mercredi 15 janvier 2020

Le coût humain de la guerre contre l’Iran


La perspective d’une souffrance humaine de masse, une réalité oubliée depuis l’époque de la guerre du Vietnam, est exclue du cadre des stratèges militaires américains, a écrit l’ancienne analyste du renseignement américain Elizabeth Murray en août 2012.

À la fin de 2002, juste avant le lancement de la guerre américaine « choc et effroi » contre l’Irak, j’ai été invitée à me joindre à une réunion d’analystes du renseignement au U.S. Army War College de Carlisle, en Pennsylvanie, pour participer à un exercice de « simulation de guerre » contre l’Irak. On nous a assigné des rôles spécifiques et on nous a demandé de « jouer » divers scénarios politiques et diplomatiques qui pourraient se dérouler à la suite d’une attaque américaine contre l’Irak.
Un Américain d’origine irakienne, grand et costaud, qui était présent en tant qu’observateur et qui était assis à côté de moi le dernier jour, a fait une remarque discrète : « Tous ces gens parlent de questions stratégiques, politiques et militaires ; personne ici ne parle des centaines de milliers de personnes – mon peuple – qui vont mourir. »
Les corps d’hommes, de femmes et d’enfants vietnamiens empilés le long d’une route à Mỹ Lai après le massacre perpétré par l’armée américaine le 16 mars 1968. (Le photographe de l’armée américaine Ronald L. Haeberle)
Ses paroles m’ont paru profondément tragiques, et les larmes qui coulaient derrière ses lunettes noires m’ont soudain fait honte d’être là, consciente de l’absence totale de considération pour les Irakiens. J’ai eu du mal à trouver quelque chose à dire qui puisse consoler cet homme, mais je me suis sentie perdue.
Aujourd’hui, après toutes ces années, cet incident est revenu me hanter alors que nous approchons du précipice d’une autre guerre meurtrière. Allons-nous encore nous laisser aveugler ?
Alors que les dirigeants israéliens se livrent à des gesticulations frénétiques au sujet d’une possible attaque militaire contre l’Iran, nous avons de nouveau des grands pontes, des experts et des commentateurs qui spéculent sur la façon dont se déroulerait une offensive israélienne. Ils cherchent un sens à la rhétorique incendiaire du ministre de la Défense, Ehud Barak [1] et du Premier ministre Benjamin Netanyahou, et s’interrogent sur l’impact d’une guerre sur les intérêts politiques, stratégiques et économiques de l’Occident.
Comme pour les exercices de guerre auxquels j’ai participé à l’École supérieure de guerre il y a dix ans, leur focalisation étroite sur les aspects stratégiques et tactiques d’un conflit potentiellement grave évite commodément le fait que nous parlions du meurtre et de la mutilation en masse de civils iraniens, ainsi que de nombreux autres dans la région.
Attaque sur Bushehr : « La mort de milliers de personnes ».
Dans un article de réflexion sur ce sujet, la Professeure Marsha B. Cohen, spécialiste des questions irano-israéliennes, note qu’un document de 114 pages commandé en 2009 par le Centre d’études internationales et stratégiques, « Study on a Possible Israeli Strike on Iran’s Nuclear Development Facilities » [étude sur une possible frappe israélienne sur les installations nucléaires iraniennes, NdT], ne consacre que deux pages au sujet des pertes humaines prévues (pp. 90-91).
L’étude indique que « toute frappe sur le réacteur nucléaire de Bushehr entraînera la mort immédiate de milliers de personnes vivant sur le site ou à proximité, et des milliers de décès par cancer par la suite, voire jusqu’à des centaines de milliers selon la densité de population le long du nuage de contamination », ajoutant que « Bahreïn, le Qatar et les Émirats arabes unis seront fortement touchés par les radionucléides. »
En d’autres termes, le document reconnaît que, puisque la propagation des radiations nucléaires ne s’arrête pas aux frontières nationales, les populations civiles de toute la région, y compris celles des alliés des États-Unis, seront forcées de subir les conséquences horribles de toute aventure militaire israélienne en Iran.
Le document répertorie l’éventail des souffrances et des décès humains dus aux radiations selon le degré d’exposition, allant de 0-50 Roentgens – « aucun effet évident, peut-être des changements sanguins mineurs » – jusqu’à 5.000 Roentgens – « incapacité presque immédiate ; toutes les personnes exposées seront tuées dans la semaine qui suit ». Une carte d’accompagnement de la région montre les configurations de vent dominants, indiquant où le rayonnement est susceptible de dériver.
Sans aborder plus avant la dimension humanitaire, la page suivante évoque les différentes caractéristiques techniques des systèmes de missiles israéliens et iraniens.
L’empathie humaine, victime d’une culture guerrière ?
Comment se fait-il que les responsables politiques américains comme les membres des agences de renseignement et des groupes de réflexion qui les soutiennent semblent avoir si peu de compassion pour les victimes de leurs décisions politiques et militaires ? Sont-ils devenus trop éloignés de la souffrance, alors qu’ils font la navette d’une réunion à l’autre dans leurs SUV et leurs limousines ?
Le sujet de la souffrance humaine est presque tabou au sein de ces élites, et n’est généralement soulevé que lorsque la publicité négative des médias, ou la perspective de celle-ci, les oblige à agir.
Les grands médias encouragent-ils une culture de la guerre qui conditionne leurs citoyens à ne pas penser à la souffrance humaine des citoyens étrangers ? Se pourrait-il que nos médias contrôlés par les entreprises ne veuillent pas que les Américains se soucient du fait que les corps des hommes, des femmes et des enfants en Iran seront déchiquetés par les bombardements massifs, les attaques aériennes, ou se détérioreront lentement et douloureusement à cause des maladies liées aux radiations qui accompagneront l’exposition à l’uranium appauvri des bombes « bunker buster » [Un bunker buster est une bombe conçue pour pénétrer des cibles fortifiées ou des cibles enterrées en profondeur, NdT] ?
À quand remonte la dernière fois que des images de morts et de blessés des guerres en Irak, en Afghanistan ou au Pakistan ont été diffusées à la télévision ? Même pour les Américains qui cherchent des sources dans les médias alternatifs, il y a des chances que la diffusion par WikiLeaks de la vidéo désormais célèbre des « meurtres collatéraux » ait été la première – et peut-être la dernière – exposition à la brutalité et à la criminalité pure et simple de ces guerres.
L’émission allemande « Panorama » sur la vidéo « Meurtre collatéral » a présenté un excellent extrait de la vidéo « Meurtre collatéral » qui a fait l’objet d’une fuite, mettant en vedette le soldat américain Ethan McCord, qui est arrivé après le massacre et a désobéi aux ordres en se précipitant sur l’un des enfants blessés pour qu’il reçoive des soins médicaux.
Le fait qu’un tel programme soit diffusé en Allemagne, où il a eu une résonance particulièrement importante et intense, mais pas aux États-Unis, en dit long sur l’autocensure qui règne aujourd’hui dans les médias américains en ce qui concerne la mort et la destruction causées par les guerres américaines.
Les médias américains n’ont pas toujours été aussi réticents à montrer les réalités sanglantes de la guerre. Lorsque la télévision américaine a diffusé des images choquantes, aux heures de grande écoute, de soldats américains blessés et de villageois terrifiés au Vietnam, les Américains ont réagi en formant un mouvement anti-guerre massif qui a finalement forcé la fin du conflit en Asie du Sud-Est.
Le grand ponte néoconservateur Norman Podhoretz, qui soutenait vigoureusement la guerre du Vietnam ainsi que les guerres en Irak et en Afghanistan, était dégoûté par le retrait des États-Unis de l’Asie du Sud-Est et pensait qu’il était nécessaire pour la société américaine de surmonter le « syndrome du Vietnam » – à savoir ce qu’il appelait « les oppositions malsaines à l’utilisation des forces militaires ».
(L’un des principaux objectifs des relations publiques des administrations Reagan et du 41e président Bush était de guérir le peuple américain de ce « syndrome du Vietnam », un processus qui a progressé à travers les petites guerres des années 1980, comme l’invasion de la Grenade, l’invasion d’importance moyenne du Panama et la guerre du golfe Persique contre l’Irak, à plus grande échelle. Après la fin du massacre de cette guerre au sol de 100 heures, le Président George H.W. Bush a déclaré : « Dieu merci, nous avons vaincu le Syndrome du Vietnam une fois pour toutes »).
La Route de la Mort, Irak, 1991 : les États-Unis ont tiré sur des Irakiens qui battaient en retraite. (Flickr)
Depuis le lancement des guerres américaines en Afghanistan et en Irak après le 11 septembre 2001, les grands médias contrôlés par les entreprises [2] ont particulièrement bien réussi à écarter les réalités de la guerre des écrans de télévision. Les directeurs de l’information ont tenu compte des réclamations des faucons de guerre qui se plaignaient d’une couverture « antipatriotique » de la guerre et ont pris des mesures sévères pour censurer les images susceptibles de retourner l’opinion publique contre elle.
Jusqu’à récemment, cette censure sur les victimes de guerre comprenait l’interdiction de diffuser des images de cercueils militaires arrivant à la base aérienne de Dover [La base aérienne de Dover ou AFB Dover est une base de l’armée de l’air américaine située à 3 km au sud-est de la ville de Dover, dans le Delaware, NdT]. Ignorer les sombres réalités de la guerre a également permis sa glorification par des programmes de télévision tels que « Stars Earn Stripes ».
L’absence de voix favorables à la paix dans les médias grand public a également contribué à isoler les Américains des réalités de la guerre, à alimenter des peurs irrationnelles et à contribuer à la déshumanisation des victimes de la guerre en tant qu’« Autre » sans visage.
La valeur de la compassion pour nos semblables est souvent décrite comme une faiblesse dans le discours des médias grand public – une évolution qui doit donner une immense satisfaction à Podhoretz et à d’autres de son espèce qui se sont insurgés contre les « oppositions malsaines » à la violence qui ont contaminé les Américains après la guerre du Vietnam.
Alors que les enjeux de la participation des États-Unis à une aventure militaire israélienne imprudente et malavisée contre l’Iran augmentent, n’oublions pas que ceux qui préconisent de telles guerres sont presque toujours confortablement installés dans des lieux et des modes de vie qui leur garantissent de ne jamais avoir à voir de leur vivant un champ de bataille, un cadavre mutilé ou un enfant difforme.
Par Elizabeth Murray
E. Murray. a été officier adjointe du renseignement national pour le Proche-Orient au sein du Conseil national du renseignement avant de prendre sa retraite après une carrière de 27 ans au sein du gouvernement américain, où elle s’est spécialisée dans l’analyse politique et médiatique du Moyen-Orient. Elle est membre de l’association Veteran Intelligence Professionals for Sanity (VIPS).
Source  www.les-crises.fr.
NOTES de H. Genséric
Les anciens agents des services secrets israéliens employés par Harvey Weinstein pour étouffer les accusations d’abus sexuels lui ont été recommandés par l’ex-Premier ministre israélien, qui nie avoir été au courant des intentions du producteur.
L’ancien Premier ministre israélien Ehud Barak admet avoir mis Harvey Weinstein en contact avec une agence privée de renseignement israélienne mais explique qu’il ignorait à l’époque pourquoi le magnat de Hollywood souhaitait avoir recours à leurs services.

[2] Les médias américains, anglais, français, allemands, (et même russes). sont   à des degrés divers, contrôlés par les Juifs. De peur d’être taxée d’antisémite, l’auteure n’ose pas non plus écrire la vérité. Ce qui démontre aussi qu’elle s’auto censure comme tous les médias occidentaux.

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