Le
discours présidentiel s'est présenté comme une déclaration, celle d'un
changement de rythme et de qualité pour la Russie. La situation, malgré
les différentes crises, à commencer par la chute de l'URSS pour
continuer avec les crises de 2009 ou les sanctions, est stabilisée. Dans
l'ensemble, les oukases de mai ont été réalisés, maintenant il faut
passer à un stade supérieur.
Le triptyque de la politique intérieure: unité, stabilité, développement
Le
projet pour la politique intérieure russe s'articule, schématiquement
puisqu'il est impossible ici d'entrer dans tous les détails de l'heure
qui lui a été consacrée, autour de trois axes, permettant d'allier
l'unité du pays, la garantie de la stabilité et le besoin de
développement.
1. La révolution technologique
Selon
le président Poutine, l'ampleur de la révolution technologique qui
s'empare des pays développés est tel qu'il s'agit d'un changement
civilisationnel. Mais c'est aussi un enjeu de pouvoir: "le leader sera celui qui sera capable de changement".
Dans
cette logique, le plus grand ennemi de la Russie, sont l'immobilisme et
le retard qu'il entraîne. Ces derniers temps, nous avions effectivement
noté un engouement, parfois excessif, pour les technologies, et surtout
les nouvelles technologies. Leur intégration dans l'industrie et dans
la vie courante peut sans conteste être un plus et permet de les rendre
plus compétitives, mais toute proportion gardée. Pour ne pas tomber dans
les délires post-modernes, qui ressemblent surtout à une fuite en avant
de ceux qui ne peuvent maîtriser le réel. Il est à espérer que la
Russie saura trouver le juste milieu, celui qui permettra l'utilisation
intelligente et rationnelle des technologies, qui sont un moyen et non
pas un but.
Une
dimension idéologique est par ailleurs visible, lorsqu'il s'agit de la
numérisation totale des relations non seulement entre les administrés et
l'administration, mais aussi des administrations entre elles. Le tout
numérique pose la question de la sécurité des données personnelles et de
la sécurité nationale, question qui n'a toujours pas été résolue (voir notre texte ici).
Les actes juridiques et les décisions de justice sont déjà mises en
ligne, en matière de transparence la Russie est très en avance.
D'autres
aspects, plus techniques, concernent l'extension d'internet à tout le
pays, parfois par satellite dans les zones isolées, assez nombreuses en
Russie. Le développement de la télé-médecine, qui a été prévu par une
loi cet été (voir sa présentation en français sur le site de l'association Comitas Gentium France-Russie)
doit permettre un accès à la médecine pour les personnes résidant dans
les lieux difficiles d'accès, sans pour autant remplacer le médecin.
2. Le soutien social et le développement économique
L'élément
central de la politique nationale doit être l'individu. Son bien-être.
Au début des années 2000, 42 millions de personnes vivaient sous le
seuil de pauvreté, aujourd'hui malgré la baisse due aux difficultés
économiques qu'a rencontrées le pays, elles sont environ 20 millions. Le
but est encore de diminuer de moitié ce chiffre dans les années à
venir. En la matière, le président a présenté tout un programme chiffré
et daté, qui rappelle les oukases de mai, visant à l'augmentation
progressive des salaires et des pensions de retraite. Le but est
l'augmentation du PIB et un taux de croissance qui doit être supérieur à
la moyenne mondiale.
Dans
le même sens, la politique de natalité est largement soutenue par
l'Etat, l'enjeu démographique est fondamental pour un pays aussi étendu.
La Russie est enfin arrivée à une durée de vie moyenne de 70 ans, le
but étant de parvenir à 80 ans. Pour cela, le renforcement de la
prévention médicale est incontournable.
Les
aspects sociaux sont indissociables de l'économie. La démographie
permet la main-d'oeuvre nationale et la formation donne des
spécialistes. A ce sujet, la formation professionnelle doit encore être
renforcée et finir par devenir attrayante pour les étudiants étrangers,
dont les meilleurs doivent avoir envie de travailler en Russie. C'est
une vision maîtrisée de la politique migratoire, une vision élitiste.
Pourtant, l'on n'a pas pu ne pas remarquer le vocabulaire pédagogiste
dans le discours présidentiel en ce qui concerne l'école. Il est à
espérer que la Russie ne s'enfonce pas trop profondément dans cette voie
sans issue, comme nous l'avons remarqué en France.
En
ce qui concerne les entreprises, un certain nombre d'adaptations
doivent être envisagées: la stabilité et la visibilité de la politique
fiscale, la diminution du taux d'emprunt, la réduction du contrôle
étatique qui doit au maximum être effectué à distance (ici se pose la
question de la protection des intérêts des particuliers, qui elle n'est
pas réellement résolue et même contradictoire), aider les PME locales et
les entreprises familiales, réduire les barrières administratives pour
l'export des produits non-énergétiques, etc. Mais il est également
attendu des entreprises certains efforts. Par exemple, les entreprises
polluantes doivent impérativement se mettre aux normes. Il leur est
également demandé de participer à l'effort d'investissement dans le
pays.
Ici
aussi, on voit l'empreinte néolibérale, parfois à retard. Alors que
l'Occident revient des start up, dont la réussite est très relative, la
Russie veut les soutenir. On voit également le développement non pas
d'une vision systémique de formation et de recrutement des cadres, mais à
travers "des projets", comme cet amusant concours des Leaders de
Russie, question stratégique que nous avions traitée ici.
3. L'occupation du territoire
Occuper
le territoire est un enjeu de sécurité nationale pour la Russie. Pour
cela, les politiques de la ville doivent être revues. Le pays ne peut se
concentrer autour de quelques centres urbains, il faut développer les
villes moyennes dans tout le pays et impérativement soutenir les
villages.
Cela
implique non seulement des programmes de reconstruction du fond
immobilier, mais aussi un investissement public dans les
infrastructures. Il s'agit des aéroports, des ports et des gares, mais
la question séculaires des routes n'est toujours pas réglée. Si les
routes d'importance fédérale sont plus ou moins en bon état, ce n'est
pas le cas des routes régionales, sans même parler de l'état des petites
routes locales.
Au-delà
des infrastructures, c'est l'Etat qui doit être réimplanté, ce qui
passe notamment par les écoles et les établissements de santé. Cela
implique de corriger les excès de la politique de rationalisation des
dépenses publiques qui avait conduit à la raréfaction des établissements
médicaux dans les campagnes et dans les lieux difficilement
accessibles, sans qu'aucune alternative n'ait été alors proposée.
L'Etrême
Orient et l'Artique restent des priorités pour la Russie, le potentiel
de développement de ces régions restant essentiel.
Autrement
dit, sur la politique intérieure, la Russie tente une conciliation
entre les exigences de la mondialisation (à travers le pédagogisme, le
numérique) et les impératifs du monde réel en lançant de grands
programmes étatiques. D'un côté sortie de l'économie, de l'autre
maîtrise du planning. C'est un choix intéressant, à analyser dans les
faits à venir. Le vide intrinsèque des slogans tout-numériques donne sa
chance à la prédominance à moyen terme de l'économie réelle sur ce qui
ressemble beaucoup à une fantasmagorie. L'essentiel étant de donner les
moyens à un véritable développement, la vague idéologique passera.
Le rétablissement de l'équilibre des forces internationales
Le
discours présidentiel repose ici sur un équilibre intéressant. A la
fois l'annonce d'une volonté de continuer les relations diplomatiques
quoi qu'il se passe, quelle que soit l'attitude des représentants des
Etats occidentaux. Autrement dit, la Russie ne cherche pas à rompre les
relations diplomatiques, ne se positionne pas dans le rôle de
l'agresseur, et ne s'isole pas. Mais, cette main tendue s'accompagne de
déclarations fracassantes, qui ont totalement déstabilisé la presse
occidentale, sur le nouveau potentiel militaire russe, qui rend obsolète
et inefficace le bouclier anti-missile que les Etats-Unis déploient en
Europe. C'est aussi une réponse au développement illimité des bases de
l'OTAN aux portes de la Russie.
Lorsque les Etats-Unis sont unilatéralement sortis du traité ABM (anti-missiles balistiques),
ils ont brisé l'équilibre atteint lors de la guerre froide. Ayant pris
note de la faiblesse réelle de la Russie post-soviétique, ils n'ont pas
jugé nécessaire de tenir compte des avertissements qu'elles lançaient
alors et refusaient toute discussion.
Lorsque,
en 2004, le président russe a prévenu qu'ils allaient développer de
nouvelles armes stratégiques, les Etats-Unis n'ont pas pris cela au
sérieux et ont répondu: faites ce que vous voulez, nous considérerons
que ce n'est pas tourné contre nous.
Hier,
le président russe a démontré toute une série d'armes stratégiques et
nucléaires de nouvelle génération, qui permettent de passer à travers le
bouclier américain anti-missile, des sous-marins sans pilotes qui
peuvent être porteur de charges nucléaires et des missiles
hypersoniques.
Le
message envoyé est très clair. Les Etats-Unis avaient fanfaronné il y a
peu en déclarant qu'ils pourraient répondre par l'arme atomique à toute
attaque même non atomique, voire dans le cyberespace. Le président
Poutine a déclaré que la Russie ne comptait agresser personne, mais
répondrait immédiatement à tout acte d'agression, même nucléaire.
Match
nul. L'équilibre des forces est rétabli, car la Russie possède des
armes d'une génération non encore atteinte en Occident. Ce qui est,
comme l'a déclaré le Président russe, la meilleure garantie de la paix.
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