«L’État-nation,
unité fondamentale de la vie organisée de l’homme, a cessé d’être la principale
force créatrice : les banques internationales et les sociétés
multinationales agissent et planifient en des termes qui sont bien en avance
sur les concepts politiques de l’État-nation.» – Zbigniew Brzezinski, Entre
deux âges : l’ère technetronique, 1971.
«Je vais continuer à faire pression pour une
zone d’exclusion aérienne et des havres sûrs en Syrie […] non seulement
pour aider à protéger les Syriens et empêcher la sortie constante des réfugiés,
mais pour obtenir un certain effet de levier sur les gouvernements syrien
et russe.» – L’ex-secrétaire d’État Hillary Clinton, troisième débat
présidentiel.
Pourquoi
Hillary Clinton est-elle si désireuse d’intensifier l’implication des
États-Unis en Syrie lorsque les interventions américaines en Afghanistan, en
Irak et en Libye ont toutes si lamentablement mal tourné ?
La réponse à
cette question est simple. C’est parce que ni Clinton, ni aucun des
autres membres de l’establishment de la politique étrangère des États-Unis –
alias The Borg
– ne pense que ces interventions ont mal tourné. En fait, à leurs yeux,
ces guerres ont été un grand succès. Bien sûr, quelques-uns ont critiqué le
retour de flamme du mensonge sur les armes de destruction massive
inexistantes en Irak – ou les erreurs logistiques, comme le démantèlement de
l’armée irakienne –, mais, pour l’essentiel, l’establishment de la politique
étrangère est satisfait de ses efforts de déstabilisation de la région et
la suppression des dirigeants qui refusent de suivre les diktats de
Washington [en effet, c’est un succès, c’était l’objectif, NdT].
Il est
difficile, pour les gens ordinaires, de comprendre. Ils ne peuvent pas saisir
pourquoi les élites dirigeantes voudraient transformer des pays fonctionnels et
stables en des terres insalubres dévastées par des extrémistes armés, des
escadrons de la mort sectaires et des terroristes venus de l’étranger. Ils
ne peuvent pas non plus comprendre ce qui a été gagné par les ravages de
Washington qui ont duré quinze ans à travers le Moyen-Orient et l’Asie centrale,
transformant une vaste étendue de territoire stratégique en un camp de
reproduction des terroristes. Quel est le but de tout cela ?
Premièrement,
nous devons reconnaître que la décimation et la balkanisation de fait de ces
pays fait partie d’un plan ( Voir Moyen Orient : Le plan américano-israélien.)
Si cela ne faisait pas partie d’un plan, les décideurs changeraient de politique. Mais ils n’ont pas changé de politique. La politique est la même. Le fait que les États-Unis utilisent des djihadistes nés à l’étranger pour poursuivre un changement de régime en Syrie, plutôt que des troupes américaines comme en Irak, n’est pas un changement fondamental dans la politique. Le but ultime reste la décapitation de l’État et l’élimination du gouvernement actuel. Cette même règle s’applique à la Libye et à l’Afghanistan, qui ont tous deux été plongés dans le chaos par les actions de Washington.
Si cela ne faisait pas partie d’un plan, les décideurs changeraient de politique. Mais ils n’ont pas changé de politique. La politique est la même. Le fait que les États-Unis utilisent des djihadistes nés à l’étranger pour poursuivre un changement de régime en Syrie, plutôt que des troupes américaines comme en Irak, n’est pas un changement fondamental dans la politique. Le but ultime reste la décapitation de l’État et l’élimination du gouvernement actuel. Cette même règle s’applique à la Libye et à l’Afghanistan, qui ont tous deux été plongés dans le chaos par les actions de Washington.
Mais
pourquoi ? Qu’est-ce qui est gagné en détruisant ces pays et en engendrant
tant de souffrances et de morts ?
Voici ce que
je pense : je pense que Washington est impliqué dans un grand projet de
refaire le monde d’une manière qui réponde mieux aux besoins de ses élites, des
banques internationales et des multinationales. Brzezinski ne se réfère pas
seulement à cela dans la citation d’ouverture de cet article, il explique
également ce qui se passe : l’État-nation est rejeté comme fondement sur
lequel repose l’ordre global. [En ce sens, les néocons rejoignent les islamistes pour lesquels il ne doit pas y avoir d’État-nation, mais une seule Oumma, la Communauté des Croyants, gouvernée par un calife du genre Al-Baghdadi, ou du genre des émirs et rois du pétrole. Les pays musulmans ne seraient pas des nations, mais la propriété de la famille du calife ou du roi. Les gens y sont des sujets, et les femmes des objets sexuels, ou, au mieux, des mammifères, à l'exemple des chamelles et des chèvres. H. Genséric].
Au lieu de
cela, Washington [avec l'aide des islamistes] efface les frontières, liquide les États et évince des
leaders forts et laïques capables de résister à ses machinations pour imposer un
modèle entièrement nouveau à la région, un nouvel ordre mondial. Les dirigeants
de ces institutions d’élite veulent créer une zone de libre-échange
interconnectée et globale, supervisée par les proconsuls du Grand Capital,
c’est-à-dire une zone dollar globale qui exclut les institutions publiques
– telles qu’une trésorerie centralisée, une dette mutualisée et des
transferts fédéraux – afin de permettre à l’entité sans frontières de
fonctionner correctement.
Les
puissants courtiers de l’État profond qui fixent la politique derrière le
rideau de fumée de notre Congrès, vendu et payé, pensent qu’un
gouvernement mondial est réalisable à condition qu’il contrôle
l’approvisionnement énergétique mondial, la monnaie de réserve mondiale et
devienne l’acteur dominant du siècle dans la région la plus
peuplée et la plus prospère : l’Asie. C’est essentiellement ce que
signifie le «pivot» d’Hillary-OBAMA vers l’Asie.
Le problème
fondamental avec le plan de Nouvel Ordre Mondial (NOM) de Washington est qu’un
nombre croissant de pays puissants sont toujours attachés à l’ordre du vieux
monde et sont maintenant prêts à le défendre. C’est ce qui se passe réellement
en Syrie, l’alliance improbable de la Russie, de la Syrie, de l’Iran et
du Hezbollah ont arrêté net le mastodonte militaire
américain dans son élan. La force imparable a heurté l’objet
immobile et l’objet immobile a prévalu… jusqu’à présent.
Naturellement,
l’establishment de la politique étrangère est bouleversé par ces nouveaux
développements, et pour cause. Les États-Unis ont géré le monde depuis un bon
moment maintenant, de sorte que le renversement de la politique américaine en
Syrie est autant une surprise qu’une menace. L’armée de l’air russe s’est
déployée en Syrie il y a un an, en septembre, mais Washington a montré qu’elle
était prête à réagir en augmentant son soutien aux agents djihadistes sur le
terrain et en "attaquant ISIS" dans l’est du pays, à Raqqa.
Mais la
véritable escalade est attendue lorsque Hillary Clinton deviendra
présidente en 2017. [Voir : Poutine à son état-major: "Si Hillary Clinton est élue, c'est la guerre!"].
C’est alors que les États-Unis engageront directement la
Russie militairement, en supposant que leurs empoignades coup pour coup seront
contenues dans les frontières de la Syrie. C’est un plan risqué, mais c’est la
prochaine étape logique de ce fiasco sanglant. Ni l’une ni l’autre partie ne
veut une guerre nucléaire, mais Washington croit que ne "rien faire" équivaut à
reculer, par conséquent on peut compter sur Hillary et ses conseillers
néocons pour faire monter la mayonnaise. Une «zone d’interdiction de vol»,
ça vous irait ?
L’hypothèse
est que finalement, et avec assez de pression, Poutine va jeter l’éponge.
Mais c’est encore un autre calcul erroné. Poutine n’est pas en Syrie parce qu’il le veut, ni parce qu’il apprécie son amitié avec le président syrien Bashar al-Assad. Pas du tout. Poutine est en Syrie parce qu’il n’a pas le choix. La sécurité nationale de la Russie est en jeu. Si la stratégie de Washington d’utiliser des terroristes pour renverser Assad réussit, alors le même stratagème sera tenté en Iran et en Russie. Poutine le sait, tout comme il sait que le fléau du terrorisme, soutenu par l’étranger, peut décimer des régions entières comme la Tchétchénie. Il sait qu’il vaut mieux pour lui tuer ces extrémistes à Alep qu’à Moscou. Donc, il ne peut pas reculer, ce n’est pas une option.
Mais c’est encore un autre calcul erroné. Poutine n’est pas en Syrie parce qu’il le veut, ni parce qu’il apprécie son amitié avec le président syrien Bashar al-Assad. Pas du tout. Poutine est en Syrie parce qu’il n’a pas le choix. La sécurité nationale de la Russie est en jeu. Si la stratégie de Washington d’utiliser des terroristes pour renverser Assad réussit, alors le même stratagème sera tenté en Iran et en Russie. Poutine le sait, tout comme il sait que le fléau du terrorisme, soutenu par l’étranger, peut décimer des régions entières comme la Tchétchénie. Il sait qu’il vaut mieux pour lui tuer ces extrémistes à Alep qu’à Moscou. Donc, il ne peut pas reculer, ce n’est pas une option.
Mais, dans
le même temps, il peut faire des compromis; en d’autres termes, ses buts
et ceux d’Assad ne coïncident pas parfaitement. Par exemple, il pourrait
très bien faire des concessions territoriales aux États-Unis, pour le bien de
la paix, qu’Assad pourrait ne pas soutenir.
Mais
pourquoi le ferait-il ? Pourquoi ne continuerait-il pas à se battre
jusqu’à ce que tout le territoire souverain syrien soit récupéré ?
Parce que ce
n’est pas dans l’intérêt national de la Russie de le faire, voilà pourquoi.
Poutine n’a jamais essayé de cacher le fait qu’il est en Syrie pour protéger la
sécurité nationale de la Russie. C’est son principal objectif. Mais
ce n’est pas un idéaliste, il est pragmatique et fera tout ce
qu’il doit pour mettre fin à la guerre dès que possible. Cela signifie un
compromis.
Cela n’a pas
d’importance pour les seigneurs de la guerre de Washington… pour le moment.
Mais finalement, il y aura un arrangement de cette sorte. Personne
n’obtiendra tout ce qu’il veut, c’est certain. Par exemple, il est
impossible d’imaginer que Poutine lance une guerre contre la Turquie pour
récupérer le territoire que les troupes turques occupent maintenant au nord de
la Syrie. En fait, Poutine a peut-être déjà concédé cela au président turc
Tayyip Erdogan lors de leurs récentes réunions. Mais cela ne signifie pas que
Poutine n’a pas ses lignes rouges. Il en a. Alep est une ligne rouge. Les
troupes turques ne seront pas autorisées à entrer dans Alep.
Le corridor
ouest, les centres industriels et densément peuplés sont tous des lignes
rouges. Sur ces derniers, il n’y aura pas de compromis. Poutine aidera Assad à
rester au pouvoir et à garder le pays en grande partie intact. Mais la Turquie
contrôlera-t-elle des territoires dans le nord, et les Américains dans
l’est ?
Probablement.
Cela devra être résolu par des négociations, mais il est peu probable que les
frontières du pays soient les mêmes qu’avant la guerre. Poutine se contentera
sans doute d’une demi-mesure à condition que le combat se termine et que la
sécurité soit rétablie. Quoi qu’il en soit, il ne s’arrêtera pas tant que la
partie n’est pas finie.
Malheureusement,
nous sommes loin de tout règlement en Syrie, principalement parce que
Washington est loin d’accepter le fait que son projet de gouverner le monde a
déraillé. C’est le nœud de la question, n’est-ce pas ? Les gros calibres qui
dirigent le pays sont toujours dans le déni. Ils n’ont pas encore
admis que la guerre est perdue et que le plan des milices
djihadistes a échoué.
Il faudra
encore beaucoup de temps avant que Washington ne perçoive le message que le
monde n’est plus leur arrière-cour. Plus tôt il le comprendra, mieux ce sera
pour tout le monde.
Mike Whitney
vit
dans l’État de Washington. Il est contributeur à Hopeless :
Barack Obama et la politique de Illusion (AK Press). Hopeless est également
disponible dans une édition Kindle.
Il peut être joint à fergiewhitney@msn.com.
Article
original paru sur CounterPunch
Traduit et
édité par jj, relu par Cat pour le Saker
Francophone