dimanche 17 août 2014

Je mise sur Poutine et sur la Russie

« L’histoire enseigne que les États-Unis ont bénéficié politiquement et économiquement des guerres en Europe. L’immense afflux de capitaux en provenance de l’Europe à la suite de la Première et de la Seconde Guerre mondiale ont transformé les US en super-puissance… Aujourd’hui, face au déclin économique, les US tentent de précipiter une nouvelle guerre en Europe afin d’obtenir le même résultat. »
- Sergey Glazyev, économiste et homme politique russe, interviewé sur youtube [1]

« La découverte de la plus grande réserve de gaz connue au monde dans le golfe Persique, partagée par le Qatar et l’Iran, et de nouvelles estimations qui ont révélé la présence de 70 % de gaz supplémentaire dans le Levant en 2007, constituent des clefs pour comprendre la dynamique des conflits en cours. Après la construction du gazoduc PARS [Persian Pipeline], l’Union européenne, via l’Irak, la Syrie et les côtes est de la Méditerranée, recevra plus de 45 % de sa consommation de gaz estimée pour les 100 à 120 années à venir en provenance de Russie et d’Iran. Dans des circonstances non conflictuelles, cela garantirait une intégration croissante des secteurs de l’énergie et des économies nationales de l’Europe, de la Russie et de l’Iran. »  Christof Lehman, rédacteur en chef du journal en ligne indépendant nsnbc international, interviewé pour Route Magazine [2]


Les opérations ratées des États-Unis en Syrie ont intensifié la guerre par procuration de Washington en Ukraine. Ce que l’administration Obama espérait réaliser en Syrie grâce au soutien des soi-disant militants islamistes « modérés » était de renverser Bashar-el-Assad, de le remplacer par une marionnette US, et d’empêcher ainsi la construction du gazoduc critique Iran-Irak-Syrie. Ce plan n’a pas marché et ne marchera jamais, ce qui signifie que le projet de construction du gazoduc sera finalement réalisé.

Pourquoi est-ce un problème ?

C’est un problème, car, selon le Dr Lehmann : « Avec le gaz russe… l’UE pourra couvrir 50 % de ses besoins en gaz naturel à partir de sources iraniennes et russes ». En tant que fournisseurs principaux de ressource critiques pour l’Europe, Moscou et Téhéran vont devenir plus puissants économiquement et politiquement, ce qui minera profondément l’influence des US et de leurs alliés dans la région, particulièrement le Qatar et Israël. Voilà pourquoi les opposants au gazoduc ont ourdi un plan de sabotage du projet en fomentant une guerre civile en Syrie.

Voici Lehmann, de nouveau :

« En 2007, le Qatar envoya 10 milliards de dollars au ministre turc des Affaires étrangères Davotuglu pour préparer les Frères musulmans turques et syriens à la subversion en Syrie. Comme nous l’avons appris récemment de l’ancien ministre français des Affaires étrangères Roland Dumas, c’est également à ce moment-là que certains acteurs au Royaume-Uni ont commencé à planifier la subversion en Syrie avec l’appui des « rebelles » [2] (Christof Lehmann, interviewé par Route Magazine).

En d’autres termes, l’idée d’armer, d’entraîner et de financer une armée de militants jihadistes pour virer al Assad et livrer la Syrie aux intérêts occidentaux avait son origine dans un contexte de politique énergétique qui penchait clairement en faveur des rivaux des US dans la région (Note : nous ne comprenons pas bien pourquoi Lehmann ignore L’Arabie Saoudite, le Koweit, et d’autres états du Golfe qui étaient aussi impliqués.)

La thèse de Lehmann est aussi supportée par d’autres analystes incluant Nafeez Ahmed, du Guardian, qui explique ce qui se passait derrière la scène de la fausse guerre civile en Syrie. Voici un court extrait d’un article de Ahmed intitulé « L’intervention en Syrie nourrie par les intérêts pétroliers, pas par les armes chimiques »

« En mai 2007, une découverte de la présidence a révélé que Bush avait autorisé des opérations de la CIA contre l’Iran. Les opérations anti-syriennes étaient aussi en plein essor à ce moment-là, faisant partie de ces programmes secrets, selon Seymour Hersh dans le New-Yorker. Un éventail de sources du gouvernement et des services de renseignement US lui ont dit que l’administration Bush avait « coopéré avec l’Arabie Saoudite, qui est sunnite, dans des opérations clandestines » dans le but d’affaiblir le Hezbollah chiite au Liban. « Les US ont aussi pris part à des opérations clandestines dirigées contre l’Iran et son allié la Syrie, » écrit Hersh , dont « un sous-produit » est « le renforcement des groupes sunnites extrémistes » hostiles aux ÉEtats-Unis et « favorables à Al-Qaida ». Il a noté que « le gouvernement Saoudien, avec l’approbation de Washington, fournirait des fonds et une aide logistique pour affaiblir le gouvernement du président Bashar-el-Assad en Syrie »…

Selon l’ancien ministre des Affaires étrangères français Roland Dumas, la Grande-Bretagne avait planifié des actions secrètes en Syrie dés 2009 : « J’étais en Angleterre deux ans avant les violences en Syrie au sujet d’autres affaires », dit-il à la télévision française.

« J’ai rencontré des officiels britanniques de haut-niveau qui m’ont confessé qu’ils préparaient quelque chose en Syrie. C’était en Grande-Bretagne, pas en Amérique. La Grande-Bretagne préparait des hommes armées pour une invasion de la Syrie. »

…Des mails qui ont fuité de l’entreprise privée de renseignement Strafor, comprenant des notes de compte-rendus de réunions avec des officiels du Pentagone ont confirmé l’entraînement des forces syriennes d’opposition par les US-UK afin de provoquer la chute du régime Assad « de l’intérieur ».

Alors quelle est la raison du déploiement de cette stratégie de déstabilisation de la Syrie et de l’Iran ? 
 Selon le Secrétaire général de l’Otan à la retraite Wesley Clark, un mémo du bureau du Secrétariat US à la Défense, juste quelques semaines avant le 9/11, a révélé des plans pour « attaquer et détruire les gouvernements de sept pays en cinq ans », en commençant par l’Irak et en continuant ensuite par « la Syrie, le Liban, la Somalie, le Soudan et l’Iran ». Dans une interview ultérieure, Clark a expliqué que cette stratégie a pour objet fondamentalement le contrôle des vastes ressources en pétrole et gaz de la région. »

(« Le plan d’intervention en Syrie motivé par des intérêts, et non par les armes chimiques », The Guardian [3])

Apparemment, en 2009, le Qatar a approché Assad à propos du gazoduc , qui a refusé de coopérer afin « de protéger les intérêts de [son] allié russe. » Si Assad était rentré dans le rang en agréant l’offre du Qatar, les tentatives en vue de l’éliminer de sa place auraient probablement été annulées. Quoi qu’il en soit, c’est le développement en Syrie qui a provoqué la réaction frénétique en Ukraine. Selon Lehmann :

« La guerre en Ukraine devint prévisible (inévitable?) quand le grand projet Frères Musulmans en Syrie a échoué pendant l’été 2002… En juin 2012, quelques 20.000 mercenaires OTANiens, qui avaient été recrutés et entraînés en Libye, lancèrent deux campagnes massives pour s’emparer de la ville d’Alep à partir de la ville frontalière de Al-Mafraq en Jordanie . Les deux campagnes échouèrent et la « Brigade Libyenne » fut littéralement balayée par l’armée arabe syrienne.

C’est après cette défaite décisive que l’Arabie Saoudite a commencé une campagne massive de recrutement de combattants djihadistes via les réseaux d’al-Qaïda, sœur jumelle malfaisante des Frères Musulmans.

Le Groupe de Crise International a répliqué en publiant son rapport « Tentative Jihad ». Washington a dû faire un effort pour se distancer « politiquement » des « extrémistes ». Le Plan B, les armes chimiques a été une couverture, mais il apparut évident que la guerre en Syrie ne pouvait plus être gagnée. » (« L’axe atlantique et la fabrication d’une guerre en Ukraine », New eastern outlook [4]).

Il y eut d’autres facteurs qui poussèrent les USA vers une conflagration avec Moscou en Ukraine, mais la force principale était le fait que les rivaux des USA (Russie et Iran) restaient les acteurs dominants dans la guerre de l’énergie, qui de plus en plus érode le pouvoir de Washington. Une intégration économique supplémentaire entre l’Europe et la Russie est une menace directe aux plans de pivot vers l’Asie, de déploiement de l’Otan sur les frontières russes, et de domination globale des échanges d’énergie en dollars US.

Lehmann note qu’il a eu une conversation avec « un amiral de haut niveau de l’Otan, originaire d’un pays du nord de l’Europe » qui clarifia la situation en deux phrases lapidaires résumant la politique étrangère des USA. Il dit :

« Des collègues américains du Pentagone m’ont dit, sans équivoque, que les USA et le Royaume-Uni ne toléreront jamais le développement des liens Europe-Russie au point qu’ils puissent défier la primauté politique, économique et militaire des USA/UK et leur hégémonie sur le continent européen. Un tel développement sera empêché par tous les moyens, si nécessaire en provoquant une guerre en Europe centrale. »

C’est le point crucial de la question. Les États-Unis ne toléreront pas qu'un État ou une combinaison d’États remette en cause sa domination. Washington ne veut pas de rivaux. Il veut être la superpuissance globale incontestée, c’est le point que Paul Wolfowitz évoquait dans un projet récent sur la Stratégie des USA en matière de défense nationale :

« Notre premier objectif est d’empêcher la résurgence d’un nouveau rival, que ce soit sur le territoire de l’ancienne Union Soviétique ou ailleurs; cela crée une menace du même ordre que celle posée par l’Union Soviétique. C’est une considération dominante sous-jacente à la nouvelle stratégie de défense et nécessite que nous fassions l’effort d’empêcher tout pouvoir hostile de dominer une région dont les ressources, sous un contrôle unique, seraient suffisantes pour créer une puissance globale. »

Ainsi, l’administration Obama fera tout ce qu’elle estime nécessaire pour stopper une plus grande intégration économique UE-Russie et pour préserver le système des pétrodollars. Ce système, qui trouve son origine en 1974 quand le président Richard Nixon a persuadé les membres de l’OPEP [(Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole] de vendre leur pétrole exclusivement en dollars, et de recycler leurs surplus en bons du Trésor US. L’arrangement se révéla être une immense aubaine pour les USA, qui engrangeaient plus d’un milliard de dollars par jour grâce à de procédé. Cela, en conséquence, autorisait les USA à sur-consommer et à générer de lourds déficits. Les autres nations devaient empiler des dollars pour pouvoir payer l’énergie qui faisait fonctionner leurs machines, chauffait leurs maisons et alimentait leurs véhicules.

En attendant, les USA pouvaient avec désinvolture échanger leur devise papier, qu’ils pouvaient imprimer sans conséquence, pour importer des marchandises qui coûtaient cher en termes de travail et de matière première. Ces dollars allaient ensuite à l’achat de pétrole ou de gaz naturel, dont les profits étaient recyclés en bons du Trésor US ou en autres actifs libellés en dollars, tels que des actions, des obligations, des immeubles ou des fonds indiciels cotés en bourse. C’est le cercle vertueux qui maintient les USA au sommet.

Comme l’a dit un critique : « Le commerce international est maintenant un jeu dans lequel les USA fabriquent des dollars et le reste du monde produit les choses que le dollar peut acheter. »

Le système des pétrodollars sert à maintenir le monopole du dollar sur la fixation des prix qui, en retour, soutient le dollar comme devise de réserve mondiale. Cela crée une demande excessive de dollars qui permet à la Fed d’étendre le crédit de la nation en réduisant considérablement le coût de financement. Si le pétrole et le gaz n’étaient plus échangés en dollar, la valeur de ce dernier tomberait fortement, le marché des obligations s’effondrerait, et l’économie US plongerait dans une crise de longue durée.

C’est la raison pour laquelle les USA ont envahi l’Irak juste après que Sadam Hussein a décidé de traiter en euros ; car ils considéraient que tout défi à l’escroquerie du pillage par les pétrodollars était une menace directe contre la sécurité des USA.

Moscou est conscient du talon d’Achille de Washington et fait tous les efforts possibles pour exploiter cette faiblesse en diminuant l’usage du dollar dans ses accords commerciaux. Jusque là, Moscou a persuadé la Chine et l’Iran de laisser tomber le dollar dans leurs échanges bilatéraux, et ils ont constaté que d’autres partenaires commerciaux sont impatients de faire la même chose. Récemment, les ministères économiques russes ont organisé une réunion de « dé-dollarisation » au cours de laquelle un « ordre exécutif d’échange de devise » a été promulgué disant que « le gouvernement a le pouvoir légal de contraindre les compagnies russes à commercer un pourcentage de certains biens en roubles ».

La semaine dernière, selon RT :

« Les banques centrales russe et chinoise se sont accordées sur un projet d’échange de devises, qui leur permettra d’augmenter le commerce dans les devises domestiques et de s’affranchir de la dépendance au dollar US dans leurs paiements bilatéraux. « Le projet de document entre la Banque centrale russe et la Banque populaire de Chine sur l’échange dans leurs devises nationales a été adopté par les parties… L’accord stimulera davantage le développement du commerce direct en yuan et en rouble sur le marché des changes domestiques en Russie et en Chine », a dit le régulateur russe.

Actuellement, plus de 75 % des règlements en Russie et en Chine sont effectués en dollar US, selon le journal Rossiyskaya Gazeta (« La de-dollarisation s’accélère – La Chine et la Russie finalisent un accord d’échange de devises », Zero Hedge [5]).

L’attaque contre le système de recyclage des pétrodollars est l’une des nombreuses stratégies asymétriques que Moscou emploie actuellement pour décourager l’agression des USA, défendre sa souveraineté, et promouvoir un ordre mondial multi-polaire dans lequel la loi prévaut. Le Kremlin pousse aussi à des changements institutionnels, qui aideront à niveler le terrain au lieu de créer un avantage déloyal aux pays plus riches tels que les US. Naturellement, le remplacement du FMI [Fonds monétaire international], de ses prêts usuraires et de ses politiques punitives, se trouve en tête de liste de la plus grande partie des nations émergentes, en particulier les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) qui, en juin, se sont accordés pour créer une banque de développement, dotée de 100 milliards de dollars, qui « contrera l’influence des institutions de prêts dirigées par les Occidentaux et le dollar. La nouvelle banque fournira l’argent pour les infrastructure et les projets de développement dans les pays des BRICS, et à la différence du FMI ou de la Banque mondiale, chaque nation aura la même voix, quel que soit son PNB [Produit national brut].

Selon RT :

« Le grand lancement de la banque des BRICS est vu comme le premier pas pour briser la domination du dollar US dans le commerce global, ainsi que des institutions adossées au dollar, comme le FMI et la Banque Mondiale, deux institutions dans lesquelles les pays des BRICS ont peu d’influence…

Ce mécanisme met en place les fondations pour une protection effective de nos économies nationales contre une crise des marchés financiers, » a dit le président Vladimir Poutine »  »  [6])

Il est évident que l’agression de Washington en Ukraine a focalisé l’attention de Moscou sur des représailles. Mais plutôt que de se confronter à l’armée US, comme le préféreraient Obama & Cie, Poutine s’attaque aux vulnérabilités du système. Une banque de développement des BRICS défie le rôle du FMI comme prêteur en dernier ressort, un rôle qui a renforcé le pouvoir des pays riches et de leur industrie. La nouvelle banque crée les bases pour un changement institutionnel réel, à l’intérieur, cependant, du cadre omniprésent du capitalisme.

L’homme politique et économiste russe Sergei Glazyev a résumé l’approche de Moscou dans la confrontation US-Russie au sein d’un essai intitulé « Les US militarisent l’Ukraine pour envahir la Russie ». En voici un extrait :

« Pour arrêter la guerre, vous devez stopper ses forces motrices. A ce stade, la guerre se déroule principalement aux plans de l’économie, des relations publiques et de la politique. Tout le pouvoir économique supérieur des USA s’appuie sur une pyramide de dettes financières, et c’est allé bien au-delà du supportable. Ses prêteurs principaux sont assez effondrés pour priver le marché US de l’accumulation de dollars US et de bons du Trésor. Bien sûr, l’effondrement du système financier US entraînera de sérieuses pertes pour tous les détenteurs de devises et de titres US. Mais premièrement, ces pertes seront inférieures pour la Russie, l’Europe et la Chine, aux pertes causées par une autre guerre mondiale provoquée par le déchaînement des géopolitiques américaines. Deuxièmement, plus on sortira tôt des obligations financières de cette pyramide américaine, moins on aura de pertes. Troisièmement, l’effondrement du schéma de Ponzi qu’est le dollar donne l’opportunité, finalement, de réformer le système financier global sur la base de bénéfices mutuels équitables. »

Washington pense que la « guerre moderne » implique de soutenir des armées qui se battent par procuration, y compris des extrémistes néo-nazis et nazislamiques. Moscou pense que la guerre moderne consiste à miner les capacités de l’ennemi à payer ses guerres, par une attaque continuelle de sa devise, de ses institutions, de son marché financier, et de ses capacités à convaincre ses alliés qu’il est un organisateur responsable du système économique global.

Je miserai sur la Russie.
Mike Whitney
Mike Whitney vit à l’état de Washington. Il est un collaborateur de Hopeless : Barack Obama et la politique de l’Illusion (AK Press). Hopeless est également disponible dans une édition de Kindle. Il peut être contacté à fergiewhitney@msn.com. Via Counterpunch 

Source :

My Money’s on Putin, The Latest in the New Cold War (Counterpunch, 12-08-2014)

Notes :

[1] US is militarizing Ukraine to invade Russia. Sergei Glazyev (Youtube, 20/06/2014)
[2] Interview with Dr. Christof Lehmann, editor-in-chief of independent on-line newspaper nsnbc international (Route Magazine, 13-08-2014)
[3] Syria intervention plan fueled by oil interests, not chemical weapon concerns (The Guardian, Dr Nafeez Ahmed, 30-08-2013)
[4]  The Atlantic Axis and the Making of a War in Ukraine (journal-neo.org, Christof Lehmann, 30-07-2014)
[5] De-Dollarization Accelerates – China/Russia Complete Currency Swap Agreement (Zero Hedge, Tyler Durden, 09-08-2014)
[6] BRICS establish $100bn bank and currency pool to cut out Western dominance (Russia Today, 15-07-2014)

Commentaire


Les Anglo-Saxons et leurs satellites sont assiégés par les BRICS


Les décisions prises les 16 et 17 juillet 2014 au sommet de Fortaleza par le groupe des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) sont d’une importance capitale. Alain de Benoist, dans un excellent entretien [1], a raison de le souligner. En quelques lignes, tout est dit.
Une crise financière et géopolitique
Tous ceux qui, dès le choc initial des subprimes, ont indiqué que nous n’étions pas seulement confrontés à une crise financière d’une ampleur exceptionnelle, mais bien plutôt au tout début d’une crise géopolitique majeure, voyaient juste. Nous y sommes. Sur fond de « montée des périls », pour reprendre l’expression qu’utilisait Jules Romains dans les « Hommes de bonne volonté » [2] à propos d’une autre période tourmentée de notre histoire, les accords de Fortaleza ainsi que la progressive prise de conscience, par les BRICS, de leurs intérêts communs marquent un tournant.
Les BRICS encerclent l’Amérique et l’Europe
Si l’on raisonne géopolitiquement et planétairement, du fait de ces accords, les Anglo-Saxons et leurs satellites, confortablement installés jusqu’alors sur leur arc de « containment » de la Russie et de l’Eurasie – qui, selon la politique suivie fidèlement depuis Mackinder jusqu’à Brzeziński, s’étend de l’Atlantique au Pacifique Nord –, se trouvent, maintenant, en position d’assiégés… Les BRICS encerclent à leur tour ceux qui encerclent l’île du monde !
Les Américains sont parfaitement conscients de ce double risque économique et géopolitique. Ils ne sont pas près de baisser la garde. Leur parade face aux stratégies de « dédollarisation » est double :
1) Sur le plan technologique : maintenir en permanence un écart important, non négociable, entre eux et le reste du monde. Cela se traduit, en particulier sur le plan militaire, par les théories de la « Full-Spectrum Dominance » et de son corollaire, la « Prompt Global Strike », expressions suffisamment claires en elles-mêmes pour qu’il n’y ait guère besoin de les traduire…
2) Sur le plan géopolitique : « arraisonner » définitivement le monde, pour reprendre l’expression de Heidegger, au moyen d’une stratégie offensive et extrêmement invasive de contrôle et de colonisation numérique de la planète, en s’appuyant sur une nébuleuse très complexe et structurée qui va de la NSA à Facebook ou Twitter, en passant par Amazon, Cisco, Verizon, Google, etc., le tout imprégné du messianisme bienveillant propre à la « nation indispensable » chère à M. Clinton.
Un grand affrontement technologique à venir
Il est donc très probable que, pour aboutir, la stratégie de Fortaleza devra s’appuyer sur une contre-stratégie numérique d’une ampleur considérable. En l’absence de celle-ci, un nouvel équilibre n’a aucune chance de s’instaurer et le dollar restera maître du monde. Les Chinois, véritables leaders des BRICS, l’ont parfaitement compris et se préparent au grand affrontement technologique. L’Europe, dans tout cela, est-elle prête à se « désarraisonner » ? Poser la question, c’est – hélas ! – y répondre.
Jean-Claude Empereur
Notes :
[1] Et si le dollar venait à disparaître ?, Entretien avec Alain de Benoist
[2] Les Hommes de bonne volonté est une suite romanesque écrite par Jules Romains