vendredi 8 août 2014

GAZA, par Eduardo Galeano*

Pour se justifier, le terrorisme d’État fabrique des terroristes : il sème la haine et récolte des alibis. Tout semble indiquer que cette boucherie de Gaza qui, selon ses auteurs veut en finir avec les terroristes, ne fera que les multiplier.

Depuis 1948, les Palestiniens sont condamnés à vivre dans l’humiliation perpétuelle. Ils ne peuvent respirer sans en avoir l’autorisation. Ils ont perdu leur pays, leur terre, leur eau, leur liberté, leur tout. Ils n’ont même pas le droit d’élire leurs dirigeants. Lorsqu’ils votent pour un candidat pour lequel ils ne devraient pas voter, ils sont punis. Gaza ne cesse d’être punie. Elle est devenue une souricière sans issue depuis que le Hamas a remporté, de façon transparente, les élections en 2006. Quelque chose de semblable s’était produit en 1932, lorsque le Parti Communiste avait remporté les élections au Salvador. Les Salvadoriens ont payé dans le sang leur mauvaise conduite, et ont vécu depuis lors sous la botte des dictatures militaires. La démocratie est un luxe que tous ne méritent pas.

Ces roquettes artisanales que les militants du Hamas, retranchés dans la bande de Gaza, tirent maladroitement sur les terres qui avaient été palestiniennes et que l’occupation israélienne a usurpé sont les fils de l’impuissance. Et la détresse, proche de la folie suicidaire, est la mère des bravades qui nient le droit à l’existence d’Israël, des cris sans aucune efficacité, alors que la guerre d’extermination très efficace nie depuis des années le droit à la Palestine d’exister. Il ne reste presque rien de la Palestine. Peu à peu, Israël l’efface de la carte.

Les colons envahissent, et derrière eux les soldats corrigent la frontière. Les balles sacralisent la spoliation, au nom de la légitime défense. Il n’y a pas de guerre agressive qui ne se proclame pas comme une guerre défensive. Hitler a envahi la Pologne pour empêcher la Pologne d’envahir l’Allemagne. Bush a envahi l’Irak pour empêcher l’Irak d’envahir le monde. Dans chacune de ses guerres défensives, Israël a avalé un nouveau morceau de la Palestine, et les déjeuners continuent. La dévoration se justifie par les titres de propriété donnés par la Bible, par les deux mille ans de persécution dont le peuple juif a souffert, et par la panique chez les Israéliens que génère les Palestiniens sur leur garde.

Israël est le pays qui ne respecte jamais les recommandations et les résolutions de l’ONU, qui ne respecte pas les décisions des tribunaux internationaux, qui se moque des lois internationales et il est aussi le seul pays qui ait légalisé la torture des prisonniers. Qui lui a donné le droit de bafouer tous les droits ? D’où vient l’impunité avec laquelle Israël exécute le massacre de Gaza ? Le gouvernement espagnol n’aurait pas pu bombarder impunément le Pays basque pour en finir avec l’ETA ou le gouvernement britannique n’aurait pas pu dévaster l’Irlande pour liquider l’IRA. La tragédie de l’Holocauste impliquerait-elle une assurance d’impunité éternelle ? Ou ce feu vert provient-il de la super-puissance qui a en Israël le plus inconditionnel de ses vassaux ?

L’armée israélienne, la plus moderne et sophistiquée du monde, sait qui elle tue. Elle ne tue pas par erreur. Elle tue par horreur. Les victimes civiles sont appelées dommages collatéraux, selon le dictionnaire d’autres guerres impériales. À Gaza, trois sur dix de ces dommages collatéraux sont des enfants, auxquels s’ajoutent des milliers de mutilés, victimes de la technologie de mutilation humaine que l’industrie militaire teste avec succès dans cette opération de nettoyage ethnique.

Et comme toujours, la même chose : à Gaza, cent contre un. Pour chaque centaine de Palestiniens morts, un Israélien.

« Des gens dangereux », prévient l’autre bombardement, dont se charge les médias massifs de manipulation, qui nous invitent à croire qu’une vie israélienne vaut autant que cent vies palestiniennes. Des médias qui nous invitent aussi à croire que les 200 bombes atomiques d’Israël sont humanitaires, et que ce fut une puissance nucléaire, appelée Iran qui anéantit Hiroshima et Nagasaki.

La dite communauté internationale, elle existe ? Est-ce autre chose qu’un club de marchands, de banquiers et de guerriers ? Est-ce autre chose que le nom artistique que se donnent les États-Unis lorsqu’ils font du théâtre ?
Face à la tragédie de Gaza, le monde fait étalage de son hypocrisie, une fois de plus. Comme toujours, l’indifférence, les discours vides, les déclarations creuses, les déclamations grandiloquentes, les positions ambiguës, rendent hommage à l’impunité sacrée.

Face à la tragédie de Gaza, les pays arabes se lavent les mains. Comme toujours. Et comme toujours, les pays européens se frottent les mains.

La vieille Europe, tellement capable de beauté et de perversité, verse quelques larmes tout en célébrant secrètement ce coup de maître.

Le fait est que la chasse aux Juifs a toujours été une tradition européenne, mais depuis un demi-siècle cette dette historique ce sont les Palestiniens qui la paient, lesquels sont aussi des sémites et qui n’ont jamais été, ni ne sont antisémites. Ce sont eux qui payent de leur sang et au prix fort, pour le compte d’autrui. 
(Cet article a été publié par Cubadebate en 2012 !! Pour son actualité et sa dimension Granma International le publie dans cette édition)
* Eduardo Galeano,
écrivain et journaliste uruguayen,
auteur de Les veines de l’Amérique latine.
http://www.granma.cu/idiomas/frances/internationales/4agosto-32palestina.html