Qui est Leila Trabelsi, l’épouse de l’ancien Président tunisien ?
Quatre ans après la fuite de Ben Ali, il reste difficile de démêler le
vrai du faux. Pour ne rien arranger, il a existé en Tunisie dans les
années 1980 deux "Leila Trabelsi" !! Révélations.
Leïla Trabelsi-Ben Ali était-elle une fille facile, voire l’ancienne
prostituée, que décrivaient volontiers une partie de l’opposition à Ben
Ali et de nombreux bourgeois tunisois ? La courtisane issue d’un milieu
modeste et prête, pour réussir, à quelques arrangements avec la
morale ? Ou encore la jeune femme indépendante et ambitieuse dont les
rencontres ont favorisé une fulgurante ascension sociale ? Il est très
difficile de retracer le parcours de l’ex-Première dame en Tunisie. La
rumeur souvent le dispute aux faits. D'autant qu'il existait deux Leila
Trabelsi, dont les destins se croisèrent.
Un CV bien rempli
Les deux Leïlas gravitent dans les années 80 un peu dans les mêmes
milieux, des salons de coiffure aux antichambres du ministère de
l’Intérieur. Leurs parcours sont souvent parallèles, leurs destins
croisés. D’où les amalgames et confusions qui vont polluer la biographie
longtemps tenue secrète de la « vraie » Leila, celle qui épousa Ben
Ali. En effet, l’autre Leila, l’homonyme, a une personnalité beaucoup
plus tumultueuse et un parcours moins recommandable que l’épouse de Ben
Ali.
- L’une aura été une ambitieuse qui travaille, ose divorcer, fraie avec
les puissants avant de devenir le mauvais génie, cupide et malfaisant,
du règne de son mari, le président Ben Ali.
- L’autre aura été une vraie
prostituée de haut vol.
Cette révélation contenue dans « La régente de
Carthage » devait être confirmée en 2011 par Rafik Chelly, qui avant de
devenir l'actuel secrétaire d'État tunisien à la sécurité fut l’auteur
d’un excellent livre, « Le syndrome de Carthage », qui revient sur les
conditions dans lesquelles Ben Ali a pris le pouvoir le 7 novembre 1987
et qui s’attarde également sur la deuxième Leila.
Des salons de coiffure au ministère de l'Intérieur
De son vrai nom Raouda Majeli, la deuxième Leila Trabelsi a débuté sa
brillante carrière matrimoniale en épousant un Émir saoudien, ce qui
lui a valu le surnom de « Princesse Leila ». Elle a vécu conjugalement
quelques années avec ce prince et a beaucoup voyagé, particulièrement en
Suisse et en France.
Après le Royaume Wahhabite, la Jamahiria de Khadafi.
Ils s'adoraient ! |
Au début des années 80, exit la Libye ! « Princesse Leila » débarque à
Tunis et épouse un cadre bancaire dont l’histoire ne retiendra pas le
nom. En fait, sa vraie vie est ailleurs. Habile et séduisante, la
deuxième Leila tenait un salon très chic de coiffure et de soins divers
du nom de « Donna », sur la route de Soukra. Toutes les dames de la
société de Tunis fréquentaient l’endroit.
Et c’est là que la deuxième Leila, dont les talents sont évidents,
commence à travailler pour le ministère de l’Intérieur. Elle va jouer,
pour le compte des grands flics tunisiens, le rôle d’une redoutable Mata
Hari, notamment dans les milieux libyens. Ce que confirme le livre de
Rafik Chelly.
La tunisienne, une femme facile?
Les Libyens ont toujours eu la fâcheuse tendance à considérer les
femmes « libérées » par Bourguiba comme des femmes faciles. La Tunisie,
dans l’imaginaire de certains d’entre eux, serait un lieu de perdition, à
la façon de ce qu’est le Liban ou Dubaï pour les gens du Golfe.
L’attrait qu’exerce le pays du jasmin et des tentations n’a pas échappé
aux flics de Tunis qui ont souvent poussé dans les bras des amis de
Khadafi quelques belles espionnes. Ainsi, la deuxième Leila, née en
Libye, est une d’entre elles.
Très vite, l’ancien Président fait sa connaissance. Dans son livre,
Rafik Chelly écrit que lors de son retour de Pologne en 1984 lorsqu’il
est nommé directeur de la Sûreté Nationale, Ben Ali s’intéresse de près à
la Brigade mondaine. « Cette brigade, explique-t-il, a évolué pour
devenir un service de renseignement qui emploie les prostituées ! ».
Chaque soir, Ben Ali en choisit une |
« Les rafles de prostituées se faisaient la nuit. Une fois que la voiture cellulaire déposait les raflées, Ben Ali était là et suivait l’opération de vérification des identités effectuée par les agents au cas par cas. (…) Ben Ali qui, était sans foi ni loi, surveillait de loin le tri des putes effectué pour s’emparer de celle qui lui plaisait le plus. Ensuite il repartait après avoir donné des instructions pour qu’ils l’amènent à lui en vue de faire plus ample connaissance avec la favorite ».
Ambiance !
Autant dire que la vraie Leila, la future régente de Carthage, avait
quelques raisons de s’inquiéter. Simple maîtresse du grand homme à
l’époque, elle ne supporte pas cette lointaine rivale. Comment vivre
avec ce double déformé, hideux qui porte son propre nom ? Comment
accepter ce miroir grossier de sa propre situation de femme illégitime?
Mise sous surveillance
Inquiet d’un possible double jeu et des possibles incartades de Leila
bis, Ben Ali demande à un de ses fidèles lieutenants, Mohamed Ali
Mahjoubi, surnommé Chedly Hammi (et aujourd’hui décédé) de surveiller
l’intrigante. Ce qu’il fit, alors qu’il avait été nommé après le 7
Novembre 1987 directeur de la Sûreté. Et il s’y employa même avec un
certain zèle puisque la belle espionne devint sa maîtresse très
régulière. Ce que les amis de Chedly, par pudeur, ont toujours tu.
Un jour de 1990, Ben Ali cherche à joindre d’urgence Chedly. Lequel
se trouve, à l’heure de la sieste, au salon de coiffure de sa belle.
Lorsque l’ancien Président en est informé, il rentre dans une rage
folle. Dans son entourage, nombreux sont ceux qui plombent la réputation
de son secrétaire d’État à la Sûreté. La vraie Leila naturellement,
mais aussi le machiavélique Ali Ganzaoui, un fidèle de Ben Ali à
l’Intérieur qui veut la place. Résultat, Chedly et sa douce sont
arrêtés, jetés en prison et condamnés pour « intelligence avec Israël »,
puis pour espionnage au profit de la Libye.
On voit Ganzaoui faire le siège des services français pour obtenir,
mais en vain, les preuves de la collaboration des deux malheureux avec
les services israéliens. Dans les fameux carnets du général Rondot,
conseiller en France des ministres de la Défense successifs, on trouve
trace de ces requêtes. La seule chose exacte est que, dans sa vie
tumultueuse, la deuxième Leila a été approchée par le Mossad.
Dans un deuxième temps, on les accusera tous deux d’intelligence avec
Khadafi, comme le raconte Rafik Chelly : « C’est ainsi, qu’avec l’aval
de Ben Ali et d’autres personnes proches du régime, Ghanzoui a tout fait
pour créer de toutes pièces cette affaire, accusant le couple
Hammi-Majeri d’atteinte à la sécurité de l’État, avec allégeance à une
puissance étrangère, en l’occurrence la Libye ».
La réalité est
évidemment tout autre : « Étant à la tête de la direction de la sécurité
extérieure, poursuit le même, je travaillais en étroite collaboration
avec le Secrétaire d’État Chadli Hammi. Je dois souligner que pendant
cette période, le niveau de coopération avec les services des pays amis a
été très important et très bénéfique pour notre pays, surtout dans le
cadre de la lutte contre le terrorisme et des menaces qui pouvaient
peser sur notre sécurité, en particulier de la part de la Libye. »
Dans les sables du désert
Deux ans après son incarcération, en 1992, Chedly Hammi sort de
prison. Ben Ali le fait venir au palais de Carthage. « Je suis désolé,
lui dit-il, on m’avait induit en erreur ». Un poste lui est proposé par
la Présidence, que Chedly, amer, forcément amer, refusera dignement. Ce
haut fonctionnaire irréprochable se verra juste rétablir ses droits
légitimes à la retraite.
La deuxième Leila, elle, s’est exilée quelque part dans les sables du
désert. Depuis, elle a épousé un haut cadre du Hezbollah. Ces derniers
mois, on la voit s’activer à nouveau à Tunis ; elle aimerait en effet
être réhabilitée et elle a choisi un des plus grands ténors du barreau
pour défendre ses intérêts.
Autant de carrières brisées, de destins fracassés. Laissons la
conclusion de ce triste épisode à Rafik Chelly, qui écrit dans son
dernier livre : « Comme toujours, Ben Ali se targuait d’être induit en
erreur en rejetant toute responsabilité personnelle. C’est bien dommage
que de sacrifier des cadres compétents et des patriotes en usant à leur
encontre des conspirations et des manœuvres abjectes, juste pour
satisfaire les caprices de « La régente de Carthage », celle qui allait
le détruire ».