mercredi 7 août 2019

Golfe Persique. Le coup de maître de Poutine


Dans la crise du Golfe entre l’Iran et les Etats-Unis, l’ours russe n’a jamais caché où allait sa préférence. Les terrains d’entente entre Téhéran et Moscou sont nombreux et variés : commune opposition aux folies impériales de Washington, alliance en Syrie, complicité dans le mouvement de dédollarisation ou encore collaboration à la dynamique multipolaire de l’Eurasie.
 
Aucune surprise, donc, de voir le Kremlin apporter son soutien aux fiers Perses, ce qui a d’ailleurs été réaffirmé avec force en juin :
Si beaucoup espéraient ou craignaient que Poutine « vende » l’Iran en échange de la Syrie, ils ont été déçus/soulagés. L’inédit sommet tripartite Russie-Israël-USA, lors duquel Washington et Tel-Aviv étaient censés convaincre Moscou de lâcher l’Iran, a accouché d’une souris. Pire ! l’envoyé russe, Nikolaï Patrouchev, a renvoyé Bolton & Co dans les cordes :
« L’Iran a toujours été et demeure notre allié, avec qui nous développons nos relations dans un contexte aussi bien bilatéral que multilatéral. Nous croyons donc qu’il est inadmissible de qualifier l’Iran comme la principale menace de la région et de le mettre sur le même plan que l’Etat Islamique ou d’autres organisations terroristes. »
L’ami Nikolaï en a rajouté une couche en déclarant que, selon les données militaires russes, le drone US était bien dans l’espace aérien iranien et que les accusations américaines contre Téhéran concernant l’attaque de pétroliers étaient « de piètre qualité et peu professionnelles ». Pan, sur la moustache de Bolton qui, avec son siamois israélien, ne s’attendait visiblement pas à se faire reprendre aussi vertement. Voilà qui n’a pas dû lui arriver très souvent dans sa carrière…
On a vu début juillet que l’ours s’amusait à brouiller/usurper les signaux GPS des avions américains au Moyen-Orient. Les facéties russes semblent arriver doucement mais sûrement vers la zone iranienne, ce qui n’est pas une très bonne nouvelle pour l’US Air Force[1]
Il y a quelques jours, la coopération entre Moscou et Téhéran a passé la vitesse supérieure. Pendant la visite du chef de la marine iranienne à Saint-Pétersbourg, un mémorandum d’entente a été signé entre les deux armées, incluant de possibles et prochains exercices navals conjoints près, vous l’avez deviné, du fameux détroit d’Ormuz. La portée de cet accord n’a échappé à personne et surtout pas aux stratèges américains.
L’on imagine alors aisément leur fébrilité à la lecture de la véritable bombe qui vient de sortir hier. Avant de vous en faire part, précisons que l’information reste à confirmer (le site en question n’a cependant pas l’habitude de raconter n’importe quoi). On ne peut pas non plus exclure une intox iranienne, bien que l’on ne comprenne pas vraiment quelle en serait la raison. Voici le scoop, qui pourrait être ce que les anglophones appellent un game changer au Moyen-Orient et au-delà.
Téhéran et Moscou se seraient mis d’accord pour ouvrir deux bases navales et une base aérienne russes en Iran ! L’emplacement, sur le Golfe persique, est stratégique au possible : Bouchehr et Chabahar, encadrant le détroit d’Ormuz.
Si les Iraniens, habituellement très sourcilleux quant à la présence militaire étrangère sur leur territoire (le fidèle lecteur se rappelle l’affaire d’Hamadan), ont accepté, c’est que ces bases participeraient fortement à la sanctuarisation du pays face aux velléités impériales US. Notamment à Bouchehr, bête noire des Israéliens, qui accueille la centrale nucléaire dont les Russes sont en train de construire deux nouveaux réacteurs.
Quant à l’ours, il peut se lécher les babines avec gourmandise. Un bail à la syrienne (49 ans) marquerait l’entrée fracassante de la Russie dans le Golfe persique et lui donnerait un rôle de garante de la sécurité des hydrocarbures et de la liberté de circulation dans l’un des endroits les plus stratégiques de la planète, fonction que n’arrivent plus à remplir les États-Unis.
Ceci est d’ailleurs à mettre en parallèle aux récentes propositions de Moscou à l’ONU sur l’établissement d’une architecture collective de sécurité dans le Golfe, qui pourrait peut-être constituer un complément à l’Organisation de Coopération de Shanghai. Une structure multipolaire dont Moscou aurait l’un des tout premiers rôles. Même Catherine la Grande n’aurait pas osé y penser dans ses rêves les plus fous.
Sanctuarisation de l’Iran, case essentielle du grand échiquier eurasiatique ; évincement de l’empire de sa chasse gardée moyen-orientale ; contrôle des flux pétroliers ; avancée du modèle de l’OCS et de la multipolarité du continent-monde face à l’obsolescence de l’unilatéralisme américain… Les conséquences de ce coup de maître sont potentiellement gigantesques.
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Attaquer l’Iran reviendrait à attaquer la Russie

Moscou propose une vision diamétralement opposée aux sanctions, menaces et guerres économiques occidentales, vision qui la rapproche de Téhéran.
La Russie fait avancer méticuleusement les mouvements de l’échiquier eurasien qui doivent être observés conjointement, car Moscou propose au Sud Global une approche diamétralement opposée aux sanctions, menaces et guerres économiques occidentales. En voici trois exemples récents.
Il y a dix jours, par le biais d’un document officiellement approuvé par les Nations Unies, le Ministère russe des Affaires Étrangères a proposé un nouveau concept de sécurité collective pour le Golfe Persique.
Moscou souligne que « le travail pratique sur le lancement du processus de création d’un système de sécurité dans le Golfe persique » devrait commencer par « des consultations bilatérales et multilatérales entre les parties intéressées, les pays de la région et d’ailleurs » , ainsi que des organisations telles que le Conseil de Sécurité des Nations Unies, la Ligue des États Arabes, l’Organisation de la Coopération Islamique et le Conseil de Coopération du Golfe.
La prochaine étape devrait être une conférence internationale sur la sécurité et la coopération dans le Golfe Persique, suivie de la création d’une organisation spécialisée – ne ressemblant certainement pas à la Ligue Arabe incompétente.
L’initiative russe doit être interprétée comme une sorte de pendant et surtout de complément à l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS), qui s’épanouit enfin en tant qu’organe sécuritaire, économique et politique. La conclusion inévitable est que les principales parties prenantes de l’OCS – la Russie, la Chine, l’Inde, le Pakistan et, dans un avenir proche, l’Iran et la Turquie – auront une influence majeure sur la stabilité régionale.
Le Pentagone ne sera pas content.
Fore, chéri, fore
Lorsque le commandant de la marine iranienne, Hossein Khanzadi, s’est récemment rendu à Saint-Pétersbourg pour célébrer la Journée de la marine russe, l’état-major général des forces armées iraniennes et le ministère russe de la Défense ont signé un protocole d’accord sans précédent.
Khanzadi a tenu à souligner que le mémorandum « peut être considéré comme un tournant dans les relations entre Téhéran et Moscou le long de la trajectoire de défense » .

Des soldats iraniens participent à la Journée nationale du Golfe Persique dans le détroit d’Ormuz le 30 avril 2019. Photo : AFP / Atta Kenare

Une conséquence directe est que Moscou et Téhéran, avant mars 2020, organiseront un exercice naval conjoint dans le détroit d’Ormuz parmi d’autres endroits. Comme Khanzadi l’a dit à l’agence de presse IRNA :
« L’exercice peut avoir lieu dans la partie nord de l’océan Indien, qui se jette dans le golfe d’Oman, le détroit d’Ormuz et aussi le Golfe Persique« .
La marine américaine, qui prévoit une « coalition internationale » pour assurer la « liberté de navigation » dans le détroit d’Ormuz – ce que l’Iran a toujours garanti historiquement – ne sera pas contente. La Grande-Bretagne non plus, qui fait pression en faveur d’une coalition dirigée par l’Europe alors même que le Brexit se profile à l’horizon.
Khanzadi a également noté que Téhéran et Moscou sont profondément impliqués dans le renforcement de la coopération en matière de défense dans la mer Caspienne. Des exercices conjoints ont déjà eu lieu dans la mer Caspienne dans le passé, mais jamais dans le Golfe Persique.
S’exercer ensemble
Le district militaire oriental de la Russie fera partie de l’exercice antiterroriste de l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE) en Thaïlande et en Chine au début du mois prochain. Selon le district militaire de l’Est, la formation s’inscrit dans le cadre des « préparatifs d’une phase pratique d’un exercice antiterroriste de l’ASEAN en Chine« . Cela signifie, entre autres, que les troupes russes utiliseront du matériel militaire chinois.
Les exercices comprennent des groupes tactiques interarmées qui tentent de libérer des otages de l’intérieur des bâtiments officiels, la recherche et l’élimination d’explosifs, ainsi que des activités de reconnaissance chimique, biologique et de rayonnement intérieur et extérieur.
Cela doit être interprété comme une interaction directe entre les pratiques de l’OCS et celles de l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE), en complément de l’intensification des échanges commerciaux entre l’Union Économique Eurasiatique et l’ANASE.
Ces trois développements illustrent comment la Russie est impliquée dans un large spectre allant de la mer Caspienne et du Golfe Persique à l’Asie du Sud-Est.
Mais l’élément clé reste l’alliance russo-iranienne, qui doit être interprétée comme un nœud clé du projet d’intégration massive de l’Eurasie au XXIe siècle.

Le Premier Ministre israélien Benjamin Netanyahou, le Secrétaire du Conseil de Sécurité de la Fédération de Russie Nikolai Patrushev (à droite), le Conseiller israélien pour la Sécurité Nationale Meir Ben-Shabbat (à gauche) et le Conseiller à la Sécurité Nationale des États-Unis John Bolton participent au sommet États-Unis-Russie-Israël à Jérusalem le 25 juin 2019. Photo : AFP / Kobi Gideon / GPO / Anadolu

Ce que le Secrétaire du Conseil National de Sécurité russe, Nikolai Patrushev, a déclaré lors de la récente réunion trilatérale historique avec John Bolton, Conseiller de la Maison-Blanche à la Sécurité Nationale, et Meir Ben-Shabbat, Conseiller du Conseil National de Sécurité israélien à Jérusalem, devrait être clair :
« L’Iran a toujours été et demeure notre allié et partenaire, avec lequel nous développons constamment des relations tant sur une base bilatérale qu’au sein de structures multilatérales« .
Il s’agit de mettre un terme à la spéculation sans fin et sans fondement selon laquelle Moscou « trahit » Téhéran sur de multiples fronts, depuis la guerre économique générale déclenchée par l’administration Donald Trump jusqu’à la résolution de la tragédie syrienne.
À Nur-Sultan
Et cela conduit à la poursuite du processus d’Astana sur la Syrie. Moscou, Téhéran et Ankara tiendront une nouvelle réunion trilatérale à Nur-Sultan, la capitale kazakhe, peut-être à la date extrêmement importante du 11 septembre, selon des sources diplomatiques.
Ce qui est vraiment important dans cette nouvelle phase du processus d’Astana, cependant, c’est la création du Comité Constitutionnel Syrien. Cela avait déjà été convenu en janvier 2018 à Sotchi : une commission – comprenant des représentants du gouvernement, de l’opposition et de la société civile – capable d’élaborer la nouvelle constitution syrienne, chaque groupe détenant un tiers des sièges.
La seule solution viable possible à la tragédie qu’est la méchante guerre par procuration de la Syrie sera trouvée par la Russie, l’Iran et la Turquie. Cela inclut l’alliance russo-iranienne. Elle inclut et élargit la vision russe de la sécurité dans le Golfe Persique, tout en faisant allusion à une OCS élargie en Asie du Sud-Ouest, agissant en tant que mécanisme panasiatique de rétablissement de la paix et homologue sérieux de l’OTAN.
traduit par Réseau International

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