Tintamarre sous les fenêtres de France 3 Lyon, actions ciblées dans les supermarchés, campagnes suractives sur les réseaux sociaux, la campagne BDS , fleurit tous azimuts. Son objectif ? Convaincre les citoyens de ne plus recourir aux marques et financements israéliens tant que l'Etat hébreu n'infléchira pas sa «politique coloniale». Depuis le début du conflit à Gaza, et malgré le cessez-le-feu illimité conclu mardi, l'ampleur des actions grandit à vue d'œil et ce, sur l'ensemble du territoire européen. Jeudi, c'est le festival du film de Bristol, en Angleterre, qui a renoncé à une partie de son financement par l'ambassade israélienne.

Il y a quelques jours, Libération a assisté à l'une de ces actions musclées mais pacifiques. Durant quelques minutes, cinq activistes ont pris possession des rayons d'un hypermarché de Seine-Saint-Denis pour expliquer aux clients pourquoi, selon eux, il ne faut plus acheter de produits israéliens. Une jeune femme se saisit d’un mégaphone et harangue, devant des vigiles plutôt placides : «Israël est un état colonial qui viole quotidiennement le droit international. Pourtant, Israël n’est pas au-dessus des lois. Tant que ce pays continuera, nous vous demandons de ne plus faire vivre ses entreprises. Nous ne désignons pas un peuple, pas une religion, mais une politique scandaleuse, inhumaine, et dommageable.» Massés autour, mi-curieux mi-amusés, les consommateurs écoutent attentivement. Les militants BDS se lancent alors dans l’énumération d’une longue liste de marques à délaisser, de fruits et légumes, boissons...

«Démarche concrète, citoyenne»


Dans les manifestations propalestiniennes qui ont animé l’été hexagonal, les leaders associatifs se pliaient au même exercice, donnant aux cortèges des petits airs de l’émission Téléshopping. Membre du Collectif national pour une paix juste et durable entre Palestiniens et Israéliens (CNPJDPI), Youssef Boussoumah décèle un réel engouement pour la campagne BDS, notamment auprès des jeunes : «Le ressort semble définitivement cassé entre eux et la politique. Beaucoup annoncent qu’ils ne voteront plus en 2017. En revanche, ils sont séduits par les initiatives de boycott car il s’agit, à leurs yeux, de démarches concrètes, citoyennes et efficaces.»

Partie de la société civile palestinienne en 2004, la campagne BDS a depuis pris une ampleur internationale. Sa déclinaison française, qui a pris du poids en 2009 dans la queue de comète de l’opération militaire israélienne «Plomb durci», regroupe aujourd’hui une quarantaine d’associations et de partis politiques — dont le Parti de gauche, le NPA, la Confédération paysanne et les syndicats Solidaires et CNT. «Souvent les gens ne retiennent de notre action que le boycott des produits israéliens, note Jean-Pierre Bouché, dirigeant du collectif affilié Stop Apartheid à Toulouse. Or, nous incitons également les entreprises internationales à se retirer d’Israël, et les Etats à le sanctionner. Par ailleurs, le boycott a aussi une dimension académique et culturelle.»

L’initiative ne manque évidemment pas de susciter des critiques. Dans un communiqué publié en juin, le président de la chambre de commerce France-Israël, Henri Cukierman, soulignait que «la loi française interdit le boycott en raison de la race, de la religion ou de la nationalité.» Assurant que «10% des Palestiniens travaillent pour des employeurs israéliens», il assimilait l’action du BDS à une nouvelle «Nuit de cristal», en référence aux attaques de commerces juifs menées en novembre 1938 dans l’Allemagne nazie.


«Uniquement contre des institutions»


Familiers de cette accusation, les animateurs de BDS la contestent avec vigueur. «Nous ne nous mobilisons jamais contre des individus ou une communauté, mais uniquement contre des institutions, explique Imen Habib, une coordinatrice du mouvement. Jean-Pierre Bouché complète : «Nous ne déconseillons à personne d’écouter de la musique israélienne ou de voir les films d’Amos Gitai. En revanche, nous désertons les événements culturels patronnés par l’ambassade ou les consultats d’Israël.»

Le boycott des produits de consommation courante, notamment alimentaires, demeure l’aspect le mieux connu et le plus facilement applicable de la mobilisation.
Sur Internet, plusieurs sites, dont celui du BDS, dressent la liste des marques à éviter. Expliquent que le nombre 729, censé caractériser les code-barres israéliens, est en réalité peu fiable. Et dénoncent, photos à l’appui, les supposées tricheries de certains magasins : telle mangue serait ainsi présentée comme dominicaine, alors que son étiquette porte la mention «Pays d’origine Israël». Pour aider ses militants, BDS réfléchit à lancer une application numérique pour guider le consommateur pendant ses achats.

«La situation affecte vraiment nos affaires»

Quel est vraiment l’impact de cette campagne ? Les groupes de grande distribution contactés par Libération n’ont pas souhaité commenter le phénomène. Tout au plus  Auchan confirme-t-il être «confronté à des opérations de boycott», «étudier les suites à donner au cas par cas», et respecter scrupuleusement les règles d’étiquetage. Même discrétion chez le groupe pharmaceutique israélien Teva : «Ils ne veulent pas mélanger le business et la politique», explique une source proche de l’entreprise.

D’autres sont pourtant plus prolixes. «D’habitude, les gens se battent pour vendre nos produits, raconte Yinon Osem, PDG de l’entreprise Edom Fruits, basée dans un kibboutz de la vallée du Jourdain. Là, il se passe quelque chose, en France notamment. Aucun supermarché ne nous a formellement dit qu’il est confronté à un boycott. Mais on se rend compte que, s’ils ont une alternative à nos produits, ils ont tendance à la privilégier.»

Un phénomène que l’entrepreneur attribue à «l’influence de la communauté musulmane». Même constat du côté de BeFresh, un groupe exportateur de fruits et légumes : «La situation affecte vraiment nos affaires, reconnaît Oron Ziv, l’un de ses représentant en Europe. Nous recevons des annulations de commandes. Nos clients semblent faire profil bas et attendre que la tension retombe.»

Certes, le conflit à Gaza n’est pas seul en cause : le contexte économique, de bonnes récoltes fruitières en Europe, les sanctions contre la Russie contribuent eux aussi à cette situation. Mais tant les médias que le gouvernement israéliens reconnaissent l’existence d’un boycott, et redoutent ses conséquences. En mars, avant même le début des opérations militaires à Gaza, le ministre des Finances Yair Lapid estimait qu’un tel mouvement pourrait coûter 2,3 milliards d’euros et près de 10 000 emplois à l’économie israélienne. Le Premier ministre Benyamin Nétanyahou a qualifié la perspective d’un boycott d’«immorale et injustifiée».

Pourtant, le mouvement semble bien s’être étendu ces derniers mois. D’autant que certaines initiatives sont d’une toute autre ampleur que celles de la campagne BDS. Plusieurs grandes entreprises européennes ont ainsi renoncé à des investissements en Israël, en raison de liens entre des sociétés locales et les colonies.

A partir du 1er septembre, ces dernières cesseront par ailleurs d’exporter vers l’UE leurs volailles et produits laitiers, afin de se conformer à des directives européennes. Enfin, plusieurs pays européens, dont la France, déconseillent désormais officiellement d’investir dans les colonies israéliennes - considérées comme illégales au regard du droit international.