Kiev et les djihadistes: une sombre alliance. Alors que nous combattons l’État islamique, l’EI, alias
ISIS, en Irak et en Syrie, et que les responsables américains soulignent
le prétendu danger d’une attaque sur le territoire américain,
Washington et le Califat se battent du même côté en Ukraine. Dans une
remarquable série d’articles dans l’Intercept,
Marcin Mamon s’est penché sur un aspect du conflit en Ukraine auquel
personne d’autre n’a fait attention: le rôle joué par le Bataillon
Doudaïev, «une force de combat des islamistes radicaux composée de
Tchétchènes, mais incluant également des combattants de tout le Caucase
ainsi que quelques Ukrainiens».
Les clés des organisations clandestines islamistes en Ukraine ont été remises à Mamon par un contact à Istanbul, Khalid, qui commande la branche ISIS locale. «Nos frères sont là», a-t-il dit à Mamon, et le journaliste s’est rendu en Ukraine où il a été mis en rapport avec un contact nommé Ruslan, qui l’a conduit au camp clandestin de Munayev.
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[1] Decade Forecast: 2015-2025 / February 23, 2015
Les clés des organisations clandestines islamistes en Ukraine ont été remises à Mamon par un contact à Istanbul, Khalid, qui commande la branche ISIS locale. «Nos frères sont là», a-t-il dit à Mamon, et le journaliste s’est rendu en Ukraine où il a été mis en rapport avec un contact nommé Ruslan, qui l’a conduit au camp clandestin de Munayev.
Portant le nom du premier président de la Tchétchénie séparatiste, Djokhar Doudaïev, le bataillon Doudaïev était commandé par Isa Munayev,
récemment tué dans l’est de l’Ukraine. Imprégnés d’une haine fanatique
des Russes, qui soutiennent les rebelles de l’Est, les hommes de Munayev
estiment également qu’ils paient une dette, puisque les bataillons du
Secteur Droit ultra-nationalis te qui aujourd’hui luttent pour Kiev
ont apparemment aidé les Tchétchènes dans le passé. Le Secteur Droit est
un groupe paramilitaire ouvertement néo-fasciste qui
a fourni une grande partie des forces qui ont rendu possible le coup
d’État contre Viktor Ianoukovitch, l’ancien président ukrainien.
Organisés en différents bataillons, dont la célèbre Brigade Azov,
ils idolâtrent les collaborateurs nazis de la Seconde Guerre mondiale,
qui ont combattu les troupes soviétiques: les ultra-nationalis tes ont été accusés d’avoir commis des atrocités dans le Donbass, ainsi que de terroriser leurs
adversaires politiques sur le front intérieur. D’après Mamon, ils ont
également été impliqués dans la lutte contre les Russes dans la
lointaine Tchétchénie, où l’ancien gros bonnet du Secteur Droit
Oleksandr Muzychko a combattu aux côtés de Munayev et des frères contre les Russes.
Comme Ruslan l’a dit à Mamon:
« Je suis ici aujourd’hui parce que mon frère, Isa, nous a appelés et a dit:
‹Il est temps de rembourser votre dette. Il fut un temps où les frères
de l’Ukraine sont venus [en Tchétchénie] et se sont battus contre
l’ennemi commun, l’agresseur, l’occupant.›. »
A côté de cette solennelle éthique du guerrier, une autre
raison probable du soutien de l’EI à Kiev est l’accès à des cibles
occidentales, données ainsi aux terroristes. Comme Mamon l’indique:
«L’Ukraine est en train de devenir une étape
importante pour les frères comme Ruslan. En Ukraine, vous pouvez acheter
un passeport et une nouvelle identité. Pour 15.000 dollars, un
combattant reçoit un nouveau nom et un document juridique attestant de
sa citoyenneté ukrainienne. L’Ukraine ne fait pas partie de l’Union
européenne, mais c’est une voie facile pour l’immigration vers l’Ouest.
Les Ukrainiens ont peu de difficultés à obtenir des visas pour la
Pologne voisine, où ils peuvent travailler sur les chantiers et dans les
restaurants, comblant le vide laissé par les millions de Polonais qui
sont partis à la recherche de travail au Royaume-Uni et en Allemagne. »
On nous dit que l’EI prévoit des attaques terroristes en Europe, et que les forces de sécurité sont occupées à recenser tous les suspects du continent; pourtant voici ce trou béant dans les défenses de l’Ouest, par où les frères s’infiltrent tranquillement, sans que les médias occidentaux en rendent compte. En coopération avec des groupes ultra-nationalis tes
comme le Secteur Droit, qui ont également créé leurs bataillons
semi-autonomes, les islamistes d’Ukraine, brandissant des passeports
ukrainiens, ont ouvert une passerelle vers l’Ouest.
Les demandes faites à Washington de commencer à fournir des armes
létales au régime ukrainien font maintenant partie du débat de
politique étrangère à Washington, avec les habituels suspects exhortant
l’administration à ouvrir le robinet d’armement. Pourtant, les Ukrainiens disent
qu’ils obtiennent déjà une aide létale de pays qu’ils refusent
d’identifier, selon le membre officiel du Conseil de sécurité nationale
ukrainienne Oleg Gladovsky:
«[L’aide provient] d’endroits où nous n’avons aucune
influence et où il n’y a pas de tollé public à ce sujet (que nous avons
nous-mêmes contribué à créer dans certains endroits, malheureusement) . C’est de ces pays que nous sommes en train de recevoir de l’aide létale.»
Alors d’où vient cette aide?
«Dans l’est de l’Ukraine, écrit Mamon, le drapeau vert du djihad flotte sur certaines bases des bataillons privés.» Mais comment ces groupes de combat sont-ils privés?
L’armée ukrainienne en loques, composée de conscrits peu motivés
et mal armés, ne fait pas le poids contre les séparatistes, qui se
battent sur leur propre territoire contre un envahisseur. Le régime de
Kiev dépend de ces armées privées pour fournir une colonne
vertébrale à sa force de combat, et il semble y avoir une relation
symbiotique difficile entre l’armée ukrainienne régulière et ces
volontaires, avec une approche non interventionnist e adoptée par
Kiev pour ces derniers . Si le régime ukrainien reconnait ouvertement
aujourd’hui obtenir de l’aide de pays non nommés, il est normal de se
poser la question: le Bataillon Doudaïev obtient-il une aide directe à
partir des mêmes sources
que celles qui équipent en armes les rebelles islamistes radicaux de
Syrie – le Qatar, le Koweït, les Émirats arabes unis et les Saoudiens?
Comme les rebelles modérés syriens financés et soutenus par les États-Unis rejoignent l’EI en masse, le réseau djihadiste international étend ses tentacules en Ukraine pour reprendre le combat au nom de leurs frères.
L’un des principaux liens entre les factions ultra-nationalis tes ukrainiennes et les islamistes était Oleksandr Muzychko, qui a combattu aux côtés du chef terroriste tchétchène Chamil Bassaïev – le cerveau derrière le massacre de l’école de Beslan –
dans les guerres de Tchétchénie. L’année dernière, Muzychko a été tué
dans une fusillade avec les policiers ukrainiens. Mais avant de
disparaître, il était le visage public très évident du mouvement
ultra-nationalis te d’Ukraine.
Dans une vidéo devenue virale,
Muzychko et un groupe de ses compagnons du commando Secteur Droit sont
entrés dans le bureau du procureur de la ville de Rivne, dans le
nord-ouest de l’Ukraine, et ont giflé le procureur coupable de ne pas
faire son travail à la satisfaction de Muzychko. Il a également fait
irruption dans une réunion du conseil de la ville de Rivne, brandissant
un fusil, et déclarant que le Secteur Droit ne désarmerait jamais. Alors
que les autorités ont sans aucun doute trouvé les singeries de Muzychko
ennuyeuses, ce genre de chose est normal dans la nouvelle
Ukraine. Et il est probable que c’est son implication clandestine avec
l’EI, bien plus que ses pitreries publiques, qui a provoqué la colère
des autorités: elles lui ont tendu une embuscade et l’ont abattu le 24
mars de l’année dernière. Son implication avec la cellule EI en Ukraine
est-elle devenue de plus en plus évidente, même pour ceux en Occident
qui s’étaient contentés regarder de l’autre côté?
Que les autorités de Kiev travaillent avec un avant-poste
de l’EI est implicite dans toute l’article de Mamon: quand ce dernier
s’est rendu au campement de Munayev en compagnie de Ruslan, ils n’ont eu
aucune difficulté aux points de contrôle de l’armée ukrainienne, où la
possibilité de percevoir des pots de vin ne faisait aucun doute, et ils
sont passés à travers. Tout au long de l’article de Mamon nous entendons
Munayev se plaindre de la pauvreté: le Bataillon Doudaïev, nous dit-on,
doit dépendre d’activités criminelles pour financer le djihad.
Pourtant, un oligarque mineur, nommé Dima leur remet 20.000 dollars, et il est question de vendre au marché noir de l’ambre à des «acheteurs du golfe Persique, y compris de riches cheikhs» – peut-être les mêmes riches donateurs qui ont si généreusement financé l’EI.
Les liens entre le régime de Kiev et l’enclave de l’EI en
Ukraine sont nombreux, et seulement à demi cachés. Lorsque Mamon est
arrivé au camp de Munayev, il a été accueilli par une voiture blindée
qui, nous dit-on, a été donnée par Ihor Kolomoisky,
l’un des hommes les plus riches d’Ukraine, récemment nommé gouverneur
de Dniepropetrovsk. Kolomoisky, malgré son héritage juif, n’a aucun scrupule
à s’allier à des groupes ouvertement antisémites comme le Secteur
Droit, dont il a financé les bataillons: comme les djihadistes affiliés à
l’EI, auxquels il a offert une voiture blindée, il ne pense qu’à la
lutte contre Vladimir Poutine, qu’il méprise.
Une autre indication de l’alliance EI-Kiev est l’évasion d’Adam Osmaev, commandant-adjoint du Bataillon Doudaïev, d’une prison ukrainienne où il purgeait une peine pour avoir fomenté l’assassinat de Poutine.
Après le coup d’état à Kiev, Munayev et ses compagnons ont fait sortir
Osmaev de prison: quand ils ont été confrontés à la police ukrainienne à
un barrage, ils ont été mystérieusement autorisés à passer. Comme le rapporte Mamon:
«Après une impasse dramatique, les Ukrainiens ont
permis aux Tchétchènes de filer. (Il n’y a pas moyen de confirmer le
récit de Ruslan, mais à l’automne 2014, le tribunal d’Odessa a
soudainement déclaré qu’Osmaev avait suffisamment purgé sa peine et il a
été libéré.) Osmaev et Munayev sont revenus à Kiev, et le bataillon
Doudaïev a été créé.»
«De temps en temps, écrit Mamon, Munayev rencontre des représentants du Service de sécurité ukrainien, connu sous le nom de SBU.»
Le Bataillon Doudaïev compte environ 500 combattants, mais
il y a aussi d’autres brigades djihadistes en Ukraine, organisées dans
le Bataillon Sheikh Mansour, qui s’est détaché du Bataillon Doudaïev et «est basé à proximité de Marioupol, dans le sud-est de l’Ukraine», ainsi que deux autres groupes composés des Tatars de Crimée, comptant chacun environ 500 djihadistes.
Comme l’aide des États-Unis coule à flot en Ukraine, dans
quelle mesure va-t-elle retomber sur ces alliés de l’EI – et quelle sera
son utilisation future? Si John McCain et Lindsey Graham
arrivent à leurs fins, les armes américaines vont bientôt se trouver
dans les mains de ces terroristes, dont il est sûr que le djihad contre
les Russes se tournera vers l’Ouest et frappera les capitales de
l’Europe.
C’est un retour de flamme avec une vengeance: nous créons
nos propres ennemis, et leur donnons les armes pour nous faire du mal,
alors même que nous affirmons notre besoin d’une surveillance
universelle pour les combattre. Les savants fous formulant la politique
étrangère américaine sont en train de créer une armée de monstres de
Frankenstein – qui ne manqueront pas d’attaquer leurs créateurs bercés
d’illusions.
Par Justin Raimondo – Le 6 mars 2015 –
Source Antiwar.comTraduit par Claude, relu par Diane et jj pour le Saker Francophone
Commentaires
1- Le « Centre Stratfor » est une société privée américaine qui œuvre dans l’ombre de la
CIA , ses prévisions et rapports étant
suspectés de « vendre » les plans conçus par l’Agence, plutôt que de
prédire sur une base d’analyse des données et des lois régissant les
conflits du monde. Or, fin février 2015, Stratfor a publié un rapport sous la forme de prévisions concernant la situation mondiale entre 2015 et 2025 [1]. L’essentiel de ces « prévisions » porte sur :
- la désintégration de la Russie et de la Chine après une phase de désordre et de violence sanglante qui démarreraient de la rébellion de certaines régions asiatiques ;
- l’embourbement des pays arabes dans des guerres sanglantes et usantes, avec désintégration des États nationaux et des armées ;
- la montée en puissance de la force turque qui étendrait son influence, notamment en Asie centrale ;
- la désintégration de l’Union européenne suite à la sortie de nombreux pays de ses rangs.
Le résultat global escompté étant, bien entendu, la pérennité de l’hégémonie des États-Unis sur le monde.
Image virtuelle de la future situation
mondiale, fondée sur les plans d’une guerre froide conçue pour brider
les capacités économiques russe et chinoise et, aussi, sur la
détermination des États-Unis à continuer d’utiliser l’Organisation
Mondiale des Frères Musulmans et ses produits takfiristes et terroristes
pour le démantèlement des pays arabes, tout en la préparant à des
guerres par procuration en Asie centrale contre la Russie et la Chine.
Ceci, sans oublier le rôle essentiel d’une Turquie agressive, sur
laquelle misent les planificateurs et stratèges US pour leurs guerres à
venir.
La leçon
la plus importante est que les États-Unis se préparent à dix années de
guerre froide (c'est à dire des guerres chaudes par procuration) et parient dessus pour protéger leur domination
unilatérale sur le monde.
https://www.stratfor.com/forecast/decade-forecast-2015-2025
2- Selon la revue spécialisée « Internazionale », le Caucase s’apprête à devenir le prochain théâtre d’action de DAESH et pour le leader du Kremlin cela était déjà clair depuis un certain temps. « La région enchâssée entre la Russie, l’Iran et la Turquie est un réseau étriqué de tensions, ayant débouché plusieurs fois ces dernières trois décennies dans la violence, dans plusieurs points chauds. De la Tchétchénie au Nagorno-Karabakh jusqu’en Géorgie ». Et en particulier la Tchétchénie, pourrait redevenir une grosse préoccupation, surtout depuis que le nouvel émir du jihadisme tchétchène Omar Batirashvili, qui pendant le conflit armé en Ossétie du sud en 2008 a combattu du côté géorgien, promet de « retourner » en Russie. Avec à ses côtés « beaucoup de milliers de personnes ».
2- Selon la revue spécialisée « Internazionale », le Caucase s’apprête à devenir le prochain théâtre d’action de DAESH et pour le leader du Kremlin cela était déjà clair depuis un certain temps. « La région enchâssée entre la Russie, l’Iran et la Turquie est un réseau étriqué de tensions, ayant débouché plusieurs fois ces dernières trois décennies dans la violence, dans plusieurs points chauds. De la Tchétchénie au Nagorno-Karabakh jusqu’en Géorgie ». Et en particulier la Tchétchénie, pourrait redevenir une grosse préoccupation, surtout depuis que le nouvel émir du jihadisme tchétchène Omar Batirashvili, qui pendant le conflit armé en Ossétie du sud en 2008 a combattu du côté géorgien, promet de « retourner » en Russie. Avec à ses côtés « beaucoup de milliers de personnes ».