La stratégie états-unienne,
imaginée par Zbigniew Brzezinski, de soutenir l’obscurantisme islamiste
pour lutter à la fois contre les politiques musulmanes progressistes et
contre la Russie a suscité une alliance pour lui résister. Désormais, la
Chine, la Russie, l’Iran, la Syrie
et le Hezbollah sont contraints de faire bloc pour survivre. En
définitive, observe André Chamy, le piège se retourne contre celui qui
l’a posé.
Islam contre islam…
L’Iran, la Syrie et le Liban grâce au
Hezbollah et à ses alliés, considérés par les occidentaux depuis des
années comme une source du Mal, en raison de leur soutien à ce que
l’Occident appelle « le terrorisme », n’ont pas fini de faire parler
d’eux. Après un traitement individuel pour chacun d’entre eux en
fonction des clivages politiques dans la région, un axe s’est mis en
place qui commence aux portes de la Russie et de la Chine pour finir à
celles de Tel-Aviv.
Cet axe trouve ses racines dans la
politique occidentale réservée à cette région du monde. Les États-Unis,
suivis des principaux pays occidentaux, ont décrété la manière dont
leurs intérêts économiques devaient être préservés coûte que coûte.
Cette politique partiale a généré au fil des années des tensions, source
de conflits armés et de combats de rue qui n’en finissent pas
d’alimenter les journaux télévisés, et qui provoquent, en moyenne 500 morts arabes par jour.
Cette politique, inscrite dans la durée,
a été être mise en œuvre avec l’appui d’acteurs locaux. Toutefois, une
accélération s’est opérée après la chute du Mur de Berlin, vécue comme
un événement historique, ce qui est évidemment le cas, mais qui a marqué
l’avènement d’une stratégie agressive et méprisante à l’égard du
Proche-Orient.
L’URSS ayant disparu, les pays de la
région ne pouvaient plus rien espérer comme autre salut que de s’en
remettre à la volonté occidentale, et notamment à celle des États-Unis.
Au lieu de tirer profit de cette position privilégiée d’arbitre, ces
derniers et certains pays occidentaux allaient privilégier l’écrasement
et la domination du « Proche-Orient élargi », à travers des
interventions directes en Irak, en Afghanistan, mais également au Liban,
au Yémen, dans le Maghreb avec l’intention déclarée d’intervenir en
Syrie et en Iran.
Les États-Unis savent, depuis les années
soixante dix, suite au choc pétrolier, qu’ils doivent contrôler les
sources de matières premières, tout particulièrement celles du pétrole,
ainsi que les voies d’acheminement de ces ressources, car ils ont fait
l’amère expérience de découvrir cette nécessité vitale tant pour leur
économie que pour le confort de leurs citoyens.
Les avis des experts divergent dans
l’évaluation des réserves en gaz et d’hydrocarbures, mais une idée reste
constante, celle du caractère épuisable de ces trésors qui se trouvent
selon eux entre les mains de bédouins cupides qui n’ont que faire de
l’utilisation qui sera faite de leur or, dès lors que leurs loisirs et
plaisirs sont financés.
À l’heure où les « chocs de
civilisation » de Samuel Huntington ont remplacé la Guerre froide, l’islamisme est devenu pour les États-Unis le nouvel ennemi utile, « allié » à eux, en quelque sorte, contre l’Europe. Pragmatiques et
opportunistes, ils ont vu dans le mouvement islamique une « lame de
fond », et ont choisi de jouer la carte musulmane pour mieux contrôler
les artères de l’or noir. Cet allié dangereux qu’est l’islamisme, ils
avaient pressenti son intérêt bien avant l’implosion du communisme.
À partir des mêmes années 1970, les États-Unis vont soutenir les extrémistes islamistes, des Frères musulmans tunisiens ou syriens aux islamistes bosniaques et albanais, des Talibans afghans ou pakistanais à la Jamaa Islamyah égyptienne. L’on évoqua même leurs liens avec le FIS
(Front islamique du salut, devenu le groupe violent « GIA », puis AQMI) en
Algérie. Ils ont choyé les wahhabites à la tête de la monarchie pro-US
d’Arabie Saoudite qui finance la quasi-totalité des réseaux islamistes dans le monde. Ils ont joué les apprentis sorciers, et les mouvements fondamentalistes qu’ils croyaient manipuler se seraient parfois retournés contre le « grand Satan » pour réaliser leurs propres objectifs.
En revanche, les USA ont abandonné ou
voulu neutraliser les pays musulmans susceptibles d’acquérir une
puissance politique et une relative autonomie. Songeons au président
Jimmy Carter abandonnant le Shah, alors que l’Iran était en train de
devenir maître de son pétrole. À cela se rajoute la volonté d’écraser
toute velléité d’indépendance même intellectuelle des pays arabes
laïques tels que la Syrie, l’Égypte ou l’Irak.
Jouer avec l’islamisme s’est fait au
détriment des mouvements laïques pouvant représenter une alternative à
l’islam politique radical, celui-ci redevenant une valeur refuge après
chaque échec dans cette région.
Cependant, cet « islamisme » n’est évidemment pas à confondre avec la République « islamique » d’Iran qui a un parcours atypique.
D’ailleurs, plusieurs auteurs de travaux de qualité sur les mouvements islamistes font parfois l’erreur de confondre la République islamique d’Iran avec les islamistes, alors qu’ils n’ont rien de commun, si ce n’est le fait de revendiquer la référence à l’islam et à la charia. La différence fondamentale vient de la définition même de l’islam politique prôné par les uns et les autres.
Cependant, cet « islamisme » n’est évidemment pas à confondre avec la République « islamique » d’Iran qui a un parcours atypique.
D’ailleurs, plusieurs auteurs de travaux de qualité sur les mouvements islamistes font parfois l’erreur de confondre la République islamique d’Iran avec les islamistes, alors qu’ils n’ont rien de commun, si ce n’est le fait de revendiquer la référence à l’islam et à la charia. La différence fondamentale vient de la définition même de l’islam politique prôné par les uns et les autres.
Tout les sépare fondamentalement, et si
effectivement les États-uniens n’ont pas fait grand chose pour sauver le
Shah, cette attitude était justifiée selon eux par des raisons
stratégiques, car l’Iran ne devait d’après eux en aucun cas devenir une
grande puissance régionale. Ce qui expliquera que quelques temps après
la chute du Shah, les États Unis aient initié la guerre menée par Saddam
Hussein à l’encontre de son voisin, ce qui permettait de ruiner les
deux seuls pays qui pouvaient exercer une influence déterminante dans la
région du Golfe.
Or, l’évolution de l’Iran après sa
guerre avec l’Irak va lui permettre de devenir une véritable puissance
régionale, crainte par certaines monarchies du Golfe, lesquelles ont
préféré confier leur sécurité à l’Occident, plus
particulièrement aux États-Unis. En contre partie, elles confiaient
leurs « ressources » aux économies occidentales, et finançaient des activités ainsi que des mouvements que leur désignaient les services secrets de Washington.
Ces mêmes monarchies devaient fermer les
yeux sur les événements en cours dans certaines régions y compris en
Palestine, alors même qu’ils prétendent soutenir les aspirations du
peuple palestinien. Ils vont être les premiers pays arabes à avoir des
contacts directs ou secrets avec l’État d’Israël, ce qui aboutira plus
tard au rapprochement du mouvement de résistance palestinienne avec les
Iraniens.
Ces derniers apparaissent aujourd’hui
comme les seuls à vouloir défendre les lieux saints de l’islam avec les
hommes d’Al-Qods, branche des Gardiens de la Révolution, et à travers leur soutien au Hamas. La magie états-unienne s’est retournée contre le magicien.
Le monde arabo-musulman doit rester pour
l’Amérique du Nord un monde riche en pétrole, exploitable à volonté,
mais pauvre en matière grise et maintenu dans une totale situation de
dépendance technologique; un marché d’un milliard de consommateurs
incapables d’autonomie politico-militaire et économique. Le carcan
coranique est, selon elle, favorable à l’indigence intellectuelle.
Les règles du jeu
Un axe Téhéran-Beyrouth en passant par
Bagdad et Damas s’est installé au fur et à mesure au détriment de la
stratégie de Washington dans la région. Il était indispensable au fil
des années que cet axe se dote d’alliés et de partenaires notamment en
raison des sanctions prises à l’encontre de l’Iran et de la Syrie.
Par ailleurs, historiquement, la ligne Damas-Moscou
n’a jamais été suspendue malgré la disparition de l’Union Soviétique et
malgré la période tumultueuse qu’a traversée la Fédération russe. Mais
l’arrivée du président Vladimir Poutine, ambitionnant de rendre à la
Russie son rôle sur la scène internationale et de préserver ses intérêts
stratégiques, n’était pas du goût des États-Unis.
De son côté, l’Iran devait développer
ses relations avec la Russie, devenue son alliée objective dans les
négociations avec les occidentaux au sujet de son programme nucléaire.
La Chine a également renforcé ses relations avec Téhéran, plus
particulièrement suite à l’embargo imposé à l’économie iranienne.
Ces deux grandes puissances sont
devenues par la force des choses, les bases arrières, sinon stratégiques
de cet « Axe de l’espoir ». Il est évident que chacun y trouve son
compte, mais les Russes et les Chinois ne sont pas mécontents d’avoir
des partenaires qui dament les pions à leurs adversaires historiques,
tout en profitant des hydrocarbures et du gaz iraniens, et des positions
stratégiques qu’offre la situation de la Syrie par rapport aux
positions états-uniennes avancées.
Dans son livre Le grand échiquier, l’Amérique et le reste du monde,
publié en 1997, Zbigniew Brzezinski, ancien conseiller de sécurité
nationale du président Carter, et très écouté dans les États-Unis de
Clinton, révélait avec une franchise cynique les raisons profondes de la
stratégie islamique de son pays. Selon lui, l’enjeu principal pour les
États-Unis, c’est l’Eurasie, vaste ensemble qui va de l’Europe de
l’Ouest à la Chine via l’Asie centrale : « Du point de vue américain, la Russie paraît vouée à devenir le problème… »
Les États-Unis manifestent donc de plus
en plus d’intérêt pour le développement des ressources de la région, et
cherchent à empêcher la Russie d’avoir la suprématie. « La politique
américaine vise par ailleurs à la fois l’affaiblissement de la Russie et
l’absence d’autonomie militaire de l’Europe. D’où l’élargissement de
l’OTAN aux pays d’Europe centrale et orientale, afin de pérenniser la
présence américaine, alors que la formule de défense européenne capable
de contrer l’hégémonie américaine sur le vieux continent passerait par
« un axe anti-hégémonique Paris-Berlin-Moscou ».
En réalité à travers leurs choix, les
États-uniens semblent s’être trompés sur tous les terrains qui devaient
leur servir de bases pour conquérir les sources d’hydrocarbures et de
gaz, s’attirant de cuisants échecs politiques. Quant aux occidentaux ils
ont pratiquement abandonné toute stratégie et ont confié leur politique
étrangère aux États-Unis. Même s’ils tentent de sauver les apparences
par quelques gesticulations, ils savent que ce ne sont pas eux qui
dirigent. L’exemple récent de François Hollande
et de Laurent Fabius jouant aux va-t-en-guerre contre la Syrie en est une
illustration : n’ont-ils pas dû en rabattre rapidement, comprenant que
les négociations en Lavrov et Kerry primaient sur leurs
annonces péremptoires,
Méfiez-vous du tigre s'il se sent acculé
Constatant l’échec de leurs manœuvres,
les États-uniens souhaitaient faire monter la tension face à des
autorités russes déterminées à s’y opposer, tandis que la Chine restait
en embuscade pour évaluer la situation, peu encline de surcroît à faire
confiance à Washington…
Rappelons que la Chine s’intéresse
autant que la Russie au Proche-Orient : sa première marque d’intérêt
remonte à 1958 lors de la crise du Liban qui a abouti au débarquement US
sur les côtes libanaises, intervention à laquelle elle s’est
farouchement opposée, bien avant l’URSS.
Ces manœuvres états-uniennes sont
particulièrement bien rodées, puisque le procédé s’avère relativement
simple ; l’on participe à la création d’ONG censées militer pour les
droits de l’homme, l’on encourage certains « lanceurs d’alerte », et
l’on offre une tribune à d’obscurs opposants sans grande envergure pour
aboutir à un moment donné à créer les conditions de la déstabilisation
d’un pays.
C’est un travail qui se prépare pendant
des années. Il a été expérimenté pendant la Guerre froide, l’exemple le
plus criant étant celui du Chili, et s’est poursuivi jusqu’à nos jours
avec les fameuse « révolutions colorées », et plus récemment les
« printemps arabes ». Les mêmes actions se préparent dans d’autres pays
que l’on verra sur les manchettes des journaux, notamment en Ukraine et en
Azerbaidjan.
C’est dans ce contexte que des
« événements » ont éclaté au mois de juin 2009 en Iran, au prétexte de
contester les conditions d’élection du président Mahmoud Ahmadinejad.
La République islamique a dû y faire face pendant près de neuf mois. Le
Hezbollah a été confronté lui aussi après l’attaque israélienne qui a
duré 33 jours, à un nouveau complot gouvernemental qui visait à le
priver d’un outil directement lié à sa sécurité, en l’occurrence son
réseau de communication. Sa riposte a été l’intervention rapide et
efficace du 7 mai 2008 que les comploteurs considèrent comme un affront
alors qu’il s’agissait de la réponse du berger à la bergère !.
Il ne restait dans « l’Axe de l’espoir »
que la Syrie, qui avait été avertie par les États-uniens que si elle ne
cessait pas toute relation avec l’Iran et avec le Hezbollah, elle
allait subir le sort des autres pays arabes touchés par « un printemps »
censé faire venir les hirondelles de la démocratie, mais qui n’a amené
que les corbeaux islamistes de la terreur et de l’instabilité.
C’est dans ce contexte que les fameuses
« révolutions colorées » viennent impacter la Russie à travers l’exemple
ukrainien. Ces révolutions ont fait perdre à la Russie l’essentiel de
son champ stratégique. L’on a utilisé l’Europe (l’UEE), qui devait
accueillir les Ukrainiens en son sein, pour leur promettre de meilleures
conditions économiques et des aides. Mais en réalité, ces événements
ont permis aux États-Unis d’installer des bases militaires aux portes de
Moscou. À l’époque, la Russie, affaiblie par un pouvoir qui n’avait ni
ambition, ni envergure n’était pas en mesure de riposter.
La Russie d’aujourd’hui ne peut plus
accepter que cet exemple se reproduise à travers l’Ukraine. Cela
explique sa réaction immédiate. Sa réaction est malgré les apparences en
conformité avec les exemples du Proche-Orient, puisque l’idée est de
dire que la démocratie ne s’exerce pas dans la rue, mais se gagne dans
les urnes. Si l’opposition voulait prendre le pouvoir, il lui
appartenait d’en passer par des élections.
Au-delà de cette situation, la Russie, à
peine sortie d’une agression en règle des milices tchétchènes qui ont
semé mort et terreur sur son territoire avec le soutien financier de
certaines monarchies du Golfe, défend évidemment ses intérêts. Cela
explique la menace à peine voilée faite par les Saoudiens consistant à
dire : « Nous pourrions vous aider à éviter la menace terroriste à Sotchi, si vous cédez sur la question syrienne ». Une fin de non-recevoir leur a évidemment été opposée.
En tout état de cause, cela démontre
tant le rôle des monarchies du Golfe que l’utilisation des mouvements
islamistes pour aider en sous-main les politiques états-uniennes qui,
par la déstabilisation de certains États, croient créer des conditions
qui leur seraient plus favorables dans la région.
L’axe Pékin-Beyrouth, passant par
Moscou, Téhéran et Damas, ne pourra que se renforcer. Il s’agit pour
chacun d’une question de quasi-survie. Selon un proverbe oriental, « Il ne faut pas acculer un chat dans un coin, au risque de le voir se transformer en tigre »,
mais que dire si l’on veut à leur tour coincer des tigres dans un
coin ? Il est certain que personne n’a envie de connaître la réponse.
http://www.voltairenet.org/article182570.html
Commentaire
Rappelons que le déclin de la domination des Etats-Unis a débuté en 1998, bien avant la crise financière.
Ce n’est d’ailleurs pas tant le déclin des Etats-Unis, que le retour de
la Chine à la place qu’elle a occupée pendant des millénaires sur la
scène mondiale avant la révolution industrielle, explique-t-il.
En 1950, la population de la Chine représentait 29% de la population mondiale, mais son PIB ne se montait qu’à 5% du PIB du monde. Les ratios s’inversaient quasiment pour les Etats-Unis : 8% de la population du monde, mais 28% de son PIB.
Mais la Chine est devenue cette année la seconde puissance mondiale
derrière l’Amérique, et elle devrait la dépasser en termes de pouvoir
d’achat dans les prochaines années.
« Il est frappant de constater que nous sommes au milieu d’un évènement historique extrêmement rare : le déclin relatif d’une super-puissance », a écrit Jim Reid de la Deutsche Bank.
Dans le graphique ci-dessous, il a comparé les contributions relatives
des super-puissances du monde en termes de PIB par rapport au PIB
mondial en fonction des différentes époques. On constate que la
contribution de la Chine au PIB du monde était sur le point de dépasser
celle des Etats-Unis à l’année 2000.
Cela ne veut pas dire que la position de l’Amérique dans le système mondial est sur le point de s’effondrer. Loin de là. (…) Néanmoins, les USA sont en train de perdre leur place d’unique superpuissance géopolitique dominante et l’histoire suggère que durant de tels renversements géopolitiques, les tensions augmentent de façon structurelle.Si cette analyse est correcte, alors la hausse des tensions géopolitiques que nous avons constatée au cours des 5 dernières années, et notamment au cours de l’année dernière, pourrait s’avérer non pas temporaire, mais structurelle pour le système mondial actuel, et le monde pourrait continuer de vivre des tensions géopolitiques plus fréquentes, plus durables, et de plus grande portée qu’il n’en a vécues pour le moins au cours des deux dernières décennies. »