Le président russe Vladimir
Poutine a récemment suscité quelques interrogations à l’ouest en
confirmant qu’il avait invité le leader suprême « paria »Kim Jong-un en
Russie en mai. Certains y ont vu l’indice du degré de la désespérance
russe quant aux sanctions économiques américaines et européennes. Loin
d’être le signal du désespoir, il apparait néanmoins à l’observateur
comme une mesure judicieuse qui pourrait priver Washington de l’une de
ses armes favorites.
L’empressement de l’administration Obama à imposer de nouvelles
sanctions à la Corée du nord en raison d’allégations non étayées selon
lesquelles elle avait commandité les récents piratages chez Sony
Pictures, une compagnie d’origine japonaise, sent l’opération sous faux
drapeau mise en place par les habituels suspects –les faucons
néo-conservateurs qui dominent de plus en plus la politique de
l’administration Obama depuis la guerre contre la Libye de Kadhafi en
2012. Je pense qu’il existe de très nombreuses raisons derrière cette
urgence à punir la Corée du nord.
Lors d’une discussion privée à un dîner
au Forum Économique Mondial de Davos en Suisse dans les années 90 où
j’étais présent au titre de journaliste indépendant, j’ai eu l’occasion
d’avoir une conversation fascinante avec feu James R. Lilley au sujet
des évènements mondiaux. .... Nous abordâmes le sujet de la Corée du nord qui, à
l’époque, faisait l’objet d’une grande consternation en raison de son
programme d’armement nucléaire. A un moment, Lilley lâcha un
renseignement véritablement utile. Il me dit, « si la Corée du Nord
n’existait pas, nous devrions la créer pour nous donner l’excuse de
conserver notre septième flotte au Japon depuis la fin de la guerre
froide ».
Lilley n’était pas un novice au jeu de
la géopolitique US. Lui, tout comme son vieil ami George H.W. Bush, fut
l’un des membres de la société secrète « Skull & Bones » [1] à
l’université de Yale.
Donc, avec ce commentaire confidentiel à
l’esprit, voyons ce qui pourrait se tramer à nouveau derrière cette
diabolisation soudaine de la Corée du nord.
L’invitation de Poutine et la géopolitique des pipelines
En terme de politique étrangère,
d’initiatives politiques et diplomatiques, le président russe Vladimir
Poutine a été, au cours de ces derniers mois, tout sauf isolé comme
l’auraient espéré les néo-conservateurs à Washington. Il a établi de
brillants accords stratégiques avec la Chine puis avec l’Inde, des
accords économiques avec le Brésil, avec les états des BRICS, a mis en
place la nouvelle union économique eurasienne avec le Kazakhstan, la
Biélorussie et l’Arménie – union qu’aurait rejoint l’Ukraine si les US
n’avaient pas fomenté son violent coup d’état en février 2014 à Kiev.
Le 19 décembre, un porte-parole du
Kremlin a confirmé que le président Poutine avait invité le leader
suprême de la Corée du nord âgé de 32 ans Kim Jong-un (je suppose que
Washington peut avoir un allié, Commandant Suprême de l’OTAN Europe, qui
serait son leader suprême). Kim Jong-un a été invité à assister à la
célébration du 70ème anniversaire de la défaite de
l’Allemagne Nazie par les soviétiques lors de la deuxième guerre
mondiale, évènement tout particulièrement symbolique, le 9 mai de cette année.
Peu d’américains furent informés par
leurs gouvernements ou par les médias alignés que Washington fut
redevable, à l’égard de l’ex Union Soviétique qui perdit au moins 26
millions de ses citoyens au cours de la deuxième guerre mondiale, d’une
dette de gratitude pour la défaite de l’Allemagne nazie en 1945.
L’histoire des guerres est écrite par les vainqueurs a dit Churchill.
A première vue, il semblerait que
Poutine racle le fond du baril géopolitique en tendant la main au
deuxième leader mondial le plus diabolisé après Poutine lui-même. Cela
sera aussi la première visite de Kim en dehors de son pays depuis qu’il a
acquis ses galons de leader suprême en 2011.
Quoi qu’il en soit, derrière la main
tendue de Poutine, se cachent de vraies raisons économiques. Les russes
envisagent de créer un nouveau pipeline gazier pour approvisionner la
Corée du sud en gaz russe. La manière la plus simple d’y parvenir serait
de passer par la Corée du nord.
La récente ouverture à la Corée du nord
de la Russie n’est pas une réaction de panique primaire. C’est une étape
soigneusement planifiée du « Pivot eurasien » de Poutine, afin d’opérer
une réorientation stratégique russe des liens politiques, économiques
et commerciaux hors des stériles tentatives occidentales de Bruxelles et
de Washington qui n’apportent que guerres et sanctions, vers le cœur du
territoire eurasien, seul espace géopolitique sur terre capable de
créer un véritable contrepoids à l’unique super pouvoir déclinant. En
avril dernier, la Douma russe et Poutine ont approuvé l’annulation d’une
dette nord-coréenne datant de l’ère soviétique d’un montant
significatif de 10 milliards de dollars. Avez-vous déjà entendu parler
d’un cas où le trésor US aurait effacé une quelconque dette ?
Ceci représente un effacement de
quelques 90% avec un solde de 1.09 milliard de dollars à rembourser au
cours des vingt prochaines années, par des traites d’égale valeur tous
les six mois. L’énorme dette due par la Corée du nord sera gérée par la
banque de développement d’état, la Vnesheconombank. La Russie a annoncé
que l’argent pourrait être utilisé pour élaborer des projets communs en
Corée du nord, incluant un pipeline gazier et des infrastructures
ferroviaires vers la Corée du sud. (South Korea).
La diplomatie nucléaire Russe
Il existe un autre élément pour
expliquer le récent réchauffement entre la Russie et la Corée du nord.
Le ministre russe des affaires étrangères a annoncé en avril dernier que
la Corée du nord est prête à reprendre les pourparlers internationaux
bloqués sur son programme nucléaire. La Corée du nord, la Corée du sud,
le Japon, la Chine, la Russie et les États-Unis ont entamé les
pourparlers en 2003 pour débarrasser la péninsule coréenne des armes
nucléaires mais ils furent suspendus après que Pyongyang eut testé des
dispositifs nucléaires en 2006 et 2009.( 2006 et 2009.)
Puis, le 1er janvier, Kim
Jong-un a annoncé qu’il était favorable à des « pourparlers à haut
niveau » avec la Corée du sud. Dans son programme télévisé du nouvel an,
Kim a déclaré, « nous devons écrire une nouvelle histoire des liens
nord-sud. Il n’y a aucune raison de ne pas soutenir les pourparlers à
haut niveau ». C’était une réponse à une offre faite quelques jours
auparavant par le ministre sud-coréen chargé des affaires
intercoréennes, Ryoo Kihl-Jae, qui avait proposé Janvier comme date
provisoire ( date d’essai. ).
Les derniers pourparlers eurent lieu en février 2014. Curieusement, à
chaque fois ces dernières années où les relations laissent entendre
qu’une ébauche de rapprochement se profile, un « évènement » bizarre
intervient toujours pour la bloquer. Peut-être est-ce le fantôme de
James Lilley ?
La Russie, conciliateur coréen ?
Ce qui est intéressant dans ce contexte, est qu’un récent papier de l’un des contributeurs de Saker, Larchmonter 445, la double hélice chine-Russie,
précise que des pourparlers récents au plus haut niveau ont eu lieu à
Pékin entre le ministre russe de la défense Sergey Shoigu et le
responsable chinois Li Kegiang. Ça s’est passé après que Shoigu se soit
réuni avec ses homologues au ministère de la défense militaire de Chine.
L’article postule, « imaginez que le Général Shoigu et le Premier
Ministre LI Kegiang discutent de la Corée du nord. Le contexte : Poutine
a tendu la main au régime du glorieux leader Kim et nous connaissons
l’accord que Poutine aimerait voir se réaliser avec le régime de
Pyongyang. Oubliez le nucléaire, la double hélice vous protégera… ». Le
parapluie nucléaire russe et chinois permettra d’éviter d’avoir besoin
de l’arsenal nucléaire coréen. (nuclear arsenal).
Ceci changerait certainement la donne,
un évènement qui ferait tomber en apoplexie. les faucons de Washington.
James Lilley sans aucun doute se retournerait dans sa tombe. Comme
Larchmonter le précise :
La Russie pourrait être considérée comme encore plus grande, et pas seulement en superficie. Ses pipelines, ses autoroutes, ses aéroports, ses ports maritimes et ses systèmes d’armement seraient interconnectés et protégeraient les nations de l’Arctique jusqu’à l’océan indien, et également des frontières orientales de l’Europe jusqu’aux îles Kurll et Valdivostok, touchant les frontières de la Chine à Zabikalsk-Manshouli et Pogranichy-Suifenhe dans la province du Heilongjiang le long de la rivière du dragon noir (Amur).La Russie et la Chine sont les fondateurs d’un marché économique eurasien de 3.5 milliards (la moitié de la planète). Il possède une mission initiale de trente ans. Et durant ces trente années, ils auront construit la nouvelle route de la soie, la route de la soie maritime, la ceinture économique eurasienne et attiré l’Iran, l’Inde, le Pakistan, le Bengladesh, les états d’Asie Centrale, la Mongolie, les nations d’Asie du sud-est et probablement intégré des parties de l’Ukraine et de l’Europe de l’est, des nations d’Europe du sud et, peut-être des nations nord-africaines. (nations)
Tout ceci ne serait-il pas une
alternative plus intelligente et plus humaine aux guerres
néo-conservatrices et à leurs guerres sans fin, aux dépressions
économiques, à la désindustrialisation qui font que les 0.1% des
ultra-riches bénéficient d’un pouvoir sans précédent au détriment de
nous tous ?
En effet, quelque chose de vraiment
important se mijote, impliquant la Chine, la Russie, la Corée du sud et
la Corée du nord. Rien d’une nouvelle guerre de Corée, c’est évident.
C’est l’explication la plus plausible que j’ai trouvée pour expliquer la
diabolisation soudaine et accrue de la Corée du nord par
l’administration Obama utilisant la piètre attaque de Sony Pictures
comme prétexte.
Les nouvelles sanctions ainsi que la
diabolisation concernant la Corée représentent une décision
incroyablement désespérée, une cabale qui a pris en otage ce qui restait
de la démocratie constitutionnelle US après le 11 septembre 2001 quand
George W. Bush réussit à convaincre un Congrès US terrorisé d’annuler la
constitution des droits de l’homme avec le Patriot Act ainsi que
d’autres mesures policières d’état, de facto fascistes, au nom de la
croisade sacrée de Bush contre la « terreur ». Il semble que 2015 sera
un chapitre fascinant dans l’évolution du monde, peut-être même les
évènements nous amèneront vers davantage d’harmonie dans le vivre
ensemble des êtres humains sans que l’on imagine davantage d’ingénieuses
manières de nous tuer et de nous exterminer les uns les autres au nom
de quelque chose que personne ne comprend vraiment dans la confusion
morale ambiante.
F. William Engdahl
est consultant en stratégie du risque et conférencier, il est diplômé de l’université de Princeton où il a obtenu un diplôme en politique. Il est également un auteur reconnu sur les sujets pétroliers et géopolitiques exclusivement pour le on line « magazine “New Eastern Outlook”.
est consultant en stratégie du risque et conférencier, il est diplômé de l’université de Princeton où il a obtenu un diplôme en politique. Il est également un auteur reconnu sur les sujets pétroliers et géopolitiques exclusivement pour le on line « magazine “New Eastern Outlook”.
(1)
Rappelons que John
Kerry, le Secrétaire d’Etat US (Ministre des Affaires Étrangères) est membre de
la secte des « Skull and Bones » (littéralement le Crâne et
les Os), société secrète de l'université Yale aux États-Unis. Ce groupe est
aussi connu sous le nom « Brotherhood of Death » (« la
fraternité de la mort »).