Je viens de terminer la lecture de “Sub-Imperial Power” de Clinton Fernandes, ancien
officier de renseignement australien et désormais professeur d’études
internationales et politiques à l’Université de Nouvelle-Galles du Sud.
Clinton m’a envoyé le livre et a écrit une belle dédicace, me qualifiant d'”éducateur public“, ce qui est une façon agréable de dire que je tweete trop .
Mais je n’écrirais pas ceci si je n’avais pas vraiment aimé
le livre, que je crois en fait être une lecture essentielle si vous
voulez comprendre la géopolitique australienne, ou si vous vous
intéressez à la géopolitique en général.
Il décrit en détail comment l’Australie n’est pas un vassal ou un
État client des États-Unis, comme beaucoup le pensent, mais plutôt une “puissance sous-impériale“. Cela signifie que l’Australie, ainsi que d’autres “puissances sous-impériales” comme Israël ou le Royaume-Uni, sont essentiellement les hommes de main de l’actuel régime “impérial”
des États-Unis, chargés de le préserver dans leurs régions respectives.
Cela signifie qu’en tant qu’hommes de main, ils ne sont pas tant
victimes d’une domination américaine hégémonique mais qu’ils estiment en
tirer des avantages tellement disproportionnés qu’ils sont prêts à tout
mettre en œuvre pour aider les États-Unis à préserver cette domination
au détriment des véritables victimes, celles qui perdent de manière
disproportionnée à cause de cette domination.
L’un des aspects les plus intéressants du livre est la manière dont
il s’écarte des théories du réalisme, défendues par des personnalités
telles que John Mearsheimer ou Stephen Walt, qui affirment que tous les
États – indépendamment de leur culture, de leur religion, de leur
hiérarchie sociale ou de leur système politique – agiront de la même
manière parce qu’ils accordent tous la priorité à leur survie et à leur
sécurité par-dessus tout. Ils affirment qu’étant donné que la
maximisation du pouvoir est le meilleur moyen de survivre dans le
système international, s’ils en avaient la possibilité, tous les États
chercheraient à devenir des hégémons comme les États-Unis le sont
aujourd’hui, ou comme la Grande-Bretagne impériale l’était hier.
Fernandes défend un point de vue très différent, qui me semble être
une bien meilleure explication du fonctionnement du monde et du
comportement historique des différents États. Il affirme que la
géopolitique américaine, et celle des États coloniaux occidentaux qui
l’ont précédée, a ceci d’unique qu’elle présente des caractéristiques
extrêmement agressives – l’impulsion de subjuguer et de piller les
autres – qui, en réalité, nuisent souvent à leur sécurité au lieu de la
sauvegarder. Il explique cela par le pouvoir excessif que la classe
financière exerce sur l’État dans ces systèmes de gouvernement. Ce qui
est difficile à nier si l’on regarde l’histoire : par exemple, c’est la
Compagnie des Indes orientales qui a lancé la colonisation et le pillage
de l’Inde, et non l’État britannique qui n’est arrivé qu’ensuite pour
pacifier la rébellion grandissante en Inde afin de perpétuer le pillage
en cours. Ou prenons un exemple plus récent : la guerre en Irak. Elle
n’a guère de sens du point de vue de la sécurité ou de la survie des
États-Unis, mais elle est éminemment judicieuse du point de vue des
compagnies pétrolières américaines ou de l’hégémonie économique. Ou
encore le conflit actuel à Gaza, qui est extrêmement négatif pour la
sécurité américaine car il génère dans le monde musulman des tonnes de
haine contre l’Amérique et détourne l’attention des Américains de défis
géopolitiques plus importants. Mais cela a du sens si on l’examine du
point de vue de la perpétuation d’un système hégémonique.[1]
En d’autres termes, l’argument de Fernandes est que la principale caractéristique de l'”ordre international fondé sur des règles”
est liée à la structure même du système social et économique américain
(ou britannique, français, australien, etc.), qui cherche à imposer un
ordre dans lequel le monde entier est ouvert à la pénétration et au
contrôle de leurs classes financières nationales respectives. C’est
pourquoi l’ordre porte sur l’hégémonie et non sur la sécurité, et c’est
pourquoi la première se fait si souvent aux dépens de la seconde.
Il est intéressant de noter que John Mearsheimer se lamente souvent à ce sujet si vous l’écoutez : “Pourquoi les États-Unis agissent-ils de manière aussi insensée, à l’encontre de ce que recommandent mes théories réalistes ?”
Il s’est catégoriquement opposé à la guerre en Irak, a mis en garde
pendant de nombreuses années contre le risque d’un affrontement avec la
Russie en Ukraine si nous élargissions l’OTAN, et ne cesse de s’élever
contre le soutien sans équivoque des États-Unis à Israël. Ce faisant,
Mearsheimer admet en fait que le réalisme n’explique pas tout à fait le
comportement des États et que ses théories ne sont donc pas tout à fait
justes. Fernandes propose ici une explication qui prédit mieux le
comportement réel des États-Unis et de leurs “puissances sous-impériales”
: on ne peut pas comprendre le comportement des États en se limitant à
une vision centrée sur l’État ; il faut également tenir compte des
caractéristiques uniques de leur système politique, social et
économique.
Un dernier point intéressant est que, étant donné qu’il soutient que
les systèmes politiques et économiques des États jouent un rôle clé dans
la définition de leur géopolitique, le livre de Fernandes implique une
prédiction selon laquelle, à mesure que la puissance de la Chine
augmentera, elle se comportera de manière très différente de celle des
États-Unis et de leurs sbires impériaux. Compte tenu du système chinois,
la Chine cherchera sans aucun doute à maximiser son pouvoir, mais cette
fois-ci, ce sera pour sa propre sécurité et sa propre survie, et non
pour servir les intérêts de sa classe financière, et elle se comportera
donc de manière beaucoup moins agressive que les États-Unis. Là encore,
il est intéressant de noter que Mearsheimer l’admet en quelque sorte,
puisqu’il répète sans cesse que “lorsque je suis en Chine, je suis parmi mon peuple“,
c’est-à-dire que les Chinois suivent ses théories réalistes beaucoup
plus fidèlement que les Américains. Nous pouvons déjà en voir les
contours : il est absolument évident que l’État chinois n’est pas à la
merci de sa classe financière, bien au contraire, la Chine n’est pas
exactement un pays où les milliardaires ont la vie facile 😂 Même chose
en ce qui concerne l’hégémonie : La Chine ne fait tout simplement pas
d’alliances militaires (elle n’en a pas), d’ingérences étrangères ou de
coups d’états. En fait, elle n’a même pas tiré une seule balle à
l’étranger en plus de quarante ans. Au contraire, elle cherche à créer
un ordre où la sécurité indivisible et le respect mutuel sont intégrés
au système, où elle serait idéalement l’État le plus puissant – bien sûr
– mais pas dans le but de piller ou d’assujettir les autres, mais parce
que cela garantit sa sécurité et sa stabilité. C’est exactement comme
cela qu’elle s’est comporté pendant 1.800 ans, lorsqu’elle était l’État
le plus puissant de la planète avant la révolution industrielle : elle
n’a jamais cherché à coloniser et à piller le monde, car elle pensait
que cela finirait par se faire au détriment de sa propre sécurité, comme
c’est le cas aujourd’hui pour la sécurité et les intérêts des
États-Unis. Au contraire, elle a cherché à établir des relations
commerciales et de respect mutuel qui maximisent la sécurité et la
stabilité à long terme.
Quoi qu’il en soit, vous devriez vraiment lire ce livre, car il est
trop rare qu’un tel ouvrage soit écrit par des universitaires
occidentaux. On y trouve généralement les conneries habituelles sur la
supériorité inhérente des valeurs occidentales et diverses théories mal
fondées expliquant pourquoi nous devrions dominer le monde. Ce livre
vous donne un aperçu de ce qui se passe à l’extérieur de la matrice.
fin du texte d’Arnaud Bertrand
Par Arnaud Bertrand – Le 24 novembre 2023 –
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Moon of Alabama ici.
Vous pouvez rejeter la notion de “puissance sub-impériale” évoquée ci-dessus comme une “expression boiteuse pour que [l’Australien] n’ait pas à dire vassal“. Il y a une part de vérité là-dedans.
Mais distinguer l’hégémonie monétaire et l’impérialisme axé sur la
sécurité, et voir le premier en tant que cause fondamentale du désordre
mondial est, à mes yeux, une nouvelle vision des choses. En d’autres
termes : L’aspect de la survie et de la sécurité n’est pertinent que
dans la mesure où il concerne la classe financière. Le point de vue
réaliste de Mearsheimer passe quelque peu à côté de cet aspect.
Source Moon of Alabama Via le Saker Francophone.
NOTES de H. Genséric
[1] La guerre d'extermination menée par USraël contre la population palestinienne de Gaza a surtout pour objectif la confiscation des gisements de gaz gazaouis, ce qui est comparable à la guerre menée par les USA et ses vassaux contre l'Irak, la Syrie et la Libye.
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