lundi 12 août 2019

Yémen. Aden: le piège saoudo-émirati?

Une importante visite à Téhéran: alors que les tensions saoudo-émiraties ont fait d'Aden une arène de combats entre proxies Saoudiens et Émiratis, le ministre iranien des Affaires étrangères a reçu, ce dimanche 11 août, à Téhéran, le porte-parole du mouvement d'Ansrallah, Mohammed Abdessalam.

La chaîne de télévision yéménite Al-Masirah qualifie la rencontre de « très positive » puisqu'il y a été question outre des « relations bilatérales » de plus en plus profondes, de « l’issue à la guerre au Yémen » qui entre dans sa cinquième année. Ces allusions à l'issu d'une guerre, l'une des plus complexe du siècle nouveau, interviennent alors que les événements de ces derniers jours à Aden ont été décrits par de nombreux analystes comme étant un plan B destiné à « débloquer » l'impasse dans lequel se trouve désormais l'axe Riyad-Abou Dhabi. Sur le plan militaire, la spectaculaire frappe au drone, le 1er août, contre un défilé militaire à Aden, alors que les mercenaires saoudo- émiratis s'y apprêtaient à gagner le front de combat à Ad Dali' et à Taëz, a prouvé à quel point Ansarallah est proche de son objectif: expulser les occupants saoudiens et émiratis et restituer l'unité et l'intégrité territoriale du grand Yémen.
Le ministre iranien des Affaires étrangères Mohammad Javad Zarif (D) et le porte-parole du mouvement d'Ansarallah du Yémen Mohammed Abdessalam (G), le 11 août 2019. ©Tasnim News
L'attaque, qui a fait un lourd bilan de 40 morts dont un haut officier pro-émirati, a porté au grand jour de profondes divergences qui déchirent les rangs de la coalition d'agression et a fait « préventivement » capoter l'offensive anti-Ansarallah sur le front Ad Dali'. S'il est vrai qu'une victoire des Émirats à Aden face à l'Arabie saoudite, et partant celle du front séparatiste du sud est propre à faciliter, comme le prévoient certains analystes, un scénario du démembrement au Yémen, il n'est pas sûr par contre qu'Ansarallah y concède. 
Lors sa rencontre avec le ministre iranien des Affaires étrangères Mohammad Javad Zarif, Abdessalam a précisé que Téhéran et Sanaa étaient d’accord que la solution à la guerre ne pourra être que politique mais qu'une solution politique demandait au préalable à ce que le blocus contre le Yémen soit brisé. Ceci renvoie évidemment à la récente visite d'une délégation émiratie à Téhéran que d'aucuns ont qualifié de « signe de disposition d'Abou Dhabi à se retirer du Yémen ». 
« Mais les événements d'Aden appellent à ce que les forces yéménites soient bien vigilantes. Les divergences entre Saoudiens et Émiratis sont profondes et renvoient à leur deux visions totalement différentes. Et pourtant les événements du Yémen pourraient aider Riyad et Abou Dhabi à provoquer par mercenaires interposés la sécession du Sud sans avoir à répondre de ce pour lequel ils ont déclenché la guerre en 2015 à savoir la restitution du pouvoir à Mansour Hadi à titre de président du Yémen uni. La guerre au Yémen pourrait ainsi renvoyer aux efforts saoudo-émiratis de vouloir définitivement s'implanter au Yémen tout en faisant semblant d'un retrait militaire. Ainsi, aussi bien Riyad qu'Abou Dhabi auraient toujours un droit de regard sur le Yémen, estime Sadollah Zarei, expert de la question.
« À Téhéran, Mohammad Javad Zarif a rappelé qu’il était impératif de mettre un terme au plus vite au blocus du Yémen. Il a dit que la République islamique d’Iran soutient toujours les négociations inter-yéménites et l’application complète de l’accord de Stockholm, façon de rappeler aux Émirats et à l'Arabie saoudite la base de tout accord à venir ». ajoute l'analyste.
« Après les récents événements dans le golfe Persique, le missile de moyenne portée tiré par Ansarallah contre l'Est saoudien et les risques d'une extension du conflit qu'encourt Abu Dhabi, ce dernier souhaite sortir de l'impasse. Mais il faut être bien prudent. Ansarallah est loin de se laisser tromper par des manœuvres conjoncturelle. La Résistance yéménite est passé de l’état de patience stratégique à celui de la résistance active, et ce passage a porté ses fruits. Il est hors de question qu'il se laisse berner par l'ennemi ». 
Aden: qui a trahi qui?
Des forces pro-émiraties à Aden dans le Sud yéménite. ©AFP
L’échec saoudien dans la guerre au Yémen n'échappe pas aux journalistes arabes. La coalition est arrivée au bout du rouleau au Yémen et c'est à se demander s’il est désormais exact ou non de parler d’une coalition saoudo-émiratie dans les analyses portant sur le Yémen. Le général de division libanais, Hicham Jaber qui est politologue et historien, estime que l’Arabie saoudite aurait tout intérêt à revenir sur sa politique régionale.
« Est-ce que les évolutions en cours à Aden sont le résultat d’une connivence entre l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ? » « Non », dit l’analyste libanais dans une interview avec la chaîne Al-Jazeera :
« Ce qui est en train de se produire à Aden n’est pas dans l’intérêt de l’Arabie saoudite. C’est plutôt le signe de sa faiblesse. Les Saoudiens ont pourtant eu la sagesse de prendre, au moins cette fois, la bonne décision, en appelant leurs forces à Aden à capituler ; sinon, il aurait été impossible de maîtriser le combat de rue dans cette ville. L’Arabie saoudite a réalisé que le rapport de forces à Aden n’est plus en sa faveur. »
« Les EAU disposent de 90.000 paramilitaires au sud d’Aden et ils sont forts en termes d’armement ; or, le groupe soutenu par l’Arabie saoudite ne compte qu’environ 15.000 membres qui sont d’ailleurs en position de faiblesse. Le perdant de ces évolutions est certes l’Arabie saoudite. Les Émirats arabes unis ont réalisé que la guerre au Yémen n’aurait aucun résultat ; ils travaillent donc à une stratégie de sortie de cette guerre. Peut-être que les Saoudiens cherchent à parvenir à un consensus avec les EAU afin de pouvoir asseoir leur mainmise sur certaines provinces du sud et du sud-est yéménites comme Hadramaout et Chabwa. Mais à Aden, c'est-à-dire au centre du front du Sud, les EAU ont déjà gagné le jeu. Ce qui s’est passé à Aden était un coup de grâce au gouvernement de Mansour Hadi. La coalition saoudienne est arrivée au bout du rouleau au Yémen. »
 « Le bon sens exige que l’Arabie saoudite, aussi, cherche une stratégie de sortie au Yémen avec un minimum de dégâts. Je ne veux pas dire qu’avec ce qui s’est produit à Aden, les conflits sont terminés dans le Sud yéménite ; les évolutions d’Aden promettent en réalité un nouveau chapitre dans la guerre. Et ces évolutions semblent être dans l’intérêt des Houthis qui ont reconnu le Conseil de transition du Sud, avant d’annoncer qu’il existait désormais une possibilité d’essayer de parvenir à une solution à la crise yéménite. L’Arabie saoudite doit elle aussi revenir sur ses politiques qui se sont soldées par l’échec. Le plus grand échec des Saoudiens est l'absence de tout résultat tangible après quatre ans de guerre. »
« Les Saoudiens devraient ouvertement demander aux Émiratis pourquoi ils suivent une stratégie de sortie de Yémen et pourquoi ils ont établi des moyens de contact avec l’Iran. Le suivisme absolu envers les États-Unis a poussé les Saoudiens dans un cercle vicieux dont ils doivent s'en sortir par la révision de leur approche. Leur premier pas doit se faire au Yémen et le deuxième, face à l’Iran qui se montre toujours ouvert au dialogue avec des pays voisins et des États de la région. Si les Saoudiens souhaitent véritablement préserver ce qui reste de leurs richesses, leurs intérêts et leur image régionale, ils devront abandonner leur stérile politique de fuite en avant. »
Le Libanais Hicham Jaber n’est pas le seul analyste arabe à croire que l’Arabie saoudite a été le grand perdant de la guerre au Yémen. Le journaliste jordanien Omar Ayasrah estime que la guerre saoudienne au Yémen a échoué, ayant infligé de lourds dégâts aux Saoudiens. « Eu égard aux récentes évolutions survenues au sud du Yémen, il ne serait plus exact d’utiliser la formule “coalition saoudo-émiratie” en parlant de la guerre au Yémen », estime le journaliste jordanien qui ajoute :
« L’Arabie saoudite réalise que la coalition a échoué au Yémen. Riyad n’a pas su gérer avec sagesse la crise yéménite. Il est donc le grand perdant de cette guerre et cet échec lui a coûté très cher. Les Saoudiens ont fait preuve d’une stratégie véritablement médiocre au Yémen. L’importante question qui s’impose est de savoir comment ils feront pour se débarrasser de leur bourbier yéménite. Les expressions comme “la cellule conjointe d’opérations saoudo-émiratie” ne tiennent plus en parlant de la guerre au Yémen et l’Arabie saoudite serait en quête d’une sortie de la crise qui sauve sa face, tandis que le mouvement populaire Ansarallah pèse de tout son poids comme un acteur majeur et incontournable dans les évolutions au Yémen et alors que sur le front du Sud, les Émirats semblent dominer le jeu avec leurs éléments de procuration. »
La véritable crise au Yémen se résume désormais en une série de tensions entre l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, conclut l’analyste jordanien Omar Ayasrah dans son interview avec Al-Jazeera.
Source : Presstv
 

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