Kmar
et Yacine A., la mère et le frère de l’auteur de l’attentat contre la basilique de Nice, chez eux à Sfax, le 29 octobre 2020. |
Que sont devenus les deux hommes arrêtés en Tunisie après l’attentat de Nice, le 29 octobre, qui a fait trois morts dans la basilique Notre-Dame de l’Assomption ? Accusés d’avoir mis en ligne une vidéo dans laquelle un homme revendique la tuerie au nom d’une organisation inconnue, « Al Mahdi dans le sud tunisien », sont-ils encore incarcérés ? Ont-ils des liens avec Brahim A., l’auteur de l’attentat, un Tunisien de 21 ans tout juste arrivé en France ? Aucune information n’a pour le moment été livrée par les autorités tunisiennes. Un silence tristement banal dans un pays où les arrestations pour projet à caractère terroriste ou radicalisation sont fréquentes mais font rarement l’objet de suivi.
« Nous sommes face à une justice muette sur ce plan-là, déplore Omar Oueslati, juge à la cour d’appel de Tunis. Même sur les enquêtes comme celles du Bardo ou de l’attentat de 2016 à Nice, perpétré également par un Tunisien, nous avons peu de détails et les médias tunisiens se spécialisent peu sur ces questions, passant d’un buzz à un autre. Il y a une culture d’opacité, entretenue par des années de dictature, qui reste difficile à changer. »
Comment, dans ces circonstances, évaluer l’ampleur de la menace terroriste en Tunisie ? Le pays n’a pas connu de gros attentats depuis ceux du musée du Bardo et de la zone touristique de Sousse, en 2015. Les forces de sécurité peuvent également se féliciter d’avoir repoussé, en 2016, les djihadistes de l’Etat islamique (EI) qui menaçaient la ville de Ben Gardane, à la frontière avec la Libye. Mais l’attentat de Nice relance le débat sur la difficulté des autorités à repérer les profils radicalisés ou les cellules dormantes. Des failles qu’avait déjà révélées l’attaque d’Akouda à Sousse, le 6 septembre, contre des agents de la garde nationale : le père de deux des trois assaillants avait alerté sur leur radicalisation. En vain.
« Une jeunesse qui nous échappe »
Une stratégie nationale de lutte contre le terrorisme a pourtant bien été mise en place en 2015. « Elle reposait à 20 % sur une approche sécuritaire et à 80 % sur des dispositifs censés s’intéresser à la prévention, c’est-à-dire aux racines du terrorisme et aux facteurs structurels. Malheureusement aujourd’hui, il n’y a pas la volonté politique de tenir compte de ces autres aspects et de mener une réelle politique pour récupérer une jeunesse qui nous échappe », explique Kamel Akrout, ancien premier conseiller à la sécurité nationale du président défunt Béji Caïd Essebssi et fondateur d’un think-tank, l’Institut de prospective et d’études stratégiques et sécuritaires avancées (Ipasss).
Certains efforts ont été faits, notamment pour mieux repérer l’apologie du terrorisme sur les réseaux sociaux ou faire coopérer les ministères entre eux. Une commission nationale de lutte contre le terrorisme a été mise en place en 2016 dans cet objectif. Elle a d’ailleurs publié récemment une liste de 125 personnes, organisations et entités associées à des infractions terroristes.
Mais l’instabilité politique nuit à ces efforts de coordination, souligne Kamel Akrout. Sur la question du renseignement, par exemple, le plan de lutte antiterroriste de 2015 prévoyait la création, en 2017, d’un centre national rattaché au conseil de sécurité nationale de la présidence et au chef du gouvernement. Censé centraliser les renseignements afin d’éviter les rivalités entre police et garde nationale, il n’a jamais vu le jour. Parallèlement, douze ministres se sont succédé au portefeuille de l’intérieur en dix ans.
Crise économique et « vide idéologique »
Aujourd’hui, les forces de l’ordre, mal perçues par une majorité de l’opinion publique, qui dénonce fréquemment leurs abus, sont les premières cibles des attaques terroristes. « Il fallait réformer l’institution sécuritaire après la révolution, notamment sur la question du respect des droits humains et des libertés individuelles, pour aller vers une police plus républicaine. Nous avons perdu de précieuses techniques de renseignement basées sur la police de proximité », regrette Karim Ammar, cofondateur de l’Ipasss.
Et la situation économique complique encore la donne. « Au manque de perspectives s’ajoutent la perception de l’Etat comme corrompu et un grand sentiment d’injustice », admet une actrice de la société civile, qui ajoute que des efforts ont été faits pour prévenir la radicalisation : « On voit qu’il y a plus de communication, voire de coopération intersectorielle qu’avant, mais ces initiatives pilotes ne sont pas encore assez spécialisées. »
Certes, l’offre idéologique djihadiste s’est un peu tarie avec l’échec de l’EI en Syrie, souligne Michaël Béchir Ayari, chercheur pour l’International Crisis Group (ICG). Cependant, il ne faut pas négliger la hausse de la violence et de la criminalité en Tunisie. « La crise économique et le vide idéologique ambiant risquent dans un premier temps de pousser une partie de la jeunesse tunisienne vers la violence des gangs, prévient-il. Si les organisations djihadistes se restructurent, leur succès n’en sera hélas que plus important. »
Depuis la révolution de 2011, la Tunisie progresse mais en sens inverse. Corruption du monde des politiciens, crise économique, chômage, criminalité. Il est donc facile pour le terrorisme de prospérer dans ce pays, surtout avec Ghannouchi qui couvre comme un bon père ses enfants du djihad.
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