vendredi 10 décembre 2021

Qu’a vraiment dit Poutine à Biden ?

Ainsi, le président russe Vladimir Poutine, tout seul, et le président américain Joe Biden, entouré d’assistants, ont finalement eu leur conférence secrète par liaison vidéo pendant deux heures et deux minutes – avec des traducteurs placés dans des pièces différentes.
C’était leur premier échange sérieux depuis leur rencontre en personne à Genève en juin dernier – le premier sommet russo-américain depuis 2018. Pour l’opinion publique mondiale, amenée à croire qu’une « guerre » en Ukraine était imminente, ce qui en reste est essentiellement un torrent de pure communication.

Joe Biden et Vladimir Poutine Cartoon caricature éditoriale dessin  illustration vectorielle. Washington, le 19 avril 2021 Image Vectorielle  Stock - Alamy 

Commençons donc par un exercice simple axé sur la question clé de cette rencontre vidéo – l’Ukraine -, en mettant en contraste la version de la Maison Blanche et celle du Kremlin.

La Maison Blanche : Biden a fait savoir « clairement » à Poutine que les États-Unis et leurs alliés répondront par « des mesures décisives, économiques et autres » à l’escalade militaire en Ukraine. Dans le même temps, Biden a appelé Poutine à désamorcer l’escalade autour de l’Ukraine et à « revenir à la diplomatie ».

Le Kremlin : Poutine a proposé à Biden d’annuler toutes les restrictions au fonctionnement des missions diplomatiques. Il a fait remarquer que la coopération entre la Russie et les États-Unis était toujours dans un état « insatisfaisant ».
Il a exhorté les États-Unis à ne pas faire porter à la Russie la « responsabilité » de l’escalade de la situation en Ukraine.

La Maison Blanche : les États-Unis augmenteront leur aide militaire à l’Ukraine si la Russie prend des mesures à son encontre.

Le Kremlin : Poutine a déclaré à Biden que la Russie souhaitait obtenir des garanties juridiquement établies excluant l’expansion de l’OTAN vers l’est et le déploiement de systèmes de frappe offensifs dans les pays voisins de la Russie.

La Maison Blanche : Biden n’a pas donné à Poutine d’engagement sur le fait que l’Ukraine restera en dehors de l’OTAN.

Passons maintenant à ce qui compte vraiment : la ligne rouge.

Ce que Poutine a dit diplomatiquement à l’équipe Biden, assise à la table, c’est que la ligne rouge de la Russie – pas d’Ukraine dans l’OTAN – est inamovible. Il en va de même pour l’Ukraine, qui est devenue une plaque tournante de l’Empire de Bases du Pentagone et qui accueille des armes de l’OTAN.

Washington peut le nier à l’infini, mais l’Ukraine fait partie de la sphère d’influence de la Russie. Si rien n’est fait pour forcer Kiev à respecter l’accord de Minsk, la Russie « neutralisera » la menace selon ses propres termes.

La cause profonde de tout ce drame, absente de tout récit de l’OTAN, est simple : Kiev refuse tout simplement de respecter l’accord de Minsk de février 2015.

Selon cet accord, Kiev devait accorder l’autonomie au Donbass par le biais d’un amendement constitutionnel, appelé « statut spécial », décréter une amnistie générale et entamer un dialogue avec les républiques populaires de Donetsk et de Lougansk.

Au fil des ans, Kiev n’a rempli aucun de ces engagements, tandis que la machine médiatique de l’OTAN n’a cessé de dire que la Russie violait les accords de Minsk. La Russie n’est même pas mentionnée (c’est l’auteur qui souligne) dans l’accord.

Moscou a toujours respecté l’accord de Minsk – qui établit le Donbass comme une partie intégrante et autonome de l’Ukraine. La Russie a fait savoir très clairement, à maintes reprises, qu’elle n’a absolument aucun intérêt à promouvoir un changement de régime à Kiev.

Avant la diffusion de la vidéo, le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a déclaré : « Poutine écoutera les propositions de Biden sur l’Ukraine « avec un grand intérêt » ». Même la Maison Blanche déclare que l’équipe Biden n’a pas proposé que Kiev obéisse à l’accord de Minsk. Ainsi, indépendamment de ce que l’équipe Biden a pu dire, Poutine, de manière pragmatique, adoptera une approche de type « attendre et voir », puis agira en conséquence.

Dans la période précédant le lien vidéo, un battage maximal a été fait autour de Washington qui cherchait à arrêter Nord Stream 2 si la Russie « envahissait » l’Ukraine.

Ce qui ne ressort jamais du récit de l’« invasion », répété ad nauseam dans tout l’OTAN, c’est que les faucons qui supervisent des États-Unis extrêmement polarisés, corrodés de l’intérieur, ont désespérément besoin d’une guerre dans ce que l’analyste militaire Andrei Martyanov appelle le « pays 404« , un trou noir contigu à l’Europe.

Le nœud du problème est que les vassaux impériaux européens ne doivent pas avoir accès à l’énergie russe : uniquement au GNL américain.

Et c’est ce qui a conduit les russophobes les plus extrêmes à Washington à commencer à menacer de sanctions le cercle intime de Poutine, les producteurs d’énergie russes, et même à déconnecter la Russie de SWIFT. Tout cela était censé empêcher la Russie d’« envahir » le pays 404.

Le secrétaire d’État Tony Blinken – présent lors de la réunion vidéo – a déclaré il y a quelques jours à Riga que « si la Russie envahit l’Ukraine », l’OTAN répondra « par une série de mesures économiques à fort impact. » Quant à l’OTAN, elle est loin d’être agressive : juste une organisation « défensive ».

Début décembre, lors de la réunion du Conseil ministériel de l’OCSE à Stockholm, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergey Lavrov, mettait déjà en garde contre une « érosion rapide » de la « stabilité stratégique » en Europe.

Lavrov a déclaré : « L’OTAN refuse de prendre en considération nos propositions sur la désescalade des tensions et la prévention des incidents dangereux… Au contraire, l’infrastructure militaire de l’alliance se rapproche des frontières de la Russie… Le scénario cauchemardesque de la confrontation militaire revient. »

Il n’est donc pas étonnant que le cœur du problème, pour Moscou, soit l’empiètement de l’OTAN. Le récit de l’« invasion » est une grossière infox vendue comme un fait. Même William Burns, de la CIA, a admis que les services de renseignement américains ne disposaient d’aucune information permettant de « conclure » que la Russie répondrait consciencieusement aux prières de War Inc. et « envahirait » finalement l’Ukraine.

Cela n’a pas empêché un torchon allemand à sensation de présenter tous les contours de la guerre éclair russe, alors qu’en réalité, les États-Unis et l’OTAN tentent de pousser le « pays 404 » à se suicider en attaquant les républiques populaires de Donetsk et de Lougansk.

Il est vain d’espérer que cette rencontre vidéo produise des résultats concrets. Alors que l’OTAN reste embourbée dans des crises concentriques, le niveau actuel de tension élevée entre l’OTAN et la Russie est un cadeau du ciel pour maintenir le récit commode d’un mal slave extérieur. C’est également un bonus supplémentaire pour le complexe militaro-industriel, les services de renseignement, les médias et les groupes de réflexion.

La tension ne continuera à mijoter sans devenir incandescente que si l’OTAN ne s’étend pas, sous quelque forme que ce soit, en Ukraine. Les diplomates de Bruxelles font régulièrement remarquer que Kiev ne sera jamais accepté comme membre de l’OTAN. Mais si les choses peuvent empirer, elles le feront : Kiev deviendra l’un de ces partenaires spéciaux de l’OTAN, un acteur voyou désespérément pauvre et avide de territoires.

Poutine exigeant des États-Unis – qui dirigent l’OTAN – une garantie écrite, juridiquement contraignante, que l’alliance ne progressera pas davantage vers l’est, vers les frontières russes, cela change la donne.

L’équipe Biden ne peut pas fournir cette garantie : elle serait dévorée vivante par l’establishment de War Inc. Poutine a étudié son histoire et sait que la « promesse » de papa Bush à Gorbatchev sur l’expansion de l’OTAN n’était qu’un mensonge. Il sait que ceux qui dirigent l’OTAN ne s’engageront jamais par écrit.

Cela permet donc à Poutine de disposer d’un éventail complet d’options pour défendre la sécurité nationale russe. L’« invasion » est une blague ; l’Ukraine, qui pourrit de l’intérieur, rongée par la peur, le dégoût et la pauvreté, restera dans les limbes, tandis que Donetsk et Lougansk seront progressivement interconnectés avec la Fédération de Russie.

Il n’y aura pas de guerre de l’OTAN contre la Russie – comme Martyanov lui-même l’a amplement démontré, l’OTAN ne tiendrait pas cinq minutes contre les armes hypersoniques russes. Et Moscou se concentrera sur ce qui compte vraiment, sur le plan géoéconomique et géopolitique : la consolidation de l’Union économique eurasienne (UEEA) et du partenariat pour la Grande Eurasie.

Pepe Escobar
Publié le décembre 9, 2021
Source The Saker’s Blog via  le Saker Francophone

3 commentaires:

  1. Les ennuis arrivent rapidement et la situation entre les États-Unis/l'OTAN/l'Ukraine (l'ouest) et la Russie atteint rapidement son paroxysme.
    https://halturnerradioshow.com/index.php/en/news-page/world/russia-trouble-coming-fast

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  2. Qu’a vraiment dit Poutine à Biden??
    Il a dit, "Let's Go Brandon"

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  3. Lors de la chute du mur de Berlin, Gorbatchev n'a pas voulu d'un écrit sur le fait que l'OTAN ne viendrait jamais s'installer dans les pays de l'Est. Selon certaines rumeurs le dirigeant Russe aurait touché beaucoup d'argent de la part de l'Allemagne, pour ne rien exiger de ce pays comme garanties. Pendant la guerre 39-45, il vivait en zone occupée par les nazis, qu'il servait comme un bon valet. Ceci explique peut-être cela.

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