La guerre du Kippour, appelée guerre du Ramadan
dans le monde arabe ou encore guerre d'Octobre (en arabe
حرب تشرين) ou guerre israélo-arabe de 1973
opposa, du 6 octobre au La guerre déboucha sur l'ouverture des négociations de paix qui
aboutirent à la normalisation des relations entre Israël et l'Égypte. Pour le monde en général, les principales conséquences de cette guerre
furent (1) le choc pétrolier de 1973, quand l'OPEP décida de l'augmentation de
70 % du prix du baril de pétrole, et (2) l’éviction de l’URSS d’Égypte et
son remplacement par les États-Unis.
L’article (israélien) qui suit démontre que les buts
de cette « fausse guerre » ont été préparés, à l'avance et en secret, par les USA et
Israël et Sadate, le plus grand traître que l’Égypte ait connu avant le super traître Morsi. Un
seul but n’a pas été atteint par cette guerre : la destruction de la Syrie, et ceci grâce
à l’intelligence et au flair de Hafez al-Assad. Quarante
ans plus tard, nous assistons à une nouvelle tentative de destruction de la
Syrie, après celles de l’Irak, du Soudan et de Libye. Mais Bachar s'avère être aussi coriace que son père.
J’ai récemment reçu à Moscou une chemise bleu-marine datée de 1975, qui contenait l’un des secrets les mieux gardés de la diplomatie du Moyen Orient et des USA. Le mémoire rédigé par l’ambassadeur soviétique au Caire Vladimir M. Vinogradov, apparemment le brouillon d’un rapport adressé au Politbureau soviétique, décrit la guerre d’octobre 1973 comme un complot entre les dirigeants israéliens, américains et égyptiens, orchestré par Henry Kissinger. Cette révélation va vous choquer si vous êtes égyptien ou arabe. Moi, qui suis un Israélien et qui ai combattu les Égyptiens dans la guerre de 1973, j’ai été choqué aussi, je me suis senti poignardé, et je reste terriblement excité par l’incroyable découverte. Pour un Américain cela pourra être aussi un choc.
A en croire le dit mémoire (à paraître in extenso dans le magazine prestigieux Expert de Moscou),
Anouar al Sadate, qui cumulait les titres de président, premier
ministre, président de l’ASU, commandant en chef des armées, avait
conspiré de concert avec les Israéliens, avait trahi la Syrie son
alliée, condamné l’armée syrienne à sa perte, et Damas à se retrouver
bombardée, avait permis aux tanks de Sharon de s’engager sans danger sur
la rive occidentale du Canal de Suez, et en fait, avait tout simplement
planifié la défaite des troupes égyptiennes dans la guerre d’octobre
1973. Les soldats égyptiens et officiers se battirent bravement et avec
succès contre l’armée israélienne -trop bien, même, au goût de Sadate,
puisqu’il avait déclenché la guerre pour permettre aux USA de faire leur
retour au Moyen Orient. Tout ce qu’il réussit à faire à Camp Davis, il
aurait pu l’obtenir sans guerre quelques années plus tôt.
Il n’était pas le seul à conspirer:
selon Vinogradov, la brave grand’mère Golda Meir avait sacrifié deux
mille des meilleurs combattants juifs ( elle ne pensait pas qu’il en
tomberait autant, probablement) afin d’offrir à Sadate son heure de
gloire et de laisser les USA s’assurer de positions solides au Moyen
Orient. Le mémoire nous ouvre la voie pour une réinterprétation
complètement inédite du traité de Camp David, comme un pur produit de la
félonie et de la fourberie.
Vladimir Vinogradov était un diplomate
éminent et brillant; il a été ambassadeur à Tokyo dans les années 1960,
puis au Caire de 1970 à 1974, co-président de la Conférence de Paix de
Genève, ambassadeur à Téhéran pendant la révolution islamique,
représentant au Ministère des Affaires étrangères de l’URSS et ministre
des Affaires étrangères de la Fédération de Russie. C’était un peintre
de talent, et un écrivain prolifique; ses archives comportent des
centaines de pages d’observations uniques et de notes qui couvrent les
affaires internationales, mais son journal du Caire tient la place
d’honneur, et parmi d’autres, on y trouve la description de ses
centaines de rencontres avec Sadate, et la séquence complète de la
guerre, puisqu’il l’observait depuis le quartier général de Sadate au
moment précis où les décisions étaient prises. Lorsqu’elles seront
publiées, ces notes permettront de réévaluer la période post-nassérienne
de l’histoire égyptienne.
Vinogradov était arrivé au Caire pour
les funérailles de Nasser, et il y resta comme ambassadeur. Il a rendu
compte du coup d’État rampant de Sadate, le moins brillant des hommes de
Nasser, qui allait devenir le président par un simple hasard, parce
qu’il était le vice-président à la mort de Nasser. Il avait aussitôt
démis de leurs fonctions, exclu et mis en prison pratiquement tous les
hommes politiques importants de l’Égypte, les compagnons d’armes de
Gamal Abd el Nasser, et démantela l’édifice du socialisme nassérien...
Vinogradov était un fin observateur,
mais nullement un comploteur; loin d’être un doctrinaire têtu, c’était
un ami des Arabes et il soutenait fermement l’idée d’une paix juste
entre Arabes et Israël, une paix qui satisferaient les besoins des
Palestiniens et assurerait la prospérité juive.
La perle de ses archives, c’est le
dossier intitulé « La partie en jeu au Moyen Orient ». Il contient
quelques 20 pages dactylographiées, annotées à la main, à l’encre bleue,
et il s’agit apparemment d’un brouillon pour le Politbureau et pour le
gouvernement, daté de janvier 1975, juste après son retour du Caire. La
chemise contient le secret mortel de la collusion dont il avait été
témoin. C’est écrit dans un russe vivant et tout à fait agréable à lire,
pas dans la langue de bois bureaucratique à laquelle on pourrait
s’attendre. Deux pages ont été ajoutées au dossier en mai 1975; elles
décrivent la visite de Vinogradov à Amman et ses conversations
informelles avec Abou Zeid Rifai, le premier ministre, ainsi que son
échange de vues avec l’ambassadeur soviétique à Damas.
Vinogradov n’a pas fait connaître ses
opinions jusqu’en 1998, et même à ce moment, il n’a pas pu parler aussi
ouvertement que dans ce brouillon. En fait, quand l’idée de collusion
lui eût été présentée par le premier ministre jordanien, il avait refusé
d’en discuter avec lui, en diplomate avisé.
La version officielle de la guerre d’octobre 1973 dit que le 6 octobre 1973, conjointement avec Hafez al-Assad
de Syrie, Anouar al Sadat déclencha la guerre, avec une attaque
surprise contre les forces israéliennes. Ils traversèrent le canal de
Suez et s’avancèrent dans le Sinaï occupé, juste quelques kilomètres. La
guerre se poursuivant, les tanks du général Sharon avaient traversé à
leur tour le canal, et encerclé la troisième armée égyptienne. Les
négociations pour le cessez-le feu avaient débouché sur la poignée de
main à la Maison Blanche.
En ce qui me concerne, la guerre de Yom
Kipour, comme nous l’avions appelée en Israël, constitue un chapitre important de
ma biographie. En tant que jeune parachutiste, j’ai combattu, pendant
cette guerre, j’ai traversé le canal, j’ai pris les hauteurs de Gabal
Ataka, j’ai survécu aux bombardements et aux corps-à-corps, j’ai
enseveli mes camarades, tiré sur les chacals du désert mangeurs d’hommes
et sur les tanks ennemis. Mon unité avait été amenée par hélicoptère
dans le désert, où nous avons coupé la ligne principale de
communication entre les armées égyptiennes et leur base, la route
Suez-le Caire. Notre position, à 101 km du Caire, a servi de cadre aux
premières conversations pour le cessez-le-feu; de sorte que je sais que
la guerre n’est pas un vain mot, et cela me fait mal de découvrir que
moi et mes camarades en armes n’étions que des pions jetables dans le
jeu féroce où nous, les gens ordinaires, étions les perdants. Bien
entendu, je n’en savais rien à ce moment, pour moi, la guerre était la
surprise, mais je n’étais pas général à l’époque.
Pour Vinogradov, aucune surprise: de son
point de vue, tant la traversée du canal par les Égyptiens que les
incursions de Sharon étaient planifiées, agréées à l’avance par
Kissinger, Sadate et Golda Meir. Le plan comportait d’ailleurs la
destruction de l’armée syrienne au passage.
Pour commencer, il pose certaines
questions:
- Comment la traversée pourrait-elle avoir été une surprise alors que les Russes avaient évacué leurs familles quelques jours avant la guerre?
- La concentration des forces était facile à observer, et ne pouvait pas échapper à l’attention des Israéliens.
- Pourquoi les forces égyptiennes n’ont-elles pas avancé après avoir traversé, et sont-elles restées plantées là?
- Pourquoi n’y avait-il aucun plan pour aller plus loin?
- Pourquoi y avait-il un large espace vide de 40 km, non gardé, entre la deuxième et la troisième armée, une brèche qui était une invitation pour le raid de Sharon?
- Comment les tanks israéliens ont-ils pu ramper jusqu’à la rive occidentale?
- Pourquoi Sadate avait-il refusé de les arrêter?
- Pourquoi n’y avait il pas de forces de réserve sur la rive occidentale?
Le plan de Sadate
Sadate était au point le plus bas de son
pouvoir avant la guerre: il perdait son prestige dans son pays et dans
le monde. Le moins diplômé et le moins charismatique des disciples de
Nasser se retrouvait isolé. Il avait besoin d’une guerre, d’une guerre
limitée avec Israël, qui ne se terminerait pas par une défaite. Une
telle guerre l’aurait soulagé de la pression de l’armée, et il aurait
retrouvé son autorité. Les USA étaient d’accord pour lui donner le feu
vert pour la guerre, chose que les Russes n’avaient jamais fait. Les
Russes protégeaient le ciel égyptien, mais ils étaient contre les
guerres. Sadate devait s’appuyer sur les USA et se dégager de l’URSS.
Il était prêt à le faire parce qu’il détestait le socialisme. Il n’avait
pas besoin de la victoire, juste d’une non-défaite; il avait
l’intention d’expliquer son échec par la déficience des équipements
soviétiques. Voilà pourquoi il avait imparti à l’armée une tâche
minimale: traverser le canal et tenir la tête de pont jusqu’à ce que les
Américains entrent dans la danse.
Le plan des USA
Les USA avaient perdu leur emprise sur
le Moyen Orient, avec son pétrole, son canal, sa vaste population, au
cours de la décolonisation. Ils étaient obligés de soutenir l’allié
israélien, mais les Arabes n’arrêtaient pas de se renforcer. Il aurait
fallu obliger Israël à plus de souplesse, parce que sa politique brutale
interférait avec les intérêts américains. Si bien que les USA devaient
conserver Israël en tant qu’allié, mais au même moment il leur fallait
briser l’arrogance d’Israël. Les USA avaient besoin d’une occasion de
« sauver » Israël après avoir autorisé les Arabes à frapper les
Israéliens pendant un moment. Voilà comment les USA permirent à Sadate
d’entamer une guerre limitée.
Israël
Les
dirigeants israéliens se devaient d’aider les USA, leur principal
fournisseur et soutien. Les USA devaient consolider leurs positions au
Moyen Orient, parce qu’en 1973 ils n’avaient qu’un seul ami et allié, le
roi Fayçal. (Kissinger avait dit à Vinogradov que Fayçal essayait de
l’endoctriner sur la malignité des juifs et des communistes). Si les USA
devaient retrouver leurs positions au Moyen Orient, les positions
israéliennes s’en trouveraient fortifiées d’autant. L’Égypte était un
maillon faible, parce que Sadate n’aimait pas l’URSS ni les forces
progressistes locales, on pouvait le retourner. Pour la Syrie, il
fallait agir au plan militaire, et la briser.
Les Israéliens et les Américains
décidèrent donc de laisser Sadate s’emparer du canal tout en contrôlant
les cols de Mittla et de Giddi, la meilleure ligne de défense de toute
façon. C’était le plan de Rogers en 1971, et c’était acceptable pour
Israël. Mais cela devait être le résultat d’une bataille, et non pas
une cession gracieuse.
Pour ce qui est de la Syrie, il fallait la battre à plate couture, au plan militaire.
Voilà pourquoi l’État-major israélien envoya bien toutes ses troupes disponibles sur la frontière syrienne, tout en dégarnissant le Canal, malgré le fait que l’armée égyptienne était bien plus considérable que celle des Syriens. Les troupes israéliennes sur le canal allaient se voir sacrifiées dans la partie, elles devaient périr pour permettre aux USA de revenir au Moyen Orient.
Cependant, les plans des trois
partenaires allaient se voir quelque peu contrariés par la réalité du
terrain; c’est ce qui se produit généralement avec les conspirations,
rien ne se passe comme prévu, dit Vinogradov, dans son mémoire…
Pour
commencer, le jeu de Sadate se trouva faussé. Ses présupposés ne
fonctionnèrent pas. Contrairement à ses espérances, l’URSS prit le parti
des Arabes et commença à fournir par voie aérienne l’équipement
militaire le plus moderne, aussitôt. L’URSS prit le risque d’une
confrontation avec les USA; Sadate ne croyait pas qu’ils le feraient
parce que les Soviétiques étaient réticents envers la guerre, avant
qu’elle éclate. Son second problème, selon Vinogradov, était la qualité
supérieure des armes russes aux mains des Égyptiens. Elles étaient
meilleurs que l’armement occidental aux mains des Israéliens.
En tant que soldat israélien à l’époque,
je ne puis que confirmer les paroles de l’ambassadeur. Les Égyptiens
bénéficiaient de la légendaire Kalachnikov AK-47, le meilleur fusil
d’assaut au monde, alors que nous n’avions que des fusils FN qui
détestaient le sable et l’eau. Nous avons lâché nos FN pour nous emparer
de leurs AK à la première occasion. Ils utilisaient des missiles
anti-chars Sagger légers, portables, précis, qu’un seul soldat pouvait
charger. Les Saggers ont bousillé entre 800 et 1200 chars israéliens.
Nous avions de vieilles tourelles de 105 mm sans recul montées sur des
jeeps, et il fallait quatre hommes sur chacune ( en fait un petit
canon) pour combattre les chars. Seules les nouvelles armes américaines
redressaient quelque peu l’équilibre.
Sadate ne s’attendait pas à ce que les
troupes égyptiennes entraînées par les spécialistes soviétiques
surpassent leur ennemi israélien, mais c’est ce qui se passa. Elles
franchirent le canal bien plus vite que ce qui était prévu, et avec
beaucoup moins de pertes. Les Arabes battaient les Israéliens, et
c’était une mauvaise nouvelle pour Sadate. Il était allé trop loin.
Voilà pourquoi les troupes égyptiennes s’arrêtèrent, comme le soleil
au-dessus de Gibéon, et ne bougèrent plus. Ils attendaient les
Israéliens, mais à ce moment les Israéliens étaient en train de
combattre les Syriens. Les Israéliens se sentaient relativement
tranquilles du côté de Sadate, et ils avaient envoyé toute leur armée au
nord.
L’armée syrienne reçut de plein fouet l’assaut israélien et commença à battre en retraite, ils demandèrent à Sadate d’avancer, pour les soulager un peu, mais Sadate refusa. Son armée resta plantée là, sans bouger, malgré le fait qu’il n’y avait pas un Israélien en vue entre le canal et les cols de montagne. Le dirigeant syrien Assad était convaincu à l’époque que Sadate l’avait trahi, et il le déclara franchement à l’ambassadeur soviétique à Damas, Muhitdinov, qui en fit part à Vinogradov. Vinogradov voyait Sadate tous les jours et il lui demanda en temps réel pourquoi ses troupes n’avançaient pas. Il ne reçut aucune réponse sensée: Sadate bredouilla qu’il ne voulait pas parcourir tout le Sinaï pour aller à la rencontre des Israéliens, qu’ils arriveraient bien jusqu’à lui tôt ou tard.
L’armée syrienne reçut de plein fouet l’assaut israélien et commença à battre en retraite, ils demandèrent à Sadate d’avancer, pour les soulager un peu, mais Sadate refusa. Son armée resta plantée là, sans bouger, malgré le fait qu’il n’y avait pas un Israélien en vue entre le canal et les cols de montagne. Le dirigeant syrien Assad était convaincu à l’époque que Sadate l’avait trahi, et il le déclara franchement à l’ambassadeur soviétique à Damas, Muhitdinov, qui en fit part à Vinogradov. Vinogradov voyait Sadate tous les jours et il lui demanda en temps réel pourquoi ses troupes n’avançaient pas. Il ne reçut aucune réponse sensée: Sadate bredouilla qu’il ne voulait pas parcourir tout le Sinaï pour aller à la rencontre des Israéliens, qu’ils arriveraient bien jusqu’à lui tôt ou tard.
Le commandement israélien était bien
ennuyé, parce que la guerre ne se passait pas comme ils s’y attendaient.
Ils avaient de lourdes pertes sur le front syrien, les Syriens se
retiraient, mais il fallait se battre pour chaque mètre; seule la
passivité de Sadate sauvait les Israéliens d’un revers. Le plan pour en
finir avec la Syrie avait raté, mais les Syriens ne pouvaient pas
contre-attaquer efficacement.
Il était temps de punir Sadate: son
armée était trop efficace, son avance trop rapide, et pire encore; il
dépendait encore plus des Soviétiques, grâce au pont aérien. Les
Israéliens mirent fin à leur avancée sur Damas et envoyèrent les troupes
au sud, dans le Sinaï. Les Jordaniens pouvaient à ce moment-là couper
la route nord-sud, et le roi Hussein offrit de le faire à Sadate et à
Assad. Assad accepta immédiatement, mais Sadate refusa d’accepter
l’offre. Il expliqua à Vinogradov qu’il ne croyait pas aux capacités de
combat des Jordaniens. S’ils rentrent dans la guerre, c’est l’Égypte qui
va devoir les tirer d’affaire. A un autre moment, il dit qu’il valait
mieux perdre tout le Sinaï que de perdre un mètre carré en Jordanie:
remarque qui manquait de sincérité et de sérieux, du point de vue de
Vinogradov. Et voilà comment les troupes israéliennes marchèrent vers le
sud sans encombre.
Pendant la guerre, nous les Israéliens
savions aussi que si Sadate avançait, il s’emparerait du Sinaï en moins
de deux; nous examinions plusieurs hypothèses pour comprendre pourquoi
il ne bougeait pas, mais aucune n’était satisfaisante. C’est Vinogradov
qui nous donne la clé à présent; Sadate ne jouait plus sa partition, il
attendait que les USA interviennent. Et il se retrouva avec le raid de
Sharon fonçant.
La percée des troupes israéliennes
jusqu’à la rive occidentale du canal est la partie la plus sombre de la
guerre, dit Vinogradov. Il demanda à l’État-major de Sadate au début de
la guerre pourquoi il y avait une large brèche de 40 km entre les
deuxième et troisième corps d’armées, et on lui répondit que c’était une
directive de Sadate. La brèche n’était même pas gardée, c’était un
porte grande ouverte, comme un Cheval de Troie tapi au fond d’un
programme d’ordinateur.
Sadate n’accorda pas d’attention au raid
de Sharon, il était indifférent à ces coups de théâtre. Vinogradov lui
demanda de faire quelque chose, dès que les cinq premiers chars
israéliens eurent traversé le canal, mais Sadate refusa, disant que ça
n’avait pas d’importance militairement, que ce n’était qu’une « manœuvre
politique », expression fort brumeuse. Il le redit plus tard à
Vinogradov, lorsque l’assise israélienne sur la rive occidentale fut
devenue une tête de pont incontournable. Sadate n’écouta pas les
avertissements de Moscou, il ouvrit la porte de l’Afrique aux Israéliens.
Il
y a place pour deux explications, dit Vinogradov: impossible que
l’ignorance militaire des Égyptiens fût aussi grande, et improbable que
Sadate eût des intentions cachées. Et c’est l’improbable qui clôt le
débat, comme le faisait remarquer Sherlock Holmes.
Si les Américains n’ont pas stoppé
l’avancée aussitôt, dit Vinogradov, c’est parce qu’ils voulaient avoir
un moyen de pression pour que Sadate ne change pas d’avis sur tout le
scénario en cours de route. Apparemment la brèche avait été conçue dans
le cadre de cette éventualité. Donc, quand Vinogradov parle de
« conspiration », il se réfère plutôt à une collusion dynamique,
semblable à la collusion concernant la Jordanie, entre la Yeshuva juive
et la Transjordanie, telle que l’a décrite Avi Shlaim: il y avait des
lignes générales et des accords, mais qui pouvaient changer selon le
rapport de force entre les parties.
Conclusion
Les USA ont « sauvé » l’Égypte en
mettant un point d’arrêt à l’avancée des troupes israéliennes. Avec le
soutien passif de Sadate, les USA ont permis à Israël de frapper
durement la Syrie.
Les accords négociés par les USA pour
l’intervention des troupes de l’ONU ont protégé Israël pour les années à
venir. (Dans son document important mais différent, ses annotations au
livre de Heikal Road to Ramadan, Vinogradov rejette la thèse du
caractère inévitable des guerres entre Israéliens et Arabes: d’après
lui, tant que l’Égypte reste dans le sillage des USA, une telle guerre
est à écarter. Effectivement, il n’y a pas eu de grande guerre depuis
1974, à moins de compter les "opérations " israéliennes au Liban et à
Gaza.)
Les US ont sauvé Israël grâce à leurs fournitures militaires.
Grâce à Sadate, les US sont revenus au
Moyen Orient et se sont positionnés comme les seuls médiateurs et
« courtiers honnêtes » dans la région.
Sadate entreprit une violente campagne
anti-soviétique et antisocialiste, dit Vinogradov, dans un effort pour
discréditer l’URSS. Dans ses Notes, Vinogradov charge le trait, affirmant
que Sadate avait répandu beaucoup de mensonges et de désinformation afin
de discréditer l’URSS aux yeux des Arabes. Sa ligne principale était
que l’URSS ne pouvait ni ne souhaitait libérer le territoire arabe alors
que les US le pouvaient, le voulaient, et le faisaient..
Vinogradov explique ailleurs que l’Union
soviétique était et reste opposée aux guerres d’agression, entre autres
raisons parce que l’issue n’en est jamais certaine. Cependant, l’URSS
était prête à aller loin pour défendre les États arabes. Et pour ce qui
est de la libération, bien des années sont passées, et ont prouvé que
les US ne voulaient ou ne pouvaient nullement en faire autant, alors que
la dévolution du Sinaï à l’Égypte était toujours possible, en échange
d’une paix séparée, et cela même sans guerre.
Après la guerre, les positions de Sadate
s’améliorèrent nettement. Il fut salué comme un héros, l’Égypte eut la
place d’honneur parmi les États arabes. Mais en moins d’un an, sa
réputation se retrouva en lambeaux, et celle de l’Égypte n’a cessé de se
ternir, dit Vinogradov.
Les Syriens avaient compris très tôt le
jeu de Sadate: le 12 octobre 1973, lorsque les troupes égyptiennes
s’arrêtèrent et cessèrent de combattre, le président Hafez al Assad dit à
l’ambassadeur soviétique qu’il était certain que Sadate était en train
de trahir volontairement la Syrie. Sadate avait permis la percée
israélienne jusque sur la rive occidentale de Suez, de façon à offrier à
Kissinger une occasion d’intervenir et de concrétiser son plan de
désengagement, confia Assad au premier ministre jordanien Abu Zeid Rifai
qui le dit à son tour à Vinogradov durant un petit-déjeuner privé
qu’ils prirent chez lui à Amman. Les Jordaniens aussi soupçonnent Sadate
de tricher, écrit Vinogradov. Mais le prudent Vinogradov refusa de
rentrer dans ce débat, tout en ayant bien l’impression que les
Jordaniens « lisaient dans ses pensées. »
Lorsque Vinogradov fut désigné comme
co-président de la Conférence de paix de Genève, il fit face à une
position commune à l’Égypte et aux USA visant à saboter la conférence,
tandis qu’Assad refusait tout simplement d’y participer. Vinogradov lui
remit un avant-projet pour la conférence et lui demanda si c’était
acceptable pour la Syrie. Assad répondit; oui, sauf une ligne. Quelle
ligne, demanda plein d’espoir Vinogradov, et Assad rétorqua; la ligne
qui dit « la Syrie accepte de participer à la conférence. » Et la
conférence fut un fiasco, comme toutes les autres conférences et
conversations diverses.
Quoique
les soupçons formulés par Vinogradov dans son document secret soient
venus à l’esprit de différents experts militaires et historiens, jamais
jusqu’alors ils n’avaient été formulés par un participant aux
évènements, une personne aussi haut placée, aussi informée, présente aux
moments clé, et en possession de tous les éléments. Les notes de
Vinogradov permettent de déchiffrer et de retracer l’histoire de
l’Égypte: désindustrialisation, pauvreté, conflits internes,
gouvernement militaire, le tout étroitement lié à la guerre bidon de
1973.
Quelques années après la guerre, Sadate
était assassiné, et son successeur désigné Hosni Moubarak entama son
long règne, suivi par un autre participant à la guerre d’octobre, la général
Tantawi. Obtenu par le mensonge et la trahison, le traité de paix de
Camp David protège toujours les intérêts américains et israéliens. C’est
seulement maintenant, alors que le régime de l’après Camp David
commence à donner des signes d’effondrement, que l’on peut espérer
quelque changement. Le nom de Sadate au panthéon des héros égyptiens
était protégé jusqu’à maintenant, mais à la fin, comme on dit, tout ce
qui est caché un temps s’avèrera transparent.
PS. en 1975, Vinogradov ne pouvait pas
prédire que la guerre de 1973 et les traités qui en découlèrent allaient
changer le monde. Ils scellèrent l’histoire de la présence soviétique
et de sa prépondérance dans le monde arabe, même si les derniers
vestiges en furent détruits par la volonté américaine bien plus tard: en
Irak en 2003, et en Syrie c’est maintenant qu’ils se voient minés. Ils
ont saboté la cause du socialisme dans le monde, ce qui a été le
commencement de sa longue décadence. L’URSS, l’État triomphant en 1972,
le quasi gagnant de la guerre froide, finit par la perdre. Grâce à la
mainmise américaine en Égypte, le schéma des pétrodollars se mit en
place, et le dollar qui avait entamé son déclin en 1971 en perdant la
garantie or se reprit et devint à nouveau la monnaie de réserve
unanimement acceptée. Le pétrole des Saoudiens et des émirs, vendu en
dollars, devint la nouvelle ligne de sauvetage de l’empire américain.
Avec le recul et armés du mémoire de Vinogradov, nous pouvons affirmer
que c’est en 1973-74 que se situe la bifurcation de notre histoire.
par Israel Shamir