Lorsque le 22 mars, le président
chinois Xi Jinping débarquera à Rome pour une très importante visite,
l'esprit de Marco Polo flottera dans l'air. S'il ne fut pas le premier
Occidental à emprunter la route de la Soie, le célèbre Vénitien laissa à la
postérité la description de la Chine et ses merveilles dans son Devisement
du monde.
Sept siècles plus tard, le
gouvernement italien lance un pavé dans la marre en voulant rejoindre les
Nouvelles routes de la Soie, le tentaculaire projet de Pékin visant à intégrer
économiquement l'Eurasie, hantise de l'empire américain. Sans surprise,
Washington a déjà réagi, en affirmant sans rire que cela "dégraderait
l'image internationale de l'Italie".
Cette dernière n'est pourtant pas le
premier pays européen à adhérer au projet chinois et le fidèle lecteur sait que
la Hongrie du grand méchant Orban est sur les rangs depuis trois ans, rejointe ensuite par la
Grèce ou encore le Portugal. Mais le poids de l'Italie est autrement
important : membre du G7, quatrième pays européen en termes de population et
d'économie, sa décision pourrait "briser la glace" pour les
autres et entraîner plusieurs pays dans son sillage. D'autant que
cette intégration aux routes de la Soie ferait bénéficier des prêts de la BAII,
à propos de laquelle un petit rappel n'est pas inutile :
La fameuse Banque asiatique
d'investissement dans les infrastructures (BAII) a été lancée en fanfare à
Pékin cette semaine [juillet
2015, ndlr]. Plus de 300 délégués de 57 pays ont
assisté à la signature. Rappelons que la BAII concurrencera la Banque
mondiale sous influence américaine et sera la cheville ouvrière du cauchemar absolu des stratèges états-uniens : l’intégration
de l’Eurasie. Elle financera - sans doute en coopération avec
l’autre Goliath bancaire créé récemment, la banque des BRICS - les
infrastructures liées au phénoménal projet continental de routes de la Soie
visant à relier l’Europe à l’Extrême-Orient en évitant les mers, marginalisant
considérablement les États-Unis.
L'entrée de Rome dans la danse
serait une situation gagnant-gagnant, l'Italie pouvant ainsi financer la
reconstruction de ses infrastructures vieillissantes (cf. catastrophe du pont
de Gênes) et vendre son Made in Italy aux consommateurs chinois qui en
sont friands. Un seul
perdant dans cette affaire : Washington.
L'analyse pourrait s'arrêter là et
conclure à une nouvelle baffe dans la tête impériale. Pourtant, si ce dernier
point n'est pas discutable, les choses sont en réalité bien plus compliquées et
entrent dans la lignée de ce que nous prédisions au lendemain de l'élection du Donald il
y a plus de deux ans :
Le deuxième mandat d'Obama avait
sans doute porté à son paroxysme l'affrontement des deux blocs. Entre 2013 et
2015, le système impérial américain, incluant ses dépendances européenne et
médiatique, s'est arc-bouté, uni, resserré presque jusqu'à l'étouffement. Un
objet trop compressé finit par se fissurer, puis éclater - simple loi physique.
Géopolitiquement, cela nous a donné le Brexit et l'élection de Trump.
Nous entrons maintenant dans une ère
aléatoire de recomposition, un nouvel ordre mondial que les tenants de l'ordre
ancien voient avec horreur et qu'ils tentent désespérément, et avec de moins en
moins de succès, de ralentir. Voici venue l'ère des électrons libres, de la
restructuration internationale et des nouveaux paradigmes.
Le rapprochement italo-chinois est
éclairant à cet égard et un excellent article de Tom Luongo l'analyse en
détail. Résumons la complexité de la situation en quelques points :
1. Le
ralliement de Rome aux Nouvelles routes de la Soie est poussé par le Mouvement
5 étoiles et son leader, Di Maio.
2. Cette annonce
a été accueillie avec des cris d'orfraie par Trump, Merkel mais aussi par la
Ligue de Salvini, autre composante essentielle du gouvernement italien,
pourtant alliée à Di Maio.
3. La position
de Salvini recoupe grosso modo celle de l'anti-système "de droite"
partout en Europe (Le Pen, Wildeers, UKIP etc.) : oui à la multipolarité
russo-chinoise sur le plan géopolitique contre l'hégémonie américaine, mais non
à l'invasion chinoise sur le plan économique.
4. Merkel, qui ne veut pas voir l'Italie
jouer un rôle important en Europe, s'oppose à l'accord Rome-Pékin. Ce faisant,
elle se retrouve curieusement dans le même camp que Salvini, qu'elle déteste
par ailleurs (migrants, fédéralisme européen etc.)
5. Ironie du
sort, elle se retrouve également dans le même bateau que le Donald, à qui elle
s'oppose sur à peu près tous les autres sujets (gaz russe, paiement pour le
stationnement des troupes US, protectionnisme vs libre-échange etc.)
6. Dans ce
maelstrom, l'euronouillerie est complètement perdue, ne sachant que faire avec la Chine. Elle est encore plus
désemparée face aux États-Unis de Trump, comme le montre la délirante séance du Parlement européen d'il y a trois
jours, au cours de laquelle les députés ont d'abord voté une série
d'amendements contre la reprise des négociations commerciales avant... de voter
dans la foulée pour annuler leur propre résolution !
Dans le nouveau monde aux
recompositions complexes créées par le reflux impérial, Bruxelles est
déboussolée. Vassal eurocratique cherche suzerain désespérément...
Publié le 17 Mars 2019 par Observatus
geopoliticus
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