mardi 19 mars 2024

Maxime du Camp et l’éternel ridicule français en 1870. Par Nicolas BONNAL

On a du mal à percevoir l’absence de mouvement sous le mouvement.

1870, la fête impériale, l’art de bien rigoler…

On laisse écrire Maxime du Camp.

Maxime Du Camp deux cents ans après, une incarnation du XIXe siècle ?  (Clermont-Ferrand)

Sur Bismarck :

« Bismarck fut habile, il agit envers nous comme en 1866 il avait agi à l’égard de l’Autriche. Quand il  eut machiné son plan et préparé ses pièges, il se fit déclarer la guerre et prit l’attitude d’un pauvre  homme réduit à la défensive; il mit les torts d’apparence de notre côté. Comme un pêcheur  consommé, il conduisit le poisson dans la nasse sans que celui-ci s’en aperçût. »

Après une belle phrase sur notre esprit de décision :

« Il avait pris pour une démonstration de notre force ce qui n’était qu’une preuve de l’inconséquence  de notre caractère. »

Maxime du Camp passe par l’Allemagne et il découvre que cette nation est scientifique, organisée et  disciplinée, mais pas seulement : elle est inspirée spirituellement et elle chante bien :

« J’entendis de loin une mélopée lente et grandiose, qui montait dans les airs comme la voix d’un  chœur invisible. Des enfants couraient dans la direction du bruit; le chant se rapprochait,  s’accentuait, vibrait avec un accent religieux et profond dont je me sentis remué. Je reconnus le  Choral de Luther, que psalmodiait un régiment en venant prendre garnison dans la citadelle que ce  pauvre général Mack nous a jadis si facilement abandonnée. Je fus très ému, je l’avoue, et je me  demandai quel caractère allait revêtir cette guerre pour laquelle les hommes marchaient en chantant  des psaumes. »

Après on va faire la comparaison avec Paris et sa salade impériale :

« Après avoir rapidement traversé la Suisse, j’arrivai à Paris, que l’empereur avait quitté deux jours  auparavant. Là le spectacle était autre : le soir, sur les boulevards, on buvait de l’absinthe en agaçant les filles; des  hommes en blouse, vautrés dans des voitures découvertes, braillaient la Marseillaise. Qui donc avait  vieilli, le chant national ou moi? Je ne sais. Il me déplut et je lui trouvai un air provocant qui ne  s’adressait pas à l’ennemi. »

C’est Tartarin contre Siegfried. Et si Tartarin était l’essence de la France moderne (voyez mon texte  sur Tartarin dans les Alpes) ? J’ai cité plusieurs fois cette ligne de Céline :

« Et les Français sont bien contents, parfaitement d’accord, enthousiastes. »  

Voilà celle de Maxime du Camp en 1870 :
« Se souvient-on aujourd’hui de la frénésie dont la population fut atteinte? On se croyait tellement  certain de la victoire, que les adversaires systématiques de l’empire, — les irréconciliables, —  demandaient la paix. »

Après la reddition de Sedan, la république arrive avec ses bienfaits !  Première divine surprise :
« Le 4 septembre, j’étais au Journal des Débats; cette fois c’était bien fini; la révolution tendait la  main à l’invasion et complétait son œuvre. La plupart de ceux qui se trouvaient dans le bureau de  rédaction étaient accablés.

Quelqu’un entra et dit : « C’est égal, nous voilà débarrassés des Bonaparte! » Oui, débarrassés des  Bonaparte, mais débarrassés aussi de l’Alsace, de la Lorraine, débarrassés de cinq milliards, de  beaucoup de monuments de Paris que l’on a brûlés et de quelques honnêtes gens que l’on a  massacrés. »

Une belle phrase sur la France :

« La France était comme ces hommes frappés de la foudre qui gardent l’apparence de la vie et  tombent en poussière dès qu’on les touche ».  Après on cherche comme toujours des excuses (euro, Bruxelles, etc.) :

« La nation crie, pleure, se désespère, déclare qu’elle est innocente et que l’empire seul est coupable.
La nation a tort; elle a eu ses destinées entre les mains, qu’en a-t-elle fait? Nous mourrons par  hypertrophie d’ignorance et de présomption.
 »

Du Camp se met à rêver :

« La France a cherché les réformes politiques : néant; elle a cherché les réformes sociales : néant;  mais les réformes morales qui seules peuvent la sauver, elle n’y pense même pas. Si j’étais le maître,  je traiterais tout de suite, quitte à subir des conditions léonines, car l’issue de la guerre ne peut  actuellement être douteuse, et plus nous prolongerons la lutte, plus les conditions seront dures; puis  je ferais des lois draconiennes pour organiser le service militaire et l’enseignement, l’enseignement  surtout, non seulement scientifique, mais moral. C’est la morale qui forge les caractères et ce sont les  caractères qui font les nations. »

Maxime du Camp comprend enfin :

« On ne fera pas cela, sois en certain; on va expliquer au peuple français qu’il est le premier peuple du  monde, qu’il a été trahi, qu’il a été livré, en un mot qu’il est indemne, et le peuple français continuera  à croupir dans l’ignorance, à avoir le moins d’enfants possible, à boire de l’absinthe et à courir les  donzelles. Nous mourrons, parce que nous sommes agités sans but et que la danse de Saint-Guy n’est  pas le mouvement; nous n’avons pas d’hommes, parce que nous n’avons pas d’idées; nous n’avons  pas de principes, parce que nous n’avons pas de mœurs. »

Dans mon livre sur Céline, j’ai évoqué le latin conifié par les mots. Idem ici :

« Nous sommes saturés de rhétorique; nous avons des façades de croyance, d’opinion, de  dévouement; derrière il n’y a rien. Tout est faux, tout est théâtral, nous sommes des Latins; chez  nous, comme pour le baron, tout est « pour paraître ». C’est la fin du monde. Il y a une phrase des  Mémoires d’outre-tombe qui m’obsède et sonne en moi comme un glas funèbre : « Il ne serait pas étonnant qu’un peuple âgé de quatorze siècles, qui a terminé cette longue carrière  par une explosion de miracles, fût arrivé à son terme ». »

Du Camp a une bonne idée qui eût pu éviter des déboires, et il prévoit même l’espace vital et sa  conquête à venir :

 « Au lieu de ces territoires, offrir nos colonies, en vertu de ce principe qu’il vaut mieux se faire couper  les cheveux que de se laisser couper la tête. Malgré sa richesse, l’Allemagne étouffe, parce qu’elle n’a  pas la vraie mer, qui est l’Océan; elle est insuffisante à consommer ses produits, qu’elle n’écoule que  difficilement; elle est trop restreinte pour sa population, qui est forcée d’émigrer en Amérique. On  peut donc la tenter sérieusement en lui proposant nos colonies des Antilles et nos stations dans  l’Indochine. »

Évidemment il y a un risque avec… l’Angleterre !

« Si elle consent à cet échange (et je crois qu’on peut l’y amener), elle voudra devenir une puissance  maritime de premier ordre et elle aura alors à s’entendre avec l’Angleterre. »  

Du Camp dans ces lignes géniales prévoit donc la guerre Allemagne-Angleterre (voyez Preparata et  quelques autres) et aussi la haine franco-allemande qui va dévaster l’Europe :

« Toute gentillesse, comme eût dit Montaigne, est perdue pour longtemps, un monde va  commencer; on élèvera les enfants dans la haine des Prussiens ! »

La France commence à creuser sa tombe. Et quand elle touche le fond, elle creuse encore ! Du  Camp :

« Rien de ce que Flaubert avait rêvé ne se réalisa, le quelque chose qui lui avait promis la victoire  s’était trompé; de défaite en défaite on descendit jusqu’à l’endroit où la terre manque sous les  pieds. »

La guerre de 1870 a tué la France, c’est mon sentiment. Après nous sommes en république, et la  troisième république, ce n’est plus la nation ni la patrie. Elle tue net Mérimée et achève Théophile  Gautier :

« La guerre, la révolution du 4 septembre, la Commune ont porté à Théophile Gautier un coup dont il  a toujours souffert; il a traîné, ou plutôt il s’est traîné jusqu’à la tombe, languissant, enveloppé  d’ombre, parlant peu et n’ayant plus guère que des regrets. »

Par Nicolas BONNAL

19 Mars 2024

 

Sources

Maxime du Camp, Souvenirs littéraires, II, p.348-sq (archive.org)

Maxime du Camp et le ridicule français en 1870.docx

1 commentaire:

  1. Encore un qui fut nourri de France éternelle et de Droit de l'homme (judéo-franc-maçon). Tout ça c'est fini. Maintenant le cloaque pour un peuple soumis et incapable de se régénérer. Bye Bye la France, bienvenue en Macaquerie bien méritée par sa lâcheté. L'égalité par le nivellement par le bas, la liberté de fermer sa gueule et l'égalité avec des ordures importées.
    Il faudra se poser la question du pourquoi une multitude de Français choisissent le douloureux chemin de l'exil. Bien que coeur encore en France.

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