Tremblez,
dirigeants politiques à l’habile langue de bois ! Les outils arrivent,
qui permettront de reconnaître vos éléments de langage, d’isoler les
expressions dissonantes, ou de détecter les nouveaux courants. Grâce à
nos amis les algorithmes. Des chercheurs y travaillent, qui viennent de
recevoir 50 000 dollars de Google, pour poursuivre leurs recherches.
Autrement dit, l’analyse de contenu des discours
politiques se fera toute seule. Et pour davantage d’efficacité, ces
chercheurs, Xavier Tannier et Ioana Manolescu, viennent de s’associer
aux Décodeurs du Monde, comme l’expliquait la semaine dernière le décodeur en chef, Samuel Laurent.
La fin des articles journalistiques figés...
Laurent donne un exemple fascinant d’une application possible :
« L’objet journalistique de base reste l’article, soit un texte figé, qui au mieux sera manuellement mis à jour, quand on pourrait, on devrait penser des objets interactifs, connectés à des flux de données, et capables de s’actualiser ou de s’enrichir (d’un graphique, d’un lien, d’une vidéo…) seuls en fonction d’un contexte. Le datajournalisme est un pas dans cette direction. »
La perspective est vertigineuse. Par exemple, la
chronique que vous êtes en train de lire pourrait s’enrichir
automatiquement dans quelques mois ou quelques années, quand
l’application Tannier/Manolescu sera entrée en service. Raison pour
laquelle je me garderai bien de toute pointe d’ironie, même légère, sur
le journalisme robotisé. J’ai bien trop peur des cruelles mises à jour
ultérieures.
... et la fin des mensonges en politique ?
Ironie à part, donc, l’idée d’un article qui se
mettrait à jour tout seul, au fur et à mesure de l’apparition d’éléments
nouveaux (nouvelles déclarations, nouvelles statistiques, etc.) est une
illustration éclatante de ce que décrivait
voici quelques jours l’ex-patron du Guardian en ligne, Wolfgang Blau, à
propos de l’apparition des chemins de fer : toute innovation technique
secrète ses propres applications, dès lors que les utilisateurs
parviennent à sortir des schémas de pensée antérieurs.
Reste pourtant un détail : ainsi cernés par les
algorithmes, peut-on espérer que les producteurs de « storytelling »
cesseront des manipuler les chiffres, de mentir, de promettre sans
tenir ? Rien n’est moins sûr. Se retrouver chaque jour décodés par les
fact-checkeurs des journaux, chaque soir ridiculisés par « Le Petit
Journal », ne les empêche pas de reproférer, le lendemain, les mêmes
mensonges. Comme si les deux niveaux de langage (mensonges et promesses
d’une part, décodage de l’autre) se tenaient sur deux plans
hermétiquement séparés. Reste à inventer l’interaction
décrypteurs/décryptés. Vaste programme.