu’au transfert paradoxal des légitimités vers l’illégalité instituée en tant que pouvoir de fait. Il est vrai que la légalité théorique au Brésil (Bolsanaro), sei elle ne présente pas les aspects de faiblesse par le politiquement-correct des dirigeants “démocratiques” dans la portion européenne du bloc-BAO, est par contre complètement alignée sur la non-essence de la légitimité que supposent les positions hystériques du néolibéralisme darwinien et de la corruption totale, encore plus psychologique que vénale, qu'il impose.
... Pour Bolsonaro, disons plutôt du côté de chez Trump mais en beaucoup plus affiché et primitif.
Source : dedefensa.org

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