C’est « très simple ». Nous sommes bien informés. Il
faut croire les médias quand ils nous disent : « Les États-Unis veulent la
démocratie en Syrie ». Vraiment ? Avec l’aide de l’Arabie Saoudite et du Qatar
?
Vous avez un doute ? Il existe une deuxième
version : « Les États-Unis nous protègent contre les armes de destruction
massive ». Vraiment ? Tout en étant le pays qui les a le plus
utilisées ? Nucléaires à Hiroshima, napalm en Corée, au Cambodge et au
Vietnam, armes biologiques contre Cuba, uranium appauvri, mines antipersonnel
et bombes à fragmentation un peu partout. Sans parler des deux cents têtes
nucléaires confiées à Israël.
Toujours pas satisfait ? Troisième
variante : « Les États-Unis combattent le terrorisme ».
Vraiment ? En armant Ben Laden contre l’Afghanistan, puis une section d’Al-Qaïda
contre la Libye et enfin An Nosra et Daesh contre la Syrie ? En organisant
des attentats à la bombe dans des avions et des hôtels cubains, puis en
protégeant les auteurs de ces actes, bien à l’abri en Floride, et enfin en
emprisonnant à vie les « Cinq de Miami », agents du contre-espionnage
cubain chargés d’empêcher de nouveaux attentats ? Juste quelques exemples
parmi bien des exploits de la CIA si « démocratique ».
Ou bien alors on nous fait comprendre que c’est
« beaucoup trop compliqué pour vous ». Vous, le public, vous
n’êtes pas capable de vous y retrouver dans ces intrigues et ce chaos irakien,
libyen, syrien, et cetera. Laissez donc ça aux « experts ».
Et si certains avaient intérêt à ce que vous n’y
compreniez rien et que vous abandonniez, découragé ? C’est ce qu’affirment
Grégoire Lalieu et Mohamed Hassan dans ce livre. Et ils vont le démontrer.
Qui a intérêt à ce que nous ne bougions pas ?
Qui a intérêt à notre confusion et notre
passivité ? En 2003, nous étions des millions à manifester contre la
« guerre du pétrole » frappant l’Irak. Aujourd’hui, les États-Unis
mènent de plus en plus de guerres et il n’y a plus personne dans les rues.
Comment a-t-on réussi à désespérer les peuples alors que les catastrophes
continuent à s’abattre ?
Mais qui croit sincèrement que les États-Unis ont
changé ? Qui pense que Washington a renoncé à dominer le monde ? Qui
pense que les multinationales US ne désirent plus contrôler un maximum de
richesses et donc un maximum de pays ? Qui croit que le complexe militaro–industriel va nous chanter « Peace and Love » ?
La vraie question à se poser est alors celle-ci :
est-ce que les États-Unis poursuivent toujours les mêmes objectifs, mais avec
des méthodes plus subtiles ? La réponse est oui.
La nouvelle stratégie de la Maison-Blanche, nous
l’avions décrite en 2008 (1). C’est le « soft power ».
Littéralement : le pouvoir en douceur. Sauf qu’il n’y a là-dedans aucune
douceur, c’est juste une manière plus discrète de faire la guerre. La guerre
indirecte. A travers des déstabilisations orchestrées et des coups d’État.
En poussant un État de la région à attaquer le voisin qui gêne. Ou alors en
armant des mouvements séparatistes pour fomenter des guerres civiles. Voire
même en soutenant des organisations terroristes pour créer le chaos.
Bref, plutôt que des G.I.’s sur le terrain, la CIA en
coulisses. Moins cher, moins voyant, moins provocant. Ça passe auprès des
masses (grâce aux médias et à certains intellectuels). « Soft
power ». Aussi dénommé « Smart power » : le pouvoir
intelligent. La violence continue, mais enrobée et mieux emballée.
Il est assez facile de comprendre pourquoi Washington
a changé de stratégie. Rappelez-vous… En 2001, Bush décidait d’attaquer sept
pays après l’Afghanistan : Irak, Syrie, Liban, Libye, Somalie,
Soudan, Iran, comme en a témoigné le général Wesley Clark(2). Mais Bush a
piteusement échoué : deux guerres à peine, et perdues toutes les
deux.
La nouvelle stratégie, Investig’Action en a exposé les
mécanismes dans La Stratégie du Chaos, ouvrage que j’ai coécrit
avec Grégoire Lalieu en 2011.
L’idée de base ? « Ce que tu ne peux
contrôler, détruis-le ! » En plusieurs régions stratégiques pour
leurs intérêts, les États-Unis ont semé le chaos. Plus efficace que la méthode
Bush, la méthode Obama pose cependant de nouveaux problèmes : comment
contrôler les éléments déstabilisateurs qu’on a déclenchés ?
Et surtout, quand on est une puissance sur le déclin,
comment empêcher la montée du nouveau grand front contre l’hégémonie :
Russie, Chine, Amérique latine et d’autres bientôt ? Toutes ces nations
sont en train de s’allier pour résister à l’agressivité des « maîtres du
monde ». Bref, Washington n’a pas vraiment réglé son problème, il l’a
plutôt reporté et peut-être même aggravé.
Et bien sûr, le problème se posera aussi au prochain
président. Ou plutôt, puisque le président n’est au fond qu’un employé de luxe,
le problème stratégique se posera à l’élite US : les dirigeants des
multinationales et les think tanks chargés de les conseiller.
Le travail effectué par Grégoire Lalieu et Mohamed
Hassan se révèle donc précieux pour nous permettre de bien saisir les
véritables ressorts de la politique internationale des États-Unis et dans quel
sens elle risque d’évoluer. En exposant clairement les événements qui se sont
déroulés en Syrie et en Égypte, en partant « à la recherche des faits perdus »
ou plutôt égarés par les médias dominants, ils nous font comprendre les dessous
de ces deux révolutions détournées. Loin du récit simpliste entendu partout,
nous découvrons dans ce livre non seulement les contradictions de classes qui
traversent ces deux pays, mais aussi l’action souterraine des États-Unis dans
la région. Comment ils ont d’emblée détourné des protestations légitimes en
Syrie, prolongeant ainsi leurs préparatifs qui avaient en fait débuté bien
avant 2011, comment ils se sont dès le départ appuyés sur des extrémistes
cruels et ce qu’ils convoitent réellement dans ce pays tragiquement mis à feu
et à sang.
Quant à l’Égypte, ils nous montrent à quel point les États-Unis ont toujours considéré que ce pays leur appartenait, comment ils ont
procédé pour le contrôler très étroitement et ce faisant, l’ont plongé dans la
pauvreté et la dépendance, comment enfin, Frères musulmans ou dirigeants
militaires, peu leur importe pourvu que rien d’essentiel ne change au cœur du
monde arabe. En montrant aussi que les Égyptiens n’ont pas fini d’écrire leur
histoire, ils nous permettent de comprendre ce qui peut encore arriver.
Jihad made in USA explique également le véritable
rôle joué en coulisses par les diverses puissances régionales : de quelle
manière Washington utilise l’Arabie Saoudite et le Qatar, avec quel cynisme on
s’est débarrassé des jeunes « eurojihadistes », pourquoi l’Iran est
visé derrière la Syrie, quels intérêts motivent Israël et la Turquie dans la
question syrienne. Des alliances surprenantes se nouent et se dénouent, mais en
examinant ces intérêts, on ne sera plus surpris. Et dans ces deux pays, on
comprend à quoi ont servi ceux qu’on appelle les « islamistes ». Mais
que veut dire exactement ce terme ?
Islamisme : le concept fourre-tout qui désamorce
nos neurones A tout moment, les médias nous matraquent avec ce terme, bien mal
choisi, des « islamistes ». En réalité, il recouvre des réalités
totalement contradictoires :
L’Arabie Saoudite
« islamiste » collabore avec les USA et Israël. Mais le Hezbollah
« islamiste » les combat.
En Egypte, les
Frères musulmans pactisent avec Washington et Tel-Aviv. Au contraire du Hamas
palestinien, pourtant issu des mêmes Frères.
Au nom de la
« lutte pour la démocratie », les jeunes eurojihadistes islamistes
français et belges ont été applaudis en partant en Syrie (le ministre belge des
Affaires étrangères voulait leur « édifier une statue »), mais
appréhendés, voire emprisonnés au retour.
Et si le mot « islamisme » était un grand
fourre-tout qui piège notre réflexion ? Mohamed Hassan nous montrera ici
que ce terme « islamisme » recouvre en fait cinq courants politiques
bien différents que l’on mélange à tort. Il était absolument nécessaire qu’il
mette à plat les histoires et les parcours contradictoires de tous ces courants
pour décrypter la stratégie complexe des États-Unis quand il s’agit de
contrôler l’échiquier du Moyen-Orient.
Aucune de ces nuances, aucune de ces interrogations ne
s’est retrouvée dans les grands médias. Ceux-ci prétendent pourtant nous aider
à déchiffrer la politique internationale des États-Unis. Mais alors, pourquoi
n’évoquent-ils jamais ces déclarations très importantes de deux hauts
responsables US ? En 1996, James Baker, alors ministre US des Affaires
étrangères, déclare :
« Il n’y a pas de pays musulman plus intégriste
que l’Arabie Saoudite (…) et pourtant c’est à la fois un ami et un pays
important pour les États-Unis. (…) Nous ne devons nous opposer à l’intégrisme
que dans la mesure exacte où nos intérêts nationaux l’exigent ». (3)
En 2012, Hillary Clinton reconnaît très
simplement : « Nous, États-Unis, avons créé Al-Qaïda ». (4)
Ces déclarations ne sont-elles pas indispensables pour
comprendre la manière dont les États-Unis utilisent les pires instruments pour
s’assurer le contrôle de certaines régions stratégiques :
Moyen-Orient, mais aussi Caucase, Asie du sud et du centre, Corne de
l’Afrique et même Afrique centrale. Voilà qui explique le déroulement confus de
plusieurs conflits de ces dernières décennies : Afghanistan, Yougoslavie,
Tchétchénie et plus largement Caucase, Irak, Libye, Syrie mais aussi Algérie,
Congo RDC, Sud-Soudan, Côte d’Ivoire, Mali, Centrafrique, Tigres tamouls, etc….
C’est en fonction de leurs intérêts que les États-Unis s’allient un jour avec
des terroristes qu’ils combattent le lendemain avant de se réconcilier le
surlendemain.
Comprendre tout ceci est crucial : c’est avec ces
coups tordus et ces alliances indignes que les États-Unis sont occupés à
bouleverser le grand échiquier du Moyen-Orient pour le remodeler à leur guise.
Avec pour toile de fond la Grande Guerre du pétrole et du gaz, clé de la
domination du monde. En fait, Jihad made in USA dévoile un des terrains
essentiels de cette grande bataille pour dominer le monde, c’est-à-dire pour
affaiblir la Chine et la Russie et pour contrôler l’Europe. Une bataille qui
nous concerne partout.
Rien d’improvisé, juste la réalisation d’un très vieux plan…
Je le dis souvent : quand la télé nous raconte
que Washington réagit à des événements « spontanés » quelque part
dans le monde, il faut toujours commencer par se demander ce que les États-Unis
ont fait auparavant concernant ce pays. Le président des États-Unis, Franklin
Roosevelt disait :
« En politique, rien n’arrive par hasard. Chaque
fois qu’un événement survient, on peut être certain qu’il avait été prévu pour
se dérouler ainsi. »
En réalité, ça fait très longtemps que les États-Unis
et leurs amis projettent de faire éclater en plusieurs morceaux la Syrie et la
plupart des pays du Moyen-Orient.
Ainsi, après la « Guerre des Six Jours », en
1967 (Israël contre Égypte, Jordanie et Syrie), le ministre US Kissinger fixe
comme priorité pour Washington de renforcer Israël. Et pour cela il veut
morceler le Moyen-Orient en une mosaïque de mini-états faibles se combattant
entre eux, chacun ayant besoin des USA pour survivre. Ce Plan Kissinger (de
même que le Plan Rogers un peu plus tôt) vise à utiliser et carrément
exacerber les conflits interarabes afin de redessiner les frontières de
plusieurs pays : Liban, Syrie, Jordanie, Irak. Son but : permettre à
Washington, avec l’aide d’Israël et du Chah d’Iran, de contrôler toute la
production de pétrole de la région.
Dans la même logique, en 1982, Oded Yinon,
un ancien fonctionnaire des Affaires Etrangères israéliennes, publie
« Stratégie pour Israël dans les années 80 » :
« La Syrie va se diviser en plusieurs Etats
suivant les communautés ethniques, de telle sorte que la côte deviendra un État
alaouite chiite ; la région d’Alep, un État sunnite ; à Damas, un
autre État sunnite hostile à son voisin du Nord : les Druzes
constitueront leur propre État, qui s’étendra sur notre Golan peut-être, et en
tout cas dans le Haourân et en Jordanie du Nord. Cet État garantira à long
terme la paix et la sécurité dans la région : c’est un objectif qui
est dès à présent à notre portée. »(5)
Israël sait ce qu’il cherche : démanteler ses
voisins.
Plus tard, la CIA va élaborer le Plan Syriana, qui
sera ensuite révélé par son ancien agent Robert Baer. Là aussi, il s’agit de
faire éclater tous les États dérangeants pour neutraliser la résistance arabe
dans l’ensemble du Moyen-Orient. Toujours pour renforcer Israël.
En juin 2006, à Tel-Aviv précisément, la Secrétaire d’État états-unienne Condoleezza Rice justifie de cette manière cynique la
sanglante destruction du Liban par des attaques israéliennes : « Ce
que nous voyons ici est dans un sens la croissance – les douleurs de
l’enfantement – d’un ‘Nouveau Moyen-Orient’, et tout ce que nous (les USA)
faisons, c’est de nous assurer de pousser en avant pour ne pas revenir à l’ancien. »(6)
Le ‘Nouveau Moyen-Orient’, conforme aux intérêts d’Exxon et Chevron, passe donc
par la souffrance des peuples attaqués.
Durant le même mois de juin 2006, le
lieutenant-colonel Ralph Peters, retraité de l’Académie Nationale de Guerre,
révèle les arrière-pensées de Rice et Bush : il publie dans le Armed
Forces Journal (7) une carte futuriste du Moyen-Orient établie selon les
souhaits de Washington : la Turquie y est amputée au profit d’un
« Grand Kurdistan », l’Irak perd ses Kurdes et se voit divisé en un État chiite et un État sunnite, la Syrie est réduite à pas grand-chose, le
Pakistan perd le Baloutchistan (et ainsi son port stratégique de Gwadar),
l’Arabie Saoudite est fragmentée tandis que la Jordanie se gonfle. Morceler
pour mieux régner. Une carte du même type a été publiée par le New York Times
en septembre 2013 (8). Pour préparer les esprits ?
Sachant tout ceci, nous comprenons que l’actuelle
explosion de l’Irak, de la Libye et de la Syrie (et bientôt
d’autres pays ?) ne constitue absolument pas une surprise.
Donc, il est parfaitement possible de comprendre le
Moyen-Orient. Il suffit de fermer la télé et de lire des choses sérieuses. Par
exemple, les documents réellement importants des stratèges US (qui disent
exactement le contraire de la télé). Ou Mohamed Hassan racontant la véritable
histoire de la région et toutes les manœuvres opérées en coulisses.
Fermer la télé et rouvrir son cerveau
En lisant ce livre passionnant, vous vous demanderez
certainement pourquoi tout ceci est absent des médias, pourquoi avec eux tout
semble « trop compliqué » ?
Effectivement, même si quelques journalistes
parviennent tant bien que mal à faire passer d’autres infos ou points de vue
(généralement bien tard le soir), nous devons constater que les journaux
télévisés reflètent à sens unique les visions de leurs gouvernements respectifs.
Et que la quasi-totalité des émissions dites de « débats » se
limitent aux seuls points de vue acceptables par les intérêts dominants.
Ces débats accueillent-ils une pluralité d’opinions,
comme ils le prétendent ? Oui et non. On peut y entendre plusieurs avis
sur la meilleure manière pour les États-Unis et l’Europe d’atteindre leurs
objectifs de politique internationale. On peut donc débattre sur le
« comment ». Mais pas sur le « pourquoi ». Pas question de
discuter l’essentiel : les États-Unis et leurs alliés ont-ils moralement
le droit d’imposer leurs vues et leurs intérêts à l’ensemble des pays du Sud
qui souffrent tant de leur politique ? Ont-ils le droit de faire, avec
notre argent, la guerre au service des multinationales ? Tabou.
Pour avoir tenté de le faire quand même et sans
tourner autour du pot, dans trois débats des télévisions belges en
automne 2011, j’ai été rapidement remis au placard sans autres
explications. Comme de nombreux autres analystes « différents ». Le
pluralisme a ses limites.
Rien à voir avec le « complotisme »
Jihad made in USA apporte enfin une explication
complète, nuancée et accessible sur ces événements qu’on nous cache ou qu’on
prétend « trop compliqués ». Grégoire Lalieu refuse autant la théorie
du « grand complot » où Washington planifie et maîtrise tout, que la
théorie ultra-naïve des États-Unis qui défendraient des valeurs et nous
diraient la vérité. Ainsi, Jihad made in USA vous aide à libérer vos neurones
face aux propagandes simplistes.
Rien à voir donc avec une « théorie du
complot ». Oui, les stratèges US élaborent des plans au service de
l’élite, au service du 1 %, et n’en parlent pas à la télé. Non, ces plans
ne sont pas entièrement secrets, il existe là-dessus une documentation
spécialisée qu’il est possible de lire en cherchant bien. Oui, les stratèges US
manipulent les peuples, mais non, ils ne réussissent pas toujours, leurs plans
peuvent être mis en échec par la résistance de ces peuples et par
l’intervention des citoyens dans le débat. Alors, quand les porte-paroles des États-Unis ou d’Israël, quand un Henri Guaino (proche conseiller de Sarkozy),
une Caroline Fourest ou un Bernard-Henri Lévy nous traitent de
« complotistes », ils cachent par là même qu’ils n’ont pas le courage
de discuter sur le fond du dossier, car ils savent qu’ils n’ont pas d’arguments,
qu’ils ont les faits contre eux. Quand certaines personnes se disant de gauche
répètent ces stupidités de droite, c’est un autre problème qui relève davantage
de la psychanalyse. Ou de l’achat des consciences.
L’islamisme », épouvantail très efficace
Jihad made in USA porte un titre assez
provocateur, il est vrai. Mais en unissant les deux termes d’une apparente
contradiction, il nous appelle justement à réfléchir au-delà des apparences et
des clichés simplistes. Qui profite de la manipulation de cet
« islamisme » ? En tout cas, il faut bien constater que cela produit
des résultats remarquables. Au Moyen-Orient, mais aussi en Europe. Au
Moyen-Orient, avec la division systématiquement organisée, les États-Unis ont
réussi à enterrer les tentatives des nations arabes de s’unir pour être plus
indépendantes, mieux négocier le prix du baril, échapper au dollar-roi,
utiliser l’argent du pétrole à leur avantage, tenir tête à Israël. Oublié tout
ça ! A présent, au Moyen-Orient, c’est « tous contre tous », les
peuples paient et les émirs sabrent le champagne. L’islamisme a été très
efficace.
Mais il produit aussi ses effets pervers en Europe. De
par cette mise en scène puissante aujourd’hui dans nos pays européens, islam
égale barbarie. Malgré les protestations hypocrites, le mal est fait, les
musulmans sont montrés du doigt et encore plus diabolisés qu’avant. Soupçonnés
de pactiser avec le fanatisme et le terrorisme, on les somme de « prendre
leurs distances » avec Daesh. Par exemple, en affichant « Not in my
name » (pas en mon nom). Incroyable ! Pourquoi demander cela aux
seuls musulmans ? A-t-on demandé aux chrétiens de prendre leurs distances
avec George Bush quand il massacrait l’Irak ? N’incombe-t-il pas à tout
homme et toute femme, quelles que soit leur religion ou leur conviction, de
dénoncer ensemble cette politique barbare, qu’elle vienne des États-Unis, de
Daesh, de l’Arabie Saoudite ou d’Israël ?
Deuxième effet pervers. Alors que, après les échecs
coûteux des interventions occidentales en Afghanistan, en Libye et en Syrie,
l’opinion européenne était de plus en plus réticente face à de nouvelles
aventures guerrières, la mise en scène de l’islamisme a changé la donne. Une
mise en scène hypocrite et raciste : quand Daesh et les autres milices
perpétraient leurs atrocités massivement contre la population syrienne,
l’Occident fermait les yeux, mais l’assassinat de quelques Occidentaux entraîne
directement une mobilisation planétaire.
Planétaire et coûteuse pour nos portefeuilles. Quand
un pays comme la Belgique ou la France achète un bombardier, il pourrait avec
ce budget créer 1.300 places d’école. Tout le monde doit se serrer la ceinture
sauf l’industrie de l’armement qu’on nous appelle à financer
généreusement !
Allons-nous accepter que les États-Unis nous
entraînent dans une guerre sans fin qui, en définitive, nous confrontera à la
Russie et à la Chine ?
Allons-nous accepter que l’Europe obéisse servilement
à ce délire guerrier ?
Ou bien allons-nous réagir et lancer un débat
citoyen : quel monde voulons-nous pour nos enfants ?
Le livre de Grégoire Lalieu est une aide précieuse pour
lancer ce débat : il cerne très bien la question de la désinformation. Il
démontre comment tout est fait pour que le raisonnement soit noyé par l’émotion
et la fabrication de la peur.
La fabrique de la peur
La menace islamiste a d’abord été occultée, puis tout
d’un coup artificiellement gonflée mais soigneusement coupée de son contexte et
de l’implication des Etats-Unis eux-mêmes. Et ça fonctionne : l’opinion
pourrait à nouveau basculer dans le consentement résigné ou indigné :
« Il faut bien faire quelque chose contre ces fanatiques dangereux ».
Ce n’est pas un hasard si les médias ont à ce point
mis en avant « les islamistes » comme seul facteur d’explication.
Comme l’écrit le sociologue Saïd Bouamama :
« La fabrique de la peur fonctionne à plein
régime avec ses deux conséquences logiques : le renoncement à
l’explication rationnelle au profit de réactions émotionnelles d’une part et la
production d’une demande de sécurité au prix même d’une atteinte aux libertés
fondamentales d’autre part. Au-delà des cibles actuelles, c’est la logique
sécuritaire qui s’installe encore plus profondément dans notre société. Les
enjeux pétrogaziers et géostratégiques disparaissent entièrement du débat pour
ne laisser place qu’à l’urgence d’un consensus « anti-barbare ». (9)
Comme c’est commode en effet : grâce aux médias,
il n’y a plus au Moyen-Orient un conflit entre classes sociales sur la question
des injustices riches – pauvres, il n’y a plus de colonialisme israélien
violant le droit international, il n’y a plus l’ingérence impériale permanente
des USA avec tous leurs coups tordus, non il y a seulement… une guerre de
religions, avec des bons et des méchants ! Les bons étant toujours
« nous » bien sûr.
Et ça peut resservir ailleurs : ce qu’il y a de
merveilleux avec le prétexte terroriste, c’est que les États-Unis peuvent
l’utiliser absolument partout : de l’Irak au Nigeria, du Caucase au Congo,
de l’Ukraine au Mali, ils peuvent trouver « des terroristes » partout
où ils en ont besoin, c’est-à-dire jamais très loin du pétrole et du gaz ou
d’autres richesses stratégiques. Ils peuvent même en faire amener au besoin par
leurs amis. Très pratique.
Merci, Grégoire
En 2009, le tout jeune Grégoire Lalieu entrait à
Investig’Action pour y effectuer un stage de journaliste dans le cadre de ses
études. Il n’en est jamais reparti. Je l’ai engagé comme rédacteur de notre
site internet, tâche qu’il assume remarquablement. En 2011, il a rédigé avec
moi le livre La Stratégie du Chaos : déjà des entretiens
avec Mohamed Hassan pour expliquer les manœuvres des USA et de l’Europe dans le
monde arabo-musulman. Trois ans plus tard, voilà qu’il écrit seul ce nouveau
livre Jihad made in USA, réussissant à rendre clair ce qu’on nous présente
comme incompréhensible : la Syrie, l’Égypte, l’islamisme et tout
l’échiquier du Moyen-Orient.
Merci, Grégoire ! Je suis très fier de cette
brillante relève. Après tout, quand Investig’Action a été fondée, il y a juste
dix ans, mon souhait était de former une équipe capable de repérer les média
mensonges et de riposter par une info indépendante de qualité. Notre tâche est
vaste et ce n’est pas simple – notamment par manque de moyens financiers – mais
nous avons déjà pu obtenir quelques résultats et sensibiliser pas mal de gens.
Notre objectif est encore plus ambitieux pour les
années à venir : Investig’Action veut aider de plusieurs manières (site
d’articles, livres, films, chaîne vidéo, formations), aider à mettre en place
un véritable mouvement citoyen pour l’info : afin que chacun ait les
moyens de se défendre et de devenir actif dans cette bataille pour la vérité.
J’espère que d’autres jeunes imiteront avec nous l’exemple de Grégoire.
Vous allez maintenant pouvoir vérifier que son livre
est une contribution précieuse pour vous armer dans cet esprit.
Bonne lecture !
Michel COLLON
Notes :
1) Michel Collon, Quelle sera demain la politique
internationale des USA ?, site Investig’Action, septembre 2008.
2) Michel Collon, Libye, Otan et média mensonges, Investig’Action,
2011, p. 133.
5) Voir par exemple, site Information Clearing House,
The Zionist Plan for the Middle East.
6) Mahdi Darius Nazemroaya, Le projet d’un
« Nouveau Moyen-Orient, Mondialisation.ca, décembre 2006.
7) Idem.
8) Robin Wright, Imagining a Remapped Middle East, New
York Times, 28 septembre 2013.
9) Saïd Bouamama, La construction médiatiques des
islamistes, Investig’Action, octobre 2014.
Source : Investig’Action
Avic – Réseau International
Twitter (donc les USA) au service de la promotion de l’État Islamique (Etude)
Selon une étude intitulée « Le
recensement de l’EI sur Twitter » publiée récemment par l’Institut
Brookings basé à Washington, 46.000 comptes Twitter font la promotion de
l’Etat Islamique (EI). Toujours selon cette étude, entre 500 et 2.000
utilisateurs « hyperactifs » postent entre 545 et 2.000 messages par
jour.
Imaginez un peu toute l’organisation et la logistique que cela représente.
L’EI aurait donc ses chercheurs dans
leurs labos inventant des tas de moyens de déjouer les surveillances
dans les aéroports, ses services de renseignements collectant des
informations sur les synagogues et les supermarchés à faire sauter à
travers le monde, sa cyber-armée lui permettant de pénétrer dans les
lieux les plus secrets du cyber-monde, ses services de communication
dignes des meilleures officines de Public Relation de la planète, et
tout cela en plus de ses combattants sur le terrain. Seul le Pentagone
(et encore !) pourrait se targuer d’avoir des moyens similaires.
Imaginez une salle avec 500 à 2000
ordinateurs, avec un spécialiste derrière chaque clavier. Ce qui exclut
d’emblée les djihadistes d’origine européenne, car ils sont décrits
comme des paumés en échec scolaire, provenant de milieux défavorisés.
Ces spécialistes, d’origine arabe donc, auraient chacun à gérer des
dizaines, voire une centaine, de comptes twitter, comptes qu’il faut
modifier après chaque utilisation, puisque les « lutteurs contre le
terrorisme international » affirment qu’ils les font fermer dès qu’ils
sont identifiés. Des journées à temps plein n’y suffiraient pas pour
maintenir une cinquantaine de milliers de comptes Twitter actifs. Seuls
des systèmes automatisés, des robots, peuvent y parvenir, comme ces
robots qu’on a vu à l’œuvre lors de la « Révolution Verte » en Iran et
pour laquelle Madame Hilary Clinton avait avoué l’intervention de son
pays, ou lors des « Révolutions du Printemps Arabe ». Même méthodologie,
mêmes opérateurs ?
A l’heure où le moindre tweet ou
commentaire sur les réseaux sociaux peut mener son auteur devant les
juges, il est tout de même assez culotté de faire croire qu’il suffit
d’être un djihadiste de l’EI/Daesh pour devenir invisible au système de
surveillance supposé avoir été mis en place par les guerriers
« antiterroristes ». Ou alors, Edward Snowden nous aurait-il menti ? Le
NSA et tout le reste serait du bluff ? Même s’il est tout à fait
possible que la fameuse surveillance universelle de NSA soit du bluff,
il n’en reste pas moins qu’on sait que Twitter est contrôlé. S’il y a
46.000 comptes actifs sur ce réseau, sans compter les autres milliers de
comptes Youtube, Google, Facebook, etc…, tous appartenant à la même
entreprise, c’est que ceux qui contrôlent les réseaux sociaux le veulent
bien.