samedi 28 février 2015

Jihad Made in USA



C’est « très simple ». Nous sommes bien informés. Il faut croire les médias quand ils nous disent : « Les États-Unis veulent la démocratie en Syrie ». Vraiment ? Avec l’aide de l’Arabie Saoudite et du Qatar ?

Vous avez un doute ? Il existe une deuxième version : « Les États-Unis nous protègent contre les armes de destruction massive ». Vraiment ? Tout en étant le pays qui les a le plus utilisées ? Nucléaires à Hiroshima, napalm en Corée, au Cambodge et au Vietnam, armes biologiques contre Cuba, uranium appauvri, mines antipersonnel et bombes à fragmentation un peu partout. Sans parler des deux cents têtes nucléaires confiées à Israël.

Toujours pas satisfait ? Troisième variante : « Les États-Unis combattent le terrorisme ». Vraiment ? En armant Ben Laden contre l’Afghanistan, puis une section d’Al-Qaïda contre la Libye et enfin An Nosra et Daesh contre la Syrie ? En organisant des attentats à la bombe dans des avions et des hôtels cubains, puis en protégeant les auteurs de ces actes, bien à l’abri en Floride, et enfin en emprisonnant à vie les « Cinq de Miami », agents du contre-espionnage cubain chargés d’empêcher de nouveaux attentats ? Juste quelques exemples parmi bien des exploits de la CIA si « démocratique ».
Ou bien alors on nous fait comprendre que c’est « beaucoup trop compliqué pour vous ». Vous, le public, vous n’êtes pas capable de vous y retrouver dans ces intrigues et ce chaos irakien, libyen, syrien, et cetera. Laissez donc ça aux « experts ».
Et si certains avaient intérêt à ce que vous n’y compreniez rien et que vous abandonniez, découragé ? C’est ce qu’affirment Grégoire Lalieu et Mohamed Hassan dans ce livre. Et ils vont le démontrer.

Qui a intérêt à ce que nous ne bougions pas ?

Qui a intérêt à notre confusion et notre passivité ? En 2003, nous étions des millions à manifester contre la « guerre du pétrole » frappant l’Irak. Aujourd’hui, les États-Unis mènent de plus en plus de guerres et il n’y a plus personne dans les rues. Comment a-t-on réussi à désespérer les peuples alors que les catastrophes continuent à s’abattre ?
Mais qui croit sincèrement que les États-Unis ont changé ? Qui pense que Washington a renoncé à dominer le monde ? Qui pense que les multinationales US ne désirent plus contrôler un maximum de richesses et donc un maximum de pays ? Qui croit que le complexe militaro–industriel va nous chanter « Peace and Love » ?
La vraie question à se poser est alors celle-ci : est-ce que les États-Unis poursuivent toujours les mêmes objectifs, mais avec des méthodes plus subtiles ? La réponse est oui.
La nouvelle stratégie de la Maison-Blanche, nous l’avions décrite en 2008 (1). C’est le « soft power ». Littéralement : le pouvoir en douceur. Sauf qu’il n’y a là-dedans aucune douceur, c’est juste une manière plus discrète de faire la guerre. La guerre indirecte. A travers des déstabilisations orchestrées et des coups d’État. En poussant un État de la région à attaquer le voisin qui gêne. Ou alors en armant des mouvements séparatistes pour fomenter des guerres civiles. Voire même en soutenant des organisations terroristes pour créer le chaos.
Bref, plutôt que des G.I.’s sur le terrain, la CIA en coulisses. Moins cher, moins voyant, moins provocant. Ça passe auprès des masses (grâce aux médias et à certains intellectuels). « Soft power ». Aussi dénommé « Smart power » : le pouvoir intelligent. La violence continue, mais enrobée et mieux emballée.
Il est assez facile de comprendre pourquoi Washington a changé de stratégie. Rappelez-vous… En 2001, Bush décidait d’attaquer sept pays après l’Afghanistan : Irak, Syrie, Liban, Libye, Somalie, Soudan, Iran, comme en a témoigné le général Wesley Clark(2). Mais Bush a piteusement échoué : deux guerres à peine, et perdues toutes les deux.
La nouvelle stratégie, Investig’Action en a exposé les mécanismes dans La Stratégie du Chaos, ouvrage que j’ai coécrit avec Grégoire Lalieu en 2011.
L’idée de base ? « Ce que tu ne peux contrôler, détruis-le ! » En plusieurs régions stratégiques pour leurs intérêts, les États-Unis ont semé le chaos. Plus efficace que la méthode Bush, la méthode Obama pose cependant de nouveaux problèmes : comment contrôler les éléments déstabilisateurs qu’on a déclenchés ?
Et surtout, quand on est une puissance sur le déclin, comment empêcher la montée du nouveau grand front contre l’hégémonie : Russie, Chine, Amérique latine et d’autres bientôt ? Toutes ces nations sont en train de s’allier pour résister à l’agressivité des « maîtres du monde ». Bref, Washington n’a pas vraiment réglé son problème, il l’a plutôt reporté et peut-être même aggravé.
Et bien sûr, le problème se posera aussi au prochain président. Ou plutôt, puisque le président n’est au fond qu’un employé de luxe, le problème stratégique se posera à l’élite US : les dirigeants des multinationales et les think tanks chargés de les conseiller.
Le travail effectué par Grégoire Lalieu et Mohamed Hassan se révèle donc précieux pour nous permettre de bien saisir les véritables ressorts de la politique internationale des États-Unis et dans quel sens elle risque d’évoluer. En exposant clairement les événements qui se sont déroulés en Syrie et en Égypte, en partant « à la recherche des faits perdus » ou plutôt égarés par les médias dominants, ils nous font comprendre les dessous de ces deux révolutions détournées. Loin du récit simpliste entendu partout, nous découvrons dans ce livre non seulement les contradictions de classes qui traversent ces deux pays, mais aussi l’action souterraine des États-Unis dans la région. Comment ils ont d’emblée détourné des protestations légitimes en Syrie, prolongeant ainsi leurs préparatifs qui avaient en fait débuté bien avant 2011, comment ils se sont dès le départ appuyés sur des extrémistes cruels et ce qu’ils convoitent réellement dans ce pays tragiquement mis à feu et à sang.
Quant à l’Égypte, ils nous montrent à quel point les États-Unis ont toujours considéré que ce pays leur appartenait, comment ils ont procédé pour le contrôler très étroitement et ce faisant, l’ont plongé dans la pauvreté et la dépendance, comment enfin, Frères musulmans ou dirigeants militaires, peu leur importe pourvu que rien d’essentiel ne change au cœur du monde arabe. En montrant aussi que les Égyptiens n’ont pas fini d’écrire leur histoire, ils nous permettent de comprendre ce qui peut encore arriver.
Jihad made in USA explique également le véritable rôle joué en coulisses par les diverses puissances régionales : de quelle manière Washington utilise l’Arabie Saoudite et le Qatar, avec quel cynisme on s’est débarrassé des jeunes « eurojihadistes », pourquoi l’Iran est visé derrière la Syrie, quels intérêts motivent Israël et la Turquie dans la question syrienne. Des alliances surprenantes se nouent et se dénouent, mais en examinant ces intérêts, on ne sera plus surpris. Et dans ces deux pays, on comprend à quoi ont servi ceux qu’on appelle les « islamistes ». Mais que veut dire exactement ce terme ?
Islamisme : le concept fourre-tout qui désamorce nos neurones A tout moment, les médias nous matraquent avec ce terme, bien mal choisi, des « islamistes ». En réalité, il recouvre des réalités totalement contradictoires :
- L’Arabie Saoudite « islamiste » collabore avec les USA et Israël. Mais le Hezbollah « islamiste » les combat.
- En Egypte, les Frères musulmans pactisent avec Washington et Tel-Aviv. Au contraire du Hamas palestinien, pourtant issu des mêmes Frères.
- Au nom de la « lutte pour la démocratie », les jeunes eurojihadistes islamistes français et belges ont été applaudis en partant en Syrie (le ministre belge des Affaires étrangères voulait leur « édifier une statue »), mais appréhendés, voire emprisonnés au retour.
Et si le mot « islamisme » était un grand fourre-tout qui piège notre réflexion ? Mohamed Hassan nous montrera ici que ce terme « islamisme » recouvre en fait cinq courants politiques bien différents que l’on mélange à tort. Il était absolument nécessaire qu’il mette à plat les histoires et les parcours contradictoires de tous ces courants pour décrypter la stratégie complexe des États-Unis quand il s’agit de contrôler l’échiquier du Moyen-Orient.
Aucune de ces nuances, aucune de ces interrogations ne s’est retrouvée dans les grands médias. Ceux-ci prétendent pourtant nous aider à déchiffrer la politique internationale des États-Unis. Mais alors, pourquoi n’évoquent-ils jamais ces déclarations très importantes de deux hauts responsables US ? En 1996, James Baker, alors ministre US des Affaires étrangères, déclare :
« Il n’y a pas de pays musulman plus intégriste que l’Arabie Saoudite (…) et pourtant c’est à la fois un ami et un pays important pour les États-Unis. (…) Nous ne devons nous opposer à l’intégrisme que dans la mesure exacte où nos intérêts nationaux l’exigent ». (3)
En 2012, Hillary Clinton reconnaît très simplement : « Nous, États-Unis, avons créé Al-Qaïda ». (4)
Ces déclarations ne sont-elles pas indispensables pour comprendre la manière dont les États-Unis utilisent les pires instruments pour s’assurer le contrôle de certaines régions stratégiques : Moyen-Orient, mais aussi Caucase, Asie du sud et du centre, Corne de l’Afrique et même Afrique centrale. Voilà qui explique le déroulement confus de plusieurs conflits de ces dernières décennies : Afghanistan, Yougoslavie, Tchétchénie et plus largement Caucase, Irak, Libye, Syrie mais aussi Algérie, Congo RDC, Sud-Soudan, Côte d’Ivoire, Mali, Centrafrique, Tigres tamouls, etc…. C’est en fonction de leurs intérêts que les États-Unis s’allient un jour avec des terroristes qu’ils combattent le lendemain avant de se réconcilier le surlendemain.
Comprendre tout ceci est crucial : c’est avec ces coups tordus et ces alliances indignes que les États-Unis sont occupés à bouleverser le grand échiquier du Moyen-Orient pour le remodeler à leur guise. Avec pour toile de fond la Grande Guerre du pétrole et du gaz, clé de la domination du monde. En fait, Jihad made in USA dévoile un des terrains essentiels de cette grande bataille pour dominer le monde, c’est-à-dire pour affaiblir la Chine et la Russie et pour contrôler l’Europe. Une bataille qui nous concerne partout.

Rien d’improvisé, juste la réalisation d’un très vieux plan…

Je le dis souvent : quand la télé nous raconte que Washington réagit à des événements « spontanés » quelque part dans le monde, il faut toujours commencer par se demander ce que les États-Unis ont fait auparavant concernant ce pays. Le président des États-Unis, Franklin Roosevelt disait :
« En politique, rien n’arrive par hasard. Chaque fois qu’un événement survient, on peut être certain qu’il avait été prévu pour se dérouler ainsi. »
En réalité, ça fait très longtemps que les États-Unis et leurs amis projettent de faire éclater en plusieurs morceaux la Syrie et la plupart des pays du Moyen-Orient.
Ainsi, après la « Guerre des Six Jours », en 1967 (Israël contre Égypte, Jordanie et Syrie), le ministre US Kissinger fixe comme priorité pour Washington de renforcer Israël. Et pour cela il veut morceler le Moyen-Orient en une mosaïque de mini-états faibles se combattant entre eux, chacun ayant besoin des USA pour survivre. Ce Plan Kissinger (de même que le Plan Rogers un peu plus tôt) vise à utiliser et carrément exacerber les conflits interarabes afin de redessiner les frontières de plusieurs pays : Liban, Syrie, Jordanie, Irak. Son but : permettre à Washington, avec l’aide d’Israël et du Chah d’Iran, de contrôler toute la production de pétrole de la région.
Dans la même logique, en 1982, Oded Yinon, un ancien fonctionnaire des Affaires Etrangères israéliennes, publie « Stratégie pour Israël dans les années 80 » :
« La Syrie va se diviser en plusieurs Etats suivant les communautés ethniques, de telle sorte que la côte deviendra un État alaouite chiite ; la région d’Alep, un État sunnite ; à Damas, un autre État sunnite hostile à son voisin du Nord : les Druzes constitueront leur propre État, qui s’étendra sur notre Golan peut-être, et en tout cas dans le Haourân et en Jordanie du Nord. Cet État garantira à long terme la paix et la sécurité dans la région : c’est un objectif qui est dès à présent à notre portée. »(5)
Israël sait ce qu’il cherche : démanteler ses voisins.
Plus tard, la CIA va élaborer le Plan Syriana, qui sera ensuite révélé par son ancien agent Robert Baer. Là aussi, il s’agit de faire éclater tous les États dérangeants pour neutraliser la résistance arabe dans l’ensemble du Moyen-Orient. Toujours pour renforcer Israël.
En juin 2006, à Tel-Aviv précisément, la Secrétaire d’État états-unienne Condoleezza Rice justifie de cette manière cynique la sanglante destruction du Liban par des attaques israéliennes : « Ce que nous voyons ici est dans un sens la croissance – les douleurs de l’enfantement – d’un ‘Nouveau Moyen-Orient’, et tout ce que nous (les USA) faisons, c’est de nous assurer de pousser en avant pour ne pas revenir à l’ancien. »(6) Le ‘Nouveau Moyen-Orient’, conforme aux intérêts d’Exxon et Chevron, passe donc par la souffrance des peuples attaqués.
Durant le même mois de juin 2006, le lieutenant-colonel Ralph Peters, retraité de l’Académie Nationale de Guerre, révèle les arrière-pensées de Rice et Bush : il publie dans le Armed Forces Journal (7) une carte futuriste du Moyen-Orient établie selon les souhaits de Washington : la Turquie y est amputée au profit d’un « Grand Kurdistan », l’Irak perd ses Kurdes et se voit divisé en un État chiite et un État sunnite, la Syrie est réduite à pas grand-chose, le Pakistan perd le Baloutchistan (et ainsi son port stratégique de Gwadar), l’Arabie Saoudite est fragmentée tandis que la Jordanie se gonfle. Morceler pour mieux régner. Une carte du même type a été publiée par le New York Times en septembre 2013 (8). Pour préparer les esprits ?
Sachant tout ceci, nous comprenons que l’actuelle explosion de l’Irak, de la Libye et de la Syrie (et bientôt d’autres pays ?) ne constitue absolument pas une surprise.
Donc, il est parfaitement possible de comprendre le Moyen-Orient. Il suffit de fermer la télé et de lire des choses sérieuses. Par exemple, les documents réellement importants des stratèges US (qui disent exactement le contraire de la télé). Ou Mohamed Hassan racontant la véritable histoire de la région et toutes les manœuvres opérées en coulisses.

Fermer la télé et rouvrir son cerveau

En lisant ce livre passionnant, vous vous demanderez certainement pourquoi tout ceci est absent des médias, pourquoi avec eux tout semble « trop compliqué » ?
Effectivement, même si quelques journalistes parviennent tant bien que mal à faire passer d’autres infos ou points de vue (généralement bien tard le soir), nous devons constater que les journaux télévisés reflètent à sens unique les visions de leurs gouvernements respectifs. Et que la quasi-totalité des émissions dites de « débats » se limitent aux seuls points de vue acceptables par les intérêts dominants.
Ces débats accueillent-ils une pluralité d’opinions, comme ils le prétendent ? Oui et non. On peut y entendre plusieurs avis sur la meilleure manière pour les États-Unis et l’Europe d’atteindre leurs objectifs de politique internationale. On peut donc débattre sur le « comment ». Mais pas sur le « pourquoi ». Pas question de discuter l’essentiel : les États-Unis et leurs alliés ont-ils moralement le droit d’imposer leurs vues et leurs intérêts à l’ensemble des pays du Sud qui souffrent tant de leur politique ? Ont-ils le droit de faire, avec notre argent, la guerre au service des multinationales ? Tabou.
Pour avoir tenté de le faire quand même et sans tourner autour du pot, dans trois débats des télévisions belges en automne 2011, j’ai été rapidement remis au placard sans autres explications. Comme de nombreux autres analystes « différents ». Le pluralisme a ses limites.

Rien à voir avec le « complotisme »

Jihad made in USA apporte enfin une explication complète, nuancée et accessible sur ces événements qu’on nous cache ou qu’on prétend « trop compliqués ». Grégoire Lalieu refuse autant la théorie du « grand complot » où Washington planifie et maîtrise tout, que la théorie ultra-naïve des États-Unis qui défendraient des valeurs et nous diraient la vérité. Ainsi, Jihad made in USA vous aide à libérer vos neurones face aux propagandes simplistes.
Rien à voir donc avec une « théorie du complot ». Oui, les stratèges US élaborent des plans au service de l’élite, au service du 1 %, et n’en parlent pas à la télé. Non, ces plans ne sont pas entièrement secrets, il existe là-dessus une documentation spécialisée qu’il est possible de lire en cherchant bien. Oui, les stratèges US manipulent les peuples, mais non, ils ne réussissent pas toujours, leurs plans peuvent être mis en échec par la résistance de ces peuples et par l’intervention des citoyens dans le débat. Alors, quand les porte-paroles des États-Unis ou d’Israël, quand un Henri Guaino (proche conseiller de Sarkozy), une Caroline Fourest ou un Bernard-Henri Lévy nous traitent de « complotistes », ils cachent par là même qu’ils n’ont pas le courage de discuter sur le fond du dossier, car ils savent qu’ils n’ont pas d’arguments, qu’ils ont les faits contre eux. Quand certaines personnes se disant de gauche répètent ces stupidités de droite, c’est un autre problème qui relève davantage de la psychanalyse. Ou de l’achat des consciences.

L’islamisme », épouvantail très efficace

Jihad made in USA porte un titre assez provocateur, il est vrai. Mais en unissant les deux termes d’une apparente contradiction, il nous appelle justement à réfléchir au-delà des apparences et des clichés simplistes. Qui profite de la manipulation de cet « islamisme » ? En tout cas, il faut bien constater que cela produit des résultats remarquables. Au Moyen-Orient, mais aussi en Europe. Au Moyen-Orient, avec la division systématiquement organisée, les États-Unis ont réussi à enterrer les tentatives des nations arabes de s’unir pour être plus indépendantes, mieux négocier le prix du baril, échapper au dollar-roi, utiliser l’argent du pétrole à leur avantage, tenir tête à Israël. Oublié tout ça ! A présent, au Moyen-Orient, c’est « tous contre tous », les peuples paient et les émirs sabrent le champagne. L’islamisme a été très efficace.
Mais il produit aussi ses effets pervers en Europe. De par cette mise en scène puissante aujourd’hui dans nos pays européens, islam égale barbarie. Malgré les protestations hypocrites, le mal est fait, les musulmans sont montrés du doigt et encore plus diabolisés qu’avant. Soupçonnés de pactiser avec le fanatisme et le terrorisme, on les somme de « prendre leurs distances » avec Daesh. Par exemple, en affichant « Not in my name » (pas en mon nom). Incroyable ! Pourquoi demander cela aux seuls musulmans ? A-t-on demandé aux chrétiens de prendre leurs distances avec George Bush quand il massacrait l’Irak ? N’incombe-t-il pas à tout homme et toute femme, quelles que soit leur religion ou leur conviction, de dénoncer ensemble cette politique barbare, qu’elle vienne des États-Unis, de Daesh, de l’Arabie Saoudite ou d’Israël ?
Deuxième effet pervers. Alors que, après les échecs coûteux des interventions occidentales en Afghanistan, en Libye et en Syrie, l’opinion européenne était de plus en plus réticente face à de nouvelles aventures guerrières, la mise en scène de l’islamisme a changé la donne. Une mise en scène hypocrite et raciste : quand Daesh et les autres milices perpétraient leurs atrocités massivement contre la population syrienne, l’Occident fermait les yeux, mais l’assassinat de quelques Occidentaux entraîne directement une mobilisation planétaire.
Planétaire et coûteuse pour nos portefeuilles. Quand un pays comme la Belgique ou la France achète un bombardier, il pourrait avec ce budget créer 1.300 places d’école. Tout le monde doit se serrer la ceinture sauf l’industrie de l’armement qu’on nous appelle à financer généreusement !
Allons-nous accepter que les États-Unis nous entraînent dans une guerre sans fin qui, en définitive, nous confrontera à la Russie et à la Chine ?
Allons-nous accepter que l’Europe obéisse servilement à ce délire guerrier ?
Ou bien allons-nous réagir et lancer un débat citoyen : quel monde voulons-nous pour nos enfants ?
Le livre de Grégoire Lalieu est une aide précieuse pour lancer ce débat : il cerne très bien la question de la désinformation. Il démontre comment tout est fait pour que le raisonnement soit noyé par l’émotion et la fabrication de la peur.

La fabrique de la peur

La menace islamiste a d’abord été occultée, puis tout d’un coup artificiellement gonflée mais soigneusement coupée de son contexte et de l’implication des Etats-Unis eux-mêmes. Et ça fonctionne : l’opinion pourrait à nouveau basculer dans le consentement résigné ou indigné : « Il faut bien faire quelque chose contre ces fanatiques dangereux ».
Ce n’est pas un hasard si les médias ont à ce point mis en avant « les islamistes » comme seul facteur d’explication. Comme l’écrit le sociologue Saïd Bouamama :
« La fabrique de la peur fonctionne à plein régime avec ses deux conséquences logiques : le renoncement à l’explication rationnelle au profit de réactions émotionnelles d’une part et la production d’une demande de sécurité au prix même d’une atteinte aux libertés fondamentales d’autre part. Au-delà des cibles actuelles, c’est la logique sécuritaire qui s’installe encore plus profondément dans notre société. Les enjeux pétrogaziers et géostratégiques disparaissent entièrement du débat pour ne laisser place qu’à l’urgence d’un consensus « anti-barbare ». (9)
Comme c’est commode en effet : grâce aux médias, il n’y a plus au Moyen-Orient un conflit entre classes sociales sur la question des injustices riches – pauvres, il n’y a plus de colonialisme israélien violant le droit international, il n’y a plus l’ingérence impériale permanente des USA avec tous leurs coups tordus, non il y a seulement… une guerre de religions, avec des bons et des méchants ! Les bons étant toujours « nous » bien sûr.
Et ça peut resservir ailleurs : ce qu’il y a de merveilleux avec le prétexte terroriste, c’est que les États-Unis peuvent l’utiliser absolument partout : de l’Irak au Nigeria, du Caucase au Congo, de l’Ukraine au Mali, ils peuvent trouver « des terroristes » partout où ils en ont besoin, c’est-à-dire jamais très loin du pétrole et du gaz ou d’autres richesses stratégiques. Ils peuvent même en faire amener au besoin par leurs amis. Très pratique.

Merci, Grégoire

En 2009, le tout jeune Grégoire Lalieu entrait à Investig’Action pour y effectuer un stage de journaliste dans le cadre de ses études. Il n’en est jamais reparti. Je l’ai engagé comme rédacteur de notre site internet, tâche qu’il assume remarquablement. En 2011, il a rédigé avec moi le livre La Stratégie du Chaos : déjà des entretiens avec Mohamed Hassan pour expliquer les manœuvres des USA et de l’Europe dans le monde arabo-musulman. Trois ans plus tard, voilà qu’il écrit seul ce nouveau livre Jihad made in USA, réussissant à rendre clair ce qu’on nous présente comme incompréhensible : la Syrie, l’Égypte, l’islamisme et tout l’échiquier du Moyen-Orient.
Merci, Grégoire ! Je suis très fier de cette brillante relève. Après tout, quand Investig’Action a été fondée, il y a juste dix ans, mon souhait était de former une équipe capable de repérer les média mensonges et de riposter par une info indépendante de qualité. Notre tâche est vaste et ce n’est pas simple – notamment par manque de moyens financiers – mais nous avons déjà pu obtenir quelques résultats et sensibiliser pas mal de gens.
Notre objectif est encore plus ambitieux pour les années à venir : Investig’Action veut aider de plusieurs manières (site d’articles, livres, films, chaîne vidéo, formations), aider à mettre en place un véritable mouvement citoyen pour l’info : afin que chacun ait les moyens de se défendre et de devenir actif dans cette bataille pour la vérité. J’espère que d’autres jeunes imiteront avec nous l’exemple de Grégoire.
Vous allez maintenant pouvoir vérifier que son livre est une contribution précieuse pour vous armer dans cet esprit.
Bonne lecture !
Michel COLLON

Notes :
1) Michel Collon, Quelle sera demain la politique internationale des USA ?, site Investig’Action, septembre 2008.
2) Michel Collon, Libye, Otan et média mensonges, Investig’Action, 2011, p. 133.
5) Voir par exemple, site Information Clearing House, The Zionist Plan for the Middle East.
6) Mahdi Darius Nazemroaya, Le projet d’un « Nouveau Moyen-Orient, Mondialisation.ca, décembre 2006.
7) Idem.
8) Robin Wright, Imagining a Remapped Middle East, New York Times, 28 septembre 2013.
9) Saïd Bouamama, La construction médiatiques des islamistes, Investig’Action, octobre 2014.
Source : Investig’Action

Twitter (donc les USA) au service de la promotion de l’État Islamique (Etude)

Twitter au service de la promotion de l’Etat Islamique  (Etude)Selon une étude intitulée « Le recensement de l’EI sur Twitter » publiée récemment par l’Institut Brookings basé à Washington, 46.000 comptes Twitter font la promotion de l’Etat Islamique  (EI). Toujours selon cette étude, entre 500 et 2.000 utilisateurs « hyperactifs » postent entre 545 et 2.000 messages par jour.
Imaginez un peu toute l’organisation et la logistique que cela représente.
L’EI aurait donc ses chercheurs dans leurs labos inventant des tas de moyens de déjouer les surveillances dans les aéroports, ses services de renseignements collectant des informations sur les synagogues et les supermarchés à faire sauter à travers le monde, sa cyber-armée lui permettant de pénétrer dans les lieux les plus secrets du cyber-monde, ses services de communication dignes des meilleures officines de Public Relation de la planète, et tout cela en plus de ses combattants sur le terrain. Seul le Pentagone (et encore !) pourrait se targuer d’avoir des moyens similaires.
Imaginez une salle avec 500 à 2000 ordinateurs, avec un spécialiste derrière chaque clavier. Ce qui exclut d’emblée les djihadistes d’origine européenne, car ils sont décrits comme des paumés en échec scolaire, provenant de milieux défavorisés. Ces spécialistes, d’origine arabe donc, auraient chacun à gérer des dizaines, voire une centaine, de comptes twitter, comptes  qu’il faut modifier après chaque utilisation, puisque les « lutteurs contre le terrorisme international » affirment qu’ils les font fermer dès qu’ils sont identifiés. Des journées à temps plein n’y suffiraient pas pour maintenir une cinquantaine de milliers de comptes Twitter actifs. Seuls des systèmes automatisés, des robots, peuvent y parvenir, comme ces robots qu’on a vu à l’œuvre lors de la « Révolution Verte » en Iran et pour laquelle Madame Hilary Clinton avait avoué l’intervention de son pays, ou lors des « Révolutions du Printemps Arabe ». Même méthodologie, mêmes opérateurs ?
A l’heure où le moindre tweet ou commentaire sur les réseaux sociaux peut mener son auteur devant les juges, il est tout de même assez culotté de faire croire qu’il suffit d’être un djihadiste de l’EI/Daesh pour devenir invisible au système de surveillance supposé avoir été mis en place par les guerriers « antiterroristes ». Ou alors, Edward Snowden nous aurait-il menti ? Le NSA et tout le reste serait du bluff ? Même s’il est tout à fait possible que la fameuse surveillance universelle de NSA soit du bluff, il n’en reste pas moins qu’on sait que Twitter est contrôlé. S’il y a 46.000 comptes actifs sur ce réseau, sans compter les autres milliers de comptes Youtube, Google, Facebook, etc…, tous appartenant à la même entreprise, c’est que ceux qui contrôlent les réseaux sociaux le veulent bien.
Avic – Réseau International